Mon voyage en Argentine

  J’ai passé une semaine en Argentine du 17 au 25 juin. Ce fut un voyage très dense qui m’a permis d’honorer plusieurs invitations que je n’arrivais pas à « caser » dans mon emploi du temps, trop chargé. Je raconte ce séjour plein d’émotions en 5 actes.

ACTE 1, colloque sur la santé environnementale à Rosario

      Je suis arrivée à l’aéroport d’Ezeiza, le 17 juin à 8 heures du matin. J’ai à peine eu le temps de souffler car un chauffeur de l’Université de Rosario m’attendait pour me conduire au 3ème colloque latino-américain sur la santé environnementale. Nous avons roulé pendant quatre heures pour rejoindre la troisième ville argentine, située à quelque 300 kms de Buenos Aires, au cœur de l’empire transgénique.

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  Légende: lors du colloque sur la santé environnementale à l’Université de Rosario

L’Argentine est l’un des principaux producteurs de soja roundup ready. Avec 22 millions d’hectares, l’OGM de Monsanto recouvre actuellement plus de 60% des surfaces cultivées. Ainsi que je l’avais raconté dans « Argentine : le soja de la faim » (ARTE Reportage/2005), la « sojisation » du pays a entraîné la déforestation d’immenses étendues et la transformation de la légendaire pampa en un « désert » d’où ont été chassées vaches et cultures vivrières. Le paysage entre Buenos Aires et Rosario est à l’image de ce désastre : toutes les prairies où paissaient autrefois les vaches des « tambos » (les fermes laitières) ont été retournées pour semer du soja roundup ready. En juin, le spectacle est d’une désolation absolue : après la récolte, effectuée généralement en avril, il ne reste plus qu’une étendue sans fin de terre grise et nue, d’où émergent quelques résidus de végétaux qui seront bientôt anéantis par l’ « herbicide qui tue tout ».

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  Les épandages de roundup sont effectués souvent par avion jusqu’aux portes des maisons, écoles et aux abords des villes et villages. En 2010, s’est réuni pour la première fois le « Réseau des médecins des villes et villages arrosés » qui a défrayé la chronique. D’un coup, la presse nationale a découvert l’ampleur des dégâts sanitaires provoqués par le glyphosate (la molécule active du roundup). Depuis , la communauté scientifique et médicale argentine se mobilise pour accumuler les données aussi bien sur le terrain qu’en laboratoire. L’université de médecine de Rosario mais aussi de Córdoba, – les capitales des provinces les plus transgéniques du pays (Santa Fe et Córdoba)-, organise régulièrement des enquêtes épidémiologiques à la demande des maires des « communes arrosées ». Pendant une semaine, une centaine de chercheurs et étudiants de la faculté de médecine (mais aussi de géographie, biologie, ou psychologie) s’installent dans un village et interrogent, un à un (sur la base bien évidemment du volontariat) tous ses habitants, en réalisant aussi des prélèvements sanguins et d’urines. Toutes les enquêtes épidémiologiques réalisées à ce jour montrent que les populations qui vivent au milieu des immenses cultures de soja roundup ready présentent des taux de prévalence et d’incidence de cancers, malformations congénitales, diabète, troubles neurologiques et intestinaux graves, allergies ou stérilité de trois à dix fois supérieurs à la moyenne nationale. Un scandale sanitaire que j’ai dénoncé dans une interview au journal anglophone Buenos Aires Herald.

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Légende: avec Damián Verzeñassi,  chercheur à l’Université de médecine de Rosario, qui a coordonné plusieurs enquêtes épidémiologiques et Damián Marino, de l’Université de La Plata qui réalise une cartographie minutieuse de l’état de contamination de l’Argentine (eau, air, sols) par le glyphosate.

  Depuis 2011, l’Université de Rosario organise, tous les deux ans, un colloque sur la santé environnementale s’adressant aux professionnels de la santé publique d’Amérique Latine. En 2013, j’y avais participé en faisant une conférence par skype dans laquelle j’avais présenté mon film et livre Notre poison quotidien. Lors de la troisième édition de 2015, le thème de mon intervention fut la … croissance et le lien entre un modèle économique fondé sur la croissance exponentielle de la production et l’explosion des maladies chroniques. En substance, j’ai expliqué que le modèle transgénique était très bon pour le Produit intérieur brut – le fameux « PIB »- de l’Argentine : l’exportation du soja transgénique , pour nourrir les poules, les vaches et les cochons d’Europe ou de Chine, procure des devises au pays qui renflouent sa balance commerciale ; les nombreux malades, contaminés par le roundup, augmentent le chiffre d’affaires des médecins, hôpitaux et pharmacies du pays, car dans une économie croissanciste, l’intérêt du secteur médical et pharmaceutique ait qu’il y ait de plus en plus de malades. Si on y ajoute les procédures judiciaires de plus en plus nombreuses qui mobilisent avocats, greffiers, juges, ou l’activité commerciale que génère la nécessité d’importer les produits alimentaires que l’Argentine ne produit plus, on peut dire que dans le modèle économique dominant, le soja transgénique est du pain bénit, du moins pour une petite minorité qui en profite copieusement : les grands producteurs de soja, les actionnaires des « pools de semences », Monsanto et ses alliés, y compris politiques, les vendeurs de herbicides, engrais et autres produits chimiques, les négociants internationaux, etc. J’ai aussi expliqué que si le PIB n’était pas l’unique instrument de mesure de la « prospérité », mais qu’on y adjoignait des indicateurs de santé environnementale et sociale, le résultat serait bien évidemment tout autre et même catastrophique. À terme, l’Argentine est en train d’hypothéquer sa souveraineté alimentaire mais aussi les conditions de vie de ses enfants et petits enfants.

ACTE 2 : « Pas d’OGM dans la province de Misiones ».

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  Légende: ci-dessus, avec Carlos Rovira, président du parlement de Misiones, et ci-dessous avec Juan Carlos Agulla, le vice-président.

« Quand j’ai lu Le monde selon Monsanto, je me suis juré que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que le soja transgénique n’entre pas dans la province de Misiones, et aujourd’hui nous sommes la seule région d’Argentine où il n’y a pas d’OGM ! ». L’homme qui me reçoit , ce 18 juin 2015, s’appelle Carlos Rovira et il est le président de la chambre des députés de la province de Misiones, dans le nord-est de l’Argentine. Devant mon incrédulité, il se lève et extrait de sa bibliothèque un exemplaire de mon livre, en français ! « Vous voyez, me dit ce francophile revendiqué, qui reçut la légion d’honneur des mains de Jacques Chirac, dès que votre livre est sorti en France, je l’ai fait acheter. Je l’avais lu avant que ne sorte l’édition espagnole. Quant au film, j’ai fait comme tout le monde ici, je l’ai vu sur internet, mais depuis la députée Marta Ferreira a acheté un DVD espagnol légalement en France ! ». À ses côtés Marta opine du chef. Cette femme dynamique, éprise d’écologie, fut religieuse pendant vingt ans avant d’entrer en politique et d’épouser un Français. C’est elle qui a suggéré à « l’ingénieur Rovira », comme on l’appelle ici, de me faire venir dans la province de Misiones, pour présenter mon film et livre Las cosechas del futuro (Les moissons du futur) . « Nous sommes un îlot de biodiversité dans une mer d’OGM, m’explique le président du parlement. Nous avons 30 000 paysans qui produisent des aliments, mais il faut les soutenir pour qu’ils ne succombent pas aux sirènes du lobbying pro OGM qui est très puissant ». Impressionnant, en effet. Posadas, la capitale de Misiones, est située à la frontière du Paraguay et du Brésil qui s’étendent de l’autre côté du fleuve Paraná. Du soja transgénique à perte de vue, ainsi que je l’avais montré dans Le monde selon Monsanto.   Même paysage désolant au sud et à l’ouest de la province de Misiones où la folie transgénique a chassé les petits paysans producteurs d’aliments, tandis que les bulldozers rasaient les « bosques nativos », les forêts primitives.

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Légende: avec Marta Ferreira, députée, et le vice-président du parlement de Misiones

   Si la région de Misiones n’a pas de cultures OGM, en revanche, le roundup et glyphosate sont utilisés pour les plantations de pins et d’eucalyptus (une concession chilienne très ancienne), les cultures de tabac et de maté (voir mon interview). « Nous venons de promulguer une loi pour promouvoir l’agroécologie, m’a expliqué l’ingénieur Rovira. Notre but est d’encourager l’agriculture biologique et les circuits courts, et y compris la conversion des producteurs de tabac vers des cultures vivrières. Je voudrais proposer la création d’un ministère de l’agriculture familiale pour que la province ait le moyen de ses ambitions » (voir mon interview).

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Légende: projection des Moissons du futur à Misiones, et rencontre avec des paysannes pratiquant l’agriculture biologique lors de la projection des Moissons du futur à Overa. Dans les mains, je tiens les version espagnoles de mon livre Notre poison quotidien et Les Moissons du futur.

Après notre rencontre, Carlos Rovira a rejoint le parlement où les députés siègent chaque jeudi. J’ai été très officiellement déclarée « visiteur illustre », puis j’ai passé deux jours à donner des interviews et présenter Les moissons du futur à Posadas, et dans deux autres villes de la province.

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Légende: au parlement, avec Carlos Rovira et Marta Ferreira,  où j’ai été déclarée « visiteur illustre ».

 

ACTE 3 : Rencontre avec les habitants de las Malvinas : « Monsanto ne passera pas ! »

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   « Merci ! C’est grâce à votre film Le monde selon Monsanto que tout le quartier s’est mobilisé pour empêcher l’installation de l’usine de semences transgéniques. Et nous ne lâcherons pas ! » Ce fut, sans aucun doute, l’un des moments les plus émouvants de mon séjour argentin. La femme qui me parle, avec beaucoup d’émotion, est une mère de famille du quartier très pauvre de Las Malvinas , situé dans la banlieue de Córdoba. La rencontre a lieu dans une maison en parpaings où se sont réunis une vingtaine d’habitants du quartier, qui font partie du « comité d’occupation de l’usine de Monsanto ». « Un jour, poursuit mon interlocutrice, est arrivé un jeune avec une centaine de copies de votre film. Il les a distribuées et a organisé des projections dans chaque pâté de maisons. Moi, j’ai vu votre film trois fois, pour bien comprendre son contenu car comme toutes les femmes ici, je n’avais jamais entendu parler d’OGM, ni du roundup. A la fin, j’ai dit à mon mari : il faut qu’on rejoigne le comité d’occupation ! »Inutile de préciser que « la centaine de copies » avait été … piratée !

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La rencontre s’est poursuivie par une visite du site d’occupation, où Monsanto voulait installer la plus grande usine de semences transgéniques du monde. À la manière de Notre Dame des Landes, le site est occupé en permanence par des jeunes qui se relaient dans les cabanes construites devant l’entrée du terrain ainsi que le long du grillage qui entoure la « propriété privée ». Il y a deux ans, de violents affrontements ont éclaté entre les opposants à l’usine et les forces de l’ordre dans ce lieu emblématique, devenu l’un des symboles de la résistance à Monsanto. Ce combat a été raconté dans un joli clip réalisé par « Perro Verde », un jeune que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Córdoba.

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Actuellement, la construction de l’usine est suspendue. Saisie par le comité d’occupation, la justice a, en effet, estimé que le dossier d’impact environnemental fourni par Monsanto était très mal ficelé. La multinationale américaine est censée conduire une nouvelle étude d’impact, mais tout indique que la multinationale cherche un autre lieu pour installer son usine, ce qui ne sera pas aisé : plusieurs responsables politiques ont dors et déjà annoncé qu’ils ne voulaient pas de la « papa caliente » (la patate chaude) sur leur territoire…

 

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ACTE 4 : Conférence à l’université de Córdoba

   Après ma visite à las Malvinas, j’ai rejoint l’Université de Cordoba pour une projection de mon film Les moissons du futur qui a réuni 700 personnes.

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L’événement était organisé par la Chaire libre d’agro-écologie et de souveraineté alimentaire et la faculté de philosophie et de science humaines. Il fut boycotté par la faculté d’agronomie, en raison d’un conflit (violent) qui oppose cette dernière au reste de l’Université. En effet, l’an passé Monsanto a proposé d’arroser la faculté d’agronomie avec un gros contrat financier (j’ai oublié le montant), ce qui a provoqué l’ire de toutes les autres facultés, qui ont, à juste titre, revendiqué l’indépendance de la recherche et la non ingérence d’intérêts privés au sein de l’université. Finalement, devant l’extraordinaire résistance, le recteur de l’Université a refusé le juteux contrat, provoquant, à son tour, l’ire des agronomes qui, dans leur grande majorité, ne voyaient aucun problème à ce que leur activité soit financée par une multinationale aussi controversée que Monsanto.

P1020069Légende: Diego Tatián, le doyen de la faculté de philosophie.

    Une anecdote amusante : avant la projection de mon film, j’ai donné plusieurs interviews organisées par le service de presse de l’Université. J’ai notamment été interrogée par Sergio Carreras, responsable de la page agriculture dans le journal régional La Voz, connu pour son soutien indéfectible aux OGM. À la fin de l’interview, le journaliste me demande si la posture écologiste n’est pas « une posture quasi religieuse qui idolâtre la nature et combat la technologie ? » L’argument n’est pas nouveau et j’ai l’habitude d’y répondre , mais , cette fois, j’avais un allié de taille : le Pape François, un jésuite argentin, dont je venais de lire l’encyclique « sur la sauvegarde de la maison commune » et qui prône une « écologie intégrale » pour permettre à l’humanité de faire face aux défis menaçant sa survie. Mon interlocuteur a acquiescé sans mot dire…

Je reviendrai ultérieurement sur l’encyclique, un texte absolument fondamental que je cite désormais régulièrement dans mes conférences. Comme le 23 juin, lors de la table ronde organisée à l’Université de Córdoba où j’ai présenté mon enquête sur les alternatives au modèle économique fondé sur la croissance, dont l’agriculture industrielle est l’une des illustrations les plus dramatiques.

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Légende: table ronde à l’Université de Córdoba

ACTE 5 : Audition lors du méga-procès de la Perla

  Lors du trajet en voiture, qui m’a conduite de Las Malvinas à l’Université, j’ai reçu un appel du procureur du tribunal de Misiones où se tenait depuis … trois ans le méga-procès de La Perla, un centre de détention clandestin de la dictature (1976-1982) où ont été torturées à mort des milliers de personnes. Dans la province de Córdoba, la répression fut particulièrement féroce, sous la houlette du sanguinaire général Luciano Benjamín Menéndez, dont j’avais raconté les horreurs dans mon livre Escadrons de la mort : l’école française. C’est lui qui organisa l’accident de voiture qui causa la mort de l’évêque Enrique Angelelli, l’un des crimes pour lesquels il fut condamné à la prison à perpétuité. Lors de cet appel téléphonique, totalement imprévu, le procureur m’a demandé de venir témoigner au procès, comme je l’ai déjà fait une dizaine de fois dans différents tribunaux argentins (voir sur ce blog, rubrique « escadrons de la mort : l’école française »). J’ai d’abord refusé, car je ne me sentais pas prête, n’ayant rien préparé, mais Diego Tatián, le doyen de la faculté de philosophie, qui m’accompagnait m’a demandé … d’accepter ! C’est ainsi que j’ai été auditionnée pendant deux heures dans le tribunal de Córdoba où l’audience très nombreuse m’ a fait une ovation qui m’a provoqué un malaise dû à l’émotion et à la fatigue.

Après être sortie avec grande difficulté du tribunal, tant j’étais assaillie par les journalistes et les citoyens, j’ai donné l’interview que j’avais promise à la télé de l’Université sur Les moissons du futur dans le hall de mon hôtel !

Diffusion de « Au Pays du bonheur national brut » le 28 juin, et rediffusion de « Les moissons du futur » le 1er juillet

Je suis heureuse de vous informer que mon reportage « Au pays du bonheur national brut » sera diffusé sur ARTE, le 28 juin à 20 heures. C’est un documentaire de 26 minutes qui raconte l’histoire de cette initiative exceptionnelle prise par le petit royaume du Bhoutan de remplacer le bon vieux Produit Intérieur Brut (PIB) par un indicateur de développement plus global,  le « Bonheur National Brut » (BNB).

J’ai eu beaucoup de chance pour ce tournage, car j’ai pu rencontrer longuement des personnalités très haut placées, comme Jigmi Thinley, l’ancien premier ministre du Bhoutan,  ou Tshering Tobgay, le premier ministre actuel, qui furent ou sont chargés de mettre en oeuvre le BNB dans le pays. Mais j’ai pu rencontrer aussi des citoyens et citoyennes très engagées dans le processus, ainsi que je l’écris dans cette courte présentation que j’ai réalisée pour présenter le film à l’international:

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Par ailleurs, ARTE rediffusera mon film Les moissons du futur« , le 1er juillet à 20 heures 50. C’est une très bonne chose, car le documentaire avait été diffusé , une première fois, le 16 octobre 2012, un soir de match de foot (!) et en face d’un documentaire racontant l’expérience menée par le professeur Gilles-Éric Séralini sur des rats nourris avec un maïs transgénique. Cette rude concurrence n’avait pas empêché le documentaire d’avoir une audience tout à fait honorable (800 000 spectateurs, dont 100 000 sur ARTE + 7).

Depuis, le film a été projeté dans quelque 300 cinémas et salles publiques, et j’ai participé personnellement à une centaine de débats (voir sur ce blog).

Vous pouvez consulter la bande annonce du film sur le site de M2RFilms.

Faites circuler ces deux informations: « Au pays du Bonheur National brut » et « Les moissons du futur » sont deux documentaires qui montrent qu’un autre monde est possible! Par les temps qui courent, comme on dit, c’est une très bonne nouvelle!

Émissions ou film à entendre ou revoir

J’ai participé aujourd’hui à l’émission d’Arthur Dreyfus « Encore heureux », diffusée en direct du salon de l’agriculture sur France Inter entre 17 et 18 heures. Étaient aussi invités Michel Griffon, le promoteur du concept d' »agriculture écologiquement intensive » et … Marc Fellous, le fondateur de l’Association française des biotechnologies végétales, sorti à la dernière minute du chapeau. J’ai présenté sur mon blog ce généticien , quand il a été condamné pour diffamation, lors d’un procès que lui avait intenté le Pr. Gilles-Eric Séralini, en publiant notamment ses liens ainsi que ceux des membres de l’AFBG avec les producteurs d’OGM:
http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2010/12/06/le-proces-seralini-fellous-et-les-conflits-dinteret-de-lafbv/

Vous pouvez réécouter l’émission à ce lien:
http://www.franceinter.fr/emission-encore-heureux-debats-didees-autour-de-lagroecologie-quest-ce-que-le-progres-en-agriculture

 Aujourd’hui aussi a été diffusée sur France Culture une émission enregistrée samedi dernier à La Sorbonne, intitulée « Pollutions et scandales alimentaires: le monde moderne nous rend-il malade? » et animée par Aurélie Luneau. Nous étions censés être quatre invités, mais au dernier moment Marion Guillou, ancienne patronne de l’INRA, qui préside aujourd’hui AGREENIUM, a annoncé qu’elle était malade et ne pourrait pas participer à la table ronde…
http://www.franceculture.fr/emission-la-marche-des-sciences-pollutions-et-scandales-alimentaires-le-monde-moderne-nous-rend-t-il

Pour ceux qui n’ont pas réussi à voir ou revoir mon film Torture made in USA rediffusé hier soirsur ARTE, vous pouvez vous rattraper sur ARTE + 7:
http://www.arte.tv/guide/fr/044029-000/torture-made-in-usa?autoplay=1

souvenirs de Rosario ou la force de continuer à faire des films…

Je remercie Marc Duployer, mon ami ingénieur du son qui, en plus de tenir la perche, parvient à faire des photos et de petites vidéos souvenirs de nos tournages aux quatre coins du monde. C’est ainsi qu’il a saisi quatre moments très intenses qui se sont déroulés à Rosario (Argentine) où nous avons tourné une partie de mon prochain film Sacrée croissance!

Les deux premières concernent ma visite au Musée de la mémoire qui a été inaugurée récemment en hommage aux victimes de la dictature militaire argentine. Le fondateur et directeur de ce mémorial exceptionnel, Ruben Chababo avait tenu à me recevoir (voir sur ce blog) en raison de mon film et livre Escadrons de la mort: l’école française.

Il m’a demandé de dédicacer l’exemplaire espagnol de mon livre, qui – a-t-il dit – est « très consulté » dans la bibliothèque du Mémorial. Voici la dédicace que j’ai écrite: « À mes amis argentins, la mémoire c’est la vie. J’espère que mon livre contribue à éclairer le passé et le présent, pour que ce chapitre obscur de l’histoire argentine ne se répète jamais« .

 

Puis, Ruben Chababo m’a présenté deux installations du Mémorial qui m’ont replongée dans les années noires de l’Argentine.

 

 

Le soir, j’ai participé à la première nationale des Moissons du futur devant 800 personnes. Lors de mon mot d’introduction, j’ai demandé qui avait vu mon film Le monde selon Monsanto. La réponse fut impressionnante…

 

Puis, j’ai invité l’assistance à applaudir les « paysans et maraîchers du monde« , car » Les moissons du futur est un hommage à tous ceux et celles qui produisent des aliments sains« :

 

Tard dans la soirée, alors que le débat qui suivit la projection avait duré plus de deux heures , le public restant m’a fait une standing ovation qui m’a beaucoup émue… Nous avons pris rendez-vous pour l’année prochaine lors de la première de Sacrée croissance. La ville de Rosario a , en effet, l’intention d’acheter l’exposition , qui accompagnera la sortie du film.

Mais je n’étais pas au bout de mes peines! A partir de minuit j’ai dû dédicacer quelque 150 exemplaires de Las cosechas del futuro qui venait juste de sortir en Argentine, ainsi que de Nuestro veneno de cada dia.

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Ces moments privilégiés à Rosario m’ont confirmé qu’il fallait que je continue à faire des films, pour raconter la marche du monde et donner à chacun et chacune des outils pour agir ICI ET MAINTENANT…

En guise de bonne année, je remets ici le lien vers le trailer du documentaire.

À ce jour, nous avons réuni quelque 2800 souscriptions. Il en manque toujours 1200!

 

moissons de médailles en Argentine!

Je rentre du Brésil et de l’Argentine où j’étais en tournage pour mon prochain film Sacrée croissance !

À Fortaleza, j’ai rencontré l’équipe de Joaquim Melo, un ancien séminariste qui a créé une banque communautaire et une monnaie sociale dans un ancien bidonville , le Conjunto Palmas. Le Palmas est devenu un modèle dans tout le Brésil : on compte, aujourd’hui, plus de cent banques communautaires et monnaies locales dans tout le pays ! Mais je n’en dirai pas plus !

À Rosario, j’ai filmé un programme exemplaire d’agriculture urbaine, soutenu activement par la municipalité, qui a créé un département comptant vingt-cinq techniciens et ingénieurs agronomes. J’y ai notamment rencontré Monica Fein, la maire de cette ville de plus d’un million d’habitants, qui mène une politique très active pour développer l’économie sociale et solidaire.

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Mon séjour à Rosario a été très mouvementé, car il coïncidait avec la sortie en librairie de mon livre Les moissons du futur. Du coup, j’ai été poursuivie par une vingtaine de journalistes, qui connaissaient mes films et mon livre  Le monde selon Monsanto, et Argentine : le soja de la faim.

Il faut dire que Rosario est la capitale du soja transgénique, qui a envahi tous les champs de la province de Santa Fe. Du coup, j’ai été reçue par Antonio Bonfatti, le gouverneur, à qui j’ai remis un exemplaire de mon livre.  Dans l’interview filmée qu’il m’a accordée, il m’a dit que le modèle transgénique n’était pas durable et qu’il mettait en danger la santé des habitants et la souveraineté alimentaire de l’Argentine.

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J’ai senti très nettement que les lignes étaient entrain de bouger dans l’enfer du soja…

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J’ai aussi été sollicitée par Ruben Chababo, le directeur du tout nouveau Musée de la mémoire, dédié aux années noires de la dictature et qui m’a beaucoup touchée. Au printemps dernier, j’avais été citée comme témoin protégé dans un procès qui s’est déroulé à Rosario, contre le général Diaz Bessone, que j’avais réussi à faire parler dans Escadrons de la mort : l’école française, et qui est aujourd’hui en prison, en partie grâce à mon film (voir sur ce blog).

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Et puis, surprise ! J’apprends que l’Université de Rosario, la mairie et le parlement régional ont décidé, chacun de leur côté de me nommer « visiteur illustre » !

Je suis donc allée au conseil municipal recevoir ma décoration !

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Les deux autres m’ont été remises lors de la projection des Moissons du futur qui a réuni plus de huit cents personnes ! Une soirée inoubliable où on a vu un grand producteur de soja transgénique annoncer publiquement qu’il avait décidé de passer à l’agriculture biologique ! J’y reviendrai ultérieurement…

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C’est le doyen de l’Université de Rosario, le Dr.Miguel Angel Farroni, qui m’a remis la décoration, proposée par la faculté de médecine, où mon livre et film Notre poison quotidien font partie de la bibliographie obligatoire des étudiants. Le soir de la projection, plusieurs étudiants en médecine sont venus me saluer pour me remercier…

Pour finir, j’ai décidé de soutenir publiquement l’occupation du site de Las Malvinas, où Monsanto veut installer la deuxième plus grande usine de production de semences transgéniques du monde. J’y reviendrai aussi ultérieurement…

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Quatre représentants du collectif qui occupe le site étaient venus spécialement de Córdoba pour me rencontrer.

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Merci à Sergio Goya, pour les photos.

Coup de gueule

Ce soir je suis en colère, et je l’assume. Comme l’a écrit le philosophe, écrivain, et poète,  George Bataille :

« Le cœur est humain dans la mesure où il se révolte ».

L’humanité va crever de l’indifférence, des discours mous-du-genou, de l’incapacité des pauvres bipèdes que nous sommes à nous lever pour arrêter la barbarie et  défendre la vie.

Ce soir je suis en colère car j’ai reçu des nouvelles terribles de Colombie. Et ces nouvelles nous concernent tous !

Je les résume en quelques mots : la Colombie a signé un « accord de libre échange » avec les États Unis qui est récemment entré en vigueur. Cet accord contient une clause qui oblige les paysans à cultiver des « semences certifiées », c’est-à-dire produites par les « sélectionneurs » comme … Monsanto ou Syngenta.

Pour remplir cette « clause », l’Institut agroalimentaire colombien a publié un texte – la résolution 970- qui menace d’amendes et de poursuites judiciaires tout paysan qui continuerait de faire ce qu’il a toujours fait : garder  une partie de sa récolte pour ensemencer ses champs.

Depuis le 19 août, des dizaines de milliers de Colombiens – paysans, étudiants, mineurs, chauffeurs routiers, médecins- se sont lancés dans les rues pour dénoncer cette violation d’un droit humain fondamental : celui de se nourrir soi-même.

De violents affrontements ont eu lieu à Bogota, où le président Santos a déclaré le couvre-feu et mobilisé 50 000 membres des forces armées et de la police militaire pour « mater les vandales » et défendre la loi d’airain imposée par Monsanto et consorts.

Je connais bien la Colombie : cet immense pays à l’extraordinaire biodiversité a la capacité de nourrir sa population,  s’il laisse ses paysans faire leur travail. Pour cela, il leur faut de la terre, et la majorité d’entre eux en est privée. Si maintenant, on les empêche de sélectionner leurs graines, c’en est fini de l’agriculture vivrière colombienne.

Comme ce fut le cas au Mexique après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (l’ALENA), le pays sera envahi par les produits agricoles bas de gamme et subventionnés des États Unis, les magasins Walmart et autres chaînes de discount qui pousseront à la rue des millions de petits paysans.

J’invite tous ceux et celles qui me lisent à regarder le reportage « Les déportés du libre échange » que j’ai consacré à l’ALENA, et qui a été diffusé sur ARTE en février 2012 . Je l’ai mis en ligne sur mon site web, et on peut aussi le trouver comme bonus sur le DVD des Moissons du futur :

http://www.mariemoniquerobin.com/deportesdulibreechangeextrait.html

Vous trouverez sur ce Blog d’autres billets concernant l’ALENA ainsi que des extraits du chapitre que je lui ai consacré dans mon livre Les moissons du futur. Ce soir, je mets en ligne un autre extrait de ce chapitre (voir ci-dessous).

Par ailleurs, je rappelle que l’Union européenne s’apprête à négocier un accord de libre échange avec les États Unis, dont j’ai aussi commenté les effets dévastateurs qui ne manqueront de s’abattre sur le vieux continent (voir aussi sur ce blog).

C’est pourquoi j’ai accepté de prêter mon image et mon nom à une affiche réalisée par le Collectif des Engraineurs qui s’est associé à la campagne qu’ATTAC et d’autres organisations ont décidé de lancer dès l’automne. Rejoignez-les !

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« Les États-Unis pratiquent le dumping »

« L’histoire de l’ALENA prouve que la mondialisation ne pourra pas nourrir le monde, c’est sûr ! » L’homme qui me reçoit, ce 25 octobre 2011, n’est pas un gauchiste altermondialiste que l’on peut suspecter de faire de l’antilibéralisme primaire. Professeur à l’Université Tufts de Boston, où il dirige le Global Development and Environment Institute, Timothy A. Wise est spécialiste du développement et du commerce international et, à ce titre, il est régulièrement consulté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En 2009, il a corédigé un rapport intitulé Le Futur de la politique commerciale nord-américaine. Les leçons de l’ALENA[i], remis au président Barack Obama – lequel, pendant sa campagne électorale, s’était engagé à réformer le traité. Puis, en 2010, en collaboration avec l’Institut Woodrow Wilson de Washington, il a publié un autre rapport au titre sans ambiguïtés : Le Dumping agricole de l’ALENA. Estimations des coûts des politiques agricoles américaines pour les producteurs mexicains[ii]. Dans ce document, considéré comme une référence, il a « examiné huit denrées agricoles – le maïs, le soja, le blé, le riz, le coton, la viande de bœuf, de porc et de poulet –, toutes largement subventionnées par le gouvernement américain, qui étaient produites en grandes quantités au Mexique avant l’ALENA et dont l’exportation des États-Unis vers le Mexique a considérablement augmenté après le traité. […] Entre 1997 et 2005, les exportations de porc ont augmenté de 707 %, celles de bœuf de 278 %, de poulet de 263 %, de maïs de 413 %, de blé de 599 %, de riz de 524 % ».

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« Pourquoi dites-vous que les États-Unis pratiquent le dumping ?

– Si l’on prend la définition retenue par l’OMC, selon laquelle le dumping consiste à exporter des produits à un prix inférieur à leur coût de production, il n’y a aucun doute que l’ALENA a encouragé le dumping, m’a fermement répondu Timothy Wise. Par exemple, de 1997 à 2005, les États-Unis ont vendu le maïs à un prix inférieur de 19 % à son coût de production. Par un mécanisme de subventions, très élevées sur la période étudiée (en moyenne 200 dollars par hectare), les États-Unis ont encouragé la surproduction pour pouvoir inonder le Mexique, ce qui a entraîné un effondrement du prix de 66 % sur le marché local. À ces subventions en monnaie sonnante et trébuchante, s’ajoute un autre type de subventions que j’appellerais “indirectes”, qui tient au fait que les grands céréaliers du Midwest ne payent pas pour la pollution, par exemple, des nappes phréatiques qu’ils occasionnent. Le coût de ces externalités négatives n’est pas inclus dans le prix du maïs exporté vers le Mexique. À l’inverse, les petits producteurs mexicains qui pratiquent l’agroécologie et entretiennent la biodiversité du maïs dans leurs champs ne sont pas récompensés pour le service qu’ils rendent à l’humanité, mais aussi, d’ailleurs, aux sélectionneurs qui causent leur mort. Il est évident que les petits paysans mexicains ne pouvaient résister à cette double concurrence déloyale.

– Quel fut le coût de ce dumping pour les paysans mexicains ?

– Avec les chercheurs de l’Institut Woodrow Wilson, nous avons estimé que le manque à gagner des paysans mexicains pour les huit denrées étudiées s’élevait à 12,8 milliards de dollars de 1997 à 2005. Le secteur le plus touché est le maïs, qui enregistre la moitié des pertes, puis celui de l’élevage, qui a perdu 1,6 milliard de dollars. En effet, le dumping a aussi fonctionné pour la viande, car aux États-Unis, le bétail est nourri avec du maïs ou du soja subventionné.

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– Pourquoi le gouvernement mexicain ne s’est-il pas élevé contre ces pratiques déloyales ?

– Bonne question !, m’a répondu le chercheur de Boston. En fait, l’ALENA prévoyait pour la “libéralisation” du marché du maïs une période de transition de quatorze ans, qui permettait au Mexique, au moins jusqu’en 2008, de fixer des taxes à l’importation qui auraient pu compenser le dumping de 19 %. Mais le gouvernement mexicain a refusé d’appliquer cette clause et a donc laissé ses petits paysans sans défense…

– Mais pourquoi ?

– Une autre bonne question !, a répliqué Timothy Wise avec un sourire navré. La seule explication, c’est que l’ALENA a été conçu pour bénéficier aux multinationales américaines, comme Cargill ou Monsanto, mais aussi mexicaines, comme Maseca ou AgroInsa. Et ça a marché, puisqu’aujourd’hui le Mexique importe 34 % du maïs qu’il consomme, ce qui crée beaucoup de business… Certes, trois tomates sur quatre consommées aux États-Unis sont désormais produites dans des serres mexicaines ultramodernes, mais en termes d’emploi, ce fut l’hémorragie : en 1994, 8,1 millions de personnes travaillaient au Mexique dans l’agriculture, elles ne sont plus aujourd’hui que 5,8 millions. Et les emplois créés dans le secteur agroexportateur censés avoir compensé en partie les faillites paysannes sont des travaux saisonniers et précaires[1].

– Quel a été l’impact de l’ALENA sur l’immigration illégale au États-Unis ?

– S’agissant d’une immigration illégale, les données sont difficiles à obtenir. Mais on estime en général que le flux de migrants mexicains a été de 500 000 à 600 000 personnes par an jusqu’en 2008, année où il s’est réduit de moitié en raison de la récession.

– Qu’est-il advenu du rapport que vous avez remis au président Obama ?

– Rien, m’a répondu Timothy Wise avec une moue embarrassée. Il y a trop d’argent en jeu… Obama est même le président qui a mené la politique la plus dure contre les sans-papiers mexicains, doublement pénalisés par l’ALENA alors qu’ils participent largement à l’économie des États-Unis[2]. »


[1] De 1994 à 2003, 500 000 emplois ont été créés dans l’industrie, les services ou le secteur agroexportateur.

[2] Les États-Unis comptaient en 2011 quelque 11 millions d’immigrés sans-papiers, dont 6 millions de Mexicains.


[i] Kevin Gallagher, Enrique Dussel Peters et Timothy A. Wise (dir.), The Future of North American Trade Policy. Lessons from NAFTA, Pardee Center Task Force Report, Boston University Frederick S. Pardee Center for the Study of the Longer-Range Future, novembre 2009.

[ii] Timothy A. Wise, Agricultural Dumping under NAFTA. Estimating the Costs of U.S. Agricultural Policies to Mexican Producers, Mexican Rural Development Research Report n° 7, Woodrow Wilson International Center for Scholars, Washington, 2010.