Rediffusion de « Torture Made in USA » sur la chaîne Public Sénat

Mon film Torture made in USA sera rediffusé (dans une version de 59′)  sur la chaîne Public Sénat  le samedi 28 février à 22h,  puis le dimanche 1er mars à 18h, le lundi 2 mars à 17h15, le samedi 7 mars à 15h15 et le dimanche 8 mars à 10h.La diffusion sera suivie d’un débat, animé par Nora Hamadi, auquel je participe avec Pierre Conesa, Maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA, ancien haut-fonctionnaire au ministère de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, Ancien ministre, président de la Fondation Res Publica et François-Bernard Huyghe, Directeur de chercheur à l’IRIS, spécialiste du terrorisme et de la cyberstratégie.

Lors de cet échange de 45 minutes (préenregistré), nous avons parlé de la lutte contre le terrorisme en tirant le bilan de la « guerre contre la terreur » menée par le président Bush.  Nous avons aussi commenté les mesures prises par le gouvernement français après les tueries du 7 janvier. J’ai déjà évoqué cette question sur ce blog. Et , comme je l’avais déjà écrit le 31 juillet 2011, dans un long article où je synthétisais mes deux enquêtes « Escadrons de la mort:l’école française » et « Torture made in USA« , je répète que  » la solution au problème du terrorisme ne peut pas être militaire, mais politique« .

L’émission sera aussi consultable sur le site internet publicsenat.fr.

 

 

 

Les tueries du 7 janvier ne sont pas des « faits de guerre » mais d’atroces « faits divers »

« La peur unit mais elle peut unir d’une très mauvaise manière. Le meilleur exemple c’est l’histoire des nazis : la peur des juifs, la peur des gitans, la peur de tout. Ca peut rapprocher les gens d’une manière très laide ».

Cette phrase a été prononcée par Joe Navarro, qui a travaillé pendant vingt-cinq dans le département de la contre-intelligence au FBI américain. Après les attentats du 11 septembre, il était chargé de coordonner l’équipe du FBI dans la prison de Guantanamo. Je l’ai interviewé pour mon film Torture made in USA. Il m’avait expliqué que le FBI avait été écarté des procédures d’ « interrogatoire » des prisonniers de Guantanamo, parce que ses agents – dont lui-même- s’opposaient à l’usage de la torture. Je n’oublierai jamais ses mots que je vous invite à écouter dans la bande annonce de Torture made in USA que j’avais mise en ligne lors de la sortie du documentaire sur ARTE.

De l’effroi au malaise

Comme je l’ai écrit sur ce blog, je n’ai pas participé à la grande manifestation parisienne du 11 janvier, car j’étais en vadrouille dans les Pyrénées. À dire vrai cette impossibilité physique de me joindre à la marche pour la « République de Charlie » (selon les mots de Nicolas Demorand sur France Inter) m’a permis d’esquiver un dilemme douloureux: d’un côté, ce sentiment d’horreur et d’impuissance face à la monstruosité des crimes perpétrés contre l’équipe de Charlie et nos concitoyens du magasin casher ; de l’autre, ce malaise diffus qui n’a cessé de grandir au fur et à mesure que les politiques s’emparaient de ces drames pour revendiquer « l’union nationale » ou « l’union sacrée » au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Et dimanche, alors que le « monde défil(ait) à Paris contre la terreur », avec, en tête, l ‘odieuse brochette de « visiteurs embarrassants » (Le Monde), ce fut carrément l’écœurement : comment un gouvernement socialiste peut-il à ce point trahir et détourner l’émotion et le désir de fraternité qui étreint tout un peuple pour nous servir un discours qui est un copié-collé de celui récité par l’un des plus grands manipulateurs de ce début de siècle ? Je veux parler de Georges Bush, qui au lendemain des attentats du 11 septembre lança la « guerre contre la terreur » et déclara :« Vous êtes avec nous ou vous êtes avec les terroristes » (20 septembre 2001 devant le congrès). Cette phrase terrible paralysa la réflexion collective, lobotomisa la presse, et justifia des mesures liberticides et anti-démocratiques sans précédent aux États Unis (comme le Patriot Act).

On connaît la suite : « La marionnette de l’industrie du pétrole », – pour reprendre l’expression de Larry Wilkerson, l’ancien chef de cabinet du général Colin Powell – déclencha la guerre en Irak au nom de la « guerre contre l’islamisme radical », alors qu’il voulait mettre la main sur les puits de pétrole de Saddam Hussein. Poussé par son vice-président Dick Cheney, le lobbyiste de l’industrie pétrolière, il approuva et encouragea l’usage de la torture, toujours au nom de la « guerre contre la terreur ». Le résultat ? Des centaines de milliers de morts, et des légions de « terroristes » dans tout le Moyen-Orient, alors qu’avant l’invasion de l’Irak les combattants de Al Qaeda et de Ben Laden (qui avaient été financés par la CIA) ne représentaient que quelques poignées d’individus isolés sans aucun soutien populaire.

Il est affligeant de voir que des hommes politiques qui ne sont pas des abrutis comme la « marionnette Bush » qui avait« un petit pois à la place du cerveau » (selon les mots de plusieurs membres de son administration qui témoignent dans Torture made in USA) ne tirent jamais, vraiment jamais les leçons du passé. Je veux parler, cette fois, du président François Hollande et de son premier ministre Manuel Valls qui veulent nous embarquer dans une « guerre de civilisations » qui risque de devenir une prophétie auto-réalisatrice, en exacerbant les tensions inter-communautaires (en France et ailleurs) et finalement en encourageant le développement du mal que le remède est censé combattre.

Le terrorisme est l’expression d’une impasse politique

Sans remonter trop loin dans l’histoire, il suffit de se pencher sur la guerre d’Algérie pour comprendre que le terrorisme est l’expression d’une impasse politique et qu’on n’en vient pas à bout avec les armes, mais avec des actes politiques courageux. Les militants du Front de libération nationale (FLN) ont posé des bombes parce que la France occupait illégalement leur pays. La solution militaire prônée par le gouvernement français n’a pas résolu le problème politique, mais elle a coûté très cher en vies humaines. Malgré la torture systématique, le napalm, les disparus, le quadrillage territorial, les déplacements massifs de population, la France a dû partir, après avoir semé la terreur et la haine. « Le terrorisme ne se résout pas avec les armes » m’avait dit très clairement le général John Johns, qui avait été élève du général Paul Aussaresses dans l’école des forces spéciales de Fort Bragg. Je l’avais interviewé en 2003, pour mon film (et livre) Escadrons de la mort : l’école française. C’était quelques jours avant le déclenchement de la guerre en Irak, et il faisait partie d’un think tank opposé à l’intervention militaire qui mettait en garde contre les dérives funestes qu’entraîne immanquablement l’usage de la force pour affronter un problème politique: « Au Vietnam, m’avait-il dit, nous avons utilisé les mêmes méthodes que les Français en Algérie, et nous avons perdu la guerre … Les terroristes qui se revendiquent de l’islamisme radical se nourrissent d’un problème politique ; si nous répondons avec une solution militaire, nous perdrons la guerre et fabriquerons des armées de terroristes».

Le général John Johns et son collègue le colonel Carl Bernard, qui participait à l’interview, avaient vu juste : la « guerre contre le terrorisme » fut un fiasco ! Ce jour-là, les deux vétérans américains avaient , en revanche, longuement expliqué le « problème politique » qui constitue le terreau pour le recrutement des apprentis djihadistes : la question palestinienne, jamais résolue ; le non respect des résolutions de l’ONU pour la création d’un État palestinien ; l’ occupation de la Cisjordanie par des colonies israéliennes illégales, souvent peuplées d’extrémistes religieux juifs . Si on y ajoute le pétrole tant convoité par les va-t-en-guerre occidentaux et la misère qui frappe l’immense majorité des populations arabes, on comprend que nous ne sommes pas en face d’une « guerre de civilisations » mais bel et bien d’une « guerre de classes », comme le rapporte Hervé Kempf dans un excellent article où il cite le milliardaire Warren Buffet. Le récent rapport d’Oxfam où l’on découvre que quatre-vingt cinq personnes possèdent autant de richesses que trois milliards et demi d’humains confirme que c’est la barbarie institutionnelle inhérente au système capitaliste globalisé qui génère les deux mamelles du terrorisme : l’humiliation et la haine.

En finir avec le racisme et l’exclusion

Et bien évidemment ce constat n’épargne pas la France, avec sa « double face » , tel Janus, jamais assumée : celle des droits de l’homme et celle des guerres coloniales, de la sale guerre algérienne, de la torture érigée en « arme de guerre contre la subversion ». Il fallait entendre le général Bigeard, le héros de la « bataille d’Alger », qui décrivait avec une belle emphase le « racisme anti-bougnoules » sur lequel s’est fondé l’empire colonial pour comprendre que ce racisme-là n’est pas mort avec les accords d’Évian. Il a perduré quand les usines Renault et les barons de la sidérurgie ont fait venir par bateaux la main d’œuvre algérienne pour nourrir la croissance des Trente Glorieuses. La République entassa leurs familles dans des bidonvilles ignobles, puis dans des cités ghettos de la Seine-Saint-Denis, le département où je vis depuis plus de vingt ans. Il perdure encore, quand on sait la difficulté que connaissent les « jeunes des quartiers » – le bel euphémisme !- à trouver du travail. En 1986, alors que Le Pen était un nain, j’ai réalisé un reportage sur « les Français qui changent de nom ». Entendez : les citoyens d’origine arabe qui demandaient aux services de la République de franciser leur nom, contre une somme rondelette. Parmi ceux que j’avais filmés, il y avait un … dentiste, d’origine tunisienne, qui estimait que son patronyme arabe causait du tort à son cabinet. Et combien sont-ils , aujourd’hui, ces fils et filles « issus de l’immigration », qui , malgré toutes les embûches, ont réussi à faire des études et finalement quittent l’indigne « mère patrie » parce qu’ils savent que l’ « égalité des chances » est un leurre ? Sans parler des contrôles au faciès et des brimades quotidiennes que subissent les basanés vivant au pays des droits de l’homme…Sans oublier non plus la promesse mensongère du candidat Hollande d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections municipales. Ce renoncement a été vécu comme une trahison par tous ceux qui vivent et travaillent dans notre pays depuis des décennies en toute légalité. Comme les parents de Farid Aïd, le candidat du Front de Gauche sur la commune de Pierrefitte, où j’habite, qui sont arrivés en France dans les années 1950, ont élevé une famille de cinq enfants et n’ont toujours pas le droit de participer aux scrutins locaux !

Les amitiés troubles avec le Qatar

Et ce n’est pas tout ! Alors qu’avec la crise économique la misère et le désespoir s’étendaient dans les ghettos de la République, le gouvernement d’abord de Sarkozy, puis de Hollande a décidé de livrer la clé de nos banlieues au Qatar ! Après avoir racheté le PSG ou les magasins Printemps (dans des conditions fort avantageuses),   « le micro-Etat du golfe Persique, deuxième pays le plus riche au monde par habitant et défenseur d’un islam wahhabite sans concession, investit dans les banlieues françaises, soutient des associations de quartier, finance des mosquées, forme des imams et drague les jeunes générations grâce au miroir aux alouettes du football-spectacle », comme l’écrit Marianne. Un constat partagé par Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur tunisien qui précise : « Dans chaque euro investi en France, il y a du poison néo-wahhabite. À plus forte raison dans les banlieues, où la ferveur religieuse et le bigotisme compensent le chômage, où le repli identitaire se nourrit de l’exclusion sociale et où la foi est au-dessus de la loi. ».

Les amitiés troubles entre l’ancien locataire de l’Elysée et le richissime souverain du Qatar, qui a imposé l’enseignement de la charia au lycée (franco-qatari) Voltaire de Doha, n’ont pas été remises en cause par son successeur, loin s’en faut ! Obsédé par la croissance à tout prix, François Hollande n’est pas revenu sur le statut fiscal exceptionnel accordé en 2009 par la majorité UMP, à la demande de Nicolas Sarkozy, qui fait que toutes les plus values réalisées en France par les Qataris sont exemptées d’impôts ! Sans aucun état d’âme – l’argent de la « croissance » n’a pas d’odeur !- le gouvernement « socialiste » a même entériné le « fonds banlieue » (après quelques légères modifications) annoncé fin 2011 par l’émirat qui a finalement signé le chèque de cinquante millions d’euros qu’il avait promis… Plutôt que de déployer 12 000 soldats sur le territoire, le gouvernement devrait mettre un terme à ces amitiés nauséabondes avec un pays antidémocratique et profondément antisémite qui n’arrête pas de souffler sur les braises anti-républicaines, à grands coups de dollars en France mais aussi en Afrique. Plutôt que de militariser notre pays, il ferait mieux de revenir sur les coupes budgétaires qui anéantissent le travail de dizaines d’associations laïques et démocratiques œuvrant dans les « quartiers ».

Ne nous trompons pas d’ennemi!

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, la terrible histoire des frères Kouachi n’est pas l’expression d’une pseudo « guerre des civilisations » mais le résultat d’une politique discriminatoire et cynique qui, à bien des égards, s’apparente à l’apartheid (là-dessus je suis d’accord avec Manuel Valls). Il suffit de lire l’excellent papier de Reporterre sur l’enfance massacrée des deux tueurs pour comprendre que la boucherie de Charlie n’est pas un « fait de guerre » mais un atroce « fait divers » qui signe l’incapacité de la France à gérer son passé colonial, à stopper le racisme et la paupérisation galopante de sa population.

C’est pourquoi je dis à l’instar de Hervé Kempf : « Non, je ne suis pas en guerre ! », « non, je ne considère pas que le problème islamique est le plus important de l’époque ; non, je n’admets pas une unanimité qui couvrirait une inégalité stupéfiante ; non, je ne pense pas que nous avons besoin de plus de policiers et de prisons ».

 Comme mon confrère de Reporterre, je refuse de me laisser embarquer dans une guerre aussi opportuniste que dangereuse ! Comme lui, j’espère que les millions de Français qui ont manifesté en se revendiquant de Charlie ne l’ont pas fait pour qu’on militarise le pays – ce qui constituerait une insulte à la mémoire des victimes du journal satirique… Comme lui, je dis : Ne nous laissons pas confisquer le grand sursaut collectif qui a rassemblé des citoyens et citoyennes de tous horizons pour célébrer la vie et dénoncer la barbarie – sociale, économique , politique – qui engendre la barbarie et pousse des gamins des banlieues à devenir des monstres ! Ne nous trompons pas d’ennemi !

Avec Fabrice Nicolino, qui a repris la plume, malgré les douleurs physiques et morales (tiens bon, Fabrice, on a besoin de toi!), j’espère que le « déferlement » qui a suivi les tueries constituera «  un substrat, au sens agricole, un compost sur lequel pousseront les réponses que nous saurons formuler ensemble », car c’est «  l’heure idéale du tournant ».

Profitons de cet incroyable élan de fraternité et de solidarité pour exiger du gouvernement qu’il mène la seule guerre qui vaille : celle contre la machine capitaliste qui fabrique des pauvres à la chaîne, sème la haine et le désespoir, détruit la planète, dérègle le climat et menace l’avenir des nos enfants !

 

Émissions ou film à entendre ou revoir

J’ai participé aujourd’hui à l’émission d’Arthur Dreyfus « Encore heureux », diffusée en direct du salon de l’agriculture sur France Inter entre 17 et 18 heures. Étaient aussi invités Michel Griffon, le promoteur du concept d' »agriculture écologiquement intensive » et … Marc Fellous, le fondateur de l’Association française des biotechnologies végétales, sorti à la dernière minute du chapeau. J’ai présenté sur mon blog ce généticien , quand il a été condamné pour diffamation, lors d’un procès que lui avait intenté le Pr. Gilles-Eric Séralini, en publiant notamment ses liens ainsi que ceux des membres de l’AFBG avec les producteurs d’OGM:
http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2010/12/06/le-proces-seralini-fellous-et-les-conflits-dinteret-de-lafbv/

Vous pouvez réécouter l’émission à ce lien:
http://www.franceinter.fr/emission-encore-heureux-debats-didees-autour-de-lagroecologie-quest-ce-que-le-progres-en-agriculture

 Aujourd’hui aussi a été diffusée sur France Culture une émission enregistrée samedi dernier à La Sorbonne, intitulée « Pollutions et scandales alimentaires: le monde moderne nous rend-il malade? » et animée par Aurélie Luneau. Nous étions censés être quatre invités, mais au dernier moment Marion Guillou, ancienne patronne de l’INRA, qui préside aujourd’hui AGREENIUM, a annoncé qu’elle était malade et ne pourrait pas participer à la table ronde…
http://www.franceculture.fr/emission-la-marche-des-sciences-pollutions-et-scandales-alimentaires-le-monde-moderne-nous-rend-t-il

Pour ceux qui n’ont pas réussi à voir ou revoir mon film Torture made in USA rediffusé hier soirsur ARTE, vous pouvez vous rattraper sur ARTE + 7:
http://www.arte.tv/guide/fr/044029-000/torture-made-in-usa?autoplay=1

Torture made in USA rediffusé sur ARTE

Je vous informe que mon film Torture made in USA sera rediffusé sur ARTE, le mardi 25 février à 00 :47.

Une heure certes très tardive, mais tous ceux et celles qui n’ont pas encore vu ce documentaire, auquel je tiens beaucoup, pourront ainsi se rattraper !

En attendant, les internautes peuvent lire la présentation que j’avais rédigée sur mon blog, au moment de sa première diffusion, le 21 juin 2011, le jour de … la fête de la musique !

Par ailleurs, comme je l’ai écrit sur ce Blog, j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Matthieu Ricard, qui cite abondamment mon livre Le monde selon Monsanto dans son dernier ouvrage Plaidoyer pour l’altruisme. Lors de la présentation de son ouvrage sur France Info, il m’avait demandé d’intervenir dans l’émission. Vous pouvez écouter cet échange à ce lien.

Enfin, je vous informe que mon livre Notre poison quotidien sortira bientôt aux Etats Unis, publié par The New Press. Vous pouvez lire la présentation mise en ligne par mon éditeur américain/

De même, le livre sort actuellement en Chine. Je viens de recevoir un exemplaire !

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Devinette!

Le 30 juin 2011, je participais à l’émission Rendez-vous de France Culture , animée par Laurent Goumarre, à l’occasion de la sortie en DVD de mon film « Torture made in USA » (ARTE Editions):

http://www.arte.tv/fr/3900098.html

Ceux qui n’ont pas pu entendre cette émission peuvent la réécouter à cette adresse :

http://www.franceculture.fr/emission-le-rendez-vous-emission-du-jeudi-30-juin-avec-marie-monique-robin-richard-malka-et-la-sessi

Pour l’introduction, Thomas Beau avait réalisé un montage son à partir d’extraits  de cinq documentaires que j’ai réalisés au cours des vingt dernières années. Le montage et le choix des films m’ont beaucoup émue, car ils retraçaient avec une étonnante limpidité le lien intime qui relie chacune de mes enquêtes. Et puis, derrière chaque parole montée, il y a des rencontres, des heures et des heures de travail préliminaire, les difficultés du tournage, l’immersion têtue dans des problématiques complexes, bref, des moments de vie professionnelle intense, qui constituent d’énormes défis, des risques, mais aussi la satisfaction jamais démentie d’apporter une petite pierre à la compréhension du monde dans lequel nous vivons pour que chacun puisse agir en citoyen conscient et informé.

Vous pouvez écouter le teasing réalisé par Thomas Beau à cette adresse:

http://soundcloud.com/robinmm/le-rendez-vous-teaser-mm-robin

Quels sont les cinq films sélectionnés par Thomas Beau ?

Le premier qui trouvera la bonne réponse gagnera le DVD de mon prochain film « Comment on nourrit les gens ? » qui sortira sur ARTE en octobre 2012 !

Vous pouvez trouver plus d’informations sur ce film (et livre) sur le site de M2RFilms :

http://www.m2rfilms.com/

« Escadrons de la mort: l’école française » et « Torture made in USA »: ou comment fabriquer des terroristes

Au moment où on s’apprête à célébrer , avec moult documentaires, interviews, et dossiers spéciaux, le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, je voudrais anticiper en proposant une réflexion sur la « lutte contre le terrorisme » à partir des deux enquêtes que j’ai réalisées pour ARTE « Escadrons de la mort : l’école française » et « Torture made in USA » qui viennent de sortir en DVD.

Après la diffusion récente de “Torture made in USA”, j’ai reçu de nombreux courriels et lettres me demandant si j’établissais un lien entre l’expérience menée par les Français en Algérie et celle de l’administration de Georges Bush dans sa “guerre contre la terreur”.

Je publie ici un texte, sous forme d’une interview fictive, que j’ai réalisée en rassemblant différents entretiens que j’avais accordés à Claude Katz et Gilles Manceron de la Ligue des Droits de l’homme pour la revue Hommes et Libertés, lors de la sortie de “Escadrons de la mort: l’école française”, mais aussi à Benoît Bossard pour le magazine Rouge, auxquels j’ai ajouté des informations provenant de mon livre éponyme et de mes notes de travail préparatoires pour les deux documentaires.

Chapô

Journaliste, documentariste et écrivain, Marie-Monique Robin est l’auteure de Escadrons de la mort : l’école française, un documentaire diffusé sur Canal + en septembre 2003, puis sur ARTE en 2004, ainsi que du livre éponyme, paru aux Éditions La Découverte [1].  Elle y retrace comment, dans les années 1950  à partir de son expérience dans les guerres d’Indochine puis d’Algérie, l’armée française a élaboré la théorie de la “guerre antisubversive”, où la torture constitue l’arme principale, et comment  le gouvernement  a exporté cette « doctrine française » vers l’Amérique du Nord et du Sud. Elle a  aussi réalisé Torture made in USA, un documentaire diffusé en juin 2011 sur ARTE[2].

Plusieurs fois primées, ces deux enquêtes au long cours montrent comment au nom de la lutte contre le terrorisme, deux grandes démocraties du monde – la France, puis les États Unis – ont violé les lois internationales prohibant l’usage de la torture et contribué à sa banalisation, alors que les responsables de ces politiques criminelles n’ont jamais été poursuivis.

Marie-Monique Robin révèle la filiation entre la politique de « lutte contre le terrorisme » développé par le président Bush après les attentats du 11 septembre, et celle conduite par les militaires et le gouvernement français pendant la guerre d’Algérie.

Des guerres d’Indochine et d’Algérie aux dictatures d’Amérique latine

Question: Comment s’est élaborée cette théorie française de « la guerre antisubversive » ?

Marie-Monique Robin : Tout a commencé  en Indochine. La théorie de la « guerre antisubversive »  est née au sein d’une génération d’officiers qui, après avoir connu l’humiliation de la défaite française de 1940, puis la Résistance durant laquelle ils avaient été confrontés aux méthodes de la Gestapo, ont rejoint le Corps expéditionnaire envoyé en Indochine.  Nous sommes en 1948, le général de Gaulle est aux  affaires et le pouvoir politique  est sourd aux revendications d’émancipation des colonies, pourtant conformes à la Charte de l’Atlantique qui proclame le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et plutôt que de négocier l’indépendance des trois pays qui forment alors l’Indochine – le Vietnam, le Laos et le Cambodge – le gouvernement français choisit l’option militaire, pour maintenir dans son giron l’un des fleurons de l’empire colonial.   A peine arrivés, les militaires sont complètement désemparés par le type de guerre que mène le Viet-Minh du chef indépendantiste communiste Hô Chi Minh. Malgré des effectifs et des moyens  militaires nettement supérieurs, ils n’arrivent pas à venir à bout de ses combattants qui mènent une guerre de guérilla.  Disséminés dans la population, et ne portant pas d’uniforme, ceux-ci ne conduisent pas une guerre classique , avec un front qu’on essaie de repousser, au moyen de chars et d’avions, mais une guerre de surface, en s’appuyant sur un puissant appareil idéologique et des relais dans toute la population. C’est ainsi que le   colonel Charles Lacheroy, que j’ai pu interviewer epu avant sa mort,  invente la théorie de la “guerre révolutionnaire”, dont il prétendra concevoir l’antidote, baptisé  “guerre contre-révolutionnaire” ,  puis « guerre antisubversive » pendant la guerre d’Algérie.   Celle-ci consiste, d’abord, à  retourner contre leurs auteurs certaines méthodes de la guerre révolutionnaire comme la propagande auprès de la population : c’est ce que Lacheroy appelle l’ “ action psychologique ”, dont l’objectif est de « conquérir les âmes » pour couper « l’ arrière-garde » du Viet-Minh, car, dit-il, « quand on gagne l’arrière-garde, on gagne la guerre ».  Cela entraînera la création du 5ème Bureau au sein de l’armée française. Ensuite, la « guerre contre-révolutionnaire » se caractérise par l’obsession du renseignement qui, par ailleurs, change de nature : dans la guerre classique, le renseignement visait à obtenir des informations sur la position de l’ennemi ; dans la « guerre contre-révolutionnaire », il cherche à infiltrer les populations qui sont suspectées de collaborer avec les hommes du Viet Minh, soit en les hébergeant, en leur prêtant assistance ou en servant de messagers.  Charles Lacheroy m’a raconté qu’il avait lu les textes de Mao Tsé Toung et connaissait sa théorie du « poisson dans l’eau ». Le « poisson » c’était le guérillero et l’ « eau » la population. Il en conclut que pour se débarrasser du « poisson », il faut donc vider l’eau, d’où la prééminence du renseignement, et donc de la torture, érigée en arme absolue de la guerre contre-révolutionnaire.

Question: Était-ce vraiment nouveau ?  La torture était présente en Indochine, par exemple, dès les débuts de la colonisation ?

Marie-Monique Robin : Il est vrai que les conquêtes coloniales ont été marquées par des violences à l’égard des populations et que la torture a toujours fait partie de l’arsenal des pratiques policières dans les colonies, mais elle devient désormais le pivot de la nouvelle doctrine militaire.  En effet, dans « la guerre moderne », – d’après le titre d’un livre du colonel Roger Trinquier qui deviendra la bible des académies militaires nord et sud-américaines – , l’ennemi prend la forme d’une organisation politique invisible mêlée à la population civile , dont on ne peut connaître les cadres que par une guerre de renseignement reposant sur des arrestations massives de “ suspects ” civils et leur interrogatoire, au besoin sous la torture. À la conception classique de l’ennemi qui désigne un soldat en uniforme de l’autre côté de la frontière se substitue celle d’un “ ennemi intérieur ” similaire au  concept de la “ cinquième colonne ” utilisé par les franquistes dans la guerre d’Espagne, où n’importe qui peut être suspect.  Une fois que les chefs de l’organisation ennemie sont identifiés, on ne peut s’en débarrasser qu’en les assassinant, d’où le recours à des “ escadrons de la mort ” — le général Paul Aussaresses m’a confirmé qu’on appelait son équipe pendant la bataille d’Alger “ l’escadron de la mort ” ; le terme sera repris plus tard en Amérique latine. La recherche du renseignement implique aussi la technique du “ quadrillage ” des zones dont on veut contrôler la population et éliminer l’ennemi.

Question: Comment la théorie de la « guerre contre-révolutionnaire » ou de la « guerre antisubverisve » s’est elle propagée dans l’armée ?

Marie-Monique Robin Elle a été enseignée très officiellement dans des établissements prestigieux comme l’École militaire,  l’École de Saint-Cyr ou à l’Institut des hautes études de la Défense nationale, à l’instigation du colonel Lacheroy, qui remporta l’adhésion de l’État major et connut une apogée fulgurante. Elle obtint le soutien d’hommes politiques comme Max Lejeune, Robert Lacoste ou Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Guerre dans le gouvernement Guy Mollet en février 1956, qui confia à Lacheroy les rênes d’un nouveau Service d’information et d’action psychologique. Toute une génération d’officiers français a adopté cette doctrine et l’a mise en pratique dès le début de la guerre Algérie. La plupart des adeptes de la « guerre anti-subversive » sont arrivés directement d’Indochine, où ils ont connu l’humiliation de la défaite de Dien Bien Phu, et pour certains l’horreur des camps de prisonniers du Viet-Minh. Ils avaient la rage et jurèrent que l’Algérie qui était un département français , avec un million de pieds noirs, ne connaitrait pas le même sort que l’Indochine. Pour eux, les militants du Front de Libération Nationale (FLN) appartenaient à la même classe d’ennemis que les combattants du Viet Minh. Ils ont utilisé les techniques de la « guerre antisubversive » d’abord localement dès 1955, puis  de manière systématique lors de la Bataille d’Alger, qui s’est déroulée de janvier à septembre 1957.  La « Bataille d’Alger »,  – qui ne fut en rien une « bataille » mais plutôt une vaste opération de répression urbaine -, constitua un laboratoire, puis un modèle de la « doctrine française ». Investis des pouvoirs spéciaux, et notamment des pouvoirs de police, les parachutistes de la 10ème division du général Massu peuvent enfin mener la guerre comme ils l’entendent, en violant le droit de la guerre qui prohibe l’usage de la torture. Dans son livre La guerre moderne, le colonel Trinquier justifie cet état d’exception, en arguant que les « terroristes » du FLN ne respectent pas les lois de la guerre, en posant des bombes dans les lieux publics,  et qu’il n’y a donc aucune raison qu’on leur applique les conventions de Genève. Dans l’histoire militaire, Trinquier est le premier à élaborer un statut du « terroriste » qu’il considère comme un « combattant illégal » dont les méthodes exceptionnelles appellent un traitement exceptionnel .  Voici un extrait de son ouvrage qui inspirera bientôt les généraux argentins, mais aussi les juristes de l’administration Bush , quand ils s’emploieront à justifier l’usage de la torture dans la « guerre contre la subversion », pour les premiers, ou « contre le terrorisme » pour les seconds :  “ Blessé sur le champ de bataille, le fantassin accepte de souffrir dans sa chair. […] Les risques courus sur le champ de bataille et les souffrances qu’il y endure sont la rançon de la gloire qu’il y recueille. Or, le terroriste prétend aux mêmes honneurs, mais il refuse les mêmes servitudes. […] Mais il faut qu’il sache que lorsqu’il sera pris, il ne sera pas traité comme un criminel ordinaire, ni comme un prisonnier sur un champ de bataille. On lui demandera donc […] des renseignements précis sur son organisation. […] Pour cet interrogatoire, il ne sera certainement pas assisté d’un avocat. S’il donne sans difficulté les renseignements demandés, l’interrogatoire sera rapidement terminé ; sinon, des spécialistes devront lui arracher son secret. Il devra alors, comme un soldat, affronter la souffrance et peut-être la mort qu’il a su éviter jusqu’alors.

A cette justification théorique de la torture s’ajoute un  argumentaire, baptisé le « scénario de la bombe à retardement » qui sera brandi systématiquement par tous ceux qui, de l’Algérie à l’Argentine, en passant par l’administration Bush, s’emploieront à justifier cette entorse criminelle au code de la guerre que constitue l’usage de la torture. «  Supposez qu’un après-midi une de vos patrouilles ait arrêté un poseur de bombes, explique ainsi Trinquier dans une interview qu’il a accordée à mon confrère André Gazut. Ce poseur de bombes avait sur lui une bombe, mais il en avait déjà posé quatre, cinq ou six, qui allaient sauter à six heures et demie de l’après-midi. Il est trois heures, nous savons que chaque bombe fait au moins dix ou douze morts et une quarantaine de blessés (…) Si vous interrogez cet individu, vous épargnerez des vies parce qu’il vous le dira –il vous le dira même peut-être sans le bousculer fort surtout s’il sait que vous allez l’interroger de manière sévère -, il y a de fortes chances pour qu’il vous donne l’endroit où il  a posé les bombes. Vous sauverez le nombre de morts ou de blessés dont je vous ai parlé. Alors qu’est-ce que vous allez faire ? C’est un problème de conscience auquel vous ne pouvez pas échapper. Si vous ne l’interrogez pas, que vous le vouliez ou non vous aurez la responsabilité des quarante morts et des deux cents blessés. Moi, personnellement, je suis prêt à l’interroger jusqu’à ce qu’il réponde à mes questions ».

On sait aujourd’hui que la torture fut utilisée systématiquement pendant la Bataille d’Alger. Le mot n’apparaît par écrit dans aucun rapport officiel, mais une directive du général Massu dit, par exemple, que, lorsque la persuasion ne suffit pas, “ il y a lieu d’appliquer les méthodes de coercition ». Et la “ corvée de bois ” permet de faire disparaître des militants du FLN ou suspects que la torture a trop “ abîmés ” ; l’une des techniques consistant à jeter les victimes depuis un hélicoptère – on parlait de « crevettes Bigeard » – , ce que les militaires argentins pratiqueront   à grande échelle avec les « vols de la mort ».

Question: Comment la théorie de la guerre antisubversive a-t-elle été exportée?

M-M Robin: Je dirais très officiellement ! Dès 1957, de nombreuses armées étrangères, intéressées par ce qu’on appelle la « french school », envoient des officiers se former en France : Portugais, Belges, Iraniens, Sud-Africains, ou Argentins… Certains iront en Algérie suivre des cours au Centre d’entraînement à la guerre subversive, qu’on surnommait “ l’école Bigeardville ”, inauguré le 10 mai 1958 dans le hameau de Jeanne-d’Arc, près de Philippeville, par Jacques Chaban-Delmas, éphémère ministre des armées. Pendant la guerre d’Algérie, le nombre de stagiaires étrangers à l’École supérieure de guerre à Paris augmente (avec un pic en 1956-1958), dont beaucoup de latino-américains (24% de Brésiliens, 22% d’Argentins, 17% de Vénézuéliens et 10% de Chiliens) et ils font des “ voyages d’information ” en Algérie. Parmi eux, par exemple, de 1957 à 1959, figure le colonel argentin Alcides Lopez Aufranc que l’on retrouvera en 1976 dans l’entourage du général Videla. À l’inverse, dès 1957, en pleine Bataille d’Alger, deux lieutenants-colonels français spécialistes de la guerre révolutionnaire sont envoyés à Buenos Aires, et, en 1960, un accord secret élaboré sous la houlette de Pierre Messmer, ministre des armées (que j’ai pu interviewer)  crée une “ mission permanente d’assesseurs militaires français ” en Argentine, chargée de former les officiers à la guerre antisubversive : elle sera active jusqu’en 1980, quatre ans après le coup d’Etat du général Videla.

Question: Pourquoi l’  «  école française » a-t-elle connu un tel « succès » en Argentine ?

Marie-Monique Robin À n’en pas douter, les Argentins furent les meilleurs élèves des Français. Le général Martin Balza, chef d’Etat major de l’armée argentine dans les années 90 , m’a parlé d’une « contamination néfaste » des officiers de son pays par les instructeurs français. Tous les généraux que j’ai interviewés – le général Harguindéguy, ministre de l’Intérieur de Videla, le général Diaz Bessone, ex ministre de la planification et idéologue de la junte, le général Bignone, le dernier dictateur argentin, tous m’ont confirmé que la « bataille de Buenos Aires » était une « copie de la bataille d’Alger », inspirée directement des enseignements des Français. Quadrillage, renseignement, torture, escadrons de la mort, disparitions, les  Argentins ont tout appliqué aux pieds de la lettre, en se comportant comme une armée d’occupation dans leur propre pays… La brutalité de la dictature argentine, qui a fait 3OOOO disparus, tient notamment au fait que dès 1959 toute une génération d’officiers a littéralement « mariné » dans la  notion d’ennemi interne inculquée par les Français. S’ajoute à cela l’implantation des intégristes français de la Cité Catholique de Jean Ousset, qui vont d’ailleurs organiser la fuite des chefs de l’OAS dans ce pays. Dans toutes les phases du « cocktail », – militaire, religieux ou idéologique- qui président à la dictature argentine- les Français sont présents. À la fin des années 70, les Argentins transmettront le modèle, notamment en entraînant la contra contre le gouvernement sandiniste nicaraguayen.

Question: Et comment la « doctrine française » est-elle arrivée aux Etats Unis ?

Marie-Monique Robin À l’instigation du président Kennedy,  le secrétaire à la Défense Robert McNamara a demandé des « experts », et Pierre Messmer a envoyé à Fort Bragg, siège des Forces spéciales, Paul Aussaresses (alors commandant) et une dizaine d’officiers de liaison, qui avaient tous participé à la guerre d’Algérie. J’ai retrouvé deux anciens élèves du général Aussaresses, le général John Johns et le colonel Carl Bernard,   qui m’ont raconté que l’Opération Phénix, qui a fait au moins 20000 victimes civiles à Saïgon pendant la guerre du Vietnam, avait été inspirée directement de la Bataille d’Alger. Les écrits théoriques des Français ont entraîné une reformulation de la doctrine de la sécurité nationale : désormais, les Etats Unis demanderont à leurs alliés sud-américains de se recentrer sur « l’ennemi intérieur » et sur la « subversion ». La « doctrine française » inspirera aussi la nouvelle orientation de l’Ecole des Amériques, installée à Panama, qui va devenir une école de guerre antisubversive, en clair une école de tortionnaires.

La  « guerre contre les terrrorisme » de l’administration Bush

Question: Sait-on si la « doctrine française » a inspiré l’administration Bush ?

Marie-Monique Robin Il est frappant de constater que dans les semaines qui suivent les attentats du 11 septembre l’usage de la torture est publiquement débattu.  En janvier 2002, le magazine 60 Minutes de CBS lui consacre un numéro spécial , auquel participe le général Aussaresses. Celui-ci affirme que la torture est “ le seul moyen de faire parler un terroriste d’Al-Qaida ”. Le 21 janvier 2003, le général Johns et le colonel Bernard, les deux anciens élèves d’ Aussaresses à Fort Bragg, participent à un séminaire organisé à Fort Myer et consacré au livre du général Aussarresses[3] qui vient d’être traduit sous le titre The Battle of the Casbah .  Le 27 août 2003, la Direction des opérations spéciales du Pentagone organise une projection de La Bataille d’Alger à des officiers d’Etat major en partance pour l’Afghanistan (et bientôt l’Irak). Il faut souligner au passage l’incroyable “carrière” du film de Gillo Pontecorvo qui avait été réalisé pour dénoncer les crimes de l’armée française en Algérie en reconstituant précisément les techniques de la “guerre antisubversive”. Le film a été détourné par l’armée argentine, israélienne ou américaine pour former les officiers aux méthodes de l’”école française”.

Dans le même temps , la torture fait l’objet d’un débat inconcevable quelques années plus tôt dans les grands journaux américains, comme le Los Angeles Times ou Insight of the News, où Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, propose de légiférer sur la torture et de l’autoriser au cas par cas. De même le juriste Richard Posner et le philosophe Jean Bethke Elshain prennent officiellement position en faveur de l’usage de la torture contre une petite catégorie de terroristes  qui peuvent avoir de l’information permettant de sauver la vie d’innocents. L’organisation Human Rights First a aussi montré le rôle joué par des séries comme « Vingt-quatre heures chrono », diffusées en prime time,  où la torture est systématiquement employée, qui ont largement contribué à sa banalisation dans l’opinion publique américaine.

Question: Quand l’administration Bush a-t-elle décidé d’utiliser la torture pour “lutter contre le terrorisme”?

Marie-Monique Robin Dès le soir du 11 septembre 2001, ainsi que me l’a expliqué Matthew Waxman, qui était alors l’assistant de Condoleeza Rice, conseillère à la sécurité  à la Maison Blanche. Cette décision fut prise par le vice-président Dick Cheney qui a joué un rôle capital dans la mise en place du programme de torture. Dès le début de la “guerre contre le terrorisme”, Cheney suggère de se débarrasser des Conventions de Genève et de contourner les lois internationales –comme la convention contre la torture de 1984, ratifiée par les Etats Unis dix ans plus tard-  et nationales, comme le War Crimes Act de 1996 qui prévoit la … peine de mort pour ceux qui utilisent ou ont ordonné la torture ou qui n’ont rien fait pour empêcher son usage. Afin d’éviter d’éventuelles poursuites judiciaires pour “torture et crimes de guerre” qui pourraient être engagées à la faveur d’un changement d’administration ou par des victimes dans un pays tiers, l’administration Bush  tente de se “protéger” en demandant à des juristes ultraconservateurs de détricoter et de vider de leur substance les textes qui fondent le droit humanitaire international. Il est absolument fascinant de voir le nombre de documents que vont produire les « petites mains » de l’administration censés mettre Bush, Cheney et Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, à l’abri des tribunaux, car ceux-ci savent pertinemment qu’ils vont délibérément violer les lois internationales et américaines.

Question: Comment ces juristes ont-ils procédé ?

Marie-Monique Robin La première manœuvre a consisté à obtenir de l’Office of Legal Counsel (OLC), le bureau juridique dépendant du ministère de la justice, chargé de vérifier la légalité des décisions prises par la Maison Blanche, une “opinion” établissant que les conventions de Genève ne s’appliquent pas aux Talibans ni aux membres de Al Qadha, car ceux-ci ont déclenché une guerre d’un « genre nouveau » . Le 9 janvier 2002, John Yoo, le directeur adjoint de l’OLC,  écrit un mémorandum qui sera repris par le Pentagone , puis la Maison Blanche, où il tente de justifier d’un point de vue juridique le fait que les prisonniers présumés de Al Qadah et les Talibans ne peuvent pas jouir du statut de « prisonniers de guerre »  et donc du traitement que leur garantiraient les Conventions de Genève, car ils ne portent pas d’uniforme et ne portent pas leurs armes ouvertement.  Les pseudos « arguments juridiques » de Yoo ont été vivement critiqués par Colin Powell, le secrétaire d’Etat,  dans un mémorandum où il explique que le fait de ne pas respecter les conventions de Genève allait saper l’autorité morale des Etats Unis dans le reste du monde et mettre en danger les soldats américains. Finalement , Powell sera mis sur la touche puis finira par démissionner.

Pour bien comprendre l’ampleur de l’affrontement, il faut savoir que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale,  les Etats Unis avaient toujours été des promoteurs inconditionnels du statut de prisonnier de guerre :  lors du procès de Nuremberg (dirigé par les juristes américains), le fait que le général maréchal Wilhelm Keitel, chef de l’armée allemande, ait refusé  ce statut aux soldats russes, avait constitué un fait aggravant conduisant à sa peine de mort.

Voilà pourquoi,  le désaccord de Powell embarrasse la Maison Blanche qui demande à Alberto Gonzales d’affuter la couverture juridique. Le 25 janvier 2002, celui-ci adresse un nouveau mémorandum au président Bush où il suggère que pour se protéger de poursuites éventuelles, il suffit de dire que dans le cadre de la guerre contre le terrorisme les Conventions de Genève sont « obsolètes » et « bizarres » et qu’elles ne peuvent donc pas s’appliquer ;   si elles ne peuvent pas s’appliquer, alors on ne peut  pas les violer… Ce mémorandum sera entériné par un décret secret de  Bush, le 26 janvier 2002, où , pour la première fois, il parle de « unlawful combattants » (de « combattants illégaux ») , un concept nouveau qui permettra tous les abus.

Question: Dans le même temps, l’administration Bush a revu la définition de la torture?

Marie-Monique Robin Effectivement. La deuxième manoeuvre consiste à établir une nouvelle définition  de la torture. Capital, ce problème de définition avait déjà fait l’objet d’intenses débats, en 1994, lorsque le  sénat américain avait ratifié la  convention de l’ONU contre la torture de 1984.  Il avait finalement opéré une différence subtile entre ce qui peut être considéré comme relevant d’ un « interrogatoire coercitif et légal » et de la torture. Pour le sénat, celle-ci désignait une « souffrance ou peine physique et mentale grave » provoquant un «  dégât mental prolongé ».

Avec la “guerre contre le terrorisme”,  la frontière est largement déplacée. Dorénavant, pour qu’un acte puisse être considéré comme de la torture  il faut qu’il soit équivalent en intensité à la « douleur accompagnant une blessure physique grave, comme une défaillance organique, l’altération d’un fonction corporelle ou même la mort ». C’est ce qu’écrit John Yoo dans un mémorandum de l’OLC du 2 août 2002, surnommé le « Torture memo ». Ce texte servira à couvrir les agents de la CIA qui torturent des prisonniers en Afghanistan, Irak, à Guantanamo ou dans un centre de détention clandestin faisant partie du programme des « extraordinary renditions ». Ce programme secret  permet  l’enlèvement et la séquestration de suspects n’importe où dans le monde, pour les conduire dans des prisons cachées où ils peuvent être soumis à la torture, notamment dans des pays du Moyen Orient, comme l’Egypte et la Syrie, sous la houlette d’officiers américains.

Question: L’armée américaine a-t-elle pratiqué la torture?

Marie-Monique Robin. Très largement! Le 27 novembre 2002, Donald Rumsfeld signait une directive secrète,  (rédigée par son conseiller juridique William Haynes) intitulée « Counter – Resistance Techniques » où il autorise seize techniques d’interrogatoire  formellement interdites par le Army Field Manuel 34-52 (FM 34-52) qui constitue la bible du soldat américain. Parmi elles : le port de la cagoule, la mise à nu, l’usage de chiens («  utiliser les phobies individuelles des détenus – comme la peur des chiens – pour induire le stress »),  la privation de sommeil, les positions de stress, ou la technique du sous-marin (le “waterboarding”) considéré comme un acte de torture depuis l’Inquisition. La diffusion de ce document a suscité beaucoup de réserve, voire d’opposition, au sein des trois corps d’armée, très attachés aux Conventions de Genève et inquiets des conséquences que pourrait avoir pour les soldats américains cette banalisation de la torture. Et c’est  peut-être, la seule bonne nouvelle de mon enquête : le programme de torture qui accompagne la « guerre contre le terrorisme »  a été vivement critiqué à l’intérieur de l’administration  Bush et la plupart de mes interlocuteurs qui étaient pourtant des républicains de pur sucre continuent de le dénoncer en affirmant que ce fut une grave erreur qui a terni pour longtemps l’autorité morale des Etats Unis. Tous rappellent aussi qu’outre la dimension éthique, la torture est techniquement inefficace puisque les « aveux » qu’elle arrache sont inexploitables car « on peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui sous la torture ». Certains, comme Larry Wilkerson, le chef de cabinet de Colin Powell, soulignent que la torture provoque la haine de ceux qui l’ont subie ou de leurs familles, et qu’elle engendre, à terme, de nouvelles recrues pour le terrorisme. La plupart, comme  le général Ricardo Sanchez, qui dirigea les forces de la coalition en Irak, regrettent qu’à ce jour aucun responsable de ce programme criminel n’ait été jugé.

Quelles conclusions tirez-vous de vos deux enquêtes ?

Marie-Monique Robin. La solution au problème du terrorisme ne peut pas être militaire, mais politique. Dans le cas de l’Algérie, si le gouvernement français avait su apprécier le Front de Libération Nationale pour ce qu’il était, à savoir un mouvement d’indépendance nationaliste tout à fait légitime, il aurait éviter sept ans d’une guerre très sale qui continue de hanter notre histoire. C’est la même chose pour les attentats terroristes du 11 septembre : si l’on veut éradiquer le fléau de l’islamisme radical, il faut s’interroger sur ses racines, et donc chercher une solution politique qui passe vraisemblablement par la Palestine et les structures politiques des pays arabes qui essaient aujourd’hui de s’émanciper de pouvoirs dictatoriaux. À chaque fois que l’on choisit la réponse militaire à un problème de terrorisme, on tombe systématiquement dans l’obsession du renseignement qui conduit tout aussi immanquablement à l’usage de la torture, en arguant que la fin justifie exceptionnellement les moyens. Ce faisant, non seulement on ne résoud pas le « problème », mais on alimente sa pérennité, tout en perdant son âme, car la torture finit par anéantir ceux qui la subissent mais aussi ceux qui la pratiquent.


[1] Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort: l’école française, La Découverte, Paris, 2004, édition poche, 2006. Le documentaire a reçu le Prix du meilleur documentaire politique  (Laurier du Sénat), le Prix de l’investigation du FIGRA, le Prix du mérite de la Latin American Studies Association (LASA).  Ce film est disponible en DVD (Editions ARTE).

[2] Le film a reçu le Prix Olivier Quemener du FIGRA et le Prix spécial du jury au Festival des Libertés de Bruxelles. Ce film est disponible en DVD (Editions ARTE).

[3] Paul Aussaresses, Services spéciaux : Algérie 1955-1957, Editions Perrin, Paris, 2001.