Mon voyage en Argentine

  J’ai passé une semaine en Argentine du 17 au 25 juin. Ce fut un voyage très dense qui m’a permis d’honorer plusieurs invitations que je n’arrivais pas à « caser » dans mon emploi du temps, trop chargé. Je raconte ce séjour plein d’émotions en 5 actes.

ACTE 1, colloque sur la santé environnementale à Rosario

      Je suis arrivée à l’aéroport d’Ezeiza, le 17 juin à 8 heures du matin. J’ai à peine eu le temps de souffler car un chauffeur de l’Université de Rosario m’attendait pour me conduire au 3ème colloque latino-américain sur la santé environnementale. Nous avons roulé pendant quatre heures pour rejoindre la troisième ville argentine, située à quelque 300 kms de Buenos Aires, au cœur de l’empire transgénique.

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  Légende: lors du colloque sur la santé environnementale à l’Université de Rosario

L’Argentine est l’un des principaux producteurs de soja roundup ready. Avec 22 millions d’hectares, l’OGM de Monsanto recouvre actuellement plus de 60% des surfaces cultivées. Ainsi que je l’avais raconté dans « Argentine : le soja de la faim » (ARTE Reportage/2005), la « sojisation » du pays a entraîné la déforestation d’immenses étendues et la transformation de la légendaire pampa en un « désert » d’où ont été chassées vaches et cultures vivrières. Le paysage entre Buenos Aires et Rosario est à l’image de ce désastre : toutes les prairies où paissaient autrefois les vaches des « tambos » (les fermes laitières) ont été retournées pour semer du soja roundup ready. En juin, le spectacle est d’une désolation absolue : après la récolte, effectuée généralement en avril, il ne reste plus qu’une étendue sans fin de terre grise et nue, d’où émergent quelques résidus de végétaux qui seront bientôt anéantis par l’ « herbicide qui tue tout ».

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  Les épandages de roundup sont effectués souvent par avion jusqu’aux portes des maisons, écoles et aux abords des villes et villages. En 2010, s’est réuni pour la première fois le « Réseau des médecins des villes et villages arrosés » qui a défrayé la chronique. D’un coup, la presse nationale a découvert l’ampleur des dégâts sanitaires provoqués par le glyphosate (la molécule active du roundup). Depuis , la communauté scientifique et médicale argentine se mobilise pour accumuler les données aussi bien sur le terrain qu’en laboratoire. L’université de médecine de Rosario mais aussi de Córdoba, – les capitales des provinces les plus transgéniques du pays (Santa Fe et Córdoba)-, organise régulièrement des enquêtes épidémiologiques à la demande des maires des « communes arrosées ». Pendant une semaine, une centaine de chercheurs et étudiants de la faculté de médecine (mais aussi de géographie, biologie, ou psychologie) s’installent dans un village et interrogent, un à un (sur la base bien évidemment du volontariat) tous ses habitants, en réalisant aussi des prélèvements sanguins et d’urines. Toutes les enquêtes épidémiologiques réalisées à ce jour montrent que les populations qui vivent au milieu des immenses cultures de soja roundup ready présentent des taux de prévalence et d’incidence de cancers, malformations congénitales, diabète, troubles neurologiques et intestinaux graves, allergies ou stérilité de trois à dix fois supérieurs à la moyenne nationale. Un scandale sanitaire que j’ai dénoncé dans une interview au journal anglophone Buenos Aires Herald.

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Légende: avec Damián Verzeñassi,  chercheur à l’Université de médecine de Rosario, qui a coordonné plusieurs enquêtes épidémiologiques et Damián Marino, de l’Université de La Plata qui réalise une cartographie minutieuse de l’état de contamination de l’Argentine (eau, air, sols) par le glyphosate.

  Depuis 2011, l’Université de Rosario organise, tous les deux ans, un colloque sur la santé environnementale s’adressant aux professionnels de la santé publique d’Amérique Latine. En 2013, j’y avais participé en faisant une conférence par skype dans laquelle j’avais présenté mon film et livre Notre poison quotidien. Lors de la troisième édition de 2015, le thème de mon intervention fut la … croissance et le lien entre un modèle économique fondé sur la croissance exponentielle de la production et l’explosion des maladies chroniques. En substance, j’ai expliqué que le modèle transgénique était très bon pour le Produit intérieur brut – le fameux « PIB »- de l’Argentine : l’exportation du soja transgénique , pour nourrir les poules, les vaches et les cochons d’Europe ou de Chine, procure des devises au pays qui renflouent sa balance commerciale ; les nombreux malades, contaminés par le roundup, augmentent le chiffre d’affaires des médecins, hôpitaux et pharmacies du pays, car dans une économie croissanciste, l’intérêt du secteur médical et pharmaceutique ait qu’il y ait de plus en plus de malades. Si on y ajoute les procédures judiciaires de plus en plus nombreuses qui mobilisent avocats, greffiers, juges, ou l’activité commerciale que génère la nécessité d’importer les produits alimentaires que l’Argentine ne produit plus, on peut dire que dans le modèle économique dominant, le soja transgénique est du pain bénit, du moins pour une petite minorité qui en profite copieusement : les grands producteurs de soja, les actionnaires des « pools de semences », Monsanto et ses alliés, y compris politiques, les vendeurs de herbicides, engrais et autres produits chimiques, les négociants internationaux, etc. J’ai aussi expliqué que si le PIB n’était pas l’unique instrument de mesure de la « prospérité », mais qu’on y adjoignait des indicateurs de santé environnementale et sociale, le résultat serait bien évidemment tout autre et même catastrophique. À terme, l’Argentine est en train d’hypothéquer sa souveraineté alimentaire mais aussi les conditions de vie de ses enfants et petits enfants.

ACTE 2 : « Pas d’OGM dans la province de Misiones ».

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  Légende: ci-dessus, avec Carlos Rovira, président du parlement de Misiones, et ci-dessous avec Juan Carlos Agulla, le vice-président.

« Quand j’ai lu Le monde selon Monsanto, je me suis juré que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que le soja transgénique n’entre pas dans la province de Misiones, et aujourd’hui nous sommes la seule région d’Argentine où il n’y a pas d’OGM ! ». L’homme qui me reçoit , ce 18 juin 2015, s’appelle Carlos Rovira et il est le président de la chambre des députés de la province de Misiones, dans le nord-est de l’Argentine. Devant mon incrédulité, il se lève et extrait de sa bibliothèque un exemplaire de mon livre, en français ! « Vous voyez, me dit ce francophile revendiqué, qui reçut la légion d’honneur des mains de Jacques Chirac, dès que votre livre est sorti en France, je l’ai fait acheter. Je l’avais lu avant que ne sorte l’édition espagnole. Quant au film, j’ai fait comme tout le monde ici, je l’ai vu sur internet, mais depuis la députée Marta Ferreira a acheté un DVD espagnol légalement en France ! ». À ses côtés Marta opine du chef. Cette femme dynamique, éprise d’écologie, fut religieuse pendant vingt ans avant d’entrer en politique et d’épouser un Français. C’est elle qui a suggéré à « l’ingénieur Rovira », comme on l’appelle ici, de me faire venir dans la province de Misiones, pour présenter mon film et livre Las cosechas del futuro (Les moissons du futur) . « Nous sommes un îlot de biodiversité dans une mer d’OGM, m’explique le président du parlement. Nous avons 30 000 paysans qui produisent des aliments, mais il faut les soutenir pour qu’ils ne succombent pas aux sirènes du lobbying pro OGM qui est très puissant ». Impressionnant, en effet. Posadas, la capitale de Misiones, est située à la frontière du Paraguay et du Brésil qui s’étendent de l’autre côté du fleuve Paraná. Du soja transgénique à perte de vue, ainsi que je l’avais montré dans Le monde selon Monsanto.   Même paysage désolant au sud et à l’ouest de la province de Misiones où la folie transgénique a chassé les petits paysans producteurs d’aliments, tandis que les bulldozers rasaient les « bosques nativos », les forêts primitives.

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Légende: avec Marta Ferreira, députée, et le vice-président du parlement de Misiones

   Si la région de Misiones n’a pas de cultures OGM, en revanche, le roundup et glyphosate sont utilisés pour les plantations de pins et d’eucalyptus (une concession chilienne très ancienne), les cultures de tabac et de maté (voir mon interview). « Nous venons de promulguer une loi pour promouvoir l’agroécologie, m’a expliqué l’ingénieur Rovira. Notre but est d’encourager l’agriculture biologique et les circuits courts, et y compris la conversion des producteurs de tabac vers des cultures vivrières. Je voudrais proposer la création d’un ministère de l’agriculture familiale pour que la province ait le moyen de ses ambitions » (voir mon interview).

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Légende: projection des Moissons du futur à Misiones, et rencontre avec des paysannes pratiquant l’agriculture biologique lors de la projection des Moissons du futur à Overa. Dans les mains, je tiens les version espagnoles de mon livre Notre poison quotidien et Les Moissons du futur.

Après notre rencontre, Carlos Rovira a rejoint le parlement où les députés siègent chaque jeudi. J’ai été très officiellement déclarée « visiteur illustre », puis j’ai passé deux jours à donner des interviews et présenter Les moissons du futur à Posadas, et dans deux autres villes de la province.

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Légende: au parlement, avec Carlos Rovira et Marta Ferreira,  où j’ai été déclarée « visiteur illustre ».

 

ACTE 3 : Rencontre avec les habitants de las Malvinas : « Monsanto ne passera pas ! »

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   « Merci ! C’est grâce à votre film Le monde selon Monsanto que tout le quartier s’est mobilisé pour empêcher l’installation de l’usine de semences transgéniques. Et nous ne lâcherons pas ! » Ce fut, sans aucun doute, l’un des moments les plus émouvants de mon séjour argentin. La femme qui me parle, avec beaucoup d’émotion, est une mère de famille du quartier très pauvre de Las Malvinas , situé dans la banlieue de Córdoba. La rencontre a lieu dans une maison en parpaings où se sont réunis une vingtaine d’habitants du quartier, qui font partie du « comité d’occupation de l’usine de Monsanto ». « Un jour, poursuit mon interlocutrice, est arrivé un jeune avec une centaine de copies de votre film. Il les a distribuées et a organisé des projections dans chaque pâté de maisons. Moi, j’ai vu votre film trois fois, pour bien comprendre son contenu car comme toutes les femmes ici, je n’avais jamais entendu parler d’OGM, ni du roundup. A la fin, j’ai dit à mon mari : il faut qu’on rejoigne le comité d’occupation ! »Inutile de préciser que « la centaine de copies » avait été … piratée !

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La rencontre s’est poursuivie par une visite du site d’occupation, où Monsanto voulait installer la plus grande usine de semences transgéniques du monde. À la manière de Notre Dame des Landes, le site est occupé en permanence par des jeunes qui se relaient dans les cabanes construites devant l’entrée du terrain ainsi que le long du grillage qui entoure la « propriété privée ». Il y a deux ans, de violents affrontements ont éclaté entre les opposants à l’usine et les forces de l’ordre dans ce lieu emblématique, devenu l’un des symboles de la résistance à Monsanto. Ce combat a été raconté dans un joli clip réalisé par « Perro Verde », un jeune que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Córdoba.

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Actuellement, la construction de l’usine est suspendue. Saisie par le comité d’occupation, la justice a, en effet, estimé que le dossier d’impact environnemental fourni par Monsanto était très mal ficelé. La multinationale américaine est censée conduire une nouvelle étude d’impact, mais tout indique que la multinationale cherche un autre lieu pour installer son usine, ce qui ne sera pas aisé : plusieurs responsables politiques ont dors et déjà annoncé qu’ils ne voulaient pas de la « papa caliente » (la patate chaude) sur leur territoire…

 

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ACTE 4 : Conférence à l’université de Córdoba

   Après ma visite à las Malvinas, j’ai rejoint l’Université de Cordoba pour une projection de mon film Les moissons du futur qui a réuni 700 personnes.

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L’événement était organisé par la Chaire libre d’agro-écologie et de souveraineté alimentaire et la faculté de philosophie et de science humaines. Il fut boycotté par la faculté d’agronomie, en raison d’un conflit (violent) qui oppose cette dernière au reste de l’Université. En effet, l’an passé Monsanto a proposé d’arroser la faculté d’agronomie avec un gros contrat financier (j’ai oublié le montant), ce qui a provoqué l’ire de toutes les autres facultés, qui ont, à juste titre, revendiqué l’indépendance de la recherche et la non ingérence d’intérêts privés au sein de l’université. Finalement, devant l’extraordinaire résistance, le recteur de l’Université a refusé le juteux contrat, provoquant, à son tour, l’ire des agronomes qui, dans leur grande majorité, ne voyaient aucun problème à ce que leur activité soit financée par une multinationale aussi controversée que Monsanto.

P1020069Légende: Diego Tatián, le doyen de la faculté de philosophie.

    Une anecdote amusante : avant la projection de mon film, j’ai donné plusieurs interviews organisées par le service de presse de l’Université. J’ai notamment été interrogée par Sergio Carreras, responsable de la page agriculture dans le journal régional La Voz, connu pour son soutien indéfectible aux OGM. À la fin de l’interview, le journaliste me demande si la posture écologiste n’est pas « une posture quasi religieuse qui idolâtre la nature et combat la technologie ? » L’argument n’est pas nouveau et j’ai l’habitude d’y répondre , mais , cette fois, j’avais un allié de taille : le Pape François, un jésuite argentin, dont je venais de lire l’encyclique « sur la sauvegarde de la maison commune » et qui prône une « écologie intégrale » pour permettre à l’humanité de faire face aux défis menaçant sa survie. Mon interlocuteur a acquiescé sans mot dire…

Je reviendrai ultérieurement sur l’encyclique, un texte absolument fondamental que je cite désormais régulièrement dans mes conférences. Comme le 23 juin, lors de la table ronde organisée à l’Université de Córdoba où j’ai présenté mon enquête sur les alternatives au modèle économique fondé sur la croissance, dont l’agriculture industrielle est l’une des illustrations les plus dramatiques.

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Légende: table ronde à l’Université de Córdoba

ACTE 5 : Audition lors du méga-procès de la Perla

  Lors du trajet en voiture, qui m’a conduite de Las Malvinas à l’Université, j’ai reçu un appel du procureur du tribunal de Misiones où se tenait depuis … trois ans le méga-procès de La Perla, un centre de détention clandestin de la dictature (1976-1982) où ont été torturées à mort des milliers de personnes. Dans la province de Córdoba, la répression fut particulièrement féroce, sous la houlette du sanguinaire général Luciano Benjamín Menéndez, dont j’avais raconté les horreurs dans mon livre Escadrons de la mort : l’école française. C’est lui qui organisa l’accident de voiture qui causa la mort de l’évêque Enrique Angelelli, l’un des crimes pour lesquels il fut condamné à la prison à perpétuité. Lors de cet appel téléphonique, totalement imprévu, le procureur m’a demandé de venir témoigner au procès, comme je l’ai déjà fait une dizaine de fois dans différents tribunaux argentins (voir sur ce blog, rubrique « escadrons de la mort : l’école française »). J’ai d’abord refusé, car je ne me sentais pas prête, n’ayant rien préparé, mais Diego Tatián, le doyen de la faculté de philosophie, qui m’accompagnait m’a demandé … d’accepter ! C’est ainsi que j’ai été auditionnée pendant deux heures dans le tribunal de Córdoba où l’audience très nombreuse m’ a fait une ovation qui m’a provoqué un malaise dû à l’émotion et à la fatigue.

Après être sortie avec grande difficulté du tribunal, tant j’étais assaillie par les journalistes et les citoyens, j’ai donné l’interview que j’avais promise à la télé de l’Université sur Les moissons du futur dans le hall de mon hôtel !

D’un film à l’autre: nouvelles en vrac

Le problème avec les investigations au long cours c’est qu’elles ne vous lâchent pas ! Jamais !

 Escadrons de la mort : l’école française

 C’est ainsi que j’ai témoigné pour la septième fois dans un procès contre les généraux de la dictature argentine, car depuis la sortie de mon film et livre Escadrons de la mort : l’école française, en 2003 et 2004, je suis considérée comme « témoin clé » dans les multiples procédures que mon enquête a permis (en partie) de ré-ouvrir. Après m’être rendue deux fois physiquement dans les tribunaux argentins (voir les articles de Télérama), j’ai demandé à témoigner désormais par vidéo-conférence.

argentine 2Mardi 3 mars, j’ai donc rejoint l’ambassade d’Argentine à Paris pour être auditionnée pendant … cinq heures dans le grand procès qui se tient actuellement à Buenos Aires sur l’opération Condor. De nouveau j’ai expliqué le rôle de la « doctrine française », développée par les militaires français pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, dans la genèse de cette opération criminelle lancée dans les années 1970 par les dictatures du cône Sud (Chili, Argentine, Paraguay, Brésil, Uruguay, Bolivie). J’invite ceux qui ne connaissent pas cette « face cachée de la France » , pour reprendre les mots de Bernard Stasi, lorsqu’il m’a remis le prix du « meilleur documentaire politique » au sénat, à voir mon documentaire Escadrons de la mort : l’école française ou à lire mon livre éponyme.

 Les pirates du vivant

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Le 5 mars, j’animais un colloque sur la biopiraterie organisé par la Fondation France Libertés à l’Assemblée Nationale. En 2009, c’est Danièle Mitterrand qui avait présidé un premier colloque sur le même thème et au même endroit. Dans mon introduction, j’ai repris l’histoire du haricot jaune qui commençait mon film Les pirates du vivant (2005). Le Mexique est le centre d’origine du haricot : on y trouve des haricots noirs, blancs, rouges et … jaunes, une variété qui n’était pas cultivée aux Etats Unis. Dans les années 1990, un fermier américain, dénommé Larry Proctor, a acheté un sac d’haricots jaunes sur un marché de Mexico , puis les a semés dans sa ferme du Colorado. Après deux ans d’ « essais », il a déposé une demande de brevet auprès de l’office des brevets de Washington et l’a obtenu. Résultat :  les paysans mexicains ne pouvaient plus vendre leurs haricots jaunes aux Etats Unis sans payer de royalties à Proctor….Finalement, après une longue bataille judiciaire, le Mexique a obtenu l’annulation du brevet peu de temps après la diffusion de mon film. Le colloque organisé par la Fondation France Libertés intervenait quelques jour avant la présentation d’un projet de loi , concocté par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal, visant à protéger la biodiversité. C’est urgent, en effet ! D’après les scientifiques, la moitié des 1,8 million d’espèces animales et végétales identifiées pourraient disparaître avant la fin du XXIème siècle. L’hécatombe est telle qu’ils parlent de la « sixième extinction des espèces », la cinquième ayant eu lieu il y a 65 millions d’années avec la disparition des dinosaures. Le responsable ? L’homme ! Destruction d’habitats naturels, pollutions de toutes sortes, extermination physique (chasse, pêche, contrebande) et privatisation du vivant (à travers les brevets) font que nous sommes en train de « couper la branche sur laquelle nous sommes assis », comme l’a dit Hubert Reeves, le président de l’association Humanité et Biodiversité (Libération du 14 mars). En clair : nous sommes en train de créer les conditions de notre disparition, dans l’indifférence (quasi) générale…

Sacrée croissance !

Cela fait quelque temps que je n’ai pas donné de nouvelles de ma « tournée » pour Sacrée croissance ! Pour dire la vérité, il est impossible que je réponde à toutes les demandes qui continuent d’arriver au rythme de plusieurs par jour à l’adresse de m2rfilms. Il me faut donc choisir et c’est un vrai casse-tête !

La bonne nouvelle c’est que partout où je vais les salles sont pleines, preuve que le film remplit sa fonction : celle de susciter le débat, d’inspirer et de mobiliser citoyens et élus pour que soient lancées ou consolidées des initiatives de transition vers une société plus durable, décarbonée, plus juste et plus solidaire.

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A Pau, le 11 mars.

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A Die en Drôme, le 31 janvier et à Tours, le 12 février.

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A Lyon, le 20 février lors du Festival Primevère.

L’autre bonne nouvelle c’est que les monnaies locales ont le vent en poupe : Chambéry a lancé sa monnaie – l’Elef-, Strasbourg va lancer la sienne – le stück-, Angers a la « muse », Toulouse le « sol violette », le département d’Ile et Vilaine le « gallego », Montreuil la « pêche », le pays basque « l’eusko », etc.

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Actuellement une cinquantaine de monnaies locales ont été créées ou sont en cours de création en France ! Et partout où je vais on me remercie d’avoir présenté les exemples du Palmas et du Chiemgauer dans mon film, car, disent mes interlocuteurs, « cela nous a permis de comprendre l’intérêt et les vertus des monnaies locales ». C’est ainsi qu’après avoir somnolé pendant deux ans, la « muse » a subitement décollé à la suite de la projection de Sacrée croissance ! à Angers. Lorsqu’on me demande s’il y a un conseil que je peux donner pour préparer le lancement d’une monnaie locale, je réponds deux choses :

– La création d’une monnaie locale est un outil puissant pour rassembler les habitants d’un territoire autour d’un projet de transition écologique. En effet, ainsi que j’ai pu le constater, l’utilisation d’une monnaie complémentaire provoque le premier déclic indispensable à toute démarche de transition : s’interroger sur nos modes de consommation. Comme me l’a très bien expliqué l’économiste britannique Tim Jackson « la consommation est une véritable cage de fer » qui constitue le « moteur de la croissance ». Sans consommation, pas de croissance de la production et donc du PIB ! C’est tellement vrai qu’aujourd’hui la consommation représente en France près de 60% du PIB, et même 67% aux États Unis. C’est pour pousser à la consommation que les entreprises ont dépensé, en 2013, 400 milliards d’euros pour entretenir notre addiction à travers la publicité. C’est aussi pour pousser à la consommation que l’endettement des ménages a littéralement explosé (il représentait 61% du PIB en 2013 contre 38% en 2000).   C’est encore pour pousser à la consommation que le gouvernement « socialiste » de François Hollande vient d’autoriser l’ouverture des magasins douze dimanches par an. Gageons que cela ne suffira pas et que bientôt on ouvrira les magasins la nuit car la bête est insatiable ! C’est pourquoi l’adhésion à une monnaie locale permet de rompre avec cette course folle et destructrice en se posant les bonnes questions : de quoi ai-je vraiment besoin pour vivre ? Qu’est ce qui compte vraiment ?

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– Il est beaucoup plus facile de lancer une monnaie locale si on a le soutien des collectivités locales. C’est pourquoi je salue l’initiative du conseil général d’Ille et Vilaine qui a créé deux emplois pour accompagner le lancement du Gallego. Un soutien précieux qui permet de mener dans de bonnes conditions l’indispensable travail d’explication auprès des entreprises qui ne comprennent pas forcément l’intérêt d’avoir une « double comptabilité ». Ce fut le cas aussi à Toulouse où la précédente municipalité fut très active dans le lancement du Sol Violette.

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Femmes pour la planète

Le film sera rediffusé sur Ushuaïa TV demain, dimanche 15 mars, à 16 heures 5. Ne le ratez pas car c’est un bel hommage aux « lanceuses d’avenir » qui nous montrent la voie vers une société plus durable, plus juste et plus solidaire!

Pour ceux qui n’ont pas Canal Sat, il est possible de voir le film en clair à partir d’une box :

du 05 au 25 mars sur ORANGE (canal n°116)
du 10 au 20 mars sur SFR (canal 200)
du 2 au 31 mars sur FREE (canal 129)
du 3 au 31 mars sur NUMERICABLE (canal 131)

Les tueries du 7 janvier ne sont pas des « faits de guerre » mais d’atroces « faits divers »

« La peur unit mais elle peut unir d’une très mauvaise manière. Le meilleur exemple c’est l’histoire des nazis : la peur des juifs, la peur des gitans, la peur de tout. Ca peut rapprocher les gens d’une manière très laide ».

Cette phrase a été prononcée par Joe Navarro, qui a travaillé pendant vingt-cinq dans le département de la contre-intelligence au FBI américain. Après les attentats du 11 septembre, il était chargé de coordonner l’équipe du FBI dans la prison de Guantanamo. Je l’ai interviewé pour mon film Torture made in USA. Il m’avait expliqué que le FBI avait été écarté des procédures d’ « interrogatoire » des prisonniers de Guantanamo, parce que ses agents – dont lui-même- s’opposaient à l’usage de la torture. Je n’oublierai jamais ses mots que je vous invite à écouter dans la bande annonce de Torture made in USA que j’avais mise en ligne lors de la sortie du documentaire sur ARTE.

De l’effroi au malaise

Comme je l’ai écrit sur ce blog, je n’ai pas participé à la grande manifestation parisienne du 11 janvier, car j’étais en vadrouille dans les Pyrénées. À dire vrai cette impossibilité physique de me joindre à la marche pour la « République de Charlie » (selon les mots de Nicolas Demorand sur France Inter) m’a permis d’esquiver un dilemme douloureux: d’un côté, ce sentiment d’horreur et d’impuissance face à la monstruosité des crimes perpétrés contre l’équipe de Charlie et nos concitoyens du magasin casher ; de l’autre, ce malaise diffus qui n’a cessé de grandir au fur et à mesure que les politiques s’emparaient de ces drames pour revendiquer « l’union nationale » ou « l’union sacrée » au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Et dimanche, alors que le « monde défil(ait) à Paris contre la terreur », avec, en tête, l ‘odieuse brochette de « visiteurs embarrassants » (Le Monde), ce fut carrément l’écœurement : comment un gouvernement socialiste peut-il à ce point trahir et détourner l’émotion et le désir de fraternité qui étreint tout un peuple pour nous servir un discours qui est un copié-collé de celui récité par l’un des plus grands manipulateurs de ce début de siècle ? Je veux parler de Georges Bush, qui au lendemain des attentats du 11 septembre lança la « guerre contre la terreur » et déclara :« Vous êtes avec nous ou vous êtes avec les terroristes » (20 septembre 2001 devant le congrès). Cette phrase terrible paralysa la réflexion collective, lobotomisa la presse, et justifia des mesures liberticides et anti-démocratiques sans précédent aux États Unis (comme le Patriot Act).

On connaît la suite : « La marionnette de l’industrie du pétrole », – pour reprendre l’expression de Larry Wilkerson, l’ancien chef de cabinet du général Colin Powell – déclencha la guerre en Irak au nom de la « guerre contre l’islamisme radical », alors qu’il voulait mettre la main sur les puits de pétrole de Saddam Hussein. Poussé par son vice-président Dick Cheney, le lobbyiste de l’industrie pétrolière, il approuva et encouragea l’usage de la torture, toujours au nom de la « guerre contre la terreur ». Le résultat ? Des centaines de milliers de morts, et des légions de « terroristes » dans tout le Moyen-Orient, alors qu’avant l’invasion de l’Irak les combattants de Al Qaeda et de Ben Laden (qui avaient été financés par la CIA) ne représentaient que quelques poignées d’individus isolés sans aucun soutien populaire.

Il est affligeant de voir que des hommes politiques qui ne sont pas des abrutis comme la « marionnette Bush » qui avait« un petit pois à la place du cerveau » (selon les mots de plusieurs membres de son administration qui témoignent dans Torture made in USA) ne tirent jamais, vraiment jamais les leçons du passé. Je veux parler, cette fois, du président François Hollande et de son premier ministre Manuel Valls qui veulent nous embarquer dans une « guerre de civilisations » qui risque de devenir une prophétie auto-réalisatrice, en exacerbant les tensions inter-communautaires (en France et ailleurs) et finalement en encourageant le développement du mal que le remède est censé combattre.

Le terrorisme est l’expression d’une impasse politique

Sans remonter trop loin dans l’histoire, il suffit de se pencher sur la guerre d’Algérie pour comprendre que le terrorisme est l’expression d’une impasse politique et qu’on n’en vient pas à bout avec les armes, mais avec des actes politiques courageux. Les militants du Front de libération nationale (FLN) ont posé des bombes parce que la France occupait illégalement leur pays. La solution militaire prônée par le gouvernement français n’a pas résolu le problème politique, mais elle a coûté très cher en vies humaines. Malgré la torture systématique, le napalm, les disparus, le quadrillage territorial, les déplacements massifs de population, la France a dû partir, après avoir semé la terreur et la haine. « Le terrorisme ne se résout pas avec les armes » m’avait dit très clairement le général John Johns, qui avait été élève du général Paul Aussaresses dans l’école des forces spéciales de Fort Bragg. Je l’avais interviewé en 2003, pour mon film (et livre) Escadrons de la mort : l’école française. C’était quelques jours avant le déclenchement de la guerre en Irak, et il faisait partie d’un think tank opposé à l’intervention militaire qui mettait en garde contre les dérives funestes qu’entraîne immanquablement l’usage de la force pour affronter un problème politique: « Au Vietnam, m’avait-il dit, nous avons utilisé les mêmes méthodes que les Français en Algérie, et nous avons perdu la guerre … Les terroristes qui se revendiquent de l’islamisme radical se nourrissent d’un problème politique ; si nous répondons avec une solution militaire, nous perdrons la guerre et fabriquerons des armées de terroristes».

Le général John Johns et son collègue le colonel Carl Bernard, qui participait à l’interview, avaient vu juste : la « guerre contre le terrorisme » fut un fiasco ! Ce jour-là, les deux vétérans américains avaient , en revanche, longuement expliqué le « problème politique » qui constitue le terreau pour le recrutement des apprentis djihadistes : la question palestinienne, jamais résolue ; le non respect des résolutions de l’ONU pour la création d’un État palestinien ; l’ occupation de la Cisjordanie par des colonies israéliennes illégales, souvent peuplées d’extrémistes religieux juifs . Si on y ajoute le pétrole tant convoité par les va-t-en-guerre occidentaux et la misère qui frappe l’immense majorité des populations arabes, on comprend que nous ne sommes pas en face d’une « guerre de civilisations » mais bel et bien d’une « guerre de classes », comme le rapporte Hervé Kempf dans un excellent article où il cite le milliardaire Warren Buffet. Le récent rapport d’Oxfam où l’on découvre que quatre-vingt cinq personnes possèdent autant de richesses que trois milliards et demi d’humains confirme que c’est la barbarie institutionnelle inhérente au système capitaliste globalisé qui génère les deux mamelles du terrorisme : l’humiliation et la haine.

En finir avec le racisme et l’exclusion

Et bien évidemment ce constat n’épargne pas la France, avec sa « double face » , tel Janus, jamais assumée : celle des droits de l’homme et celle des guerres coloniales, de la sale guerre algérienne, de la torture érigée en « arme de guerre contre la subversion ». Il fallait entendre le général Bigeard, le héros de la « bataille d’Alger », qui décrivait avec une belle emphase le « racisme anti-bougnoules » sur lequel s’est fondé l’empire colonial pour comprendre que ce racisme-là n’est pas mort avec les accords d’Évian. Il a perduré quand les usines Renault et les barons de la sidérurgie ont fait venir par bateaux la main d’œuvre algérienne pour nourrir la croissance des Trente Glorieuses. La République entassa leurs familles dans des bidonvilles ignobles, puis dans des cités ghettos de la Seine-Saint-Denis, le département où je vis depuis plus de vingt ans. Il perdure encore, quand on sait la difficulté que connaissent les « jeunes des quartiers » – le bel euphémisme !- à trouver du travail. En 1986, alors que Le Pen était un nain, j’ai réalisé un reportage sur « les Français qui changent de nom ». Entendez : les citoyens d’origine arabe qui demandaient aux services de la République de franciser leur nom, contre une somme rondelette. Parmi ceux que j’avais filmés, il y avait un … dentiste, d’origine tunisienne, qui estimait que son patronyme arabe causait du tort à son cabinet. Et combien sont-ils , aujourd’hui, ces fils et filles « issus de l’immigration », qui , malgré toutes les embûches, ont réussi à faire des études et finalement quittent l’indigne « mère patrie » parce qu’ils savent que l’ « égalité des chances » est un leurre ? Sans parler des contrôles au faciès et des brimades quotidiennes que subissent les basanés vivant au pays des droits de l’homme…Sans oublier non plus la promesse mensongère du candidat Hollande d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections municipales. Ce renoncement a été vécu comme une trahison par tous ceux qui vivent et travaillent dans notre pays depuis des décennies en toute légalité. Comme les parents de Farid Aïd, le candidat du Front de Gauche sur la commune de Pierrefitte, où j’habite, qui sont arrivés en France dans les années 1950, ont élevé une famille de cinq enfants et n’ont toujours pas le droit de participer aux scrutins locaux !

Les amitiés troubles avec le Qatar

Et ce n’est pas tout ! Alors qu’avec la crise économique la misère et le désespoir s’étendaient dans les ghettos de la République, le gouvernement d’abord de Sarkozy, puis de Hollande a décidé de livrer la clé de nos banlieues au Qatar ! Après avoir racheté le PSG ou les magasins Printemps (dans des conditions fort avantageuses),   « le micro-Etat du golfe Persique, deuxième pays le plus riche au monde par habitant et défenseur d’un islam wahhabite sans concession, investit dans les banlieues françaises, soutient des associations de quartier, finance des mosquées, forme des imams et drague les jeunes générations grâce au miroir aux alouettes du football-spectacle », comme l’écrit Marianne. Un constat partagé par Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur tunisien qui précise : « Dans chaque euro investi en France, il y a du poison néo-wahhabite. À plus forte raison dans les banlieues, où la ferveur religieuse et le bigotisme compensent le chômage, où le repli identitaire se nourrit de l’exclusion sociale et où la foi est au-dessus de la loi. ».

Les amitiés troubles entre l’ancien locataire de l’Elysée et le richissime souverain du Qatar, qui a imposé l’enseignement de la charia au lycée (franco-qatari) Voltaire de Doha, n’ont pas été remises en cause par son successeur, loin s’en faut ! Obsédé par la croissance à tout prix, François Hollande n’est pas revenu sur le statut fiscal exceptionnel accordé en 2009 par la majorité UMP, à la demande de Nicolas Sarkozy, qui fait que toutes les plus values réalisées en France par les Qataris sont exemptées d’impôts ! Sans aucun état d’âme – l’argent de la « croissance » n’a pas d’odeur !- le gouvernement « socialiste » a même entériné le « fonds banlieue » (après quelques légères modifications) annoncé fin 2011 par l’émirat qui a finalement signé le chèque de cinquante millions d’euros qu’il avait promis… Plutôt que de déployer 12 000 soldats sur le territoire, le gouvernement devrait mettre un terme à ces amitiés nauséabondes avec un pays antidémocratique et profondément antisémite qui n’arrête pas de souffler sur les braises anti-républicaines, à grands coups de dollars en France mais aussi en Afrique. Plutôt que de militariser notre pays, il ferait mieux de revenir sur les coupes budgétaires qui anéantissent le travail de dizaines d’associations laïques et démocratiques œuvrant dans les « quartiers ».

Ne nous trompons pas d’ennemi!

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, la terrible histoire des frères Kouachi n’est pas l’expression d’une pseudo « guerre des civilisations » mais le résultat d’une politique discriminatoire et cynique qui, à bien des égards, s’apparente à l’apartheid (là-dessus je suis d’accord avec Manuel Valls). Il suffit de lire l’excellent papier de Reporterre sur l’enfance massacrée des deux tueurs pour comprendre que la boucherie de Charlie n’est pas un « fait de guerre » mais un atroce « fait divers » qui signe l’incapacité de la France à gérer son passé colonial, à stopper le racisme et la paupérisation galopante de sa population.

C’est pourquoi je dis à l’instar de Hervé Kempf : « Non, je ne suis pas en guerre ! », « non, je ne considère pas que le problème islamique est le plus important de l’époque ; non, je n’admets pas une unanimité qui couvrirait une inégalité stupéfiante ; non, je ne pense pas que nous avons besoin de plus de policiers et de prisons ».

 Comme mon confrère de Reporterre, je refuse de me laisser embarquer dans une guerre aussi opportuniste que dangereuse ! Comme lui, j’espère que les millions de Français qui ont manifesté en se revendiquant de Charlie ne l’ont pas fait pour qu’on militarise le pays – ce qui constituerait une insulte à la mémoire des victimes du journal satirique… Comme lui, je dis : Ne nous laissons pas confisquer le grand sursaut collectif qui a rassemblé des citoyens et citoyennes de tous horizons pour célébrer la vie et dénoncer la barbarie – sociale, économique , politique – qui engendre la barbarie et pousse des gamins des banlieues à devenir des monstres ! Ne nous trompons pas d’ennemi !

Avec Fabrice Nicolino, qui a repris la plume, malgré les douleurs physiques et morales (tiens bon, Fabrice, on a besoin de toi!), j’espère que le « déferlement » qui a suivi les tueries constituera «  un substrat, au sens agricole, un compost sur lequel pousseront les réponses que nous saurons formuler ensemble », car c’est «  l’heure idéale du tournant ».

Profitons de cet incroyable élan de fraternité et de solidarité pour exiger du gouvernement qu’il mène la seule guerre qui vaille : celle contre la machine capitaliste qui fabrique des pauvres à la chaîne, sème la haine et le désespoir, détruit la planète, dérègle le climat et menace l’avenir des nos enfants !

 

souvenirs de Rosario ou la force de continuer à faire des films…

Je remercie Marc Duployer, mon ami ingénieur du son qui, en plus de tenir la perche, parvient à faire des photos et de petites vidéos souvenirs de nos tournages aux quatre coins du monde. C’est ainsi qu’il a saisi quatre moments très intenses qui se sont déroulés à Rosario (Argentine) où nous avons tourné une partie de mon prochain film Sacrée croissance!

Les deux premières concernent ma visite au Musée de la mémoire qui a été inaugurée récemment en hommage aux victimes de la dictature militaire argentine. Le fondateur et directeur de ce mémorial exceptionnel, Ruben Chababo avait tenu à me recevoir (voir sur ce blog) en raison de mon film et livre Escadrons de la mort: l’école française.

Il m’a demandé de dédicacer l’exemplaire espagnol de mon livre, qui – a-t-il dit – est « très consulté » dans la bibliothèque du Mémorial. Voici la dédicace que j’ai écrite: « À mes amis argentins, la mémoire c’est la vie. J’espère que mon livre contribue à éclairer le passé et le présent, pour que ce chapitre obscur de l’histoire argentine ne se répète jamais« .

 

Puis, Ruben Chababo m’a présenté deux installations du Mémorial qui m’ont replongée dans les années noires de l’Argentine.

 

 

Le soir, j’ai participé à la première nationale des Moissons du futur devant 800 personnes. Lors de mon mot d’introduction, j’ai demandé qui avait vu mon film Le monde selon Monsanto. La réponse fut impressionnante…

 

Puis, j’ai invité l’assistance à applaudir les « paysans et maraîchers du monde« , car » Les moissons du futur est un hommage à tous ceux et celles qui produisent des aliments sains« :

 

Tard dans la soirée, alors que le débat qui suivit la projection avait duré plus de deux heures , le public restant m’a fait une standing ovation qui m’a beaucoup émue… Nous avons pris rendez-vous pour l’année prochaine lors de la première de Sacrée croissance. La ville de Rosario a , en effet, l’intention d’acheter l’exposition , qui accompagnera la sortie du film.

Mais je n’étais pas au bout de mes peines! A partir de minuit j’ai dû dédicacer quelque 150 exemplaires de Las cosechas del futuro qui venait juste de sortir en Argentine, ainsi que de Nuestro veneno de cada dia.

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Ces moments privilégiés à Rosario m’ont confirmé qu’il fallait que je continue à faire des films, pour raconter la marche du monde et donner à chacun et chacune des outils pour agir ICI ET MAINTENANT…

En guise de bonne année, je remets ici le lien vers le trailer du documentaire.

À ce jour, nous avons réuni quelque 2800 souscriptions. Il en manque toujours 1200!

 

La mort du général Aussaresses, l’ « exécutant » des basses oeuvres de la République française (1)

Le général Paul Aussaresses est mort le 2 décembre, dans sa maison alsacienne de La Vancelle. C’est là que je l’avais rencontré longuement, pour la dernière fois, en octobre 2003. J’étais venue passer deux jours chez lui et sa seconde épouse Elvier, avec une caméra et une « mission » : celle de lui faire raconter comment Maurice Audin avait disparu, après son arrestation par des paras français à son domicile algérois,  le 11 juin 1957. Père de trois enfants, Maurice Audin avait alors 25 ans, il était assistant de mathématiques à l’Université d’Alger et membre du parti communiste. Comme Henri Alleg, le directeur du quotidien Alger républicain, qui fut arrêté le 12 juin 1957 au domicile des Audin, Maurice soutenait le combat du FLN pour l’indépendance de l’Algérie. J’ai rencontré plusieurs fois Henri Alleg , auteur de La Question (mort en juillet dernier), où il racontait les sévices qu’il avait subis et révélait l’usage massif de la torture par les militaires français ( publié par les Éditions de Minuit, le livre fut interdit en 1958). À plusieurs reprises, Henri m’avait demandé de profiter de ma « relation » avec Aussaresses pour lui extirper tout ce qu’il savait sur la disparition de Maurice Audin, à laquelle le « nettoyeur » fut probablement associé. L’historien Pierre Vidal Naquet (mort en 2006), qui fut l’un des premiers intellectuels français à dénoncer l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie, m’avait fait la même demande, lorsque je lui avais rendu visite à son domicile parisien, au moment où je terminais l’écriture de mon livre Escadrons de la mort : l’école française (il avait accepté de relire les parties de mon livre concernant la guerre d’Indochine et d’Algérie).

J’ai donc passé deux journées dans la maison alsacienne du général Aussaresses, à qui j’ai proposé un « marché » : je filme son récit sur la mort de Maurice Audin, et dépose la bande dans un coffre-fort, en présence  d’un huissier, et je m’engage à ne diffuser le témoignage qu’après sa mort .

Malheureusement, le général Aussaresses a refusé, craignant sans doute qu’il y ait une fuite, qui aurait pu le conduire devant les tribunaux.  En effet, si tous les crimes perpétrés en Algérie sont couverts par l’amnistie, décrétée par le général de Gaulle en 1962, il en est un qui est imprescriptible : celui de la disparition forcée. Or, le corps de Maurice Audin n’ayant jamais été retrouvé, il fait partie des trois mille disparus, enregistrés pendant la guerre d’Algérie.

Quand mardi dernier, alors que je tournais en Angleterre pour mon prochain film Sacrée croissance !, j’ai été contactée par des journalistes qui voulaient m’interviewer sur la mort d’Aussaresses, j’ai ressenti un grand regret : celui d’avoir échoué dans ma « mission »…

Mais, je dois reconnaître que j’ai passé l’année 2003 à côtoyer des généraux tortionnaires – en France, Argentine, États Unis et Chili– et que je n’en pouvais plus de la posture que j’étais contrainte d’adopter : rester polie, souriante, faire des ronds de jambe, afin d’encourager les militaires à parler. J’ai tenu pendant un an, car j’étais convaincue que  l’histoire ne s’écrit pas uniquement avec la voix des victimes, mais aussi avec celle des bourreaux. Pour qu’on n’oublie pas, car la mémoire c’est la vie…

Je mets ici en ligne, un petit extrait de l’interview que m’avait accordée Aussaresses pour mon documentaire Escadrons de la mort : l’école française. Cet extrait ne figure pas dans le film, mais dans les bonus du DVD ainsi que  dans le livre éponyme. Comme on le constatera, j’affiche un grand détachement par rapport aux paroles du général, qui raconte, avec une froideur implacable, la première fois qu’il a torturé un homme à mort.

 

La première fois que j’ai rencontré Aussaresses c’était dans le restaurant parisien de La Coupole. J’avais dû beaucoup batailler pour obtenir cette rencontre, car, à l’époque, son avocat Gilbert Collard lui avait recommandé de ne plus parler. Un an plus tôt, le général avait  publié un livre où il reconnaissait avoir pratiqué la torture et les exécutions sommaires en Algérie. Un témoignage cru, exempt de tout remords, qui lui a valu deux procès : un pour “ complicité d’apologie de crimes de guerre ”, à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme ; et un autre, intenté par le Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples, qui l’accusait de “ crimes contre l’humanité ”.

Ayant fourbi mes armes, j’avais choisi de jouer cartes sur table, en lui disant ce qui était, au demeurant, le fond exact de ma pensée : “ Quelles que soient les raisons pour lesquelles vous avez agi ainsi, je ne pourrai jamais approuver ce que vous avez fait. C’est une question de morale. En revanche, au nom de la vérité historique, je trouve important que vous parliez. Je ne comprends pas que ceux qui n’ont cessé, avec raison d’ailleurs, de dénoncer le silence de la “Grande Muette” sur la guerre d’Algérie, vous tirent aujourd’hui dessus à boulets rouges… S’il faut vous juger, c’est pour ce que vous avez fait, pas pour ce que vous avez dit

—   Tout a été amnistié par De Gaulle au lendemain de l’indépendance algérienne, m’avait rétorqué le le général bardé de décorations.

—   Certes, lui avais-je répondu, mais ça ne vous gêne qu’on parle de vous comme d’un voyou de la pire espèce ? ”

—    Madame, avait souri Aussaresses , si je suis un voyou, alors je suis un voyou de la République… Toute ma vie, je n’ai été qu’un soldat qui a fait son travail de soldat pour la France parce que la France le lui a demandé… ”

J’ai raconté les suites de cette rencontre dans mon livre Escadrons de la mort : l’école française , dont je reproduis ici un extrait:

En tout cas, mon argument l’a convaincu. Pendant un an, je rencontrerai le général Aussaresses à plusieurs reprises : au siège d’Idéale Audience, le producteur du documentaire que je réalise pour Canal +, où je filmerai trois heures d’interview ; dans son appartement parisien, près de la Tour Montparnasse, et en Alsace, où il vit avec Elvier, sa seconde épouse[1].

À chaque rencontre, une question n’a cessé de me poursuivre : pourquoi parle-t-il ? Pourquoi a-t-il finalement accepté d’aller toujours plus loin dans le récit de sa “ carrière ” ? J’y vois trois raisons. D’abord, il est à la fin de sa vie et, à l’instar de ses collègues argentins qui me parleront également, il ressent, consciemment ou non, le besoin de soulager sa conscience, d’écrire lui-même sa part de l’Histoire, avant que d’autres s’en chargent à sa place. Ensuite, il aime parler aux femmes : avant moi, il y eut Florence Beaugé, du Monde[2]. Enfin, bien qu’il le nie farouchement, il a envie de mouiller les politiques, ceux qui l’ont “ envoyé au casse-pipe ”, pour reprendre l’une de ses expressions favorites. Ceux, en tout cas, qui ont fait du jeune provincial qui préparait Normale Sup, après avoir été premier prix de version latine au concours général, un spécialiste des “ coups tordus ” et des basses œuvres, en reconnaissant constamment ses mérites, puisqu’il a fini bardé de médailles avec le grade de général de brigade.

De fait, rien ne préparait Paul Aussaresses, né en 1918 dans le Tarn d’un père historien et directeur de journal, à devenir un spécialiste des “ coups durs et des coups tordus[3] ”. Il a vingt-deux ans quand il refuse de prêter serment au maréchal, parce qu’il “ n’apprécie pas sa politique collaborationniste ”. Quand est signé l’armistice, le 22 juin 1940, il choisit de rester sous les drapeaux et se porte volontaire pour commander une section de tirailleurs algériens au sud de Constantine. Devenu officier de carrière, il intègre l’école de Saint-Maixent qui s’était repliée avec l’école de Saint-Cyr à la caserne Miollis d’Aix-en-Provence, en zone libre. “ C’est à l’automne 1942, raconte-t-il, que je suis devenu agent secret. À vingt-quatre ans, ma famille bourgeoise de province et mon adolescence studieuse, mes convictions religieuses, les principes démocratiques auxquels j’étais attaché m’avaient préparé à devenir tout autre chose qu’une barbouze ou un tonton flingueur[4]. ”

C’est ainsi que le futur “ capitaine Soual ”, son nom de guerre, rejoint la France libre à Madrid, où il est recruté par les gaullistes pour les “ services spéciaux ”. Il est envoyé à Alger où un certain “ capitaine aviateur Delmas ” tente “ d’éprouver sa détermination ”.

L’anecdote vaut la peine d’être rapportée telle qu’Aussaresses la raconte, car elle constitue une justification a posteriori et une tentative de “ rationalisation ” de l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie : “ Je sais exactement ce que je risque, mon capitaine, dit la jeune recrue au “Bordelais” : si je suis pris, je serai fusillé, que je sois en uniforme ou pas. […] Alors Delmas éclata d’un fou rire nerveux : “Ah, mon pauvre garçon ! Quand on vous fusillera, vous serez bien content, car avant on vous aura torturé et la torture — croyez-moi —, c’est bien pire que la mort. C’est à cet instant que je compris un point essentiel : les guerres où l’un des deux camps mène une action clandestine sont d’autant plus impitoyables que la mauvaise foi y est l’arme principale. C’est cette mauvaise foi qui justifie toujours la violence et cette violence n’a jamais d’autre limite — pour paraphraser Clausewitz — que la violence mise en œuvre par l’adversaire. En l’occurrence, du moment que le principe était d’exécuter sommairement un ennemi auquel on refusait a priori toute qualité de combattant, cela supposait implicitement que l’on ait préalablement tiré de cet ennemi tous les renseignements dont il pouvait être porteur[5]. ”

Après cette explication pro domo, suit une note en bas de page encore plus tortueuse : “ C’est ce principe qui fut appliqué plus tard en Algérie. Mais la différence entre les résistants et le FLN, c’est qu’il n’était pas envisageable, dans l’esprit des résistants, de s’en prendre aux populations civiles. Pour cette raison, l’action de la Gestapo, lorsqu’elle torturait ou exécutait sommairement des résistants ou des combattants des forces spéciales — dont les objectifs étaient toujours militaires —, ne saurait être comparée à l’action menée en Algérie quelques années plus tard par l’armée française contre un FLN dont la politique était d’attaquer systématiquement des civils. De ce fait, j’ai souvent considéré que les terroristes sont les fils spirituels de la Gestapo qui s’en prenait, elle aussi, aux otages civils[6]. ”

De l’esprit des “ Jedburgh ” au “ 11e Choc ”

Le 18 novembre 1943, “ Jean Soual ” atterrit sur la “ terre promise ”, très précisément en Écosse. Après avoir subi des “ tests sévères ”, il est envoyé dans un camp d’entraînement des services spéciaux, où trois cent quarante volontaires — britanniques, américains, français, néerlandais, belges et canadiens — s’initient au parachutisme, mais aussi à toutes les techniques des barbouzes : “ J’allais ainsi accomplir, dans l’intérêt de mon pays et dans la clandestinité, des actions réprouvées par la morale ordinaire, tombant sous le coup de la loi et, de ce fait, couvertes par le secret : voler, assassiner, vandaliser, terroriser, écrit Aussaresses dans son livre. On m’a appris à crocheter les serrures, à tuer sans laisser de traces, à mentir, à être indifférent à ma souffrance et à celle des autres, à oublier et à me faire oublier. Tout cela pour la France[7]. ”

Les consignes sont simples : “ Taper très vite, sans jamais se poser de questions, pour tuer l’adversaire le plus vite possible. ” Ou encore : “ S’affranchir de tout élan moral, ne jamais chercher à être loyal, mais être simplement efficace et décidé à sauver sa vie par n’importe quel moyen. ” Et Aussaresses de commenter : “ Je suis sûr que c’est cet état d’esprit très particulier […] qui m’aida à tenir le coup lorsque, onze ans plus tard, je fus envoyé en Algérie. ”

En fait, le jeune Français est entré dans la famille des “ Jedburgh ”[8], la fine fleur des forces spéciales aériennes interalliées, où il fait la connaissance de l’avocat américain William Colby, futur patron de la CIA, au moment de la guerre du Viêt-nam, version US. La mission des “ tontons flingueurs ” est plus que risquée : s’infiltrer derrière les lignes ennemies, par équipes de trois — un Américain ou un Britannique, un officier du pays où se déroule l’opération et un opérateur radio —, pour soutenir les maquis de la Résistance, en prévision du débarquement des Alliés. C’est ainsi qu’Aussaresses est parachuté dans le maquis de l’Ariège, commandé provisoirement par un certain… Marcel Bigeard. Et puis, le 25 avril 1945 — “ Et là, disent ses anciens camarades, il fallait vraiment en avoir… ” —, il saute de nouveau, mais cette fois en uniforme allemand, entre Berlin et Magdebourg, pour prendre contact avec les prisonniers du camp 11A d’Altengrabow.

Repéré pour sa témérité à toute épreuve, il est affecté, à la fin de la guerre, à la DGER, la Direction générale des services spéciaux, bientôt rebaptisé SDECE, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage[9]. En clair : les services secrets, surnommés dans le jargon la “ Piscine ”, dont le siège est situé dans la caserne Mortier, à l’angle du boulevard Mortier et de la rue des Tourelles, dans le XXe arrondissement parisien.

À la différence de la Direction de la sécurité du territoire (DST), le SDECE n’est pas un service de police, mais un organisme militaire qui dépend directement du Premier ministre. Officiellement, sa mission est “ de rechercher hors du territoire national tous les renseignements et la documentation susceptibles d’informer le gouvernement, pour signaler aux administrations intéressées les agents des puissances étrangères qui nuiraient à la défense nationale ou à la sûreté de l’État[10] ”. Il dispose d’une structure éminemment clandestine, le “ Service Action ”, dont les agents sont habilités à mener toutes sortes d’“ opérations spéciales ” : “ L’élimination physique fait partie de la routine quotidienne des hommes du “Service Action” du SDECE, raconte Thyraud de Vosjoli, un ancien de la “Piscine” qui dirigea l’antenne du SDECE à Washington au début des années 1950. Ces hommes font leur devoir et sont fiers de leur professionnalisme, conscients de rien avoir à envier au savoir-faire de la Gestapo ou du KGB[11]. ”

C’est précisément dans le Service Action qu’est intégré le capitaine Aussaresses, en 1946. Jacques Morlane, son patron, lui demande de créer une “ unité spéciale ”, le 11e “ bataillon parachutiste de choc ”, dit “ 11e Choc ”, véritable bras armé des services secrets[12]. Nommé commandant, il est affecté à la citadelle de Mont-Louis, à 80 km à l’est de Perpignan, où il entraîne quelque 850 hommes, dont un certain Philippe Castille (qui mènera l’attentat contre le général Salan en 1957, avant de devenir le chef des plastiqueurs de l’OAS). L’insigne de ce bataillon spécial, c’est “ Bagheera ”, une tête de panthère noire choisie “ pour honorer la mémoire des membres du service Action en Extrême-Orient ”. C’est pour avoir créé le 11e Choc que Paul Aussaresses est décoré de la Légion d’honneur, à vingt-neuf ans.

“ Quelle était la mission du 11e Choc ?

— Eh bien, il devait mener ce qu’on appelait alors la “guerre psychologique”, partout où c’était nécessaire, et notamment en Indochine.

— Concrètement ?

—   Je préparais mes hommes à des opérations clandestines, aéroportées ou non, qui pouvaient être le plasticage de bâtiments, des actions de sabotage ou l’élimination d’ennemis… Un peu dans l’esprit de ce que j’avais appris en Angleterre[13]. ”

Si j’ai tenu à rappeler le parcours d’Aussaresses avant la guerre d’Algérie, c’est parce que je voulais qu’on comprenne bien une chose : l’homme n’entrait pas dans la catégorie simplificatrice – et somme toute, plus rassurante- des « grandes brutes fachos », aveuglées par leur bêtise ; il n’était pas non plus un « électron libre », torturant tout seul dans son coin.

Non ! Il était un « exécutant », pour reprendre la terrible expression de Pierre Messmer (décédé en 2007), lorsque je l’ai interviewé pour mon film. L’ancien para d’Indochine, qui fut ministre des Armées de 1960 à 1969, m’avait expliqué qu’il avait été sollicité par Robert McNamara, le secrétaire de la Défense du président Kennedy, qui voulait que la France envoient des « spécialistes » former les militaires américains aux techniques de la « guerre antisubversive ». Il avait choisi des militaires ayant une « expérience en Algérie », comme Aussaresses, qui, m’avait-il dit « n’était pas un penseur, mais un exécutant ».

Les « exécutants » obéissent aux ordres des « penseurs », en l’occurrence ici les politiques (le gouvernement et les députés) qui ont donné les pleins pouvoirs aux paras du général Massu pour mâter la rébellion indépendantiste.

Et les politiques, comme Pierre Messmer, qui n’a jamais été inquiété (ses obsèques ont été célébrées en grande pompe aux Invalides), n’ont jamais eu de compte à rendre, ni devant les tribunaux, ni devant l’histoire officielle qui continue de les encenser.

Voilà pourquoi je dis qu’il est facile de tirer à boulets rouges sur celui qui se vantait d’avoir créé et dirigé un « escadron de la mort », dont le modèle sera ensuite exporté vers l’Amérique du Nord et du Sud ; même si cela ne l’exonère en rien de sa responsabilité individuelle, n’oublions pas que Aussaresses n’était qu’une « petite main » , certes pleine de sang, dont les forfaits furent encouragés par une politique d’État, celle de la France. Or, à ce jour, les dirigeants de la France, qui furent impliqués dans la guerre sale algérienne, n’ont jamais été publiquement condamnés.

Comme l’a dit Bernard Stasi, le 10 mars 2004, au moment de me remettre le prix du Meilleur Documentaire Politique au … Sénat, « nous ne sommes pas encore au bout du chemin », si nous voulons que « notre pays mérite effectivement d’être considéré comme le pays des droits de l’Homme »...


[1]  La première femme d’Aussaresses était aussi membre des services spéciaux. Elle est décédée peu après la publication du livre de son ex-mari sur l’Algérie. Celui-ci dit qu’elle n’a pas supporté les révélations qu’il y faisait…

[2]  Florence Beaugé, “ Le secret du général Aussaresses ”, Le Monde, 20-21 mai 2001.

[3]  Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, op. cit., p. 18.

[4]  Paul Aussaresses, Pour la France. Services spéciaux 1942-1954, Le Rocher, Monaco, 2001, p. 7.

[5]  Ibid., p. 83.

[6]  Ibid., p. 84.

[7]  Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, op. cit., p. 15.

[8]  Du nom de l’abbaye écossaise en ruines.

[9]  Le SDECE deviendra l’actuelle DGSE, en 1981.

[10]  Cité par Roger Faligot et Pascal Krop, DST, police secrète, Flammarion, Paris, 1999.

[11]  Cité par Douglas Porch, Histoire des services secrets français, Albin Michel, Paris, 1995, tome 2, p. 130.

[12]  Il sera dissous en décembre 1963, sur ordre du général De Gaulle, à cause de l’attitude de ses cadres, majoritairement favorables à l’OAS.

[13]  Entretien avec l’auteur, 21 octobre 2003.

moissons de médailles en Argentine!

Je rentre du Brésil et de l’Argentine où j’étais en tournage pour mon prochain film Sacrée croissance !

À Fortaleza, j’ai rencontré l’équipe de Joaquim Melo, un ancien séminariste qui a créé une banque communautaire et une monnaie sociale dans un ancien bidonville , le Conjunto Palmas. Le Palmas est devenu un modèle dans tout le Brésil : on compte, aujourd’hui, plus de cent banques communautaires et monnaies locales dans tout le pays ! Mais je n’en dirai pas plus !

À Rosario, j’ai filmé un programme exemplaire d’agriculture urbaine, soutenu activement par la municipalité, qui a créé un département comptant vingt-cinq techniciens et ingénieurs agronomes. J’y ai notamment rencontré Monica Fein, la maire de cette ville de plus d’un million d’habitants, qui mène une politique très active pour développer l’économie sociale et solidaire.

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Mon séjour à Rosario a été très mouvementé, car il coïncidait avec la sortie en librairie de mon livre Les moissons du futur. Du coup, j’ai été poursuivie par une vingtaine de journalistes, qui connaissaient mes films et mon livre  Le monde selon Monsanto, et Argentine : le soja de la faim.

Il faut dire que Rosario est la capitale du soja transgénique, qui a envahi tous les champs de la province de Santa Fe. Du coup, j’ai été reçue par Antonio Bonfatti, le gouverneur, à qui j’ai remis un exemplaire de mon livre.  Dans l’interview filmée qu’il m’a accordée, il m’a dit que le modèle transgénique n’était pas durable et qu’il mettait en danger la santé des habitants et la souveraineté alimentaire de l’Argentine.

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J’ai senti très nettement que les lignes étaient entrain de bouger dans l’enfer du soja…

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J’ai aussi été sollicitée par Ruben Chababo, le directeur du tout nouveau Musée de la mémoire, dédié aux années noires de la dictature et qui m’a beaucoup touchée. Au printemps dernier, j’avais été citée comme témoin protégé dans un procès qui s’est déroulé à Rosario, contre le général Diaz Bessone, que j’avais réussi à faire parler dans Escadrons de la mort : l’école française, et qui est aujourd’hui en prison, en partie grâce à mon film (voir sur ce blog).

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Et puis, surprise ! J’apprends que l’Université de Rosario, la mairie et le parlement régional ont décidé, chacun de leur côté de me nommer « visiteur illustre » !

Je suis donc allée au conseil municipal recevoir ma décoration !

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Les deux autres m’ont été remises lors de la projection des Moissons du futur qui a réuni plus de huit cents personnes ! Une soirée inoubliable où on a vu un grand producteur de soja transgénique annoncer publiquement qu’il avait décidé de passer à l’agriculture biologique ! J’y reviendrai ultérieurement…

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C’est le doyen de l’Université de Rosario, le Dr.Miguel Angel Farroni, qui m’a remis la décoration, proposée par la faculté de médecine, où mon livre et film Notre poison quotidien font partie de la bibliographie obligatoire des étudiants. Le soir de la projection, plusieurs étudiants en médecine sont venus me saluer pour me remercier…

Pour finir, j’ai décidé de soutenir publiquement l’occupation du site de Las Malvinas, où Monsanto veut installer la deuxième plus grande usine de production de semences transgéniques du monde. J’y reviendrai aussi ultérieurement…

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Quatre représentants du collectif qui occupe le site étaient venus spécialement de Córdoba pour me rencontrer.

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Merci à Sergio Goya, pour les photos.