Trois films au salon Marjolaine

Du 8 au 16 novembre se tiendra le salon Marjolaine du bio et développement durable, au Parc Floral de Paris. 520 exposants, 120 ateliers et un cycle de ciné-conférences auquel je vais largement participer puisque sont programmés trois de mes films.
Ci-joint le programme:

Dimanche 9 novembre
OGM et crise alimentaire

12 h : Blé, chronique d’une mort annoncée (52 mn)
Le blé, cultivé sur les cinq continents et nourriture de base d’un homme sur trois, compte d’innombrables variétés. Cette richesse biologique est aujourd’hui largement menacée par les firmes agroalimentaires qui d’ores et déjà contrôlent les semences. Ce film qui dénonce la logique d’uniformisation des formes de vie est un plaidoyer pour la sauvegarde de la biodiversité cultivée et de l’agriculture vivrière.

Documentaire de Marie-Monique ROBIN, journaliste free-lance, grand reporter lauréate du prix Albert Londres, réalisatrice de nombreux documentaires sur les droits de l’homme et les atteintes à l’environnement et les OGM. Projection suivie d’un débat avec la réalisatrice.

14 h – Argentine, le soja de la faim (22mn)
Pour avoir tout misé sur le soja transgénique, l’Argentine risque de tout perdre, y compris sa sécurité alimentaire. En 1996, Buenos Aires autorise la culture de cet OGM, conçu par la multinationale américaine Monsanto pour résister au Roundup, son puissant herbicide. Les agriculteurs n’avaient pas prévu l’apparition de mauvaises herbes tolérantes au Roundup et donc la nécessité de pulvériser davantage d’herbicide. Ces épandages massifs anéantissent les autres cultures, provoquent des problèmes de peau, de thyroïde et des complications respiratoires. S’y ajoute une catastrophe écologique avec une déforestation massive..

Documentaire de Marie-Monique ROBIN, suivi d’un débat avec la réalisatrice et Fabrice NICOLINO, journaliste, co-auteur de “Pesticides, révélations sur un scandale français“ et auteur de “La faim, la bagnole, le blé et nous“, une dénonciation des biocarburants.

16 h30 – Le monde selon Monsanto (109 mn)
Implantée dans quarante-six pays, Monsanto est devenue le leader mondial des OGM, mais aussi l’une des entreprises les plus controversées de l’histoire industrielle. Depuis sa création en 1901, la firme a accumulé des procès en raison de la toxicité de ses produits, mais se présente aujourd’hui comme une entreprise des sciences de la vie convertie aux vertus du développement durable. A partir de documents inédits, de témoignages de victimes, de scientifiques et d’hommes politiques, ce film reconstitue la genèse d’un empire industriel qui a grand renfort de mensonges, de collusion avec l’administration américaine, de pressions et de tentatives de corruption est devenu le premier semencier du monde, permettant l’extension planétaire des cultures OGM sans aucun contrôle sérieux de leurs effets sur la nature et la santé humaine.

Documentaire de Marie-Monique ROBIN, suivi d’un débat avec la réalisatrice et Christian VELOT, maître de conférences en génétique moléculaire à l’Université Paris Sud et responsable d’une équipe de recherche à l’Institut de Génétique et Microbiologie. Ses prises de position sur les OGM valent à ce chercheur un non-renouvellement de son contrat.

500 personnes à Chemillé

Hier soir le Foirail de Chemillé (Maine et Loire) a fait salle comble. Sur les 5OO personnes qui s’étaient déplacées, une quarante n’a pas pu entrer faute de place. J’ai donc dû faire deux conférences!
La soirée fut très émouvante, car de nombreux agriculteurs étaient présents: des producteurs conventionnels qui continuent de suivre le modèle productiviste imposé dans nos campagnes depuis une quarantaine d’années, et des producteurs bio. Comme je le dis et le redis partout où je me déplace, il n’est pas question de jeter la pierre aux paysans, qui sont les premières victimes de l’agriculture industrielle qui a provoqué la fermeture de centaines de milliers d’exploitations agricoles et qui empoisonne leurs champs et leur santé.
Il s’agit désormais, tous ensemble – paysans, consommateurs et élus- de tirer le bilan d’un modèle désastreux et de construire résolument le futur, pour éliminer, petit à petit, les produits toxiques de notre environnement et de nos assiettes. Les agriculteurs ne s’en porteront que mieux, car il n’est pas la peine de discuter longtemps avec eux, pour se rendre compte qu’ils n’en peuvent plus de ce système mortifère qui les conduit tous, et nous avec, dans le mur…
Hier soir, Jean-François Cesbron, le maire de Saint Lézin et président de la Chambre d’agriculture départementale a pris la parole, visiblement touché par le film. Il a expliqué que la chambre d ‘agriculture s’était lancée dans un programme de réduction progressive des pesticides et qu’elle avait créé une cellule de soutien à l’agriculture bio. Il s’est engagé aussi à éliminer l’usage du roundup sur sa commune. À suivre!

Intoxication: un agriculteur victime d’un produit de Monsanto

Alors que je me rendais à une interview à Angers Télé, j’ai été contactée par un confrère de la Charentes Libre à propos d’une affaire dont j’avais été informée lors d’une projection de mon film à Ruffec, au printemps dernier: celle de Paul François, un producteur de maïs victime d’une grave intoxication après avoir épandu du Lasso (en 2004), un pesticide produit par Monsanto, aujourd’hui interdit.
Il est malheureux de voir que c’est toujours la même histoire qui se répète…
Je copie ici l’article publié par mon confrère régional.

Les faits du jour en région
L’INTOXICATION AUX PESTICIDES AVÉRÉE
Le tribunal des affaires de Sécurité sociale établit un lien entre pesticides et la maladie d’un agriculteur du Ruffécois. Une première étape importante
04.11.2008
Jean-François BARRÉ

Paul François, agriculteur à Bernac, vient de gagner une manche judiciaire. Il a aussi intenté une action contre Monsanto, le fabriquant du pesticide Lasso

Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) «dit que la rechute déclarée le 29 novembre 2004 par Monsieur Paul François est directement liée à l’accident du travail dont il a été victime le 27 avril 2004 et qu’elle doit être prise en charge au titre de la législation professionnelle». Paul François, agriculteur près de Ruffec, vient de marquer un point décisif. En rendant sa décision hier matin, le tribunal a considéré qu’il avait bien été victime d’un «accident du travail» sur sa ferme de Bernac, en cet après-midi d’avril 2004. Ce que lui contestait jusqu’alors Aaexa, l’assurance des accidents du travail pour les agriculteurs.

Paul François avait été victime d’une intoxication massive alors qu’il nettoyait sa cuve d’épandage de pesticides. Quasiment un gazage. A l’époque, il utilisait dans ses maïs du Lasso, produit par le géant américain de la chimie Monsanto.

Des comas à répétition, des hospitalisations à la chaîne, des malaises à suivre, un système immunitaire aujourd’hui défaillant…, pendant près de quatre ans, Paul François a mobilisé la communauté scientifique, d’expertise en contre-expertise, des urgences de Ruffec à l’hôpital Lariboisière à Paris. Tout le monde s’est arraché les cheveux pour tenter de comprendre pourquoi, plus d’un an après son intoxication initiale, l’agriculteur rejetait encore des doses de toxines, à des taux plus ou moins variables, alors que son organisme aurait dû éliminer le produit en quelques jours, voire en quelques semaines.

C’est cette interrogation qui avait incité Aaexa a lui refuser la qualification d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Le tribunal des affaires de Sécurité sociale a fondé sa décision sur la base de deux rapports d’experts, celui du docteur Ta Minh, et surtout celui du professeur Jean-François Narbonne, chercheur à l’université de Bordeaux, qui a apporté des éléments d’explication du phénomène.

«Monsanto n’est pas le seul

petit vilain»

Pour Paul François, c’est un soulagement. «J’avais peur que l’on reparte avec un énième expert. Mais le tribunal s’est donné les moyens de juger avec les avis de plusieurs d’entre eux, et non des moindres», estime-t-il. Son dernier souci, c’est que Aaexa fasse appel. Mais «moralement, c’est réconfortant. On m’avait même accusé d’avoir inhalé volontairement le produit. C’est aussi une reconnaissance. Ma maladie, je ne l’ai pas inventée.»

Hier soir, Patrick Blanchon, le représentant régional d’Aaexa à Poitiers, indiquait seulement que le dossier allait vraisemblablement être soumis aux médecins conseils de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour qu’ils se prononcent sur l’opportunité d’un appel.

Ce jugement, c’est surtout un élément de plus apporté au dossier que l’agriculteur compte opposer, vraisemblablement à l’été, à Monsanto, le fabriquant du Lasso aujourd’hui interdit à la vente en France. Une procédure en responsabilité a été engagée devant le tribunal de grande instance (TGI) de Lyon où est implanté le siège français de Monsanto. «Ce qui est fondamental dans ce jugement du Tass, commente François Lafforgue, l’avocat parisien de l’agriculteur, c’est qu’il reconnaît qu’il y a bien un lien de cause à effet entre le produit utilisé par Paul François et l’affection contractée depuis lors. C’est l’une des premières fois que ce lien est reconnu, après expertises, par le Tass.»

Dès lors, le dossier prend une autre dimension. C’est Paul François contre Monsanto. Une première, là aussi, de la part d’un particulier contre la firme. «On sait que ça va être le pot de terre contre le pot de fer», envisage l’agriculteur qui a choisi d’aller au bout de sa démarche. «Je le fais pour moi. Je le fais aussi pour les autres agriculteurs. Pour déculpabiliser ceux qui ont été montrés du doigt alors qu’ils n’ont utilisé en pleine confiance que des produits homologués.» L’affaire risque de faire du bruit. «Mais si cela permet à des agriculteurs de prendre conscience…, espère Paul François. Mais Monsanto n’est pas le seul petit vilain. D’autres firmes sont dans la même logique. Elles ne valent pas mieux.»

Pendant ses quatre années de maladie, Paul François s’est beaucoup intéressé à la question. «Pourquoi, dans certains services de néphrologie, huit patients sur dix sont des agriculteurs chez qui il y a davantage de cancers de la prostate, du pancréas, des problèmes de fécondité», s’interroge-t-il.

S’arranger ou le procès

Hier encore, il avait le soutient de Marie-Monique Robin, l’auteur du livre et du documentaire «Le monde selon Monsanto». «Je suis ravie. Et la question, maintenant, c’est celle de tous ces agriculteurs qui ont Parkinson, Alzheimer. Et l’épidémie ne fait que commencer. Aujourd’hui, c’est un premier pas . Pour ceux qui ont été exposés aux produits aujourd’hui interdits mais utilisés depuis vingt ans, de manière chronique tout au long d’une carrière, ce sera peut-être plus difficile.»

Pourtant, Paul François dit qu’il commence à prendre la mesure du phénomène. «J’ai reçu des mails, des courriers, des coups de fil. Des gens qui s’interrogent sur les produits. L’un m’a dit que son médecin pensait que c’était la cause de sa maladie. Mais que les revendeurs lui avaient laissé entendre qu’il vaudrait mieux s’arranger que d’aller au procès. Un agriculteur aujourd’hui retraité, dans le centre de la France, m’a raconté comment on lui avait proposé tout un lot de produits gratuits pour arranger les choses. Il y a aussi cette femme qui regrette de ne pas s’être battue avant le décès de son mari. La maladie a été reconnue par voie de justice. Après sa mort.»

Pour toutes ces raisons, Paul François a décidé de ne pas baisser les bras. Ne serait-ce que pour les chercheurs, comme Henri Pézerat, 78 ans, chercheur honoraire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui a contribué à lancer la machine. «Hier, c’est premier que j’ai appelé», indique Paul François. Les travaux de ses confrères ont ensuite donné corps au dossier que François Lafforgue s’apprête à aller défendre devant le TGI.

Manoeuvres à la communauté européenne

Un article de The Independant on Sunday, publié le 26 octobre 2008, et intitulé « Europe’s secret plan to boost GM plant production » , révèle que Jose Manuel Barroso, le président de la commission européenne a réuni un groupe de travail secret pour accélérer le développement des cultures transgéniques en Europe.
Ce groupe, dont le journal s’est procuré les minutes de deux réunions secrètes, comprenait un représentant des vingt-sept pays de l’Union, dont , pour la France, François Pérol, secrétaire adjoint de l’Élysée.

Les anglophones peuvent consulter l’article à cette adresse:

http://www.independent.co.uk/environment/green-living/europes-secret-plan-to-boost-gm-crop-production-973834.html

Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, le site de l’Observatoire de l’Europe propose une traduction de l’article de The Independant on Sunday:

http://www.observatoiredeleurope.com/Un-plan-secret-europeen-pour-activer-la-production-d-OGM_a1024.html?preaction=nl&id=10084311&idnl=41004&

Par ailleurs, le site des Amis de la terre a mis en ligne les documents obtenus par the Independant on Sunday :

http://www.amisdelaterre.org/-Actualite-.html

L’un des documents concerne la liste des représentants envoyés par les différents gouvernements, et fournit l’adresse électronique de François Pérol, à qui il serait bien d’envoyer un petit mot …

secretariat.ravignon@elysee.fr

Une fois de plus, le dossier OGM se caractérise par des pratiques et manoeuvres souterraines , ainsi que je l’ai longuement expliqué dans mon livre et film…

DÉBUT EXTRAIT

Dan Glickman : « J’ai subi beaucoup de pressions »

« Vous savez, le système des portes tournantes ne concerne pas que l’agriculture, il existe dans beaucoup d’autres domaines, comme la finance ou la santé… »

Ces mots ne sont pas ceux d’un militant anti-OGM radical, mais de Dan Glickman, qui fut secrétaire d’État à l’Agriculture de Bill Clinton de mars 1995 à janvier 2001, que j’interviewe le 17 juillet 2006 à Washington.
Connu pour avoir été un apôtre convaincu de la biotechnologie, l’homme est un vieil habitué de l’USDA, car avant d’en prendre la tête, il a représenté pendant dix-huit ans l’État rural du Kansas au Congrès, dont il a notamment dirigé la commission agricole.
Quand il arrive dans ce secrétariat stratégique, qui dispose alors d’un budget annuel de 70 milliards de dollars et emploie plus de 100 000 salariés dans tout le pays, la grande maison a beaucoup évolué depuis sa création en 1862 par le président Abraham Lincoln — lequel la surnommait le « département du peuple », parce qu’elle était censée être au service des agriculteurs et de leurs familles, soit 50 % de la population. Cent quarante ans plus tard, ses (nombreux) détracteurs la surnomment le « département de l’agrobusiness » ou « USDA Inc. », car on lui reproche de servir l’intérêt des industriels qui contrôlent la production, la transformation et la distribution des aliments.
« Les dirigeants liés à l’industrie ont aidé à développer des politiques qui minent la mission réglementaire de l’USDA, au profit de l’intérêt exclusif d’une poignée de firmes économiquement puissantes », a écrit ainsi en 2004 Philip Mattera, dans un article intitulé « USDA Inc.: comment l’agrobusiness a détourné la politique réglementaire de l’USDA ».

Pour illustrer sa démonstration, l’ancien journaliste économique, qui travaillait alors pour l’organisation Good Jobs First de Washington, prenait l’exemple de la biotechnologie, dont l’USDA, disait-il, était devenu l’un des plus ardents promoteurs. Inaugurée sous le règne du républicain George Bush (père), cette orientation a été poursuivie sous l’administration démocrate de Bill Clinton, dont le directeur de campagne était Michael Kantor — lequel deviendra en 1996 son secrétaire d’État au Commerce avant de siéger, comme on l’a vu, au conseil d’administration de Monsanto.
En 1999, l’intransigeant représentant du commerce américain se rendit célèbre par ses commentaires peu amènes et les menaces qu’il proféra contre ses partenaires européens, quand ceux-ci annoncèrent leur intention d’étiqueter les produits OGM.
Et sur ce terrain, son meilleur allié s’appelait… Dan Glickman.
Alors présenté par le St. Louis Post-Dispatch comme
l’« un des plus grands champions de la biotechnologie qui admonestent les Européens rétifs pour qu’ils ne bloquent pas la route du progrès », le secrétaire à l’Agriculture de Clinton croyait en effet dur comme fer aux bienfaits de la manipulation génétique :
« Je crois que la biotechnologie présente un énorme potentiel pour les consommateurs, les agriculteurs et pour les millions de personnes affamées et sous-alimentées des pays en voie de développement », déclarait-il encore en avril 2000 dans un discours devant le Council for the Biotechnology Information .

Son enthousiasme lui valut d’ailleurs de vivre une expérience qui l’a profondément traumatisé, lors du Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu en novembre 1996 à Rome, sous l’égide de la FAO. Alors que les gouvernements venaient de s’engager à réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées d’ici 2015, le représentant américain a donné une conférence de presse. Des militants de Greenpeace, qui s’étaient procurés de fausses accréditations de presse, se lèvent alors, se déshabillent et exhibent leurs corps nus recouverts de slogans anti-OGM, tout en le bombardant de grains de soja Roundup ready…

Arrivé au secrétariat à l’Agriculture juste après la mise sur le marché du soja transgénique de Monsanto, Dan Glickman fut celui qui autorisa la culture de tous les OGM qui suivirent. Quand je le rencontre en juillet 2006, il a complètement changé de casquette, puisqu’en septembre 2004, il a été nommé P-DG de la Motion Picture Association of America, qui regroupe les six majors du cinéma d’Hollywood, comme la Buena Vista Pictures Distribution (Walt Disney) ou la 20th Century Fox.
Si j’ai cherché à l’interviewer, c’est bien sûr en raison de la fonction qu’il occupa dans l’administration Clinton, mais aussi parce qu’il avait exprimé quelques regrets, dans un article du Los Angeles Times du 1er juillet 2001:
« Ceux qui étaient en charge de la réglementation se considéraient comme les défenseurs de la biotechnologie. Ils la considéraient comme la science qui allait de l’avant, et tous ceux qui n’allaient pas de l’avant étaient vus comme des luddites . »

« Pourquoi avez-vous dit cela ?, lui ai-je demandé après lui avoir lu cette citation.

– Quand je suis devenu secrétaire à l’Agriculture [en 1995], l’ambiance qui entourait la réglementation était fondamentalement orientée vers l’homologation des cultures transgéniques, dans le but de faciliter le transfert de technologie dans l’agriculture du pays, tout en poussant les exportations. Il régnait un consensus dans l’agroalimentaire et au sein du gouvernement des États-Unis : si on ne marchait pas tête baissée en faveur du développement rapide de la biotechnologie et des cultures OGM, alors on était considéré comme anti-science et anti-progrès.

– Pensez-vous que le soja de Monsanto aurait dû recevoir plus d’attention avant sa mise sur le marché ?

– Franchement, je pense qu’on aurait dû faire plus de tests, mais les entreprises agro-industrielles ne voulaient pas, parce qu’elles avaient fait d’énormes investissements pour développer ces produits. Et en tant que responsable du service qui réglementait l’agriculture, j’ai subi beaucoup de pressions, pour, disons, ne pas être trop exigeant… La seule fois où j’ai osé en parler pendant le mandat de Clinton, je me suis fait taper sur les doigts, non seulement par l’industrie, mais aussi par les gens du gouvernement. En fait, j’ai prononcé un discours où j’ai dit qu’il fallait qu’on étudie plus sérieusement la réglementation des OGM. Et il y avait des gens à l’intérieur du gouvernement Clinton, surtout dans le domaine du commerce extérieur, qui étaient fâchés contre moi. Ils m’ont dit : “Comment peux-tu, toi qui travailles dans l’agriculture, mettre en cause notre système de réglementation ?” »

Michael Kantor, le secrétaire d’État au Commerce et futur membre du conseil d’administration de Monsanto, n’était sans doute pas étranger à ces pressions.
Il est vrai que le discours dont parle Glickman avait de quoi surprendre, tant il rompait avec la ligne qu’il avait suivie jusque-là. S’exprimant devant le Club national de la presse de Washington, le 13 juillet 1999, le secrétaire à l’Agriculture avait commencé par un hommage vibrant aux « promesses de la biotechnologie », en parlant de « bananes » manipulées pour qu’elles « fournissent un jour des vaccins aux enfants des pays en voie de développement » — notons à ce propos que, huit ans plus tard, on attendait toujours la mise sur le marché de ces OGM magiques annoncés depuis les années 1980 (à part des plantes résistantes aux herbicides ou produisant des insecticides, on n’a rien vu venir)…

« Quoi que puisse nous promettre la biotechnologie, elle n’est rien si elle n’est pas acceptée », avait continué Dan Glickman, avant de prononcer les mots qui ont tant fait enrager ses collègues du Commerce extérieur, et très certainement Monsanto.
« C’est une question de confiance : confiance dans la science derrière le processus et tout particulièrement confiance dans le processus réglementaire qui doit […] être maintenu à distance de toute entité ayant un intérêt particulier dans son résultat. Au bout du compte, certains observateurs, dont je fais partie, pensent qu’on en viendra probablement à une forme d’étiquetage . »

Les termes sont prudents, mais ce sont ceux que la presse retiendra dans les journaux du lendemain, alors que la conclusion constitue un véritable pavé dans la mare de Monsanto :
« L’industrie a besoin d’être guidée par un projet plus large qui ne soit pas uniquement le profit. Les entreprises doivent continuer à suivre les produits après leur mise sur le marché pour mesurer le danger éventuel qu’ils représentent pour l’environnement et elles doivent aussi rendre public et compréhensible tout ce qu’elles découvriront. […] Nous ne savons pas ce que la biotechnologie a en magasin pour nous, si c’est bon ou mauvais, mais nous allons tout faire pour assurer qu’elle serve la société et pas le contraire. »

Aujourd’hui, Dan Glickman assure qu’il ne retirerait pas un mot de son discours de 1999 :
« Le problème, dit-il, c’est que le Congrès ne s’est jamais vraiment mêlé de ce sujet…

– Pourquoi ?

– D’abord parce que c’est un sujet difficile : tout sujet technique et compliqué est fui par le corps législatif, dont la plupart des représentants, en Europe comme aux États-Unis, ne sont pas des scientifiques… »

Scientifiques sous influence

L’argument peut paraître court. Mais je suis persuadée qu’il explique en partie le désintérêt des politiques pour les enjeux que représente la biotechnologie. Pour ma part, je dois dire qu’il m’a fallu des mois de travail intense avant que je puisse prétendre m’être fait une opinion raisonnée et raisonnable sur la manipulation génétique.
Je dirais même que si Monsanto a pu imposer ses produits avec tant de facilité, c’est précisément parce qu’elle a su tirer profit du fait que c’était un « sujet compliqué », que seuls les scientifiques semblaient pouvoir dominer. Pour assurer son emprise, la firme a compris qu’il lui fallait contrôler les scientifiques s’exprimant sur la question et faire en sorte qu’ils s’expriment aux bons endroits, comme par exemple dans le cadre de forums internationaux parrainés par les organisations onusiennes, ou dans les revues et universités de renom. Et je dois admettre qu’elle a très efficacement atteint son but.

Pour preuve : un document interne de Monsanto classé « confidentiel », parvenu mystérieusement (très certainement par la grâce d’un lanceur d’alerte) au bureau de GeneWatch, une association britannique qui, comme son nom l’indique, suit de très près le dossier OGM .
Ce « rapport mensuel » de dix pages, rendu public le 6 septembre 2000, égrène l’activité de la cellule « Affaires réglementaires et enjeux scientifiques » (Regulatory Affairs and Scientific Outreach) de la firme pendant les seuls mois de mai et juin de la même année.
« Ce document montre comment Monsanto tente de manipuler la réglementation des aliments transgéniques à travers le monde pour favoriser ses intérêts, explique le docteur Sue Mayer, la directrice de GeneWatch, dans un communiqué de presse. Apparemment, ils essaient d’acheter l’influence d’individus clés, de noyauter les comités avec des experts qui les soutiennent et de subvertir l’agenda scientifique. »

On y découvre, en effet, que la « cellule » est félicitée pour son « efficacité à assurer que des experts scientifiques clés reconnus au niveau international ont été nommés pour la consultation organisée par la FAO et l’OMS à Genève le mois dernier. Le rapport final a été très favorable à la biotechnologie végétale, en donnant son soutien y compris au rôle crucial de l’équivalence en substance dans les évaluations de la sécurité alimentaire. […] Des informations sur les avantages et la sécurité de la biotechnologie végétale ont été fournies à des experts médicaux clés et des étudiants de Havard. […] Un éditorial a été rédigé par le docteur John Thomas (professeur émérite de l’école médicale de l’université du Texas à San Antonio), qui sera placé dans un journal médical comme le premier d’une série planifiée pour toucher les médecins. […] Une réunion s’est tenue avec le professeur David Khayat, un spécialiste du cancer de renommée internationale pour qu’il collabore à un article qui démontre l’absence de liens entre les aliments transgéniques et le cancer. […] Les représentants de Monsanto ont obtenu que l’examen de deux propositions d’étiquetage soit repoussé par le comité du Codex [alimentarius]. Etc. »

Parmi les scientifiques qui ont généreusement prêté leur concours aux initiatives de la cellule, le rapport cite aussi l’Espagnol Domingo Chamorro, les Français Gérard Pascal (INRA), Claudine Junien (INSERM) ou le prix Nobel Jean Dausset, qui ont participé au « Forum des biotechnologies » (en français dans le texte) « organisé » par la « cellule ».

À lire ce document, on comprend mieux comment, dès 1990, l’OMS et la FAO ont organisé une « consultation » (similaire à celle décrite dans le rapport) à Genève, du 5 au 10 novembre. Intitulée « Stratégies pour évaluer la sécurité des aliments produits par la biotechnologie », elle a réuni des représentants des autorités sanitaires internationales ainsi que des « experts », dont James Maryanski, qui en a assuré le secrétariat .
Et curieusement, alors qu’aucun OGM n’avait encore vu le jour, cette « consultation » a débouché sur ce diagnostic péremptoire : « L’ADN de tous les organismes vivants est structurellement similaire. C’est pourquoi, la présence d’ADN transféré dans un produit ne pose en soi aucun risque pour les consommateurs. »
En annexe était cité comme « référence » l’article publié peu de temps avant dans Nature par des scientifiques de Monsanto sur l’hormone de croissance transgénique, qui avait été, je le rappelle, très contesté …
Dès lors, il apparaît très clairement que la firme de Saint-Louis joue un rôle capital pour imposer au niveau international et hors de toute donnée scientifique le principe d’« équivalence en substance ».
Celui-ci apparaît ainsi dès 1993 dans un texte de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intitulé « Évaluation de la sécurité des aliments dérivés de la biotechnologie moderne : concepts et principes ».
Ce document de soixante et onze pages fait d’abord une longue démonstration pour établir que la « biotechnologie » existe depuis que l’homme a appris à sélectionner les plantes et, donc, que les techniques de manipulation génétique ne constituent que la prolongation « moderne » d’un savoir faire ancestral.

À partir de là, l’« approche la plus pratique » pour
« déterminer la sécurité des aliments développés par l’application de la biotechnologie moderne est d’évaluer s’ils sont équivalents en substance aux aliments conventionnels analogues, si ceux-ci existent».

Pour étayer ce nouveau concept tombé du ciel, le rapport se fonde sur l’exemple d’OGM comme la tomate au mûrissement ralenti de Calgene (qui sera, comme on l’a vu, retirée du marché) ou la tomate résistante au Roundup de Monsanto (qui est restée au stade expérimental)…

Parmi les auteurs de ce texte fondateur, on trouve l’éternel James Maryanski, ainsi qu’un représentant du Conseil de la compétitivité créé par George Bush. Enfin, le document fournit en annexe une liste de dix publications à consulter, dont une de l’International Life Science Institute (ILSI) (créé je le rappelle par des industriels de l’agroalimentaire), le fameux document de l’International Food Biotechnology Council (IFBC), rédigé notamment par Michael Taylor, et le rapport de la « consultation » organisée en 1990 par l’OMS et la FAO…
À l’instar des autres documents cités comme « références », aucune de ces « publications » ne concerne des études scientifiques menées pour évaluer l’innocuité des OGM, pour une raison bien simple : à l’époque, il n’en existe aucune…

Un an plus tard, c’est à l’OMS de reprendre le flambeau de cette opération de propagande rondement menée : du 31 octobre au 4 novembre 1994, l’organisation onusienne parraine un « workshop » au titre sans ambiguïtés : « Application du principe d’équivalence en substance pour l’évaluation de la sécurité des aliments ou composants alimentaires issus de plantes dérivées de la nouvelle biotechnologie. »
Cette fois-ci, le fameux « principe d’équivalence en substance » est bel et bien inscrit dans le marbre, même s’il n’y a toujours rien de nouveau sous le soleil de la science. Et pour prouver que tout cela est bien sérieux, les participants au workshop, dont un certain docteur Roy Fuchs de… « Monsanto Company », rappellent que « l’approche comparative a été d’abord proposée par l’OMS et la FAO, puis développée par l’OCDE »…
La boucle est définitivement bouclée, deux ans plus tard, lorsque la FAO et l’OMS enfoncent le clou — deux organismes onusiens, ce n’est pas rien — en organisant une deuxième consultation conjointe, du 30 septembre au 4 octobre 1996 (où l’on retrouve James Maryanski et Roy Fuchs).
Il faut dire que le moment est crucial : les premières cargaisons de soja Roundup ready sont déjà en marche vers l’Europe. Le rapport final, qui curieusement n’est pas disponible en ligne, mais dont j’ai réussi à me procurer une copie, est régulièrement cité comme le texte international de référence du principe d’équivalence en substance.
On peut notamment y lire cette information hautement scientifique : « Quand l’équivalence en substance est établie pour un organisme ou un produit alimentaire, l’aliment est considéré comme aussi sûr que son homologue conventionnel et aucune autre évaluation n’est nécessaire. […] Quand l’équivalence en substance n’est pas établie, cela ne signifie pas obligatoirement que le produit alimentaire n’est pas sûr et il n’est pas forcément nécessaire d’exiger des tests sanitaires poussés… »

FIN DE L’EXTRAIT

Rappel: la condamnation de Monsanto

En réponse à la question que m’a posée « Pat », je reproduis ici un extrait du chapitre de mon livre consacré au roundup.
Les références des documents cités sont toutes disponibles dans les vingt pages de notes de mon livre.

DÉBUT EXTRAIT

« Messages publicitaires trompeurs »

Pourtant, en 1996, des plaintes déposées auprès du Bureau de la répression des fraudes et de la protection du consommateur de New York avaient contraint la firme à négocier un arrangement à l’amiable avec le ministère de la Justice de l’État, qui avait ouvert une enquête pour « publicité mensongère concernant la sécurité de l’herbicide Roundup (glyphosate) ».

Dans un jugement très détaillé , le ministère, sous la plume de Dennis C. Vacco, passait en revue les nombreuses publicités payées par Monsanto dans les journaux ou à la télévision.
Certaines sont édifiantes : « Le glyphosate est moins toxique pour les rats que du sel de table ingéré en grande quantité » ; « Le Roundup peut être utilisé dans des endroits où jouent des enfants et des animaux de compagnie, car il se décompose en matières naturelles.»

Ce sont des « messages trompeurs », tranche Dennis Vacco, qui interdit à Monsanto, sous peine d’amende, de proclamer que son herbicide est « biodégradable, bon pour l’environnement, non toxique, inoffensif et connu pour ses caractéristiques environnementales».

Deux ans plus tard, la firme est condamnée à payer
75 000 dollars pour avoir suggéré dans une nouvelle publicité mettant en scène un horticulteur californien que l’herbicide pouvait être pulvérisé près des ressources en eau .

Curieusement, ces décisions judiciaires américaines n’ont jamais inquiété la Commission européenne et encore moins les autorités françaises, lesquelles ont toléré sans broncher la campagne publicitaire lancée au printemps 2000 par Monsanto. Mais l’image du sympathique Rex, prêt à déguster un os imbibé de Roundup, a fait bondir l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui a assigné en janvier 2001 la filiale française du géant américain pour publicité mensongère.

« Des études scientifiques ont montré qu’on retrouvait dans les eaux des rivières bretonnes une présence massive de glyphosate », m’explique Gilles Huet, le délégué de l’association bretonne, lors d’une conversation téléphonique au printemps 2006, en citant un rapport publié en janvier 2001 par l’Observatoire régional de santé de Bretagne .
De fait, des prélèvements effectués en 1998 dans les eaux bretonnes ont révélé que 95 % des échantillons présentaient un taux de glyphosate supérieur au seuil légal de 0,1 microgramme/litre, avec des pointes à 3,4 microgramme/litre dans la Seiche, un affluent de la Vilaine.
« Or, précise Gilles Huet, en 2001, la Commission européenne, qui a rehomologué le glyphosate, l’a classé “toxique pour les organismes aquatiques” et “pouvant entraîner des effets néfastes à long terme pour l’environnement”. Nous demandons un minimum de cohérence : un produit “biodégradable” et “respectueux de l’environnement” ne peut pas finir “toxique et néfaste” dans les eaux bretonnes ! »

En effet… Le 4 novembre 2004, le tribunal correctionnel de Lyon, où siège la filiale française de Monsanto, ouvre le procès pour « publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ».

Jusqu’en 2003, profitant de la lenteur de l’instruction de la plainte de l’association bretonne, l’entreprise agrochimique avait pu continuer à diffuser sa campagne publicitaire. Et à l’occasion du procès de Lyon, elle va même gagner deux ans de sursis, en optant tout simplement pour la politique de la chaise vide… À l’audience, en effet, les représentants de l’entreprise brillent par leur absence : ils prétendront n’avoir jamais reçu le courrier « faute d’une adresse dans l’Hexagone», pour reprendre les termes du parquet, qui décide de repousser le procès à juin 2005.

« Erreur administrative ou manœuvre de la firme pour échapper à une condamnation infamante en termes d’image de marque ? », s’interroge alors l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, qui s’était jointe en 2001 à la plainte d’Eau et Rivières de Bretagne.
Les mauvaises langues susurrent que le renvoi permettait à l’entreprise de sauver la campagne de désherbage de printemps, capitale pour son chiffre d’affaires : en 2004, Monsanto France détenait 60 % du marché du glyphosate, ce qui représentait une vente annuelle de 3 200 tonnes de Roundup, la consommation de l’herbicide ayant été multipliée par deux entre 1997 et 2002.
Finalement, l’audience du tribunal correctionnel de Lyon s’est tenue le 26 janvier 2007, exactement six ans après le dépôt des plaintes… Les dirigeants des sociétés Scotts France et de Monsanto ont été condamnés à 15 000 euros d’amende, ce qui somme toute valait bien quelques manœuvres dilatoires.

Dans son jugement, le tribunal a estimé que « l’utilisation combinée sur les étiquettes et emballages [des herbicides de la gamme Roundup] des termes et expressions “biodégradable” et “laisse le sol propre” […] pouvait laisser faussement croire au consommateur à l’innocuité totale et immédiate desdits produits par suite d’une dégradation biologique rapide après usage, […] alors qu’ils peuvent au contraire demeurer durablement dans le sol, voire se répandre dans les eaux souterraines ».

Plus gênant encore pour Monsanto, qui a fait appel, la justice française a considéré que l’industriel savait, « préalablement à la diffusion des messages publicitaires litigieux, que les produits visés présentaient un caractère écotoxique », puisque « selon les études effectuées par le groupe Monsanto lui-même, un niveau de dégradation bio-logique de 2 % seulement peut être obtenu après vingt-huit jours ».
Une fois de plus, la firme disposait de données contraires à ce qu’elle affirmait publiquement, mais elle s’est bien gardée de les communiquer. Pourquoi l’aurait-elle fait, d’ailleurs ? Comme me l’a dit Ken Cook, le directeur de l’Environmental Working Group de Washington, à propos des PCB (voir supra, chapitre 1), « c’est donc rentable de garder le secret, puisqu’au bout du compte les sanctions sont très légères »…

FIN DE L’EXTRAIT