Perturbateurs endocriniens: l’étau se resserre (3) Interviews inédites de Louis Guillette et Niels Skakkebaek

Voici la suite du chapitre que j’ai consacré aux perturbateurs endocriniens dans mon livre Notre poison quotidien. J’y raconte ma rencontre à Copenhague avec Niels Skakkebaek, un endocrinologue et pédiatre danois qui étudie les effets des hormones de synthèse sur le système de reproduction humain depuis plus de vingt ans.

Chute de la fertilité des hommes et inquiétantes anomalies reproductives

Au moment où les pionniers de Wingspread forgeaient le terme « perturbateurs endocriniens », un scientifique danois, Niels Skakkebaek, préparait la publication d’une étude qui allait faire l’« effet d’un coup de tonnerre ». Avec ses collègues de l’hôpital universitaire de Copenhague, il a « analysé soixante et un articles publiés de 1938 à 1990, concernant un total de 14 947 hommes fertiles ou en bonne santé, issus de tous les continents, et a mis en évidence une décroissance régulière de la production spermatique au cours du temps. En effet, alors que les premières études datant de 1938 rapportaient une concentration moyenne de 113 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme, les dernières publications de 1990 faisaient état d’une concentration moyenne de 66 millions par millilitre[i] ». En clair : la quantité de spermatozoïdes contenue dans un éjaculat a baissé de moitié en moins de cinquante ans !

Publiés en septembre 1992 dans le très sérieux British Medical Journal[ii], les résultats de l’étude paraissaient tellement incroyables qu’ils suscitèrent le doute de Jacques Auger et Pierre Jouannet, deux spécialistes français de la santé reproductive et fondateurs des CECOS (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme), organismes essentiels pour permettre le développement des fécondations in vitro (FIV). Ceux-ci décidèrent d’analyser et de comparer les éjaculats des 1 750 donateurs de spermes parisiens entre 1973 (date de la création du CECOS de l’hôpital Kremlin-Bicêtre) et 1992. Les résultats confirmèrent ceux de l’étude danoise : en deux décennies, la quantité de spermatozoïdes avait chuté d’un quart, soit une baisse de la concentration d’environ 2 % par an. Les hommes nés en 1945 et mesurés en 1975 avaient une moyenne de 102 millions de spermes par millilitre, contre 51 millions pour ceux nés en 1962 (et mesurés trente ans plus tard). De plus, la chute quantitative s’accompagnait d’une baisse de la qualité des spermatozoïdes, qui présentaient une mobilité réduite et des anomalies de forme, entraînant une réduction de la fertilité[iii]. Dans le livre qu’il a cosigné avec Bernard Jégou et Alfred Spina, Pierre Jouannet souligne le doute qu’a suscité de nouveau cette étude décidément fort dérangeante : « Ces résultats semblaient aller tellement à l’encontre d’une donnée communément admise – la stabilité de la production spermatique – que le prestigieux journal qui publia cet article (le New England Journal of Medicine) le fit spécialement évaluer par un statisticien externe[iv]. »

Les préjugés ayant la peau dure, Shanna Swan, une épidémiologiste américaine, entreprit en 2000 de reprendre la méta-analyse de Niels Skakkebaek, en y ajoutant quarante publications supplémentaires. Et elle confirma – définitivement et à la hausse – les conclusions de l’équipe danoise, puisqu’elle constata une baisse annuelle moyenne de la densité spermatique de 1,5 % aux États-Unis et de 3 % en Europe et en Australie sur la période 1934-1996[v].

Les remous suscités par sa publication font encore sourire Niels Skakkebaek, dont l’histoire a été racontée par Theo Colborn dans Our Stolen Future. « Quand mon étude est sortie, tout le monde s’est focalisé sur la baisse très spectaculaire des spermatozoïdes, a-t-il commenté lorsque je l’ai rencontré, le 21 janvier 2010, dans son laboratoire du Rigshospitalet, à Copenhague. Mais pour moi, elle comprenait une autre information tout aussi inquiétante, à savoir l’augmentation constante du taux de cancer des testicules, notamment au Danemark où il avait été multiplié par trois entre 1940 et 1980. C’était d’autant plus troublant que cette hausse n’était pas observée dans la Finlande voisine, un pays essentiellement forestier et très peu industrialisé. De plus, j’avais constaté la même différence pour deux anomalies de l’appareil génital masculin, quatre fois plus fréquente au Danemark qu’en Finlande : la cryptorchidie et l’hypospadias. »

Pour bien comprendre l’importance de la découverte réalisée par le chercheur danois, il faut savoir que « la descente des testicules dans les bourses est contrôlée par des hormones : l’insuline-like factor 3 et la testostérone. Quand les testicules ne sont pas descendus dans le scrotum avant trois mois, on parle de cryptorchidie », ainsi que l’expliquent les auteurs de La Fertilité est-elle en danger ? De même, concernant l’hypospadias, ils précisent : « La formation de l’urètre dans le pénis est contrôlée par la testostérone. Ce développement peut être perturbé. Au lieu de s’ouvrir au niveau du gland, l’urètre se termine alors par une ouverture plus ou moins large sous le pénis ou même au niveau des bourses[vi]. »

Perturbé par les résultats de son étude, Niels Skakkebaek se met en rapport avec son collègue écossais Richard Sharpe, qui a constaté les mêmes anomalies reproductives au Royaume-Uni. Ensemble, ils épluchent la littérature scientifique et découvrent que des expériences menées sur des rats exposés à du distilbène, un œstrogène de synthèse (voir infra, chapitre 17), ont révélé le même type de malformations congénitales. « C’est ainsi que, pour la première fois, nous avons émis l’hypothèse que la multiplication des anomalies reproductives pouvait être due à une exposition accrue à des œstrogènes pendant la vie prénatale[vii], m’a expliqué l’endocrinologue et pédiatre danois.

– Vous avez mené un vrai travail de détective ?

– Oui, je crois qu’on peut le dire, car à l’époque, ce champ d’investigation était complètement nouveau. La chance que j’ai eue, si je puis dire, c’est que ma recherche fondamentale était nourrie par ma pratique médicale, ici, au Rigshospitalet, où de nombreux hommes présentant des problèmes d’infertilité sont venus me consulter. En examinant les biopsies de leurs testicules, j’ai découvert que ceux-ci contenaient des cellules précancéreuses. Or, il s’est avéré que plusieurs de ces hommes que j’ai suivis pendant plusieurs années ont effectivement développé un cancer des testicules. L’autre fait troublant était que les cellules précancéreuses présentes dans les testicules de ces hommes infertiles étaient similaires aux cellules germinales que l’on trouve chez un fœtus. Ces cellules ne devraient pas être dans les testicules d’un homme adulte. Tout indique que quelque chose a bloqué le développement des cellules fœtales qui auraient dû mûrir et évoluer vers la production de sperme, mais elles se sont maintenues au stade de cellules germinales dans les testicules, ce qui fait que l’homme est né avec ces cellules immatures. Pendant l’enfance, elles sont restées dormantes, mais à la puberté elles ont commencé à se multiplier pour finalement développer un cancer.

– Comment expliquez-vous ce phénomène ?

– L’hypothèse la plus probable, c’est que les mères ont été exposées à des perturbateurs endocriniens pendant leur grossesse, à un moment crucial pour le développement de l’appareil génital de leur bébé. Cette contamination prénatale a entraîné une série de dysfonctionnements qui sont tous liés : les problèmes de fertilité, les malformations congénitales comme la cryptorchidie ou l’hypospadias et le cancer des testicules. Avec des collègues, j’ai baptisé ce phénomène le “syndrome de dysgénésie testiculaire”, car on est en face de plusieurs symptômes qui ont la même origine fœtale et environnementale. Cela veut dire aussi que les hommes qui ont des difficultés à faire un enfant doivent se faire régulièrement suivre, car le risque qu’ils développent un cancer des testicules avant quarante ans est considérablement accru[viii].

– Que répondez-vous à ceux qui disent que le cancer n’a rien à voir avec la pollution environnementale, mais qu’il est dû à une augmentation de la population âgée ?

– Pour le cancer du testicule, ce n’est pas vrai, car il est caractéristique des hommes jeunes, âgés de vingt à quarante ans, m’a répondu le docteur Skakkebaek. Les hommes de plus de cinquante-cinq ans ont un risque presque nul de développer une tumeur des testicules. Il se trouve aussi que le cancer des testicules est l’un des cancers qui a le plus progressé au cours des trente dernières années et la seule explication possible, c’est la contamination environnementale.

– Et comment peut-on protéger les hommes de ces troubles graves ?

– Le seul moyen de les protéger, c’est de protéger leurs mères ! Le problème c’est que les perturbateurs endocriniens sont partout. Mais il y a des produits que les femmes enceintes devraient absolument éviter comme les phtalates, que l’on trouve dans de nombreux emballages plastiques et films de protection alimentaires, des objets en PVC, mais aussi dans des produits de soin corporel comme les shampoings. J’ai récemment publié une étude qui montre qu’il y a une corrélation entre le taux de phtalates présent dans le lait maternel et celui des malformations congénitales, comme la cryptorchidie, chez les petits garçons[ix]. Il faut aussi éviter les produits qui contiennent du bisphénol A, comme les récipients en plastique dur ou certaines boîtes de conserve [voir infra, chapitre 18], mais aussi les poêles et casseroles antiadhésives qui contiennent de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA)[x]. Je viens de publier une étude qui montre que les hommes fortement imprégnés de résidus de PFOA ont en moyenne 6,2 millions de spermes dans un éjaculat, ce qui est proche du seuil de la stérilité[xi]. Et puis, il est préférable de manger des fruits et légumes issus de l’agriculture biologique, car de nombreux pesticides sont des perturbateurs endocriniens.

– Mais concernant le bisphénol A ou le PFOA, les agences de réglementation ne cessent de répéter que les résidus que l’on trouve dans nos organismes sont négligeables, car ils sont bien en dessous de la dose journalière acceptable de ces produits : est-ce qu’elles se trompent ?

– Je ne suis pas toxicologue, mais en tant qu’endocrinologue, je peux vous dire que ces substances agissent à des doses infinitésimales qui sont bien inférieures à la DJA qui leur a été assignée. Tout indique que le système de réglementation n’est pas adapté aux perturbateurs endocriniens.

– Pensez-vous que l’espèce humaine est en danger ?

– Je pense que la situation est sérieuse. Au Danemark, aujourd’hui, 8 % des enfants sont conçus par des techniques de procréation médicale assistée comme la fécondation in vitro (FIV), c’est déjà beaucoup et les couples qui présentent un problème de fertilité sont de plus en plus nombreux. Il est urgent d’agir… »


[i] Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira, La Fertilité est-elle en danger ?, op. cit., p. 60.

[ii] Elisabeth Carlsen, Niels Skakkebaek et alii, « Evidence for decreasing quality of semen during past 50 years », British Medical Journal, vol. 305, n° 6854, 12 septembre 1992, p. 609-613.

[iii] Jacques Auger, Pierre Jouannet et alii, « Decline in semen quality among fertile men in Paris during the last 20 years », New England Journal of Medicine, vol. 332, 1995, p. 281-285.

[iv] Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira, La Fertilité est-elle en danger ?, op. cit., p. 61.

[v] Shanna Swan, « The question of declining sperm density revisited : an analysis of 101 studies published 1934-1996 », Environmental Health Perspectives, vol. 108, n° 10, octobre 2000, p. 961-966.

[vi] Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira, La Fertilité est-elle en danger ?, op. cit., p. 71-74.

[vii] Richard Sharpe et Niels Skakkebaek, « Are oestrogens involved in falling sperm counts and disorders of the male reproductive tract ? », The Lancet, vol. 29, n° 341, 29 mai 1993, p. 1392-1395.

[viii] Niels Skakkebaek et alii, « Testicular dysgenesis syndrome : an increasingly common developmental disorder with environmental aspects », Human Reproduction, vol. 16, n° 5, mai 2001, p. 972-978.

[ix] Katharina Main, Niels Skakkebaek et alii, « Human breast milk contamination with phthalates and alterations of endogenous reproductive hormones in infants three months of age », Environmental Health Perspectives, vol. 114, n° 2, février 2006, p. 270-276. De nombreuses études ont montré ce lien, comme : Shanna Swan et alii, « Decrease in anogenital distance among male infants with prenatal phthalate exposure », Environmental Health Perspectives, vol. 113, n° 8, août 2005, p. 1056-1061.

[x] « Alerte aux poêles à frire », <Libération.fr>, 30 septembre 2009. Dupont de Nemours, détenteur de la marque Téflon depuis 1954, a annoncé qu’il cesserait d’utiliser le PFOA d’ici… 2015.

[xi] Ulla Nordström, Niels Skakkebaek et alii, « Do perfluoroalkyl compounds impair human semen quality ? », Environmental Health Perspectives, vol. 117, n° 6, juin 2009, p. 923-927.

Photo: (Marc Duployer): ma recontre avec Niels Skakkebaek, le 21 janvier 2010, dans son laboratoire du Rigshospitalet, à Copenhague.

Je mets en ligne l’interview filmée du scientifique danois que je n’ai malheureusement pas pu garder dans mon film Notre poison quotidien, pour cause de longueur!

La vidéo ci-dessous commence par une interview du professeur Fred vom Saal de l’Université Colombia du Missouri, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du Bisphénol A (il est dans mon film). Elle est suivie d’une interview du professeur Louis Guillette, le spécialiste des alligators de l’Université de Floride, dont j’ai parlé dans mon commentaire « Perturbateurs endocriniens: l’étau se resserre (2) » et que j’ai rencontré lors d’un congrès scientifique sur les perturbateurs endocriniens qui s’est tenu en octobre 2009 à La Nouvelle Orléans.

Perturbateurs endocriniens: l’étau se resserre (2)

Je poursuis la transcription d’extraits de mon livre Notre poison quotidien et notamment du chapitre 16 que je consacre aux perturbateurs endocriniens. Dans mon commentaire précédent, je racontais ma rencontre avec Theo Colborn, une zoologue américaine, qui a découvert l’activité funeste des perturbateurs endocriniens. Elle est l’auteur d’un livre Our Stolen Future, publié en 1996 ( et traduit en français:L’homme en voie de disparition?) qui fit  l’effet d’une bombe car c’était la première fois qu’un(e) scientifique révélait les effets des hormones de synthèse utilisés massivement dans l’industrie pour des raisons diverses et variées – par exemple rigidifier (Bisphénol A) ou au contraire rendre mou le plastique (phtalates)- sur la faune et les humains.

Aux Etats Unis l’émotion fut telle que le Congrès vota une loi exigeant de l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) qu’elle mette sur pied un programme capable de tester rigoureusement les substances chimiques susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens. Malheureusement, comme je le raconte dans mon livre, ce programme a été enterré avec l’arrivée de Georges Bush à la Maison Blanche. L’administration Obama vient de demander sa réactivation.

Théo Colborn dirge, aujourd’hui, un centre d’information sur les perturbateurs endocriniens où elle s’intéresse tout particulièrement aux effets de ces poisons chimiques sur les enfants exposés in utero. De nombreuses études ont , en effet, établi un lien entre l’exposition foetale à de faibles doses de perturbateurs endocriniens et les troubles du comportement de l’enfant (comme l’hyperactivité), la baisse des capacités cognitives (Quotient intellectuel réduit)  mais aussi l’autisme.Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends dans Le Monde du 23 avril 2011 que l' »exposition prénatale aux pesticides fait baisser le QI » d’après trois études  publiées dans le journal Environmental Health Perspectives:

Deux études menées à New York et une étude menée dans une communauté agricole de Californie révèlent qu’un fœtus exposé aux pesticides pendant son développement peut avoir un quotient intellectuel sensiblement moins élevé.

L’étude menée en Californie par l’université Berkeley a établi qu’un enfant de 7 ans, qui a été 10 fois plus exposé aux pesticides organophosphorés (très utilisés dans l’agriculture), possède un QI inférieur de 5,5 points en comparaison avec des enfants du même âge non exposés. Pour obtenir ces résultats, l’université de Berkeley et le Centre médical Mount Sinaï de New York, ont analysé les résidus de pesticides dans l’urine maternelle, et l’université de Columbia, à New-York, a testé le niveau de chlorpyrifos dans les cordons ombilicaux. Le chlorpyrifos est un pesticide organophosphoré dont la toxicité pour le cerveau a été démontrée.
En France, l’étude Elfe lancée sur 20.000 enfants prendra en compte le contact des enfants avec les pesticides. Chaque année, 65.000 tonnes de pesticides sont rejetés dans notre environnement et 90% des Français en seraient imprégnés.

Source: Le monde.fr et Terra Femina

Dans  mon enquête, je me suis particulièrement attachée au chlorpyrifos , un insecticide fabriqué par Dow AgroSciences, largement utilisé dans le monde et suspecté d’être un perturbateur endocrinien.

Pour plus d’informations sur les perturbateurs endocriniens, j’invite les internautes anglophones à consulter le site de Théo Colborn:

http://www.endocrinedisruption.com/home.php

Parmi les perturbateurs endocriniens, il y a les fameux PCB de Monsnato… Voici la suite de ce que j’écris dans mon livre:

Les PCB sont partout

J’ai déjà présenté brièvement les polluants organiques persistants, les fameux « POP » (voir supra, chapitre 2) qui sont bannis par la convention de Stockholm de 2001. Parmi ceux que l’on surnomme la « sale douzaine », il y a le DDT, l’« herbicide miracle » de l’après-guerre, la dioxine, mais aussi les PCB, auxquels j’ai consacré un chapitre dans mon livre Le Monde selon Monsanto. J’y racontais comment la firme de Saint Louis avait caché pendant cinq décennies la haute toxicité de cette molécule chlorée qui présente une stabilité thermique et une résistance au feu remarquables, et fut utilisée comme liquide réfrigérant dans les transformateurs électriques et les appareils hydrauliques industriels, mais aussi comme lubrifiant dans des applications aussi variées que les plastiques, les peintures, l’encre ou le papier. « Les PCB sont partout », écrivais-je alors et c’est en lisant Our Stolen Future que j’ai véritablement compris comment ils avaient pu coloniser la planète et menacer la survie de nombreuses espèces animales, y compris l’espèce humaine.

Dans son livre, Theo Colborn imagine le voyage d’une molécule de polychlorobiphényle (PCB), fabriquée au printemps 1947 dans l’usine de Monsanto à Anniston. Baptisé « Arochlor 1254 », le PCB est chargé dans un train qui le transporte vers une usine de transformateurs électriques de General Electric à Pittsfield, dans le Massachusetts. Mélangé à une huile – pour former du « pyralor » (États-Unis) ou du « pyralène (France) –, il remplit un transformateur électrique, installé dans une raffinerie de pétrole au Texas. En juillet 1947, un violent orage fait griller l’installation électrique et le transformateur est abandonné dans une décharge publique, après qu’un ouvrier consciencieux eut déversé son contenu liquide sur le parking de la raffinerie où le PCB a imbibé les poussières rouges du sol[1]. Quatre mois plus tard, un vent puissant soulève les poussières du parking et le PCB entame un long périple qui le conduira… jusqu’à l’Arctique. En effet, exposée à la chaleur du soleil, la molécule se met à flotter comme une vapeur qui peut monter très haut et se déplacer au gré des vents sur de grandes distances. Dès qu’elle croise de l’air froid, elle retombe brutalement au petit bonheur la chance : sur l’herbe d’un champ, broutée par les vaches, où elle s’incrustera dans la graisse du lait, car elle est très lipophile ; elle peut aussi atterrir sur la surface d’un lac où elle s’accrochera à une algue, avant d’être happée par une mouche aquatique, dévorée ensuite par un crustacé, qui sera mangé par une truite, laquelle finira dans l’assiette d’un pêcheur du dimanche.

À noter qu’à la fin de sa courte vie de dix jours, la concentration de PCB dans la mouche aquatique est quatre cents fois plus élevée que celle de l’eau, car la molécule de Monsanto n’est pas biodégradable et a la faculté de s’accumuler dans les tissus adipeux (et en bout de course dans nos graisses à nous, les consommateurs). Si le pêcheur a raté sa prise, la truite blessée finit dans le bec d’une mouette (dont la concentration en PCB est 25 millions de fois supérieure à celle de l’eau du lac), qui s’envole vers le lac d’Ontario pour convoler. Elle y pond deux œufs. L’un éclot six semaines plus tard, mais l’oisillon est mort, car le PCB (comme le DDT ou la dioxine) a pénétré le jaune de l’œuf et tué l’embryon. L’autre œuf ne donne rien, mais il est repéré par une mouette qui le casse ; le jaune tombe dans le lac et est happé par une écrevisse, mangée par une anguille, qui remonte vers l’océan Atlantique, pour frayer, pondre et mourir. Sa carcasse se désintègre dans les eaux chaudes tropicales des Bahamas et, libéré, le PCB reprend son voyage aérien, poussé pour les vents, toujours plus vers le nord. L’incroyable cycle de la vie lui fera terminer sa course dans la graisse d’un ours polaire, dont la concentration en PCB est 3 milliards de fois supérieure à celle de son milieu environnant, car il est le « prédateur suprême et le plus grand carnivore de la région ».

Or, souligne Theo Colborn dans Our Stolen Future, « à l’instar des ours polaires, les hommes partagent les risques de se nourrir en haut de la chaîne alimentaire. Les produits chimiques synthétiques persistants qui ont envahi l’univers du grand ours ont également envahi le nôtre[i] ». Et de conclure : « C’est ainsi que, un demi-siècle plus tard, la molécule fabriquée un jour de printemps peut se retrouver absolument n’importe où : dans le sperme d’un homme infertile testé dans une clinique dans le nord de l’État de New York, dans le caviar le plus fin ou les tissus adipeux d’un nouveau-né du Michigan, dans les pingouins de l’Antarctique, le thon d’un sushi servi dans un bar de Tokyo ou les pluies de la mousson tombant sur Calcutta, dans le lait d’une mère allaitant son bébé en France ou dans la jolie perche à rayures pêchée lors d’un week-end estival[ii]. »

« Alors que je reconstituais les effets sur la faune des PCB et autres POP, je découvrais aussi les premières études réalisées sur des humains fortement exposés, m’a expliqué l’experte en santé environnementale. Elles montraient que les enfants inuits présentaient un taux de PCB sept fois supérieur à celui des enfants du Sud du Canada ou des États-Unis et que le lait maternel était hautement contaminé[iii]. Elles montraient aussi que ces enfants souffraient de déficiences immunitaires, comme les bélugas de la baie du Saint-Laurent, conduisant à des otites chroniques ou à une production affaiblie d’anticorps lors des vaccinations. Une autre étude réalisée auprès de mères ayant consommé des poissons du lac Michigan révélait que les enfants exposés in utero aux PCB souffraient de troubles neurologiques ou de déficiences motrices[iv]. Dix ans plus tard, les chercheurs ont constaté que ces mêmes enfants avaient des problèmes auditifs et visuels, ainsi qu’un quotient intellectuel inférieur de 6,2 points par rapport à la moyenne de leur âge[v].

« Aujourd’hui, tout cela a été largement confirmé, mais à l’époque c’était nouveau. Et pour comprendre ce qui se passait, j’ai réalisé d’immenses tableaux avec, d’un côté, les espèces animales ou humaine concernées et, de l’autre, les troubles observés. Finalement, après des semaines à tourner en rond dans mon bureau, j’ai compris le lien qu’avaient toutes ces histoires : c’était le système endocrinien des organismes vivants qui était affecté dès la vie intra-utérine, ce qui entraînait des malformations congénitales, des troubles de la reproduction, des désordres neurologiques et un affaiblissement du système immunitaire chez les descendants. Voilà comment j’ai proposé d’organiser une rencontre entre tous les chercheurs qui avaient été confrontés à ce genre de problèmes. Et ce fut un moment inoubliable[vi]. »

Juillet 1991 : la déclaration historique de Wingspread

Sans doute aucun, la « rencontre » restera marquée d’une croix dans l’histoire médicale, même si, aujourd’hui, nombre de sommités de la médecine officielle n’en ont jamais entendu parler ou du moins le prétendent. Mais pour les vingt et un pionniers qui se réunirent, du 26 au 28 juillet 1991, dans le centre de conférences de Wingspread (Wisconsin), ce fut une « expérience fondamentale », selon les mots d’Ana Soto, l’une des participantes. Pour organiser ce meeting inédit, Theo Colborn avait sollicité l’aide de John Peterson Myers – dit « Pete Myers » –, un jeune biologiste qui avait travaillé sur le déclin des populations d’oiseaux marins migrant de l’Arctique à l’Amérique du Sud et qui cosignera Our Stolen Future. Intitulé « Les altérations du développement sexuel induites par la chimie : la connexion faune/humains », le colloque a permis de confronter les travaux de scientifiques venus de quinze disciplines, dont l’anthropologie, l’écologie, l’endocrinologie, l’histopathologie, l’immunologie, la psychiatrie, la toxicologie, la zoologie et même le droit.

« Cette rencontre a constitué un tournant dans ma carrière, m’a raconté Louis Guillette, un zoologue de l’université de Floride que j’ai rencontré le 22 octobre 2009, lors d’un colloque à la Nouvelle-Orléans. En effet, je me débattais tout seul dans mon coin pour essayer de décrypter les troubles que je constatais sur les alligators de Floride et, tout d’un coup, tout s’est éclairé, grâce à ce formidable échange interdisciplinaire et à l’énorme travail de Theo. » Et le scientifique de me raconter son histoire : en 1988, le gouvernement de Floride lui demande de récolter des œufs d’alligators dans le but de créer des fermes d’élevage. Il ratisse une dizaine de lacs de l’État d’où il rapporte plus de 50 000 œufs. Il les met en couveuse et constate que seuls 20 % des œufs prélevés dans l’immense lac d’Apopka (12 500 hectares, situés non loin d’Orlando et de Disney World) ont éclos, contre 70 % pour les œufs issus des autres lacs. De plus, 50 % des bébés alligators sont morts dans les jours qui ont suivi leur naissance.

« Je me suis souvenu que, quelques années plus tôt, le lac avait été fortement contaminé par le déversement accidentel de dicofol, un insecticide proche du DDT, a précisé Louis Guillette. Curieusement, on ne trouvait plus de trace du pesticide dans les eaux du lac, mais tout indiquait qu’il était stocké dans les sédiments, la faune aquatique et la graisse des crocodiles. Quand j’ai commencé à étudier la population des alligators, je m’attendais à trouver des cancers, mais ce que j’ai observé n’avait rien à voir avec des tumeurs : les femelles présentaient des malformations des ovaires et des niveaux anormalement élevés d’œstrogène ; quant aux mâles, ils avaient souvent des micro-pénis et des taux de testostérone extrêmement bas. La seule hypothèse qui me paraissait plausible, bien qu’elle fût difficile à expliquer, c’est que ces malformations étaient dues à un dérèglement survenu pendant la formation de l’embryon, car les œufs étaient contaminés par des résidus de pesticides.

– Est-ce que vous aviez déjà vu des anormalités similaires ?

– Jamais !, m’a répondu sans hésiter le spécialiste des sauriens. À l’époque, la littérature scientifique était complètement muette sur ce genre de malformations, qui n’avaient jamais été rapportées chez les alligators ni chez aucune autre espèce sauvage. En revanche, j’avais lu des études sur des animaux expérimentaux exposés in utero au distilbène, le médicament prescrit aux femmes enceintes pendant les années 1950 et 1960 [voir infra, chapitre 17]. Elles faisaient état de malformations des ovaires ou du pénis. Mais cela ne faisait que renforcer mon trouble, car je me disais : ces alligators n’ont pas reçu de médicaments, ni été exposés volontairement à une forte dose d’une molécule de synthèse, alors comment se fait-il que les faibles doses de pesticide présentes dans leurs organismes provoquent de tels effets ?

– Quelles étaient les doses de pesticides que vous avez mesurées ?

– Elles étaient de l’ordre de 1 ppm, c’est-à-dire des doses que l’on considère généralement comme biologiquement inactives et que l’on trouve tous les jours dans notre environnement ou nos aliments…

– En quoi cette expérience avec les alligators peut-elle être utile aux humains ?

– Il faut bien comprendre que la faune constitue une sentinelle pour la santé humaine, m’a répondu Louis Guillette. Les animaux sauvages nous alertent sur les dangers environnementaux qui nous menacent et spécialement nos enfants. Tous les mammifères, qu’ils soient humains ou sauriens, partagent les mêmes hormones, la même structure des ovaires ou des testicules. D’ailleurs, ce que j’ai constaté dans les années 1980 et 1990 sur les crocodiles se voit aujourd’hui chez de nombreux enfants un peu partout dans le monde.

– Notamment chez les fils de paysans ?

– Exact. Il y a des études qui montrent que les fils d’agriculteurs qui utilisent des pesticides ont un taux plus élevé de micro-pénis ou d’anomalies des testicules.

– Est-ce qu’aujourd’hui le lac Apopka a été nettoyé ?

– Il est en cours de restauration. Les autorités essaient d’extraire les pesticides, qui sont nombreux, mais malheureusement ce n’est pas facile, car certains d’entre eux, comme le dicofol ou le DDT, se sont fixés dans la chaîne alimentaire du lac. Ils sont enfermés dans les graisses des organismes vivants et nous n’en viendrons à bout que dans plusieurs générations.

– Et est-ce que les alligators sont guéris ?

– Non ! Les femelles sont comme nous, elles se reproduisent sur plusieurs décennies et nous continuons d’observer les mêmes dysfonctionnements qu’il y a vingt ans.

– En quoi la conférence de Wingspread vous a-t-elle éclairé ?

– Grâce à l’échange avec mes collègues, qui avaient fait des constats similaires sur d’autres espèces sauvages, j’ai compris que certains produits chimiques se comportaient comme des hormones et ce fut une vraie révélation », conclut Louis Guillette[vii].

Au terme de la conférence, les participants ont signé un manifeste, baptisé « Déclaration de Wingspread », où, dès 1991, ils attiraient l’attention sur les méfaits causés par des molécules, qui, vingt ans plus tard, continuent d’être ignorés par les pouvoirs publics : « De nombreux composés chimiques introduits dans l’environnement par l’activité humaine sont capables de perturber le système endocrinien des animaux, y compris des poissons, de la faune et des humains. Les conséquences de cette perturbation peuvent être profondes en raison du rôle crucial joué par les hormones dans le contrôle du développement, écrivaient-ils. De nombreuses espèces sauvages sont déjà affectées par ces substances. […] Les types d’effets varient selon les espèces et les produits chimiques, mais quatre points communs peuvent être cependant soulignés : 1) les molécules peuvent avoir des effets totalement différents sur l’embryon, le fœtus ou l’organisme périnatal et sur les adultes ; 2) les effets s’expriment plus souvent chez les descendants que sur les parents exposés ; 3) le moment de l’exposition de l’organisme en développement est crucial pour déterminer son caractère et son potentiel futur ; 4) bien que l’exposition critique ait lieu pendant le développement embryonnaire, il est possible que ses signes manifestes ne s’expriment pas avant l’âge adulte. »

Enfin, les auteurs tiraient la sonnette d’alarme : « Si l’on n’élimine pas les perturbateurs synthétiques hormonaux de l’environnement, on peut s’attendre à des dysfonctionnements de grande envergure à l’échelle de la population générale. L’étendue du risque potentiel pour la faune et les humains est grande, en raison de la probabilité d’une exposition répétée et constante à de nombreux produits chimiques synthétiques connus pour être des perturbateurs endocriniens. »


[1] Combien de transformateurs ont-ils ainsi été vidés dans des décharges publiques ou dans des lieux à ciel ouvert, partout dans le monde ? Rappelons qu’en France, 545 610 appareils (dont 450 000 appartenant à EDF) contenant plus de cinq litres de PCB étaient inventoriés à la date du 30 juin 2002, cinq ans après l’interdiction de ces produits, représentant 33 462 tonnes de PCB à éliminer.


[i] Ibid., p. 106.[ii] Ibid., p. 91.

[iii] Eric Dewailly et alii, « High levels of PCBs in breast milk of Inuit women from arctic Quebec », Bulletin of Environmental Contamination and Toxicology, vol. 43, n° 5, novembre 1989, p. 641-646.

[iv] Joseph Jacobson et alii, « Prenatal exposure to an environmental toxin : a test of the multiple effects model », Developmental Psychology, vol. 20, n° 4, juillet 1984, p. 523-532.

[v] Joseph Jacobson et Sandra Jacobson, « Intellectual impairment in children exposed to polychlorinated biphenyls in utero », New England Journal of Medicine, vol. 335, 12 septembre 1996, p. 783-789.

[vi] Entretien de l’auteur avec Theo Colborn, Paonia, 10 décembre 2009.

[vii] Parmi les nombreuses études publiées par Louis Guillette, je recommande celle-ci : Louis Guillette et alii, « Developmental abnormalities of the gonad and abnormal sex hormone concentrations in juvenile alligators from contaminated and control lakes in Florida », Environmental Health Perspectives, vol. 102, n° 8, août 1994, p. 680-688.

La suite bientôt!

Photo (Marc Duployer): ma rencontre avec Louis Guillette, lors du colloque sur les perturbateurs endocriniens qui s’est tenu en octobre 2009 à La Nouvelle Orléans.

Perturbateurs endocriniens : L’étau se resserre (1)

L’INSERM a rendu public, le 14 avril dernier, un rapport  intitulé « Reproduction en environnement » qui analyse la littérature scientifique  concernant les « perturbateurs endocriniens ». Je rappelle que ces molécules chimiques, qui sont des hormones de synthèse, sont au cœur de mon enquête « Notre poison quotidien ». J’y consacre quatre chapitres dans mon livre et une longue partie dans mon documentaire et parviens aux mêmes conclusions que cette expertise collective de l’INSERM.

http://www.inserm.fr/espace-journalistes/reproduction-et-environnement-une-expertise-collective-de-l-inserm

Voici ce qu’écrivent les experts dans leur introduction :

« Au cours des dernières décennies, de nombreuses études indiquent une augmentation de la prévalence des troubles de la reproduction de l’homme adulte dans plusieurs pays occidentaux. L’incidence du cancer du testicule a augmenté régulièrement depuis une cinquantaine d’années ; deux types de malformations relativement fréquentes chez le petit garçon, l’hypospadias et la cryptorchidie, semblent également en augmentation même si d’importantes variations géographiques sont observées ; une détérioration des caractéristiques spermatiques chez l’homme adulte (concentration, mobilité des spermatozoïdes) est constatée avec, là encore, des différences régionales. Par ailleurs, le cancer de la prostate et le cancer du sein, deux cancers hormono-dépendants sont en augmentation . L’impact de l’environnement sur ces évolutions temporelles suscite de nombreux débats de société. L’exposition aux substances chimiques et en particulier aux « perturbateurs endocriniens » est actuellement au coeur de ces débats. Pour répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts composé d’épidémiologistes, de toxicologues, de chimistes, d’endocrinologues, de biologistes spécialistes de la reproduction, du développement et de la génétique moléculaire, afin de mener une analyse critique de la littérature scientifique internationale publiée sur 5 grandes familles de substances chimiques : le Bisphénol (1), les phtalates, les composés polybromés (retardateurs de flamme), les composés perfluorés et les parabènes. A partir de quelque 1200 articles, le groupe a rédigé un rapport dont la synthèse est consultable sur le site de l’Inserm, ainsi qu’un tableau récapitulatif des principales conclusions.».

Concernant le Bisphénol A, auquel je me suis particulièrement intéressée dans mon film et livre, et pour lequel le professeur Narbonne a un peu vite conclu qu’il n’y avait pas de problème (lire sur ce Blog), les experts de l’INSERM confirment ce que j’écris à propos de l’imprégnation générale de la population :

Les mesures de bisphénol A effectuées dans le sang, l’urine, le lait maternel et d’autres tissus indiquent que plus de 90 % des personnes vivant dans les pays occidentaux sont exposées à des niveaux détectables de bisphénol A. Des taux supérieurs à la limite de détection de 0,5 µg/l ont été retrouvés dans le placenta, le liquide amniotique et le fœtus chez les rongeurs et dans l’espèce humaine. Le bisphénol A est donc capable de passer la barrière placentaire et d’atteindre le fœtus.

De plus, le rapport de l’INSERM dresse un constat similaire au mien (il faut dire que nous avons consulté les mêmes études !) sur les « Organes et tissus cibles » du Bisphénol A qui je le rappelle est utilisé comme plastifiant dans les récipients en polycarbonate (comme les biberons ou les bonbonnes ‘eau) ou dans les résines en époxy que l’on trouve dans les canettes de boissons, les boîtes de conserve ou les ciments dentaires.

L’exposition au bisphénol A pendant la phase de constitution des organes au cours de la gestation semble particulièrement critique.

Pour l’appareil reproducteur femelle, l’exposition au BPA pendant la phase de constitution du tissu mammaire in utero peut modifier le développement de cet organe (à des doses de 0,25 µg/kg/j), augmenter sa sensibilité aux œstrogènes durant la puberté et conduire à l’apparition de lésions précancéreuses (à des doses de 25 ou 250 µg/kg/j).

De même, la période fœtale ou néonatale semble constituer une période critique au cours de laquelle une exposition au bisphénol A pourrait altérer le développement de la prostate et favoriser l’apparition de lésions précancéreuses (avec des doses de 10 à 20 µg/kg/j).

La survenue de cancers hormonodépendants (sein ou prostate), de type carcinome semble être favorisée par une altération, due au BPA, dans le développement de l’organe.

Le risque tumoral serait ensuite accru par une exposition à l’âge adulte aux hormones ou à des cancérogènes environnementaux.

Un lien entre une exposition au bisphénol A in utero et des lésions de l’endomètre (de type endométriose) est suspecté.

 

 

Pour mon enquête, j’ai eu le privilège de pouvoir interviewer celle qui découvrit l’existence des perturbateurs endocriniens : Theo Colborn, à qui j’ai consacré un long développement dans mon livre Notre poison quotidien.

Voici un extrait du chapitre 16 « Mâles en péril : l’espèce humaine en danger ? »

Rencontrer Theo Colborn se mérite. D’abord, parce qu’à quatre-vingt-trois ans, celle que l’on a souvent comparée à Rachel Carson (supra chapitre 3) en raison de l’impact de son œuvre a dû limiter son activité en filtrant soigneusement les multiples demandes d’interviews ou de conférences. Et puis, parce qu’elle habite au fin fond de l’État du Colorado, à une centaine de kilomètres du petit aéroport de Grand Junction. Quand j’ai atterri le 10 décembre 2009, plus d’un mètre de neige recouvrait la mythique Grand Valley étincelante sous le soleil éblouissant. La température était de – 25° C, un changement brutal après les + 23° de Houston où j’étais la veille. Dans la voiture qui me conduisait à Paonia, la ville où Theo Colborn est venue s’installer avec sa famille en 1962, je relisais mes notes sur son parcours hors du commun : pharmacienne de formation, elle décide d’élever ses quatre enfants dans un ranch du Colorado ; puis s’engage dans un mouvement local pour la défense de la qualité de l’eau de la vallée, menacée par la pollution minière et agricole ; alors qu’elle est déjà grand-mère, elle décroche une maîtrise de gestion de l’eau, puis se lance dans un doctorat de zoologie à l’université du Wisconsin qu’elle obtient en 1985, à cinquante-huit ans révolus ! « J’avais besoin de ces diplômes pour mieux faire entendre ma voix », a-t-elle déclaré dans une interview.

Au milieu de mes notes, il y avait aussi le dernier courriel qu’elle m’avait adressé où elle faisait référence au « prix Rachel Carson qui nous unit ». En effet, en juin 2009, j’avais eu l’incroyable honneur de recevoir le dixième « prix Rachel Carson », remis par un jury de Stavanger (Norvège) à une « femme internationale qui contribue à la protection de l’environnement ». Theo Colborn avait obtenu le cinquième prix, dix ans plus tôt. Alors bien sûr, dès que j’eus franchi la porte de sa maison, l’« experte en santé environnementale », ainsi que le stipule sa carte de visite, commença par évoquer longuement l’auteure de The Silent Spring (voir supra, chapitre 3). « Son livre m’a accompagnée tout au long de ma carrière, m’a-t-elle expliqué. D’abord, parce qu’il m’a ouvert les yeux sur les dangers des pesticides, mais aussi parce qu’il dessinait une vision globale, en recréant du lien entre les différents organismes vivants et en se projetant dans le futur. Pour moi, la partie la plus étonnante est le questionnement sur les conséquences funestes qu’un tel déluge de produits chimiques pourrait avoir sur les générations exposées dès la vie fœtale et sur la reproduction, ce qui était complètement visionnaire. »

De fait, dans son chapitre « Through a narrow window » (« à travers une fenêtre étroite »), Rachel Carson cite des « rapports médicaux » qui font état « d’oligospermie, c’est-à-dire la production réduite de spermatozoïdes chez les applicateurs de DDT par avion », ou d’« atrophie des testicules observée chez des mammifères de laboratoire », ou encore de la métamorphose d’insectes exposés au DDT sur plusieurs générations en d’« étranges créatures appelées gynandromorphes qui présentent une partie mâle et une partie femelle[i] ». Dans la seule et unique interview télévisée qu’elle a donnée peu avant sa mort, elle s’inquiétait déjà des effets transgénérationnels que pourraient avoir les produits chimiques. « Nous ne devons pas oublier que les enfants qui naissent aujourd’hui sont exposés à ces substances depuis la naissance, et même peut-être avant la naissance, soulignait-elle. Quelle conséquence cette exposition peut-elle avoir dans leur vie d’adulte ? Nous n’en savons absolument rien, car nous n’avons jamais connu ce genre d’expérience auparavant[ii]. »

« Rachel Carson pensait surtout au cancer, m’a commenté Theo Colborn, une maladie dont elle est elle-même décédée et qui représentait la grande préoccupation de l’époque. Il m’a fallu moi-même beaucoup de temps pour que je sorte de cette conception toxicologique issue de l’après-guerre où l’on mesure la toxicité d’un produit chimique au nombre de morts qu’il provoque à court ou moyen terme. Si j’ai pu la dépasser, c’est aussi parce que j’ai suivi l’enseignement de Rachel Carson qui disait que “notre destin est lié à celui des animaux”.

– Comment votre vision a-t-elle changé ?

– Ce fut un long processus, m’a répondu la zoologue. En 1987, j’ai été recrutée par une commission mixte du Canada et des États-Unis pour dresser un bilan de l’état écologique des Grands Lacs. J’ai contacté tous les biologistes qui travaillaient sur la région. Je n’oublierai jamais mes rencontres avec ces scientifiques qui, chacun de leur côté, observaient des phénomènes similaires, à savoir une réduction draconienne des populations de certaines espèces animales, des dysfonctionnements du système de la reproduction tels que les adultes avaient du mal à faire des petits et, quand ils y parvenaient, les petits naissaient avec des malformations congénitales et ne survivaient pas ; ils observaient aussi des troubles du comportement inhabituels, avec des femelles qui se mettaient en couple, des mâles qui ne défendaient plus leur territoire… »

Dans le best-seller qu’elle a publié en 1996, Our Stolen Future[iii], Theo Colborn raconte les travaux de ses collègues qui, petit à petit, lui ont permis de « reconstituer le puzzle du mécanisme à l’œuvre ». Parmi eux, il y a Pierre Béland, un océanographe qui dès 1982 tient un « livre de la mort » où il consigne les multiples cadavres de bélugas qu’il a trouvés dans le golfe du Saint-Laurent. Les autopsies révèlent des cancers mammaires, de la vessie, de l’estomac, de l’œsophage ou des intestins, des ulcères de la bouche, des pneumonies, des infections virales, des kystes sur la tyroïde, mais aussi des malformations de l’appareil génital, jusque-là inconnues. Ainsi, « Booly », un béluga mâle présente deux testicules, un vagin et deux ovaires, un « phénomène d’hermaphrodisme très rare dans la faune, qui n’avait jamais été rapporté chez un cétacé[iv] ». Tous les cadavres sont chargés de résidus de pesticides, dont le DDT, mais aussi de PCB et de métaux lourds. Dans le même temps, Pierre Béland constate que la population locale des dauphins, qui était estimée à 5 000 au début du xxe siècle, est tombée à 2 000 au début des années 1960 et à 500 en 1990.

Theo Colborn a aussi rencontré Glen Fox, un ornithologue qui a observé un étrange phénomène dans les colonies de goélands argentés des lacs Ontario et Michigan : à partir des années 1970, les nids comptent deux fois plus d’œufs que ce que l’on trouve normalement, car ils sont occupés par deux femelles plutôt que par un couple mâle-femelle. « Fox les surnommait les “goélands homosexuels”, m’a raconté Theo, car il a découvert un problème d’identité sexuelle chez les mâles et femelles dû à leur contamination par le DDT, qui comme les PCB, agit comme une hormone œstrogénique. » Au même moment, les biologistes Richard Aulerich et Robert Ringer constatent la quasi-extinction des visons qui se nourrissent essentiellement de poissons, lesquels sont bourrés de PCB.

« Devant la gravité des dégâts constatés, j’ai élargi ma recherche au-delà des Grands Lacs, m’a expliqué Theo Colborn. J’ai découvert les travaux de Charles Facemire, qui avait constaté une féminisation des panthères mâles dans les parcs du sud de la Floride, avec de nombreux cas de cryptorchidie (c’est-à-dire des testicules non descendus), une baisse de la concentration des spermatozoïdes ou un taux anormalement élevé d’œstradiol, une hormone féminine au détriment de la testostérone, l’hormone mâle. Les autopsies révélaient de fortes concentrations de DDE, un métabolite du DDT, et de PCB, accumulées dans les graisses des félins qui constituaient une espèce protégée. Au même moment, Charles Broley faisait des constats similaires dans la population des pygargues à tête blanche, l’oiseau emblème des États-Unis, qui avaient pratiquement disparu des côtes de Floride. Au final, j’ai consulté plus de mille études réalisées en Amérique du Nord, mais aussi en Europe, et j’ai compris qu’il n’y avait aucun endroit dans le monde qui ne soit à l’abri de cette pollution insidieuse perpétrée par des milliers de molécules chimiques, avec en tête ce que l’on appelle aujourd’hui les polluants organiques persistants. »

Suite dans mon prochain commentaire !

Photos (Marc Duployer) : ma rencontre avec Theo Colborn dans sa maison de Paonia dans le Colorado, le 10 décembre 2009.



[i] Rachel Carson, Silent Spring, op. cit., p. 207.

[ii] « Rachel Carson talks about effects of pesticides on children and future generations », BBC Motion Gallery, 1er janvier 1963.

[iii] Theo Colborn, Dianne Dumanoski et John Peterson Myers, Our Stolen Future. Are we Threatening our Fertility, Intelligence and Survival ? A Scientific Detective Story, Plume, New York, 1996 (traduction française : L’Homme en voie de disparition ?, Terre vivante, Mens, 1998).

[iv] Ibid., p. 145.

Atrazine: le poison de Syngenta. Interview inédite du professeur Tyrone Hayes

Dans Usine NouvelleGérard Thomas qui travaille pour Syngenta déclare: « Notre poison quotidien contient beaucoup d’éléments fallacieux. Il n’est pas honnête du point de vue de l’investigation scientifique » …

C’est un comble quand on connaît les multiples manoeuvres utilisées par la firme suisse pour maintenir sur le marché cet herbicide hautement toxique, cancérigène et perturbateur endocrinien, qui a empoisonné les champs européens pendant plus de trois décennies. Il est, par ailleurs, fort dommage que Gérard Thomas n’explique pas davantage quels sont les « éléments fallacieux » de mon documentaire (j’imagine qu’il n’a pas lu mon livre…), mais il est vrai que c’est une habitude des représentants de l’industrie: ils disent des généralités très vagues sur mon enquête, dénonçant , qui, les « contre-vérités », qui, les « imprécisions » ou « éléments fallacieux », sans ne donner aucun exemple ni argument étayé!

Je publie ici un extrait d’un excellent papier que les internautes peuvent trouver à cette adresse:

http://www.eauxglacees.com/Pesticides-partout-sante-nulle

L’Inserm souligne l’impact de l’atrazine sur le développement du fœtus

C’était l’herbicide le plus utilisé, aux Etats-unis comme en Europe, pour maîtriser les mauvaises herbes dans les champs de maïs. Il a été interdit en Europe, et en France, depuis 2003.

Mais des traces d’atrazine et d’un de ses métabolites (atrazine mercapturate) étaient pourtant présentes dans les urines de 5,5% de 579 femmes enceintes ayant participé à l’étude Pélagie, pilotée par de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publiée le 2 mars 2011 dans la revue Environmental Health Perspectives

Cette étude a été réalisée entre 2002 et 2006 auprès de plus 3400 femmes enceintes en début de grossesse en Bretagne.

Elle visait à étudier l’impact de l’atrazine ou d’un de ses métabolites (atrazine mercapturate, desethylatrazine, hydroxyatrazine, ou hydroxydesethylatrazine) sur le déroulement de la croissance intra-utérine.

Résultats : des traces de métabolites de desethylatrazine et d’hydroxyatrazine auraient également été respectivement retrouvés dans 20% et 40% des échantillons.

L’étude épidémiologique a permis d’établir qu’une présence marquée d’atrazine dans les urines était accompagnée d’une diminution du poids de naissance et de périmètre crânien.

Une quantité élevée de pesticides dans l’air peut également avoir un impact sur la croissance intra-utérine.

Selon l’enquête, les femmes ayant des traces d’atrazine ou d’un de ses métabolites dans les urines ’’avaient 50% de risque supplémentaire d’avoir un enfant ayant un faible poids à la naissance et 70% de risque supplémentaire d’avoir un enfant ayant une faible circonférence crânienne à la naissance’’, s’inquiète l’association Générations Futures (ex MDRGF) suite à la publication de l’étude.

D’autant que malgré son interdiction, l’atrazine « reste le pesticide le plus présent dans les eaux en France’’, souligne l’ONG.

Si les concentrations restent assez faibles, elles ont malgré tout un impact sur le développement intra-utérin. Il n’existe toutefois « pas d’association évidente entre la présence d’atrazine et le développement d’anomalies congénitales majeures », précisent les chercheurs de l’Inserm.

Pour François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, ’’cette étude nous montre clairement que des doses très faibles d’un herbicide perturbateur endocrinien peuvent avoir des effets dommageables sur le développement du fœtus et donc sur le futur état de santé de l’enfant’’.

L’ONG demande ’’que tous les pesticides pour lesquels un effet perturbateur endocrinien aura été caractérisé soient retirés du marché’’.

L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a également lancé en octobre 2009 une étude pour déterminer les effets sur la santé de l’atrazine (cancer, malformation des bébés naissants, insuffisance de poids des nouveau-nés et des prématurés).

Par ailleurs, je mets en ligne un extrait du chapitre que je consacre à l’atrazine dans mon livre Notre poison quotidien.

EXTRAIT du chapitre 19

Il est arrivé au colloque de la Nouvelle-Orléans avec une chemise colorée et ses dreadlocks, tirés en queue de cheval. « Je vais vous parler de l’impact des perturbateurs endocriniens sur la vie réelle et, bien sûr, de l’atrazine et des grenouilles », a-t-il dit avec sa bonne humeur légendaire qui a fait sourire toute l’assistance. La cinquantaine bien enveloppée, Tyrone Hayes est l’un des biologistes les plus célèbres de l’université de Berkeley (Californie), mais aussi la bête noire de Syngenta, le géant suisse de la chimie, de l’agroalimentaire et des pesticides[1]. Avec un chiffre d’affaires annuel de 11 milliards de dollars (en 2009) et une implantation dans quatre-vingt-dix pays, la firme produit notamment l’insecticide Cruiser, suspecté d’être coresponsable de la surmortalité des abeilles[2] (voir supra, chapitre 6), mais aussi l’atrazine, l’herbicide qui a débarqué sur la ferme de mes parents au moment où je naissais (voir supra, chapitre 1).

L’atrazine, un « castrateur chimique puissant »

Lors du colloque de la Nouvelle-Orléans, Tyrone Hayes a évoqué l’une des dernières études qu’il a publiée montrant que ce poison agricole induisait des mécanismes caractéristiques des cancers du sein et de la prostate dans des cellules humaines exposées à des doses similaires à celles que l’on trouve dans l’environnement[i]. « Vous avez tous appris la bonne nouvelle, s’est-il réjoui : l’Agence de protection de l’environnement a annoncé qu’elle allait réexaminer le dossier scientifique de l’atrazine ! Espérons qu’elle finira par le bannir comme l’a fait l’Europe il y a déjà cinq ans ! » En effet, si l’herbicide a été interdit par l’Union européenne en 2004[ii], il continue d’être utilisé massivement aux États-Unis, où quelque 40 000 tonnes sont épandues chaque année sur de nombreuses cultures, comme le maïs, le sorgho, la canne à sucre et le blé[iii]. Chanté comme le « DDT des mauvaises herbes[iv] », lors de sa mise sur le marché en 1958, il représente aujourd’hui le principal contaminant des eaux de surface et souterraines américaines, un privilège qui, malgré l’interdiction, continue de caractériser la plupart des pays européens, avec en tête la France[v].

Deux semaines avant le colloque de la Nouvelle-Orléans, Lisa Jackson, la directrice de l’EPA, nommée par le président Barack Obama en janvier 2009, avait effectivement annoncé que l’agence allait « conduire une nouvelle évaluation sur les liens possibles entre l’atrazine et le cancer, ainsi que d’autres problèmes de santé, comme les naissances prématurées[vi] ». « C’est un changement capital, avait commenté Linda Birnbaum, la directrice du NIEHS (voir supra, chapitre 18). Il y a de plus en plus de preuves que l’atrazine représente un danger pour la santé humaine. C’est un signal fort que le monde est en train de changer pour l’un des herbicides le plus largement utilisé. »

S’il y a un scientifique qui s’est battu pour que l’atrazine soit interdite aux États-Unis, c’est bien Tyrone Hayes, même si, comme il me l’a expliqué lorsqu’il m’a reçue dans son laboratoire de Berkeley, le 12 décembre 2009, « ce combat ne fut pas une décision personnelle, mais fut imposé par les événements ». En 1998, en effet, il fut contacté par Novartis (devenue Syngenta deux ans plus tard, après sa fusion avec AstraZeneca), qui lui proposa un contrat « grassement payé » pour « vérifier si l’atrazine est un perturbateur endocrinien », ainsi que l’avait suggéré Theo Colborn dans Our Stolen future (voir supra, chapitre 16). Pour l’industriel, l’affaire était grave, car sept ans plus tôt, un rapport du US Geological Survey avait révélé que dans les fleuves du Missouri, Mississipi et de l’Ohio ainsi que dans leurs affluents, « l’atrazine dépassait le taux de résidus autorisé dans l’eau dans 27 % des points de mesure[vii][3] ». De plus, dès les années 1980, deux études conduites sur des souris[viii] et des rats[ix] avaient montré que l’exposition à l’herbicide provoquait des cancers mammaires, utérins, des lymphomes et des leucémies. Les résultats avaient été jugés suffisamment convaincants pour que le CIRC ait décidé de classer l’atrazine comme un « cancérogène possible pour les humains » (groupe 2B) en 1991[x]. En conséquence, s’appuyant sur le Safe Drinking Water Act, l’EPA avait baissé la norme de l’atrazine à un maximum de 3 μg/l d’eau, ou 3 ppb (parties par milliard). En 1994, trois études établissaient un lien entre l’exposition à l’atrazine de rongeurs et les tumeurs mammaires[xi]. Et en 1997, un an après la sortie de Our Stolen Future, une étude épidémiologique conduite dans plusieurs comtés ruraux du Kentucky concluait à un excès significatif de cancers du sein chez les femmes les plus exposées (en corrélation avec le niveau de contamination de l’eau et la proximité du domicile avec les cultures de maïs)[xii].

Commença alors pour Novartis (future Syngenta) l’ère des grandes manœuvres. La première fut d’une redoutable efficacité, car elle conduisit, en 1999, au déclassement de l’atrazine par le CIRC du groupe 2B (cancérogène possible pour les humains) au groupe 3 (inclassable). Pour justifier cette incroyable décision, les « experts » de l’agence onusienne eurent recours à l’argutie que j’ai décrite dans le chapitre 10 : « Le mécanisme par lequel l’atrazine induit des cancers mammaires chez les rats n’est pas transposable à l’homme[xiii]. »

Pour la deuxième manœuvre, la pièce centrale était… Tyrone Hayes, un brillant biologiste (le plus jeune professeur promu à Berkeley) et un passionné des… batraciens, au point qu’il a appelé sa fille Kassina, du nom d’une grenouille africaine. « Les grenouilles sont toute ma vie, m’a-t-il expliqué dans son laboratoire où il a entreposé des milliers de bocaux remplis d’amphibiens. J’ai grandi à la campagne, en Caroline du Sud, et j’ai toujours été fasciné par leur capacité de métamorphose, de l’œuf vers le têtard puis la grenouille adulte.

– En quoi les grenouilles constituent-elles un modèle intéressant pour étudier les effets des perturbateurs endocriniens ?, lui ai-je demandé.

– C’est un modèle parfait !, m’a répondu le biologiste. D’abord, parce qu’elles sont très sensibles à l’action des hormones qui permettent d’activer les gènes nécessaires à leurs multiples métamorphoses ; et puis, parce qu’elles possèdent exactement les mêmes hormones que les humains, comme la testostérone, l’œstrogène ou l’hormone thyroïdienne.

– Comment avez-vous procédé pour votre étude ?

– Il faut préciser que tout le processus a été étroitement surveillé par Novartis, puis Syngenta. Dans un premier temps, nous avons élevé des grenouilles de la famille des Xenopus laevis dans des réservoirs d’eau où nous avons ajouté différentes doses d’atrazine, proches de ce que l’on trouve dans les bas-côtés des champs et jusqu’à trente fois inférieures à la norme en vigueur aux États-Unis (3 ppb) – c’est-à-dire des niveaux qu’un être humain peut trouver dans l’eau du robinet. Pour donner une image, c’est l’équivalent d’un grain de sel dans un réservoir d’eau. Nous avons constaté que l’atrazine diminue le larynx, qui est la boîte vocale des mâles ; or, pour séduire les femelles, les mâles chantent, ce qui fait qu’ils sont sexuellement handicapés. Nous avons constaté aussi chez les mâles adultes des niveaux très bas de testostérone ; certains d’entre eux étaient hermaphrodites, c’est-à-dire qu’ils avaient à la fois des ovaires et des testicules. Dans certains cas, les mâles devenaient homosexuels, en s’accouplant avec d’autres mâles et en ayant un comportement féminisé ; parfois, ils avaient des œufs dans leurs testicules, au lieu de sperme. En fait, l’atrazine agit comme un castrateur chimique très puissant, qui est biologiquement actif à 1 ppb, et même à 0,1 ppb.

– Savez-vous si les grenouilles sauvages présentent les mêmes troubles ?

– Ce fut précisément la deuxième étape de notre étude : nous sommes partis avec un camion frigorifique dans l’Utah et l’Iowa où nous avons ramassé huit cents jeunes grenouilles léopard (Rana pipiens) dans les fossés bordant les champs, près des terrains de golf ou au bord des rivières. Nous les avons disséquées et avons constaté exactement les mêmes dysfonctionnements que chez les grenouilles de laboratoire. C’était très impressionnant et c’est là que j’ai compris que le déclin des populations de grenouilles en Amérique du Nord et en Europe était dû à la contamination par les pesticides qui affectent leur système de reproduction.

– Comment expliquez-vous ce phénomène ?

– L’atrazine stimule une enzyme appelée “aromatase”, qui transforme l’hormone masculine, la testostérone, en hormone femelle, l’œstrogène. C’est ainsi que l’œstrogène produite par l’aromatase entraîne le développement d’organes féminins, comme les ovaires ou les ovules dans les testicules. Or, le niveau d’aromatase est aussi lié au développement des cancers du sein ou de la prostate. Une étude épidémiologique conduite dans une usine d’atrazine de Syngenta en Louisiane, publiée en 2002, a d’ailleurs montré un excès significatif de cancer de la prostate chez les ouvriers[xiv].

– Comment a réagi Syngenta ?

– Ah !, a soupiré Tyrone Hayes, j’étais très naïf à l’époque ! La firme m’a d’abord demandé de répéter l’étude, pour vérifier que j’obtenais bien les mêmes résultats. Elle m’a proposé 2 millions de dollars pour cela et, au début, j’ai accepté… Puis, j’ai compris que leur stratégie, c’était de faire traîner les choses, pour gagner du temps et m’empêcher de publier. J’ai finalement rompu mon contrat et j’ai publié mes résultats en 2002[xv][4]. À partir de là, ce fut la guerre ! Et je dois dire que je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse être d’une telle violence : Syngenta a écrit au doyen de l’université de Berkeley, s’est répandu dans la presse pour me discréditer[xvi], a mis un lien sur son site Web vers <junkscience.com>, le site de Steven Milloy, et je me suis retrouvé sur la liste des junk scientists (voir supra, chapitre 8). Aujourd’hui, cela me fait rire, car je sais que le fait d’avoir l’honneur de figurer sur cette liste est la preuve que j’ai fait du bon travail ! Puis, la firme a payé des scientifiques pour conduire de nouvelles études qui, bien sûr, n’ont pas pu répéter mes résultats. Leur but, c’était de créer le doute, et ça a marché, du moins aux États-Unis, où finalement l’EPA a renouvelé l’homologation de l’atrazine en 2007. »

De fait, en octobre 2007, l’Agence de protection de l’environnement rendait un rapport où elle concluait : « L’atrazine n’est pas nocive pour le développement des gonades des amphibiens ; aucune étude additionnelle n’a été requise[xvii]. » Circulez, il n’y a rien à voir ! L’implacable machine à broyer les vérités qui dérangent a, une fois de plus, fonctionné à merveille… Alors qu’il était au plus fort de la tourmente, en 2004, Tyrone Hayes a publié dans BioScience un article où il décrypte les immuables rouages que j’ai aussi décrits tout au long de ce livre : manipulations de la science, funding effect, campagnes de diffamation, complaisance des autorités publiques, intoxication de la presse, etc.[xviii].

Le mélange des pesticides décuple leurs effets

« L’industrie a multiplié ses efforts pour discréditer mon travail, mais mon laboratoire continue d’étudier les impacts de l’atrazine et d’autres pesticides sur l’environnement et la santé publique », écrit Tyrone Hayes sur son site Web, qu’il a ironiquement baptisé <Atrazinelovers.com>. « Ma décision de me lever et d’affronter le géant industriel n’était pas héroïque. J’ai suivi l’enseignement de mes parents qui me disaient : “N’agis pas parce que tu cherches une récompense ni parce que tu crains une punition. Fais ce que tu penses devoir faire, parce que cela te semble juste”. »

« Mes démêlés avec Syngenta ont marqué un tournant dans ma carrière, m’a expliqué le chercheur de Berkeley, car je me suis alors spécialisé sur un domaine encore peu exploré : les effets des mélanges de pesticides. En effet, les grenouilles Léopard que j’avais rapportées des champs du Midwest n’avaient pas été exposées à la seule atrazine, mais à une mixture de plusieurs substances. Or, la littérature scientifique s’intéresse en général aux effets toxicologiques des pesticides à des doses relativement élevées (de l’ordre de parties par million), mais rarement aux faibles doses et encore moins aux mélanges des faibles doses, tels qu’ils existent dans notre environnement quotidien, notamment dans l’eau du robinet ou les fruits et légumes que nous mangeons. »

Cet « oubli » somme toute étonnant, qui caractérise aussi le système de réglementation des produits chimiques, a également été souligné par le US Geological Survey dans un rapport de 2006, très remarqué parce qu’il décrivait sans fard la pollution des eaux souterraines et de surface américaines : « La présence courante de mélanges de pesticides, particulièrement dans les cours d’eau, signifie que la toxicité totale combinée des pesticides dans les ressources aquatiques, les sédiments et les poissons doit être plus élevée que celle de chaque pesticide pris isolément, écrivait ainsi Robert Gilliom, l’auteur principal du rapport. Nos résultats indiquent que l’étude des mélanges doit être une priorité absolue[xix]. »

C’est ainsi que Tyrone Hayes a repris son camion frigorifique pour parcourir les routes du Nebraska et recueillir des milliers de litres de la « soupe chimique » (chemical brew) qui ruisselle des champs de maïs industriels. De retour à Berkeley, il a identifié neuf molécules récurrentes : quatre herbicides, dont l’atrazine et l’alachlore (le Lasso, qui provoqua l’intoxication de Paul François ; voir supra, chapitre 1), trois insecticides et deux fongicides[xx]. Au moment où je l’ai rencontré, il travaillait sur un autre mélange, comprenant cinq pesticides, dont le Roundup et le chlorpyriphos. Pour chaque étude, le scientifique procède de deux manières : il élève des grenouilles dans des réservoirs contenant la « soupe » qu’il a rapportée des champs, mais aussi dans le mélange qu’il a reconstitué dans son laboratoire afin de pouvoir comparer les effets. Et, dans les deux cas, le résultat est très inquiétant.

« Quand on mélange les substances, on observe des effets que l’on ne voit pas avec les produits pris séparément, m’a-t-il expliqué. D’abord, on constate un affaiblissement du système immunitaire des grenouilles dû à un dysfonctionnement du thymus qui fait qu’elles sont plus sensibles, par exemple, à la méningite, et qu’elles meurent plus souvent de maladies que les grenouilles du groupe contrôle. Cette fragilité immunitaire peut, en partie, expliquer le déclin des populations. À cela, s’ajoute une perturbation de la fonction reproductive similaire à celle que j’avais constatée avec l’atrazine seule. Enfin, les mélanges ont un effet sur le temps de métamorphose et la taille des larves. Or, les doses que nous utilisons sont jusqu’à cent fois inférieures au taux de résidus autorisés dans l’eau.

– Que peut-on en conclure pour les humains ?

– Nous n’en savons rien !, m’a répondu Tyrone Hayes. Mais ce qui est incroyable, c’est que le système d’évaluation des pesticides n’a jamais pris en compte le fait que les substances pouvaient interagir ou s’additionner, voire créer de nouvelles molécules. C’est d’autant plus surprenant que les pharmaciens savent depuis des siècles qu’il y a certains médicaments qu’il faut impérativement éviter de prendre ensemble, au risque de s’exposer à de graves effets secondaires. D’ailleurs, quand la FDA autorise un nouveau médicament, elle exige toujours que soient précisées sur la notice d’emploi les contre-indications médicamenteuses. Évidemment, ce genre de précaution est difficile à mettre en place pour les pesticides. Imaginez l’EPA expliquer aux paysans : vous pouvez appliquer ce pesticide A, à condition que votre voisin n’applique pas le pesticide B ou C sur la culture d’à côté ! C’est impossible ! Et si c’est impossible, cela veut dire que ces produits n’ont rien à faire dans les champs. En attendant, quand on connaît la “charge chimique corporelle” qui caractérise chaque citoyen des pays industrialisés, on peut effectivement craindre le pire… »


[1] Syngenta est née en 2000 de la fusion de AstraZeneca et Novartis. Je rappelle que Novartis était elle-même née, en 1996, de la fusion de Sandoz Agro et de Ciba-Geigy (voir supra, chapitre 16).

[2] En février 2011, le Conseil d’État français a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser ; s’appuyant sur la directive européenne 91/214, il a demandé que soient fournies des données qui prouvent son innocuité sur le long terme.

[3] Le US Geological Survey est un organisme public créé en 1879, chargé de surveiller l’évolution des écosystèmes et de l’environnement (état des eaux, tremblements de terre, ouragans, etc.). Dans l’Illinois, quinze fournisseurs d’eau se sont réunis en xxxDATE dans une class action (action judiciaire collective) et ont porté plainte contre Syngenta, à qui ils réclament 350 millions de dollars pour nettoyer les ressources en eau, hautement contaminées par l’atrazine. Une autre class action était en cours de constitution en 2010, réunissant dix-sept fournisseurs en eau de six États du Midwest (Rex Dalton, « E-mails spark ethics row. Spat over health effects of atrazine escalates », Nature, vol. 446, n° 918, 18 août 2010).

[4] Cette même année 2002, Tyrone Hayes a reçu le Berkeley’s Distinguished Teaching Award, qui récompense les professeurs de la célèbre université pour la qualité de leur enseignement.


Notes du chapitre 19

[i] WuQiang Fan, Tyrone Hayes et alii, « Atrazine-induced aromatase expression is SF-1 dependent : implications for endocrine disruption in wildlife and reproductive cancers in humans », Environmental Health Perspectives, vol. 115, mai 2007, p. 720-727.

[ii] Décision 2004/141/CE du 12 février 2004.

[iii] « Pesticide atrazine can turn male frogs into females », Science Daily, 1er mars 2010.

[iv] Nena Baker, The Body Toxic. How the Hazardous Chemistry of Everyday Things Threatens our Health and Well-being, North Point Press, New York, 2008, p. 67.

[v] WWF, Gestion des eaux en France et politique agricole : un long scandale d’État, 15 juin 2010. Les deux départements français les plus contaminés par l’atrazine (et les nitrates) sont l’Eure-et-Loir et la Seine-et-Marne.

[vi] « Regulators plan to study risks of atrazine », New York Times, 7 octobre 2009.

[vii] Nena Baker, The Body Toxic, op. cit., p. 67.

[viii] A. Donna et alii, « Carcinogenicity testing of atrazine : preliminary report on a 13-month study on male Swiss albino mice treated by intraperitoneal administration », Giornale italiano di medicina del lavoro, vol. 8, n° 3-4, mai-juillet 1986, p. 119-121 ; A. Donna et alii, « Preliminary experimental contribution to the study of possible carcinogenic activity of two herbicides containing atrazine-simazine and trifuralin as active principles », Pathologica, vol. 73, n° 1027, septembre-octobre 1981, p. 707-721.

[ix] A. Pinter et alii, « Long-term carcinogenicity bioassay of the herbicide atrazine in F344 rats », Neoplasma, vol. 37, n° 5, 1990, p. 533-544.

[x] « Occupational exposures in insecticide application and some pesticides », IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, vol. 53, WHO/IARC, 1991.

[xi] Lawrence Wetzel, « Chronic effects of atrazine on estrus and mammary tumor formation in female Sprague-Dawley and Fischer 344 rats », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 43, n° 2, 1994, p. 169-182 ; James Stevens, « Hypothesis for mammary tumorigenesis in Sprague-Dawley rats exposed to certain triazine herbicides », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 43, no 2, 1994, p. 139-153 ; J. Charles Eldridge, « Factors affecting mammary tumor incidence in chlorotriazine-treated female rats : hormonal properties, dosage, and animal strain », Environmental Health Perspectives, vol. 102, suppl. 1, décembre 1994, p. 29-36.

[xii] M. Kettles et alii, « Triazine exposure and breast cancer incidence : an ecologic study of Kentucky counties », Environmental Health Perspectives, vol. 105, n° 11, 1997, p. 1222-1227.

[xiii] « Some chemicals that cause tumours of the kidney or urinary bladder in rodents and some other substances », IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, vol. 73, WHO/IARC, 1999. Lors de ma rencontre en février 2010 avec Vincent Cogliano, chef des monographies du CIRC, celui-ci m’a informée que l’atrazine figurait sur la liste des produits à réévaluer en priorité.

[xiv] Paul MacLennan, « Cancer incidence among triazine herbicide manufacturing workers », Journal of Occupational and Environmental Medicine, vol. 44, n° 11, novembre 2002, p. 1048-1058. À noter que, deux ans plus tard, des scientifiques d’Exponent (voir supra, chapitre 9) ont publié une autre étude dans la même revue, montrant qu’il n’y avait pas de lien entre l’exposition à l’atrazine dans l’usine et le cancer de la prostate ! (Patrick Hessel et alii, « A nested case-control study of prostate cancer and atrazine exposure », Journal of Occupational and Environmental Medicine, vol. 46, n° 4, 2004, p. 379-385).

[xv] Tyrone Hayes et alii, « Hermaphroditic, demasculinized frogs after exposure to the herbicide atrazine at low ecologically relevant doses », Proceedings of the National Academy of Sciences USA, vol. 99, 2002, p. 5476-5480 ; Tyrone Hayes et alii, « Feminization of male frogs in the wild », Nature, vol. 419, 2002, p. 895-896 ; Tyrone Hayes et alii, « Atrazine-induced hermaphroditism at 0.1 ppb in American leopard frogs (Rana pipiens) : laboratory and field evidence », Environmental Health Perspectives, vol. 111, 2002, p. 568-575.

[xvi] William Brand, « Research on the effects of a weedkiller on frogs pits hip Berkeley professor against agribusiness conglomerate », The Oakland Tribune, 21 juillet 2002.

[xvii] EPA, « Potential for atrazine to affect amphibian gonadal development », octobre 2007 (Docket ID : EPA-HQ-OPP-2007-0498).

[xviii] Tyrone Hayes, « There is no denying this : defusing the confusion about atrazine », BioScience, vol. 5, n° 12, 2004, p. 1138-1149.

[xix] Robert Gilliom et alii, « The quality of our Nation’s waters. Pesticides in the Nation’s streams and ground water, 1992-2001 », US Geological Survey, mars 2006.

[xx] Tyrone Hayes, « Pesticide mixtures, endocrine disruption and amphibian declines : are we underestimating the impact ? », Environmental Health Perspectives, vol. 114, n° 1, avril 2006, p. 40-50. Dans cette étude, Tyrone Hayes rappelle que, depuis 1980, 32 % des espèces de grenouilles ont disparu et que 43 % sont en déclin.

Je mets en ligne l’interview que j’ai réalisée du professeur Tyrone Hayes dans son laboratoire de l’Université Berkeley en Californie. Malheureusement cette interniew n’est pas dans mon film, car j’ai dû couper en raison de problème de longueur…

La une de Usine Nouvelle

Après l’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur, c’est au tour de Usine Nouvelle de faire la Une sur mon livre Notre poison quotidien.

Je suis évidemment très heureuse de voir que mon ouvrage de 479 pages suscite autant de réactions du côté de l’industrie, contrainte de justifier ses pratiques et agissements pour maintenir ses produits sur le marché, fût ce au prix de coûts environnementaux et sanitaires considérables. J’espère qu’elle en profitera pour revoir de fond en comble son modus operandi car elle a tout à y gagner. Tout indique, en effet, que rien ne pourra arrêter l’exigence de transparence exprimée par la société civile, ainsi que le prouvent les projections-débats auxquelles je participe un peu partout en France et qui attirent les foules (photos ci-dessous).

Je note que certains industriels sont toujours dans le déni, ainsi que le prouve cette phrase de Usine Nouvelle: « Les industriels estiment que les liens entre manipulation de pesticides et cancers ne sont pas avérés ».

C’est toujours la même rengaine! Et une preuve supplémentaire de la mauvaise fois des industriels.

En effet, comment prouver avec certitude qu’un poison agricole donné est cancérigène?

La meilleure façon serait de renfermer dans une cage hermétique, sans contact extérieur, des volontaires et de les exposer pendant vingt ou trente ans à de petites doses de pesticide, pour mesurer ensuite le taux de cancer. On voit bien que c’est impossible!

La deuxième solution c’est de réaliser des études épidémiologique sen comparant des paysans malades à des personnes non malades pour voir si l’usage de pesticides peut être considéré comme un facteur déterminant. C’est ce qu’ont fait de nombreux chercheurs indépendants et le résultat est sans ambiguïté: il y a un lien évident entre l’exposition chronique aux pesticides et la prévalence des cancers. C’est d’ailleurs sur cet énorme corpus d’études épidémiologiques que se basent les tribunaux des affaires de sécurité sociale et la Mutualité sociale agricole pour accorder le statut de maladie professionnelle à des paysans atteints de cancer (voir mon film et livre).

La troisième solution ce sont des études toxicologiques réalisées sur des rats ou souris. En général, ces études sont (mal) réalisées par les fabricants de pesticides qui se gardent bien de les publier dans des revues scientifiques à comité de lecture. Et pour cause! Voyez ce qu’en dit le docteur Vincent Cogliano , chef des monographies au centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, dans l’interview qu’il m’a accordée:

http://notre-poison-quotidien.arte.tv/fr/pesticides/

Je note, cependant, que Jean-Charles Bocquet, le directeur de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), le représentant des fabricants de pesticides, a reconnu que les pesticides pouvaient provoquer des cancers chez les agriculteurs, chose qu’il a « regrettée », lors de notre face à face pour Libération:

http://www.liberation.fr/terre/06013220-pesticides-notre-poison-quotidien

Les internautes ont remarqué que Jean-Charles Bocquet trouve « regrettable » que les paysans aient des cancers à cause des pesticides et qu’il leur recommande de se « protéger » lors des épandages. C’est alors que je lui parle du rapport très inquiétant publié le 15 janvier  2010 par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) où les experts expliquaient en détail qu’ils avaient testé dix modèles de combinaison [i]. et constaté leur inefficacité : « Seuls deux modèles sur les dix testés conformément à la norme atteignent le niveau de performance annoncée, écrivaient-ils.  Pour les autres combinaisons, le passage des produits chimiques a été quasi immédiat à travers le matériau de trois d’entre elles et à travers les coutures pour deux autres, ce qui constitue des non-conformités graves. Les trois dernières sont à déclasser pour au moins une substance. »

Enfonçant le clou, ils constataient que les tests réalisés par les fabricants « sont réalisés en laboratoire dans des conditions trop éloignées des conditions réelles d’exposition. Les facteurs essentiels, tels que la durée d’exposition, la température extérieure, le type d’activité, la durée de contact n’entrent pas en considération ». Et leur conclusion était sans appel : « Un contrôle de conformité de l’ensemble des combinaisons de protection contre les produits chimiques liquides présentes sur le marché doit être réalisé et les combinaisons non conformes retirées sans délai. »

Lorsque j’ai cité ce rapport à Jean-Charles Bocquet, celui-ci s’est passablement énervé, allant jusqu’à dire que ce rapport était infondé et que l’UIPP l’avait dénoncé dans un courrier à l’AFSSET.

Curieusement, quelques jours plus tard, M. Bocquet n’avait plus rien à dire contre ce rapport, lorsque nous nous sommes retrouvés dans une émission de Radio france Internationale:

http://www.rfi.fr/emission/20110319-1-mangeons-nous-poison-notre-assiette

Tout indique que Protéines, l’agence de communication de l’UIPP, a soigneusement analysé la prestation de son client sur Libération Labo en lui recommandant d’adopter un profil (plus) bas au sujet du rapport de l’AFSSET…

http://www.proteines.fr/-Portfolio-

Dans mon livre Notre poison quotidien ( 8ème meilleure vente de France au bout de dix jours dans le classement de l’Express, et troisième meilleure vente à la FNAC), je consacre six chapitres aux pesticides , dans lesquels j’expose minutieusement les principales études conduites par des scientifiques indépendants (c’est-à-dire sans liens avec l’industrie de la chimie):

Dans un prochain commentaire , je reviendra sur la phrase que Usine Nouvelle prête à Gérard Thomas qui travaille pour Syngenta « Notre poison quotidien contient beaucoup d’éléments fallacieux. Il n’est pas honnête du point de vue de l’investigation scientifique » … Je raconterai, notamment, l’histoire scandaleuse de l’atrazine, un herbicide fabriqué par Syngenta, aujourd’hui interdit en Europe, mais qui continue d’empoisonner les campagnes américaines.

Photos :

– Projection de Notre poison quotidien au festival du FIGRA au Touquet

–  Salle Pétrarque de Montpellier avec la librairie Sauramps:

– Festival Itinérances d’Alès:

http://languedoc-roussillon.france3.fr/info/-notre-poison-quotidien–a-ales-68138232.html

Cinéma Utopia de Tournefeuille (Toulouse):

http://midi-pyrenees.france3.fr/info/marie-monique-robin-invitee-du-midi-pile-68181915.html?onglet=videos

Maison du peuple de Montauban:

– Cinéma de Romans avec la librairie des Cordeliers:

– Librairie Kléber à Strasbourg:

http://alsace.france3.fr/info/deux-rives/strasbourg–marie-monique-robin-en-visite-68029659.html


[i] Afsset, « L’Afsset recommande de renforcer l’évaluation des combinaisons de protection des travailleurs contre les produits chimiques liquides », <www.afsset.fr>, 15 janvier 2010.

Télérama: « Escadrons de la mort: l’école française »

Télérama vient de mettre en ligne l’article rédigé par Hélène Marzolf qui m’a accompagnée en Argentine en février dernier, lorsque j’ai témoigné contre les militaires de la dictature qui a fait disparaître 30 000 personnes de 1976 à 1982. Les internautes pourront y découvrir quelques extraits de mon film qui avait remporté cinq prix, dont un Laurier du Sénat (prix du meilleur documentaire politique).

http://television.telerama.fr/television/quand-la-france-exportait-sa-torture-en-argentine,67039.php

Ce documentaire qui a été diffusé sur Canal + en 2003 et sur ARTE en 2004 ressortira bientôt en DVD  lors de la diffusion de mon film « Torture made in USA » sur ARTE, le 15 juin prochain. Les lecteurs qui désirent en savoir plus sur cette page noire de l’histoire de France peuvent se procurer mon livre, qui est sorti en édition poche:

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Escadrons_de_la_mort__l_ecole_francaise-9782707153494.html

Dans la conclusion de mon livre, j’y écrivais ceci:

« J’ai été bouleversé par ce documentaire et je dois dire que j’ai honte pour la France..J’espère que nous aurons le courage de faire toute la lumière sur cette face cachée de notre histoire pour que nous ayons enfin le droit de nous revendiquer comme la patrie des droits de l’homme…C’était le 10 mars 2004 sous les lambris du palais du Luxembourg. Ancien ministre et actuel médiateur de la République, Bernard Stasi a été désigné par les organisateurs de la neuvième édition des «  Lauriers de la radio et de la télévision au Sénat » pour me remettre le prix du meilleur documentaire politique de l’année « . À dire vrai, quand un mois plus tôt, j’avais été informée du choix du jury présidé par Marcel Jullian, j’avais d’abord cru à une erreur. Un prix au Sénat pour « Escadrons de la mort : l’école française » la nouvelle paraissait incroyable ! Ma surprise est à son comble quand j’entends les mots courageux de Bernard Stasi, premier homme politique français (à ma connaissance) à assumer ainsi publiquement la « face cachée de notre histoire ».

Je mets en ligne trois articles de journaux concernant ma participation au procès de Mendoza.