Le ministre Stéphane Le Foll veut que la France devienne le leader européen de l’agroécologie

Les commentaires sont unanimes: le colloque « Agroéologie, une pratique d’avenir: comment réussir la transition? » organisé au sénat par Joël Labbé (EELV)  fut un franc succès.

Comme le sénateur du Morbihan l’a rappelé dans son introduction, l’idée de ce colloque est venue après notre rencontre en septembre 2012, à Muzillac, où nous avions participé à un débat à la suite de la projection de Notre poison quotidien. L’élu sénatorial faisait partie de la commission sur les pesticides pour laquelle j’avais été auditionnée en juin 2012 (voir sur ce blog). Je dois dire que j’ai été impressionnée par la capacité de travail et l’engagement de celui qui est aussi maire de la petite commune de Saint Nolff dont l’arrivée au Palais du Luxembourg avait été très remarquée.

Plus de 200 personnes ont participé au colloque que j’ai eu l’honneur d’animer. Dès huit heures j’étais sur place, pour réaliser les essais vidéos, car les interventions de la matinée ont été ponctuées par des extraits de mon film les moissons du futur.

Très attendu, Olivier de Schutter , le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, est arrivé par le premier train en provenance de Bruxelles.

Il s’est entretenu avec Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la forêt qui avait organisé, le 18 décembre 2012, une conférence nationale sur l’agriculture, intitulée « Faire de l’agro-écologie une force pour la France« . Lors de cette journée très prometteuse, le ministre avait annoncé une feuille de route pour « promouvoir une agriculture plus respectueuse de l’environnement et plus en phase avec les attentes de la société »:

http://agriculture.gouv.fr/Produisons-autrement

Dans son introduction, le sénateur Labbé a rappelé l’espoir suscité par les promesses du ministre en soulignant, à juste titre, la nécessité de « prendre des mesures » pour « réussir la transition« .

 

Puis,  Stéphane Le Foll a ouvert le colloque avec un discours qui a fait l’unanimité dans la salle qui s’était progressivement remplie.

Je retranscris ici le contenu de cette allocution qui confirme les annonces faites pas le ministre lors de la journée du 18 décembre. Pour commencer, le  ministre a évoqué les « nombreuses contraintes » qui sont liées au modèle agro-industriel, comme les « sols dégradés en Europe« , ou le  » coût de l’énergie« . Ces « contraintes » a-t-il dit, sont liées au « modèle de la révolution verte » et à des  « pratiques très grandes consommatrices d’intrants issus du pétrole et de la chimie« . Il a évoqué aussi les « externalités négatives qui ont pu être constatées partout et qui conduisent parfois à des catastrophes », comme l' »utilisation du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique qui fait que les sols sont condamnés pour cent ou deux cents ans aujourd’hui, ce qui est quand même un constat affligeant« .

« Cela  nous impose de réfléchir à un changement dans la manière de concevoir la production agricole et sa durabilité, a poursuivi le ministre.  A partir de là, il y a plusieurs pistes qui sont ouvertes et le choix doit se faire en ayant en tête ces contraintes et en même temps les besoins ». Soulignant  la nécessité de « profondes évolutions dans les modèles de consommation alimentaire », il a  évoqué aussi le « gaspillage » qui fait que 30% des aliments produits finissent à la poubelle:  « Il faut déjà commencer par éviter de perdre ce qui est produit! »

Puis le ministre Le Foll a expliqué pourquoi l’agro-écologie constituait une alternative au modèle agro-industriel:

 » Plutôt que sélectionner quelques espèces, ou variétés plus productives, de faire en sorte qu’on élimine autour tout ce qui pourrait les concurrencer et qu’on utilise pour ça beaucoup de chimie, en mettant aussi beaucoup de travail et beaucoup d’énergie, et bien est-ce qu’on ne pourrait pas regarder ce que nous permet de faire la nature tout simplement? « , s’est-il interrogé.  Au lieu d’utiliser des produits,  qui « sont hors des processus naturels« , « il y a l’agro-écologie qui consiste à utiliser au mieux la connaissances que nous avons sur les processus naturels pour les mettre au service de la production agricole. C’est ça le principe et c’est ça la mutation« .

Pour le ministre, les OGM sont  « l’envers du décor, c’est exactement le contraire qu’il faut faire« , à savoir « la concurrence que la nature organise elle même il faut savoir la mettre à notre propre profit. Cela veut dire que derrière les modèles de production il y a une conception et une science qu’il va falloir réinventer. C’est le rôle de l’agronomie. Qu’est ce qui va faire que demain cette agroécologie pourra être aussi compétitive en permettant d’atteindre des niveaux de production avec des coûts de production qui soient plus faibles? Elle le sera si l’intensification des connaissances que nous avons des processus naturels nous permet de faire des économies en termes de coûts de production. C’est ça l’enjeu! Et le jour où ,  les agriculteurs, en France en particulier,  auront intégré le fait que dans ce processus, il y a derrière  une dimension économique tout à fait positive, et bien je suis sûr que ce processus engagera une véritable dynamique ».

Le ministre a annoncé que « l’INRA organisera en septembre un grand colloque sur ce domaine conceptuel, parce que pour pouvoir avancer il faut qu’on imagine la structuration intellectuelle et scientifique nécessaire« .

 

Puis le ministre de l’agriculture a évoqué les « modèles pionniers » comme « l’agriculture biologique » qui n’a pas « attendu les scientifiques qui sont venus après« . On a des pionniers qui ont anticipé les évolutions sur lesquels on va s’appuyer« . Et d’enfoncer le clou:  « Il faut qu’on implique la science » . C’est pour ça que  « cela prendra un peu de temps et qu’il faut être capable d’ouvrir les possibles .L’enjeu étant de combiner la performance écologique dans le sens où il y a une mutation qui s’opère qu’il va falloir accompagner et structurer avec l’attente de nos sociétés développées (…) C’est dans un processus implicatif qu’on va créer nous mêmes les conditions de la mise en oeuvre. Il faut qu’on soit capable de créer et de mettre en oeuvre ce qui est nouveau, de créer les conditions de la réussite d ‘un concept comme l’agroécologie  « . Après avoir insisté sur la   » double performance écologique et économique, car la question économique elle sera posée, elle nous rattrapera si nous ne sommes pas capables de l’intégrer« , le ministre a martelé:   « L’implication de tous sera nécessaire pour la réalisation d’un grand projet (…)  La France a une responsabilité particulière, car elle est un grand pays agricole à l’échelle européenne, ayant été longtemps leader dans ce domaine, elle doit donc reprendre une mission , un leadership, car nous avons des capacités à faire valoir. (…) Sur cette question, on doit être moteur« .

 

Dans sa conclusion, Stéphane Le Foll m’a citée:  « Je voulais dire à Mme Robin que la France n’est pas du tout à côté de l’enjeu de l’agro-écologie, bien sûr on ne fera pas tout , tout de suite, on ne va pas tout révolutionner, il faut qu’on enclenche un vrai processus. C’est tout l’enjeu du plan sur l’agro-écologie qu’on a mis en oeuvre, avec trois volets: la définition des concepts, la diffusion des concepts et la mise en oeuvre des techniques. la diffusion des concepts, c’est ce qu’il y a de plus fort et de plus difficile, car il y a des intérêts aussi … »

Puis, Joël Labbé et moi-même avons gagné la tribune pour lancer les contributions, au premier rang desquelles celle d’Olivier de Schutter que Stéphane Le Foll a écoutée, avant de regagner son ministère.

 

Je rappelle qu’Olivier de Schutter a présenté un rapport sur l’agro-écologie, le 8 mars 2011 devant le Conseil permanent des droits de l’homme de l‘ONU, à Genève (voir Les moissons du futur). Dans ce texte, qui fut largement commenté, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation dressait un bilan sévère du modèle agro-industriel et appelait à « changer de cap » en promouvant « l’agro-écologie partout où cela est possible« .

Je retranscris ici l’intégralité du discours d’Olivier de Schutter au Sénat:

« Tous les indicateurs sont au rouge »

« Mon rapport sur l’agro-écologie a lancé un débat à l’échelle mondiale. Pourquoi cet engouement, pourquoi cette mode?Pourquoi cet intérêt renouvelé aujourd’hui pour l’agro-écologie? (…) L’agro-écologie répond à toute une série d’impératifs quii sont ceux que le ministre Le Foll a rappelés il y a quelques instants.D’abord, l’impératif de passer d’une agriculture intensive en intrants, accélérant par conséquent le réchauffement climatique, avec le dégagement de gaz à effet de serre, notamment de protoxyde d’azote, accélérant aussi la réduction de la biodiversité, à une agriculture intensive en connaissances, qui va utiliser au mieux les interactions écologiques. Deuxièmement, parce que l’agro-écologie permet de mieux conserver la santé des sols, rappelons qu’à l’échelle mondiale, 25% des sols sont dégradés, voire fortement dégradés, et ceci en raison de pratiques agricoles intensives qui ne sont pas soutenables. Troisièmement, parce que l’agro-écologie vise à économiser les ressources en eau douce (…)Quatrièmement, parce que l’agro-écologie permet de favoriser les systèmes agricoles fondés sur la diversité, et la diversité c’est une source de résilience, contre le changement climatique( …) Alors, aujourd’hui, je crois que la question n’est plus de savoir si l’agro-écologie est une voie d’avenir. Je pense qu’ il y a un large consensus là-dessus, parce que tous les indicateurs sont au rouge et que nous devons changer de cap, chacun le reconnaît.

« Il y aura des obstacles »

La difficulté, cependant, est comment devons-nous réaliser la transition? Quels instruments mobiliser? Parmi les différentes conceptions de l’agro-écologie, laquelle retenir? Je voudrais dire ici que la France, par la voix du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, Stéphane Le Foll, propose de miser sur l’agro-écologie, de la développer et même de devenir pionnier en Europe. Je m’en réjouis personnellement. Il y aura naturellement, nous lesavons tous, des résistances, il y aura des obstacles, car toute transition met en cause des habitudes des acteurs et des situations acquises. Le ministre Le Foll devra faire de la politique, au sens le plus noble du mot, il devra rencontrer ces résistances, il devra écouter ces acteurs et en même temps montrer le cap, et préparer le changement aujourd’hui plutôt que d’avoir à le subir demain, sous l’impact des crises énergétique, climatique, et écologique. Mais j’entends aussi par ailleurs des craintes, non pas que la transition écologique aille trop vite ou trop loin, mais qu’elle manque d’ambition, ou souffre d’un défaut de cohérence.   Plus précisément que l’agro-écologie telle qu’elle serait promue aujourd’hui dans certains États, dont la France, serait bienvenue mais insuffisamment radicale. Il ‘agirait simplement de verdir l’agriculture, sans lui faire changer véritablement de cap. Alors, pour ma part je considère que le débat qui est lancé aujourd’hui est une opportunité à saisir: dans le schéma qui est proposé, 2013 est le temps de la conception et de l’amplification.  La France dispose, le ministre Le Foll l’a rappelé,  d’atouts considérables, qui nous autorisent à penser qu’elle peut montrer la voie au sein de l’Union européenne , comme le Brésil l’a montré au sein de l’Amérique latine.

« Les conditions de la réussite »

Pour cela, il me semble qu’un certain nombre de conditions doivent être réalisées et je voudrais en énumérer quatre qui me paraissent importantes et recoupent, Monsieur le ministre, les quelques engagements que vous avez pris. D’abord, l’agro-écologie suppose une co-construction des solutions, ce que le ministre Le Foll a appelé le système « implicatif« ; co-construction des solutions au niveau, d’abord, de la recherche agronomique, comme par exemple par la sélection participative telle qu’elle est promue par le réseau »semences paysannes« ; mais surtout con-construction dans la définition des politiques publiques, qui peuvent soutenir et accompagner la transition agroécologique. La co-construction signifie la participation active des acteurs de terrain, à commencer par les agriculteurs et agricultrices, comme source de légitimité mais aussi de connaissances, parce que les savoirs traditionnels, les savoirs locaux, les pratiques, doivent se combiner au savoir des experts, pour produire des pratiques agro-écologiques qui sont appropriées aux contextes spécifiques dans lesquels ces pratiques vont s’ancrer. La co-construction ça suppose un État qui n’est pas seulement un grand ordonnateur, qui est aussi à l’écoute, qui est modeste, qui est facilitateur et qui accompagne la recherche de solutions locales (…) La deuxième condition c’est le renforcement des capacités des acteurs collectifs et la mise sur pied de réseaux associant producteurs, consommateurs, et pouvoirs publics, avec le soutien des experts scientifiques. Avec l’agro-écologie, en effet, il ne s’agit pas seulement de production agricole, car après tout à quoi sert-il de produire mieux si on n’a pas de débouchés, si les intermédiaires, les transformateurs, les distributeurs, rejettent nos produits ou si les consommateurs ne suivent pas le mouvement? Ce qu’il faut c’est donc une transition qui concerne toute la filière, plus précisément tout le système agroalimentaire, au-delà de la production , incluant la transformation et la distribution et la consommation. Troisièmement, l’agro-écologie vise à réduire la dépendance vis à vis des intrants et à mieux inscrire l’agriculture dans les écosystèmes dont elle dépend, dont elle va entretenir ensuite les capacités en retour. C’est au fond une quête d’autonomie qui caractérise largement l’agro-écologie, et cette autonomie doit pouvoir s’exprimer aussi sur d’autres plans. Notamment, l’agriculteur et l’agricultrice doivent être mieux protégés contre la volatilité des prix du marché, l’agriculteur et l’agricultrice doivent être mieux protégés contre les abus de pouvoirs économiques des chaînes alimentaires, dans une gouvernance alimentaire qui doit être attentive aux déséquilibres et aux rapports de force qui sont noués entre les différents acteurs. Pourquoi faut-il que l’agro-écologie s’accompagne de réformes sur ce plan? Et bien d ‘abord parce que l’autonomie que cela permettre aux producteurs est source de résilience par rapport aux cours chahutés des hydrocarbures ou des matières premières agricoles, résilience aussi par rapport aux pratiques des grands acteurs de l’agroalimentaire, qui parfois rendent extrêmement difficile la capacité des plus petits agriculteurs simplement de subsister grâce à leur travail. Deuxièmement c’est en renforçant l’autonomie qu’on préservera le tissu rural de manière dynamique et que pourra émerger une nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices, bref que l’histoire de  la paysannerie pourra continuer d’être écrite.   Quatrième condition, pour que l’agroécologie puisse émerger véritablement comme une nouvelle manière de produire et de consommer qui soit à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui suppose, il faut une approche pluri-sectorielle. Par exemple, les règles concernant l’aménagement du territoire doivent favoriser l’accès à la terre d’une nouvelle génération d’agriculteurs; les régimes qui régissent les écoles, l’éducation  doivent favoriser la fourniture  de cantines scolaires en aliments produits de manière responsable et qui respectent les conditions de durabilité; les subsides qui vont aux agriculteurs, mais aussi les régimes de la fiscalité doivent encourager les pratiques agro-écologiques, cela correspond au troisième axe « inciter » du projet proposé par le ministre Stéphane Le Foll. Cela suppose évidemment que le ministre de l’agriculture travaille avec le ministère des finances et avec la ministre de l’écologie pour que ces réformes pluri-sectorielles puissent avoir des chances de réussir.

« Les atouts de la France »

Et la France, je crois, a des atouts considérables pour réussir cette transition. D’abord, il y a en France une conception territoriale de l’action publique, ce qui permet de rechercher la cohérence au niveau local, au niveau régional, comme le promeuvent, par exemple, les CIVAM, les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, en prêchant par l’exemple. Ces centres ont 10 000 adhérents aujourd’hui, et ils veulent territorialiser les solutions qui visent à aller vers des pratiques agricoles plus durables et à revitaliser le tissu rural.Cette conception territoriale de l’action publique permet de favoriser la réelle participation de l’ensemble des acteurs intéressés à la définition des politiques au plan local, ce qui garantit que les décisions soient prises dans l’intérêt général plutôt que dans l’intérêt de quelques uns. Deuxièmement , la France, comme l’a rappelé le ministre Le Foll, est un terrain fertile en expériences : il y a bien sûr l’agriculture de conservation, sans labour, qui doit s’orienter vers une agriculture de semis sous couvert sans herbicides, il y a aussi des expériences nombreuses de sélection participative associant chercheurs et cultivateurs pour le développement de nouvelles variétés, pour préserver et miser sur le patrimoine génétique local, comme certaines expériences en Bretagne ou le travail du réseau semences paysannes, il y a , en France, un grand nombre d’initiatives qui visent à favoriser l’accès au foncier, en lien avec le projet d’insertion d’agriculteurs dans l’économie locale, c’est par exemple à quoi vise le travail de l’association Terre de Liens, qui vise à favoriser l’accès à la terre pour une nouvelle génération d’agriculteurs. Il y a,enfin, des tentatives de groupes agroalimentaires comme Terrena, un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’Euros, 22000 agriculteurs qui sont associés, 11000 salariés, et Terrena veut s’orienter aujourd’hui vers l’agro-écologie, c’est un signe extrêmement significatif. On a donc des expériences nombreuses et diverses qui émanent des paysans, des consommateurs, du monde de l’agroalimentaire industriel  qui ressentent tous à leur niveau les besoins de cette conversion. Troisième atout de la France: la France a une très forte tradition en matière d’économie sociale et solidaire, avec un ministre délégué chargé de ces questions qui est, aujourd’hui Benoît Hamon. L’économie sociale et solidaire a de fortes affinités avec l’agro-écologie, d’abord parce qu’elle vise la gestion démocratique et participative associant une pluralité avec des sensibilités différentes, ensuite parce qu’elle vise le développement d’un tissu économique au service de la collectivité, et non seulement au service d’une maximisation des profits, troisièmement parce qu’elle mise sur la mixité des ressources publiques et privées, et quatrièmement parce que l’économie sociale et solidaire veut un ancrage territorial dans l’économie locale. Malgré ces atouts qui sont réels et nombreux, la transition sera difficile. Elle exigera de la volonté politique et un pilotage très adroit. De nombreux instruments devront être mobilisés et je voudrais en mentionner quatre qui me paraissent prioritaires pour opérer cette transition. Le premier ce sont des lignes de crédit spécifiques en soutien de l’agriculture paysanne, développant des pratiques agro-écologiques. Le deuxième c’est la formation de conseillers techniques du ministère de l’agriculture déployés sur le terrain pour favoriser la diffusion des pratiques agro-écologiques, alors que généralement ces conseillers sont formés sur la base du paradigme dominant  et reposant sur l’utilisation massive d’intrants chimiques. Troisièmement, il faut je crois utiliser l’outil des marchés publics, pour créer des débouchés pour les produits issus de pratiques agricoles suivant les bonnes pratiques agro-écologiques et maximisant les interactions écologiques: par exemple, ce qu’a fait le Brésil avec une loi de juin 2009 qui prévoit que 30% des aliments des cantines scolaires qui fournissent aujourd’hui des repas à 49 millions d’enfants  proviendront de l’agriculture familiale et agro-écologique, c’est un levier extrêmement puissant pour favoriser l’agriculture familiale des petites exploitations. Quatrièmement, il faut peut être s’engager dans la certification de bonnes pratiques écologiques, mais ceci de manière participative, et en reconnaissant la diversité et  l’évolution permanente des pratiques.

 « La France a le devoir de réussir »

Je voudrais conclure en trois points en disant que la transition agro-écologique est nécessaire et que la proposition du ministre Stéphane Le Foll peut être vue comme une opportunité à saisir pour s’engager dans ce mouvement. Deuxièmement, la transition agro-écologique supposera des réformes et des mesures d’accompagnement de ces réformes qui vont bien au-delà des bureaux du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. D’abord, parce que les collectivités locales doivent s’engager: le rôle des conseils généraux, au plan régional, est tout à fait essentiel, il faut un ancrage de la transition dans les politiques territoriales au niveau local et régional. Troisièmement parce que la transition doit engager plusieurs secteurs l’éducation, l’emploi, l’écologie, l’économie sociale et solidaire, il faut donc un effort qui aille au-delà d’un seul ministère qui soit un effort trans-sectoriel. Enfin, comme je l’ai dit, la France est bien située pour montrer la voie, avec d’autres pays comme l’Autriche, le Danemark, je souhaite donc bonne chance à la France et au ministre de l’agriculture pour réussir et je dirais même: vous avez le devoir de réussir, parce que les attentes qui sont placées dans la France sont importantes, parce que la France pionnière de cette transition ne doit pas décevoir ces  attentes considérables qui sont placées en elle, et parmi elles il y a les miennes!

 

 

Puis, ce fut mon tour! Avant de dresser le bilan des pratiques agro-industrielles, j’ai présenté l’extrait de mon film Les moissons du futur, opposant Eleazar, le paysan mexicain pratiquant l’agorécologie, et Dale, le grand céréalier du Midwest au bout du rouleau:

Voici le texte de mon allocution:

« Si j’ai choisi cet extrait de mon film Les moissons du futur, qui est sorti sur ARTE en octobre 2012 en même temps que mon livre éponyme, c’est parce qu’il résume parfaitement l’opposition entre deux modèles agricoles : d’un côté, le modèle agro-industriel, promu sans relâche depuis la seconde guerre mondiale, basé sur l’utilisation d’intrants chimiques; de l’autre, le modèle agro-écologique fondé sur l’équilibre des écosystèmes et la complémentarité des cultures, insectes, arbres et animaux.

Or, tout indique que l’agriculture se trouve, aujourd’hui, à la « croisée des chemins », pour reprendre le titre d’un document de près de six cents pages, publié en 2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD. Cet acronyme désigne une expertise collective, conduite à la demande de la Banque mondiale par quatre cents scientifiques internationaux, dont les conclusions ont  finalement été approuvées par cinquante-huit pays, lors d’une conférence intergouvernementale qui s’est tenue à Johannesburg, du 7 au 12 avril 2008[1]. J’ai moi même interviewé Hans Herren, l’auteur principal du rapport, qui a souligné l’urgence de « changer de paradigme agricole », pour pouvoir faire face aux multiples crises qui menacent la stabilité du monde et la souveraineté alimentaire des peuples : la crise du climat, de la biodiversité, de l’eau, la crise financière, sociale, économique, sanitaire, énergétique et alimentaire. Or, l’agriculture constitue un puissant levier pour agir sur toutes ces crises, à condition bien sûr que l’on  change de paradigme, car le système agro-industriel, loin de les atténuer, au contraire les accélère. Avant de laisser la parole aux intervenants qui vont nous montrer comment on pourrait faire autrement, je voudrais rappeler les effets néfastes du modèle de la fameuse « révolution verte ». La liste n’est pas exhaustive, mais elle rassemble les critiques principales et récurrentes que fait un nombre croissant d’experts au modèle agro-chimique :

– d’abord, l’agriculture industrielle est responsable de 14% des émissions de gaz à effet de serre, car elle  repose sur l’usage de pesticides et d’engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; elle repose aussi sur la mécanisation et le transport des denrées agroalimentaires, très gourmands en énergies fossiles. A ces 14%, s’ajoutent les 19% dus à la déforestation, pratiquée majoritairement pour développer des monocultures comme le soja transgénique, qui nourrissent les animaux des élevages industriels, ou pour produire des agrocarburants.  Le modèle agrochimique contribue donc largement à l’accélération du réchauffement climatique, alors que l’agriculture devrait être captatrice de carbone ! Faut-il rappeler que les émissions de CO2 n’ont jamais augmenté aussi vite qu’au cours de la dernière décennie : 3 % par an en moyenne, soit trois fois plus que lors de la décennie précédente. Nous sommes sur la trajectoire des pires scénarios imaginés par le  GIEC, le groupement interministériel sur l’évolution du climat.

Le réchauffement climatique affecte déjà les rendements des grandes cultures européennes, ainsi que l’ont confirmé plusieurs études[i]. D’après l’une d’entre elles, publiée par Science en 2011, l’augmentation des températures, mais aussi des précipitations, entre 1980 et 2008 a fait chuter les rendements moyens mondiaux des cultures de blé et de maïs respectivement de 5,5 % et 3,8 % (en France, la baisse des rendements du blé est estimée à 5 %)[ii].

– Deuxièmement,  la part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau atteint aujourd’hui 70%, en raison notamment des techniques d’irrigation que nécessite l’agriculture industrielle. Un peu partout dans le monde on assiste au développement de conflits autour de la gestion des ressources aquifères. Au problème de la raréfaction s’ajoute celui de la pollution, particulièrement en France : C’est ainsi qu’en cinquante ans, la nappe phréatique de la Beauce, la plus étendue d’Europe, – 9 500 km2 entre la Seine et la Loire, 20 milliards de m3 d’eau, utilisés pour la production de l’eau potable, l’irrigation et l’industrie- , regorge de nitrates et autres polluants. Intensément exploitée, la réserve a connu des baisses de niveau inquiétantes, notamment dans les années 1990. Les rivières ont également souffert. En 2005, sur les dix-sept sources de rivières exutoires de la nappe, quatorze présentaient des teneurs en nitrates supérieures à 50 mg/l, la norme de concentration maximale admissible pour la consommation humaine[iii] . Aux nitrates s’ajoutent les  pesticides et en particulier l’atrazine (désormais interdite, mais qui persiste longtemps dans l’environnement), qui sont responsables de 60 % des cas de pollution d’origine agricole. Près de 700 000 personnes sont concernées, essentiellement dans le Bassin parisien, le Nord, la vallée du Rhône et le Sud-Ouest , a relevé  une étude publiée par l’UFC-Que choisir[iv]. De son côté, Martin Guespereau, le directeur de l’agence de bassin Rhône-Méditerranée-Corse, dénonçait le mauvais état général du « paysage aquatique français » : « Les trois quarts des eaux de nos bassins sont chargées en glyphosate [le principe actif du désherbant Roundup de l’agrochimiste Monsanto]. On a aussi identifié dans 60 % des rivières et 45 % des nappes phréatiques destinées à l’alimentation en eau potable six pesticides interdits depuis 2003, dont l’atrazine[v].

– Troisièmement, 25% des sols où ont été développées les monocultures de la « révolution verte » sont complètement érodés, voire morts. Or ces monocultures qui caractérisent de vastes territoires français sont finalement peu productives, au regard des ressources consommées pour les développer .Car, contrairement à ce qu’on affirme généralement, les petites fermes sont  beaucoup plus productives que les grandes[vi], ainsi que me l’a expliqué un chercheur de l’université californienne de Berkeley. Si l’on mesure ce qu’on appelle le total output, c’est-à-dire la production alimentaire totale qui sort d’une unité d’exploitation, le ratio est beaucoup plus élevé dans les petites fermes que dans les grandes. Par exemple, des études montrent qu’un hectare planté avec le système de la milpa où l’on associe la culture de maïs, haricots et courges, produit autant de calories alimentaires que 1,7 ha de monocultures de maïs. Si l’on mesure seulement le rendement du maïs, il est certes plus élevé sur la grande exploitation (5 tonnes contre 7 tonnes à l’hectare), mais sur la petite on produit aussi des haricots, des citrouilles, des tomates et des dindes. De plus, le système de la milpa produit quatre tonnes de matières organiques par hectare qui peuvent être réinjectées dans le sol, contre deux seulement dans les monocultures. De plus, les petites fermes sont beaucoup plus efficaces dans l’usage des ressources naturelles. Par exemple, quand on mesure l’efficacité énergétique des grandes exploitations industrielles, on obtient un rapport de deux ou trois, maximum. Ça veut dire qu’en injectant une kilocalorie d’énergie, on obtient trois kilocalories d’énergie en terme de nourriture. Pour une petite exploitation, le rapport est de quinze à trente. La conversion énergétique est très élevée. C’est la même chose pour l’eau, les nutriments, l’énergie solaire ou les ressources génétiques. On estime que les petits paysans ont développé environ un million de variétés végétales au cours de l’histoire, tandis que les sélectionneurs de la révolution verte n’en ont créé que 7 000. Donc, le service rendu par les petits paysans pour conserver la biodiversité dont l’humanité aura besoin pour se nourrir dans le futur est énorme.

– Quatrièmement, comme nous allons le voir, le prix des aliments issus de l’agriculture dite « conventionnelle » est faussé par le jeu pervers des subventions accordées aux producteurs des pays du nord, et la non prise en compte des externalités, c’est à dire des coûts indirects induits par le modèle agroindustriel, comme la facture environnementale (contamination de l’eau, de l’air, érosion des sols, destruction de la biodiversité) et sanitaire (paysans malades ou morts, maladies des consommateurs et riverains). Une étude publiée en 2009 par le parlement européen a révélé que si on interdisait en Europe les seuls pesticides cancérigènes, on économiserait 26 milliards d’Euros par an. De son côté, David Pimentel de l’Université Cornell a estimé, en 1992, que le coût environnemental et sanitaire de l’usage des pesticides aux Etats Unis s’élevait à dix milliards de dollars. De nombreuses études montrent aussi que l’exposition aux pesticides peut provoquer des effets négatifs sur le système de la reproduction, sur le système hormonal et endocrinien ou sur le système neurologique, conduisant aux maladies de Parkinson ou d’Alzheimer, ou encore sur le système immunitaire. D’ailleurs, la maladie de Parkinson a récemment été intégrée au tableau des maladies professionnelles de la Sécurité Sociale.

– Cinquièmement, le développement du modèle agro-industriel a provoqué un exode rural massif au nord comme au sud de la planète : depuis 2008, un habitant sur deux habite dans les villes. Des villes qui ont au mieux deux jours d’autonomie alimentaire. La  France n’est bien sûr pas épargnée :  En 1960, on comptait 1,8 million d’exploitations agricoles ; en 1990, on n’en comptait plus qu’un million, et aujourd’hui moins de la moitié. Chaque semaine,  200 fermes disparaissent du territoire français, tandis que la superficie moyenne des exploitations ne cesse d’augmenter.

– Enfin, le modèle agricole productiviste, relayé par de puissants lobbies, a conduit à la consommation accrue de viande depuis le début du xxe siècle, notamment dans les pays du Nord, où elle est passée de vingt kilos par personne et par an à quatre-vingts aujourd’hui. Avec le changement des habitudes alimentaires, on observe la même tendance dans les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde. Selon les projections de la FAO, pour répondre à la demande, la production mondiale de viande devra doubler d’ici à 2050, passant de 229 à 465 millions de tonnes. Or, on estime qu’il faut quatre calories végétales pour produire une calorie de viande de poulet ou de porc, et onze pour produire une calorie de bœuf élevé de manière intensive. Aujourd’hui, 40 % des céréales cultivées dans le monde sont destinés à alimenter les animaux  des élevages industriels. Comme la production de viande est beaucoup plus gourmande en eau que celle de légumes, on estime que les mangeurs de viande consomment 4 000 litres d’eau par jour, alors que les végétariens n’en consomment que 1 500. Enfin, l’élevage est l’une des principales causes du réchauffement climatique, puisqu’il totalise 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Un repas avec viande et produits laitiers équivaut, en émissions de gaz à effet de serre, à 4 758 km parcourus en voiture, contre 629 km pour un repas végétarien.

Encore une fois, cette liste d’effets pervers est loin d’être exhaustive, mais les contributions que nous allons entendre tout au long de cette journée devraient apporter un éclairage documenté et fructueux sur un autre modèle agricole permettant à la France et à  l’Europe de relever les défis qui l’attendent dans un avenir proche : réduction des émissions des gaz à effets de serre (agroforesterie), fin de la dépendance de l’agriculture européenne par rapport aux énergies fossiles, baisse du coût des externalités que génère le modèle agroindustriel (pollution de l’eau, de l’air, épuisement des ressources aquifères, facture sanitaire), création d’emplois, restauration des sols érodés et des écosystèmes, souveraineté alimentaire (substitution des tourteaux de soja importés des Amériques par une production locale de protéines végétales). C’est de tout cela que nous allons parler aujourd’hui !

 Photos: Marc Duployer

 


[1] Le rapport est parrainé par sept organisations onusiennes, dont la FAO, l’Unesco, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

 


[i] Voir notamment : Nadine Brisson et alii, « Why are wheat yields stagnating in Europe ? A comprehensive data analysis for France », Field Crops Research, vol. 119, 2010, p. 201-212.

[ii] Stéphane Foucart, « Une étude estime que le réchauffement a réduit de 5,5 % et 3,8 % les rendements du blé et du maïs », Le Monde, 7 mai 2011 ; David Lobell, « Climate trends and global crop production since 1980 », Science, vol. 333, n° 6042, 29 juillet 2011, p. 616-620.

 

 

[iii] Sophie Landrin, « Dans la Beauce, cinquante ans de pollution agricole », Le Monde, 13 mars 2012.

[iv] Citée par Gilles van Kote, « L’agriculture à l’origine des deux tiers de la pollution de l’eau potable en France », Le Monde, 21 mars 2012.

[v] Cité par Éliane Patriarca, « Il faut impérativement économiser l’eau », Libération, 19 mars 2012.

[vi] Andrew Dorward, « Farm size and productivity in Malawian smallholder agriculture », Journal of Development Studies, vol. 35, n° 5, 1999, p. 141-161 ; Graham Dyer, « Farm size farm productivity re-examined : evidence from rural Egypt », Journal of Peasant Studies, vol. 19, n° 1, 1991, p. 59-92.

rediffusion du Monde selon Monsanto sur ARTE

Je suis heureuse de vous informer que mon film Le monde selon Monsanto sera rediffusé sur ARTE le 23 avril, à 14 heures 10.

Logiquement, la chaîne franco-allemande m’a demandé d’ « actualiser l’impact«  qu’ a eu le film (et le livre) depuis sa sortie en mars 2008. À dire vrai, la tache m’a paru incommensurable, tant les répercussions de cette enquête sont proprement innombrables au point qu’il m’arrive, aujourd’hui – soit cinq ans plus tard- , au moins cinq à dix demandes de projection ou de débat par semaine! Difficile dans ces conditions de dresser un bilan exhaustif du fameux « impact », sauf à y consacrer des jours!

J’ai donc décidé de reprendre la postface que j’avais écrite, en janvier 2009, à l’édition poche de mon livre, en l’agrémentant de photos et vidéos, et en la complétant par les événements les plus importants qui ont jalonné les années 2010 à 2012.

 

Un succès certifié durable[1]

Je vous écris du Pérou

 

J’écris d’une chambre d’hôtel à Lima ( Pérou). Les 28 et 29 janvier 2009,   j’ai été invitée à participer à  un colloque intitulé  « Les semences de la diversité face aux OGM » qu’organisait une dizaine d’associations , impliquées dans le développement durable et les droits de l’homme. Pour ce pays mégadivers, qui , avec la Bolivie, le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, l’Equateur, le Mexique et le Vénézuéla, détient 70% de la biodiversité du monde, l’enjeu est de taille : un projet de loi va bientôt être discuté  au parlement pour « encadrer les cultures transgéniques ».  Si la loi passe, le maïs transgénique de Monsanto  (BT) fera son entrée  au Pérou, menaçant de contaminer les  centaines de variétés « criollas » (traditionnelles) de  la céréale mythique des Incas « capable de pousser dans les zones littorales mais aussi à 3000 mètres d’altitude », comme l’a rappelé lors du colloque le docteur Antonieta Gutiérrez, professeur à l’Université nationale d’agronomie de La Molina à Lima. Preuve , s’il en était besoin, que les millions de paysans péruviens qui entretiennent cette extraordinaire biodiversité depuis des millénaires, n’ont pas attendu le « génie génétique » de multinationales comme Monsanto, pour développer des variétés adaptées aux terroirs, climats, et aléas agronomiques. Même chose pour la pomme de terre ou la quinoa, dont le Pérou constitue le centre d’origine, avec des milliers de variétés cultivées partout dans le pays.

 

Affiche pour le colloque de LIma

 

Le problème pour Monsanto et consorts c’est que ces variétés ne sont pas brevetées, et que les paysans continuent de développer leurs propres semences, au besoin en les échangeant avec leurs voisins. Or, par l’un des plus « grands hasards », le Pérou vient d’adopter récemment une loi autorisant le brevetage des semences, ce qui ouvre la voie aux OGM … Dans le même temps, le gouvernement péruvien subissait de nombreuses pressions pour interdire l’étiquetage des OGM, qui entrent déjà dans le pays, notamment sous forme d’huile de soja importée du Brésil, au motif que cet étiquetage serait préjudiciable au consommateur, en entraînant une « augmentation des prix » ( un argument déjà mis en avant par Monsanto notamment aux Etats Unis) . Enfin, des informations concordantes signalent la présence de cultures transgéniques illégales dans au moins une région  péruvienne, grâce à un trafic de semences fort opportun, organisé depuis les  pays voisins…

Extrait de la revue de presse péruvienne couvrant ma venue au Pérou

Le lecteur de ce livre l’aura compris : on retrouve là toute la stratégie de la firme de Saint Louis, pour imposer par tous les moyens ses plantes transgéniques pesticides : pression sur les gouvernements pour modifier les lois concernant le brevetage du vivant, ou pour empêcher l’étiquetage des OGM,  et création d’un « état de fait » (comme au Paraguay ou au Brésil, et plus récemment au Mexique)  pour revendiquer ses « droits de propriété intellectuelle » sur les cultures transgéniques illégales, et, donc de juteuses royalties,  entraînant in fine la légalisation des cultures de contrebande .

Le colloque de Lima a débuté par la projection de mon film  devant quelque trois cents participants. Au même moment, une autre projection était organisée pour vingt-cinq journalistes, suivie d’une conférence de presse qui a duré près de deux heures, tant les questions étaient nombreuses.

Conférence de presse à Lima

 

Puis, j’ai rejoint la salle du colloque pour écouter le discours d’ouverture de Antonio Brack, ministre de l’environnement, et, par ailleurs, un écologue réputé . Celui-ci a réitéré sa proposition de déclarer le « Pérou libre d’OGM », en soulignant qu’elle était loin de faire l’unanimité au sein du gouvernement. En fait, elle est même l’objet d’intenses frictions avec le ministère de l’agriculture, qui, comme au Brésil, soutient mordicus les OGM de Monsanto, censés entraîner une augmentation de la productivité agricole. Pendant le déjeuner, Antonio Brack m’a « avoué » , avec un grand sourire , que son cabinet était coupable de « piraterie » : « N’ayant pas pu nous procurer le film en espagnol , m’a-t-il expliqué, nous avons donc regardé la version pirate mise en ligne sur Google ! » À ma plus grande tristesse , en effet, au moment où j’écris ces lignes, aucun DVD espagnol n’était disponible sur le marché, et pour pallier ce manque, un internaute avisé a pris la peine de sous-titrer entièrement le film  et de mettre sa version pirate sur Internet ![2]

En France comme à l’étranger, un écho stupéfiant

L’anecdote péruvienne est exemplaire de l’incroyable succès planétaire qu’a rencontrée mon enquête sur Monsanto. Depuis mars 2008, date de parution de la première édition de ce livre et de la diffusion sur Arte de mon documentaire éponyme, j’ai été prise jusqu’à ce jour dans un tourbillon, que personne – ni moi, ni La Découverte ou ARTE – n’auraient pu espérer même dans nos rêves les plus fous !

 

Ovation à Montréal, lors de la présentation du film à l’association des retraités québécois.

 

Sollicitée de partout (d’Europe, d’Amérique du Nord et  du Sud, mais aussi d’Afrique), j’ai dû jongler tant bien que mal avec les centaines de demandes d’interview des médias ou de projections débats  que m’ont adressées des associations, des représentants politiques ou institutionnels,  et répondre aux multiples interrogations soulevées par ce travail. J’étais bien convaincue d’avoir mis à nu les agissements pervers de l’une des grandes multinationales de la technoscience contemporaine, mais je n’imaginais pas que mon livre et mon film, qui présentent notamment les travaux de tant de « lanceurs d’alerte » jusque-là étouffés, auraient un tel impact international.

http://www.mariemoniquerobin.com/crbst_15.html

Curieusement, alors que j’ai débuté ma longue enquête sur internet, c’est précisément de la toile qu’est parti l’incroyable ras de marée. Dans mon blog, ouvert le 18 février 2008[3], trois semaines avant la diffusion de mon film sur ARTE,  j’écrivais le 29 février : « Il se passe vraiment un drôle de phénomène sur la toile. Alors que la presse commence tout juste à commenter mon film (et livre), si on tape “Le monde selon Monsanto” dans Google, on atteint les 22 000 hits ! Depuis deux semaines, ça ne cesse de monter… À dire vrai, cela fait chaud au cœur et j’espère que le 11 mars, l’audience sur Arte sera à la hauteur de l’attente suscitée par ce film… » De fait, elle le fut : 1 569 000  téléspectateurs le premier jour (le 11 mars 2008) , soit  presque deux fois plus que l’audience habituelle d’Arte pour ce genre de documentaire, et la meilleure audience de l’année pour la chaîne. S’y ajoutent  170 000 visionnages sur ARTE +7, qui permet de visionner les films en ligne pendant une semaine, sans oublier les rediffusions et les ventes du DVD, qui se sont arrachés le soir même de la diffusion, au point de faire exploser le système informatique d’ARTE Boutique !  A ce jour, plus de 50 000 exemplaires du DVD ont été vendus.

 

À Montréal

 

Le 14 mars 2008, trois jours après la diffusion du film, Joël Ronez, responsable du pôle Web sur Arte France, écrivait « Le monde selon Monsanto a généré un buzz  assez colossal dans la blogosphère  (…) Plus de 338 blogs francophones citant le titre du documentaire ont été identifiés , dont 224 depuis la diffusion ». Si, aujourd’hui, on tape « le monde selon Monsanto » sur le Service Blog Search de Google, on obtient  8669 Blogs francophones ! Si on tape « The World according to Monsanto », le résultat est de 9428 Blogs anglophones !  Et, avec « El mundo según Monsanto », le chiffre est de 3314 Blogs hispanophones , alors que le film a eu une diffusion confidentielle sur la chaîne espagnole Tele Cinco, et qu’encore une fois, il n’y a pas, à ce jour, de version espagnole disponible sur le marché ! Au-delà des Blogs, c’est par centaines de milliers que se comptent les « hits » si on tape sur Google ou tout autre moteur de recherche « Le monde selon Monsanto », « The World According to Monsanto » ou « El mundo según Monsanto ».

À ce jour, le documentaire a été diffusé ou programmé sur une vingtaine de chaînes internationales, en Europe, mais aussi en Australie, au  Japon et  au Canada, et y compris aux Etats Unis, où il a été acheté par  Sundance Channel. Même phénomène pour  le livre, qui  s’est vendu à 100 000 exemplaires dans le monde francophone, tandis que les éditeurs de seize pays ont décidé de le traduire (y compris en Corée, où des agents se sont littéralement battus pour obtenir les droits d’édition !)

La couverture de huit éditions internationales du Monde selon Monsanto

 

J’ai accompagné la sortie du livre (Stanké) et film  au Canada ( l’Office national du Canada, coproducteur, avait décidé de lancer le documentaire d’abord en salle, où il a fait quelque 20 000 entrées au Québec, un score excellent pour un documentaire), où je me suis rendue par deux fois, en mai et en septembre 2008, et ai enchaîné les interviews (près de trente) , constatant avec étonnement que les journalistes de ce pays, qui comptent , pourtant, sept millions d’hectares de cultures transgéniques, ne savaient pas, pour  la plupart, quels OGM ils avaient dans leurs champs, et donc dans leurs assiettes. Quand je leur expliquais qu’en achetant une huile de colza (non étiquetée), ils consommaient très probablement des résidus de roundup, mes confrères écarquillaient immanquablement les sourcils, confirmant qu’ils découvraient la « réalité des OGM de Monsanto ».

600 personnes à Sherbrooke (Québec)

 

J’ai fait le même constat en Espagne, où j’ai passé une petite semaine en novembre 2008, pour le lancement de la version espagnole de mon livre (Peninsula). Dans ce pays – le seul de la Communauté européenne à avoir des cultures transgéniques – 80 OOOO hectares, principalement en Catalogne et Aragón, sont plantés en maïs BT 810, celui-là même qui a été provisoirement suspendu par le gouvernement français en février 2008.  Avant chaque interview (une bonne vingtaine) , je faisais un petit test : « Savez-vous quels OGM sont cultivés en Espagne ? » Suivait , à chaque fois, un long silence, et parfois cette réponse sidérante : « Des plantes manipulées génétiquement pour résister à la sécheresse » ! « Malheureusement , étais-je obligée de répondre immanquablement , ces plantes magnifiques n’existent pas ! Les seuls OGM cultivés en Espagne sont des plantes insecticides, ce qui veut dire que, sans le savoir, vous consommez – vous ou les animaux que vous mangez – des résidus d’insecticide … » Je n’oublierai jamais le regard inquiet de mes confrères de la péninsule ibérique…

http://wp.arte.tv/robin/2008/12/01/clip-espagnol/

Dernière anecdote : alors que le film n’était pas encore disponible aux Etats Unis, des internautes avisés l’ont acheté sur Arte Boutique (le DVD a été édité en français, allemand et anglais) puis l’ont découpé en dix parties pour le mettre sur Google Video , You Tube ou Daily Motion. Responsable de la distribution du documentaire en Amérique du Nord, l’Office national du film du Canada est intervenu, à plusieurs reprises, pour demander son retrait de la toile, tant qu’il n’avait pas été légalement commercialisé. Le lecteur pourra vérifier que des papiers ont   immédiatement circulé sur le Web, intitulés «  The documentary you won’t ever see » (le documentaire que vous ne verrez jamais), expliquant que c’était la faute à … Monsanto, qui usait de son légendaire entregent pour le censurer !

 

500 personnes à Ruffec (Charente)

 

Comment expliquer un tel écho ? D’abord, je crois, par la violence même des pratiques d’une multinationale qui s’affiche paradoxalement « au dessus de tout soupçon ». Mais aussi par l’effet souterrain du travail obstiné conduit depuis des décennies, dans le monde entier, par toutes celles et ceux qui s’y sont opposés et dont j’ai tenté ici de restituer la parole : les syndicats et mouvements paysans d’Inde ou d’Amérique latine en butte aux dégâts des OGM, les « faucheurs volontaires » de champs d’OGM en France, les scientifiques « lanceurs d’alerte » en Amérique et en Europe, ou les avocats, en particulier américains, des victimes des pratiques de Monsanto, du PCB d’hier aux OGM d’aujourd’hui. Enfin, et peut-être surtout, par le fait que la multinationale de Saint Louis représente un paradigme du modèle industriel mortifère qui s’est imposé un peu partout dans le monde après la seconde guerre mondiale. Or ce modèle, qui repose sur une course effrénée vers le seul profit, et dont chacun d’entre nous a largement profité, entretient une peur diffuse due aux effets néfastes qu’il  a entraînés sur l’environnement et la santé de l’homme.

 

Interview de la télévision brésilienne après la projection du film au parlement

 

À toutes ces raisons , qu’un sociologue serait plus à même de décortiquer plus en détail, s’en ajoute une absolument fondamentale : la puissance des réseaux du Web, qui se sont emparés de mon enquête comme d’un outil démocratique d’information, avec en tête le site « combat-monsanto.org » qui s’est créé, dans la foulée de mon livre et film, et qui poursuit mon travail et l’enrichit avec rigueur et ténacité. Conçu à l’initiative d’un collectif d’associations, dont Greenpeace, la Fondation sciences citoyennes du Professeur Jacques Testart, Via Campesina, Attac, Les amis de la terre, Sherpa,  et parrainé par la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme , ARTE et La Découverte, ce site trilingue (français, anglais, espagnol) a pour vocation de centraliser toutes les informations internationales et de mettre en synergie les réseaux qui, un peu partout dans le monde, se battent « pour que le monde de Monsanto ne devienne jamais le nôtre ».

La réaction de Monsanto et de ses supporters

Comment Monsanto a-t-il réagi à toutes ces mises en cause ? Pendant, plus de dix mois, par le silence, comme si le service de communication de la firme avait jugé préférable de se taire, pour tenter de « limiter les dégâts ».  En France, les journalistes, qui ont contacté sa filiale française, dans la banlieue lyonnaise, se sont fait gentiment éconduire, conformément à ce qu’avait annoncé le site de Monsanto France : « Le film et le livre de Marie-Monique Robin sont les dernières illustrations de la frustration des opposants aux biotechnologies. Ces travaux sont tellement partiaux qu’ils n’appellent aucun commentaire de la part de notre entreprise. » D’où ce commentaire de Hervé Kempf, grand spécialiste des OGM au Monde, que je cite régulièrement dans mon livre : « Qui ne dit mot, consent » . [4]

 

Queue lors de la projection du film à Mexico

 

En revanche, et j’allais dire comme d’habitude, la multinationale a essayé de faire porter la critique par une tierce personne, en l’occurrence une obscure association, dénommée Association française pour l’information scientifique (AFIS). [5] Comme je l’écrivais dans mon Blog , le 9 mars 2008, c’est-à-dire deux jours avant la diffusion de mon film sur ARTE, « des internautes vigilants m’ont signalé un article mis en ligne sur le site de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) qui ‘ se donne pour but de promouvoir la science contre ceux qui nient ses valeurs culturelles, la détournent vers des œuvres malfaisantes ou encore usent de son nom pour couvrir des entreprises charlatanesques ‘… Cette association est connue pour ses prises de position scientistes pures et dures et son soutien sans faille à l’establishment scientifique, dont elle estime que la parole et les travaux ne sauraient être questionnés par des citoyens aussi ignares qu’impies parce que non scientifiques. C’est précisément au nom de cette science « au-dessus de la mêlée » et qui n’a de compte à rendre à personne, qu’ont pu avoir lieu les grands scandales sanitaires des vingt dernières années : affaire du sang contaminé, crise de la vache folle, drame de l’hormone de croissance, ou désastre criminel de l’amiante. »

Toujours est-il que ledit article de l’AFIS comprenait un avant propos d’un certain Michel Naud, un « ingénieur et chef d’entreprise », président de l’AFIS, qui se présente comme un « rationaliste scientifique » et un « bright »… [6] Il est intéressant de noter que pour lancer leur « mise en garde » contre ce que Michel Naud appelle les « contrevérités et les approximations relayées sans esprit critique » de mon enquête sur Monsanto, les auteurs de l’AFIS n’ont rien trouvé de mieux que d’avoir recours à la calomnie et à la désinformation. Parmi les quelque deux cents reportages et documentaires que j’ai réalisés pour la télévision ils en ont retenu deux qui leur semblaient pouvoir jeter le discrédit sur mon travail : l’un intitulé « Voleurs d’organes », qui m’a valu sept prix internationaux , dont le Prix Albert Londres, et l’autre, intitulé « La science face au paranormal », diffusé sur Canal + et ARTE. Je ne reviendrai pas sur  la réponse substantielle que j’ai adressée  à l’AFIS et j’invite le lecteur à consulter les neuf messages que j’ai placés sur mon Blog à ce sujet (dans la rubrique «  les nouvelles de la toile ») [7],  mais je souligne que dans le long article développé par le Dr. Marcel Kuntz, celui-ci semble gêné aux entournures, car il est incapable de démonter ce qui aux yeux de tous les commentateurs honnêtes constitue le cœur de mon investigation, à savoir, comme je l’ai écrit dans mon Blog :

«  1) le « principe d’équivalence en substance » ne repose sur aucune donnée scientifique mais sur une « décision politique » de la Maison Blanche, destinée à favoriser, au plus vite, la mise sur le marché des OGM, en permettant que les produits issus des biotechnologies échappent aux tests sanitaires ou environnementaux.

2) ce principe d’équivalence en substance était vivement critiqué par les propres scientifiques de la FDA qui pensaient, au contraire, que le processus de manipulation génétique pouvait entraîner des « risques spécifiques » et recommandaient donc que les OGM soient minutieusement testés avant leur mise sur le marché, mais ils n’ont pas été écoutés.

3) effectivement, ce « principe a évolué depuis l’origine », puisque le Codex alimentarius de l’ONU recommande depuis … 2000 qu’il soit considéré comme une « étape ». Mais c’était quatre ans après la mise sur le marché du soja roundup ready, qui recouvre aujourd’hui des millions d’hectares!

4) les chercheurs européens ont brillé par leur silence quand ce principe a été introduit, sous la houlette de la FDA et de Monsanto, au début des années 1990, à l’OMS, la FAO et l’OCDE, alors qu’aucun OGM n’était encore cultivé (cf. chapitre 8 de mon livre). »

Très clairement l’AFIS était en lien étroit avec Monsanto ainsi qu’a pu le vérifier Christina Palmeira, la correspondante du journal brésilien Carta Capital , à qui les représentants français de la firme ont décliné sa demande d’interview, en la renvoyant sur … l’AFIS ![8]

Et puis, comble de malchance pour mes sympathiques détracteurs, le 29 mars 2008, je révélais sur mon Blog une lettre disponible sur Internet , adressée par le Dr. Marcel-Francis Kahn à Christian Vélot, enseignant-chercheur en génie génétique moléculaire à l’Université Paris Sud, l’un des rares scientifiques français , qui a le courage de dénoncer l’absence d’évaluation sérieuse des plantes pesticides de Monsanto, et qui fut menacé de perdre son travail . Voici ce qu’écrit le Dr. Kahn, qui a démissionné de l’association scientiste, en dénonçant ses liens, et notamment ceux du … Dr. Marcel Kuntz, avec Monsanto :

« Je viens de signer la pétition protestant contre la suppression des facilités de recherche dont vous bénéficiez. L’élément suivant peut vous intéresser. Je faisais partie du Comité scientifique et de patronage de l’AFIS qui édite le bulletin « Science et pseudo-science ». Je combats depuis longtemps en médecine tous les charlatanismes.

Il ne vous a peut-être pas échappé que ,sous l’influence de son rédac chef Jean-Paul Krivine, l’AFIS s’est transformée sans que notre avis soit sollicité en un véritable lobby pro OGM.Certes , je ne suis pas du tout persuadé que le maïs 810 ou d’autres soit toxique. Ce que j’ai lu ne m’en convainc pas. Mais en revanche je combats la stratégie monopolistique agressive de Monsanto et de ses diverses sociétés écran. J’ai donc demandé à la rédaction de Science et Pseudoscience que … Marcel Kuntz et Louis-Marie Houdebine indiquent leurs liens avec Monsanto et ses filiales , comme en médecine ( je m’occupe d’un journal scientifique médical et il est devenu obligatoire de préciser ce qu’on nomme conflits d’interêt) »…

http://wp.arte.tv/robin/2008/03/21/les-liens-entre-lafis-et-monsanto-la-preuve/

 

Il faudra attendre la sortie en novembre 2008 de l’édition en portugais de ce livre au Brésil – où étaient cultivés en 2007, on l’a vu, plus de quinze millions d’hectares de soja RR – pour enregistrer une première réaction officielle de la firme de Saint Louis, expliquant dès le jour de mon arrivée dans le pays (le 8 décembre 2008) sur le site Web de sa filiale brésilienne [9] que mon « livre-documentaire »  «tend à dénigrer l’image de Monsanto ».  Le papier passe en revue tous les sujets traités dans mon enquête et qui manifestement fâchent la multinationale (et à ce titre il est fort instructif ) : les PCB, l’hormone de croissance, l’agent orange, le roundup, les revolving doors , la police des gènes, etc, avec la mauvaise foi et le déni  habituels : on peut y lire, par exemple, qu’ « aucune étude scientifique n’a pu montrer le lien causal entre une exposition aux PCB et le cancer » !  Le 20 décembre, Annie Gasnier, correspondante du Monde au Brésil, et qui était présente à la projection-débat organisée par le Consul de France à Rio de Janeiro, a eu la bonne idée d’appeler le service de communication de Monsanto Brésil, lequel a avoué que le papier était « une traduction littérale du texte envoyé par le siège américain de la firme ». D’où le commentaire de la journaliste : « La réaction publiée témoigne de l’importance du Brésil dans la stratégie de la multinationale » . Au passage, ma consoeur  révèle une information qui confirme tout ce que j’ai écrit dans ce livre :  » Dans le Sud, des agriculteurs tentent d’abandonner le soja OGM, déçus par les rendements, mais ils ne trouvent plus de graines traditionnelles à cultiver ».

Annie Gasnier (2ème rangée avec le collier)

Alors que j’étais au Brésil, Soazig Quemener,  journaliste au Journal du Dimanche a cherché à m’interviewer. Malheureusement, mon programme très chargé et le décalage horaire ne m’ont pas permis de répondre à ses questions. Le 14 décembre 2008, le journal a donc publié une interview de Laurent Martel, qui représente une anthologie de langue de bois , où  commentant mon livre, il assène : « C’est un livre à charge qui assène tout un tas d’erreurs ». On  n’en saura pas plus, car aussitôt le cadre de Monsanto enfourche le cheval habituel de la firme : «   En France, nous sommes avant tout des agronomes qui travaillent au service des agriculteurs. Monsanto participe à des défis essentiels. Nous sommes 6,5 milliards d’habitants sur Terre, nous serons 9 milliards d’ici quarante ans… »

Avec le gouverneur de l’État du Paraná (Brésil)

Mais auparavant, j’ai été l’objet d’une assez extraordinaire campagne de dénigrement de mon travail, conduite sur le Web par quelques internautes jouant les spécialistes , et signant leurs attaques de divers pseudos (« Anton »,  « Gatteca », « Zobi », « Ryuujin » ou « GPF »).  Postant » leurs commentaires à toute heure du jour et de la nuit, – y compris le soir du nouvel an ! -sur mon blog et sur bien d’autres[10], comme s’ils n’avaient que cela à faire, ces partisans fanatiques des OGM ont prétendu démolir, point par point, mon enquête. Curieusement, tous (à moins que ce ne soit une et même personne, travaillant pour le compte d’une agence de communication, spécialisée dans le « marketing viral », comme je le raconte dans ce livre) ont décliné ma proposition de participer ensemble à un débat public, préférant garder leur anonymat somme toute bien confortable. Ainsi que je le soulignais un peu plus haut, ceux que je dénomme sur mon Blog « mes détracteurs personnels », et qui ont avoué, pour certains, qu’ils n’avaient pas lu mon livre ni vu mon film,  se gardent bien en tout cas de revenir sur les points essentiels de mon investigation : l’inanité du « principe d’équivalence en substance », dont découle l’absence (voire la manipulation ) d’études scientifiques sérieuses sur les OGM (comme avant sur les PCB, la rBGH, etc) et le système des revolving doors qui permet de tout verrouiller.

 

Ca bouge !

 

Au-delà des objections, finalement très minoritaires,  à mon travail de la part des supporters de Monsanto et des multinationales productrices d’OGM, mon livre/film a suscité bien d’autres réactions qui permettent d’affirmer que lentement mais sûrement les choses bougent. Ainsi, lors de l’examen parlementaire  de la loi sur les OGM au printemps 2008, on a vu des élus UMP très courageux monter au créneau, pour dénoncer les pressions exercées par Monsanto sur leurs collègues.  Le 2 avril 2008, Jean-François Legrand, sénateur de la Manche, qui avait émis des « doutes sérieux » sur le MON 810, lorsqu’il présidait le comité de préfiguration de la Haute Autorité sur les OGM, déclarait au Monde : « Certains ont fait main basse sur l’UMP afin de défendre des intérêts mercantiles, « ripolinés » pour les rendre sympathiques : on a parlé de l’avenir de la science, de celui de la recherche… La force de frappe de Monsanto et des autres semenciers est phénoménale. Il fallait voir la violence des réactions de Bernard Accoyer [président de l’Assemblée nationale] et d’autres au lendemain de l’avis rendu par le Comité de préfiguration. Il suffit de comparer les argumentaires des uns et des autres – identiques – pour comprendre l’origine de leur colère. Ils ont été actionnés. J’ai été approché par Monsanto, et j’ai refusé de leur parler. Je veux rester libre. »[11]

Le 10 juin 2008, dans une interview à l’Express, le sénateur qui a finalement été mis au ban du groupe UMP au Sénat lors de l’examen de la loi, confirmait le rôle qu’avait joué mon enquête dans sa prise de position : « J’ai vu le film et j’ai été vraiment impressionné« , témoignait- t-il, notant que certains de ses collègues ont, eux aussi, été « ébranlés ». « Mais je ne peux pas donner de noms« , ajoutait-t-il.

Quant à Antoine Herth, rapporteur du texte sur les OGM à l’Assemblée, il avouait à mon collègue de l’Express : « L’effet a surtout été indirect: il y a eu un tel battage autour de sa diffusion que nous avons été harcelés. On recevait 200 messages des altermondialistes par jour! » [12]

Au même moment, le député UMP de Moselle François Grosdidier [13] s’exprimait lui dans Libération pour dénoncer l’activisme de la FNSEA, le principal syndicat agricole, et du lobby semencier, pour que le projet de loi soit détricoté : « Mes collègues sont grandement intoxiqués (…) Les députés ruraux sont soumis à de fortes pressions« . Il évoquait des « démarches individuelles faites auprès des députés ruraux, qui constituent la majorité des députés de la majorité, par les branches départementales de la FNSEA avec plus ou moins, disons, de véhémence (…)Certains de mes collègues, dont je tairai le nom, se sont entendus dire que leur permanence risquait d’être mise à sac ». [14]

J’ai rencontré, depuis, François Grosdidier à plusieurs reprises. Il m’a confirmé que sans ce lobbying forcené de Monsanto, des semenciers comme Limagrain et de la FNSEA, la loi sur les OGM ne serait jamais passée, avec une confortable majorité de refus. Dans les faits, elle a été refusée à une voix, puis finalement imposée par le gouvernement de Mr.Fillon, qui a sorti de son chapeau une commission paritaire, permettant de contourner le rejet du parlement. Ce que j’ai appelé dans mon Blog un « déni de démocratie pur et simple ».

Le 26 novembre 2008, François Grosdidier et Serge Lepeltier, le maire de Bourges et ancien ministre de l’environnement de Alain Juppé, qui ont créé une association baptisée « Valeurs écologiques », m’ont invitée à animer un petit-déjeuner conférence à l’Assemblée nationale. À leur grande surprise, près de soixante-dix élus et membres de diverses institutions se sont déplacés.  J’ai concentré mon exposé sur l’enjeu des semences brevetées et le dessein de Monsanto de s’emparer du contrôle de la chaîne alimentaire à travers l’outil des OGM (un sujet complètement absent du débat parlementaire ), l’inévitable contamination des filières conventionnelles et biologiques, si les cultures transgéniques étaient autorisées en France, et, enfin, sur la nécessité de revoir l’homologation du roundup.

 

550 personnes à Chemillé (Maine et Loire).

Entre-temps, en effet, la condamnation de Monsanto pour « publicité mensongère » avait été confirmée par le Tribunal de Lyon,  tandis qu’une nouvelle étude publiée par le professeur Gilles-Éric Séralini avec sa collègue Nora Benachour, dans la revue Chemical Research in Toxicology,  confirmait « l’impact de diverses formulations et constituants » du roundup « sur des lignées cellulaires humaines. Et ce à des doses très faibles », pour reprendre les termes du Monde. [15]

Au même moment en Argentine, où les cultures transgéniques couvrent aujourd’hui dix-huit millions d’hectares, le gouvernement de Christina Kirchner décidait, enfin, de bouger : A la suite de différents articles parus dans le journal Página 12, largement déclenchés par  mon livre et film sur Monsanto, la présidente vient de créer , par décret, une commission d’enquête officielle sur les conséquences sanitaires dramatiques des épandages de roundup dans les zones de production de soja transgénique. Récemment, le juge Carlos Matheu a pris une décision, qui, d’avis général, fera jurisprudence, interdisant les épandages du poison de Monsanto à moins de 1500 mètres des lieux d’habitation. Dans le même temps , une série de plaintes étaient déposées, à la suite de l’explosion de cancers notamment chez les enfants, nés dans les zones de cultures de soja roundup ready. Particulièrement alarmant est le cas du quartier de Ituzaingó à Córdoba, où les mères se battent depuis des années pour que cesse cet empoisonnement, responsable d’un taux particulièrement élevé de cancers , malformations foetales et de pathologies multiples.. Enfin, une équipe médicale de l’hôpital italien de Rosario, dirigée par le Dr. Oliva, a confirmé les conséquences sanitaires désastreuses du modèle transgénique.

Avec Alberto Hernandez, ministre de l’agriculture argentin

Sofia Gattica (à gauche) du quartier de Ituzaingó (Córdoba). Elle a reçu le prestigieux Prix Goldman (voir sur ce blog) pour le travail d’alerte qu’elle a menée contre les dégâts sanitaires provoqués par les épandages de roundup.

 

Dans toutes mes conférences, j’insiste tout particulièrement sur l’urgence de revoir l’homologation du roundup, qui constitue, à mes yeux, une urgence sanitaire, et qui, de plus, est lié à 70% des plantes transgéniques cultivées sur la planète. L’argument semble faire son chemin : un peu partout en France, mais aussi au Canada, des citoyens ont décidé de rapporter leurs bidons de l’herbicide le plus vendu au monde au vendeur, et nombreuses sont les communes qui ont déjà (ou vont) interdit son usage, ainsi que celui d’autres produits similaires tout aussi dangereux.

Par exemple, en juin dernier, j’ai été invitée à faire un exposé sur le roundup par la région Poitou Charentes, qui organisait  un « forum participatif régional pour la réduction des pesticides dans les collectivités » . Plus de 150 élus ou techniciens des espaces verts avaient répondu à l’appel , révélant l’inquiétude des élus face à la catastrophe sanitaire qu’a déjà commencé à provoquer l’usage massif de pesticides, jusque dans les cours de récréation. Un article paru, le 24 novembre 2008, dans Le Monde dénonçait, pour la première fois,  les effets néfastes sur la fertilité masculine des pesticides (et plastiques), qui sont des perturbateurs endocriniens (comme le roundup de Monsanto). Leur « présence diffuse dans l’environnement » pourrait expliquer que « le nombre et la qualité des spermatozoïdes » des hommes a « diminué environ de 50% par rapport à 1950 ».[16]

Lors de mes projections/débats, qui réunissent toujours entre 2OO et 6OO personnes, je pose immanquablement la même question : « Qui a dans son entourage très proche quelqu’un qui souffre d’un cancer, de la maladie de Parkinson ou d’Altzheimer ? » Systématiquement, 80% des personnes présentes dans  la salle lèvent la main. Suivent alors invariablement les deux mêmes questions, venues, cette fois, du public : « Pourquoi ? Qu’est ce qu’on peut faire ? »

Par un « hasard » de calendrier, « Le monde selon Monsanto » est arrivé au bon moment, permettant de cristalliser les inquiétudes de la société civile,  face à cet énorme enjeu que représentent les plantes transgéniques, et au-delà face à l’angoissante épidémie de cancers, maladies neurologiques ou auto-immunes , dysfonctionnement de la reproduction, qui frappe , aujourd’hui, chaque famille dans les pays dits « développés ».

Ce sera, d’ailleurs, le sujet de mon prochain film et livre, que je vais réaliser au cours de l’année 2009 pour ARTE et La Découverte, car comme dit le dicton, « on ne change pas une équipe qui gagne »…

 Lors de la remise du prix des médias (section télévision) à Berlin (novembre 2009). Pendant cette soirée exceptionnelle, où le prix m’a été remis par Renate Künast, l’ancienne ministre de l’environnement du gouvernement Schröder, j’ai eu la surprise d’avoir un message filmé de Vandana Shiva, prix Nobel alternatif (introduit par le président de l’association Umwelthilfe):


De 2009 à 2013, de nombreux événements ont jalonné l’histoire du Monde selon Monsanto. J’invite les internautes à consulter mon Blog où j’ai tenu un compte rendu détaillé des nouvelles les plus importantes.

Parmi elles, il y a bien sûr la condamnation de Monsanto dans l’affaire de Paul François. Une première mondiale!

http://wp.arte.tv/robin/2012/02/13/paul-francois-a-gagne-son-proces-contre-monsanto/

 


[1] Titre d’un article du journal Livres Hebdo, du 18 avril 2008, rapportant que mon livre  Le monde selon Monsanto  « arrive en deuxième position des meilleures ventes  des essais ».

[2] Je viens d’apprendre qu’ARTE avait (enfin !) décidé de fabriquer le DVD espagnol réclamé à cors et à cris un peu partout en Amérique latine.

[3] <http://blogs.arte.tv/LemondeselonMonsanto>.

[4] Le Monde, 10 mars 2008

[5] http://www.pseudo-sciences.org/

[6] http://brightsfrance.free.fr/michel.naud.htm.)

[9] http://www.monsanto.com.br/monsanto/para_sua_informacao/documentario_frances.asp

[10] Voir notamment <http://imposteurs.over-blog.com>.

[12] L’Express, 12 juin 2008.

[13] François Grosdidier,a publié Tuons-nous les uns les autres. Qu’avons nous retenu des grandes catastrophes sanitaires ?, aux Editions du Rocher , 2008.

[14] Libération, 1 avril 2008

[15] « Le désherbant le plus vendu au monde mis en accusation« , Le Monde, 9 janvier 2009.

[16] « La reproduction humaine menacée par la chimie », Le Monde, 24 novembre 2008.

 

L’ANSES met en garde contre les dangers du Bisphénol A

Une fois n’est pas coutume, mais je voudrais saluer le courage de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui vient de publier un rapport très documenté (282 pages) sur les effets sanitaires du Bisphénol A (encore appelé « BPA »).

http://www.anses.fr/fr

Je reproduis , ici, un extrait de la synthèse du rapport :

L’avis publié ce jour confirme les effets sanitaires du bisphénol A pointés par l’Agence en septembre 2011, en particulier pour la femme enceinte au regard des risques potentiels pour l’enfant à naître. Il prend en compte, pour la première fois, une estimation des expositions réelles de la population au bisphénol A par voie alimentaire, mais aussi par inhalation (via l’air ambiant) et par voie cutanée (au contact de produits de consommation).

L’alimentation contribue à plus de 80% de l’exposition de la population. Les principales sources d’exposition alimentaire sont les produits conditionnés en boîtes de conserve (1) qui représentent environ 50% de l’exposition alimentaire totale. L’Agence a également identifié l’eau distribuée en bonbonnes de polycarbonate comme une source conséquente d’exposition au bisphénol A.

Les conclusions de l’évaluation des risques, réalisée sur la base des dangers identifiés à partir d’études conduites sur des animaux et de la caractérisation des expositions, montrent un risque potentiel pour l’enfant à naître des femmes enceintes exposées. Les effets identifiés portent sur une modification de la structure de la glande mammaire chez l’enfant à naître qui pourrait favoriser un développement tumoral ultérieur.

Comme le souligne Le Monde, dans un article intitulé « Bisphénol A et cancer : les preuves s’accumulent » (10 avril 2013),

Rarement – jamais peut-être – une agence de sécurité sanitaire aura rendu des conclusions aussi alarmantes sur un polluant à ce point omniprésent dans notre environnement quotidien. Au terme d’un travail de longue haleine ayant rassemblé les contributions d’une centaine de scientifiques, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu public, mardi 9 avril, un avis sur le bisphénol A (BPA) singulièrement inquiétant pour les générations à venir.

De toutes les substances chimiques de synthèse capables d’interférer avec le système hormonal (« perturbateurs endocriniens »), le BPA est celle qui entre dans la composition du plus grand nombre d’objets (plastiques, conserves, canettes, amalgames dentaires, etc.) ; il imprègne l’ensemble de la population occidentale.

Selon l’agence française, « certaines situations d’exposition de la femme enceinte au BPA présentent un risque pour la glande mammaire de l’enfant à naître ». En d’autres termes, les enfants exposées in utero à des taux de BPA rencontrés dans la population générale pourront avoir un risque accru de contracter un cancer du sein plus tard dans leur vie.

La mesure de BPA dans l’air à l’intérieur des habitations, les poussières, l’alimentation, l’eau, les tickets de caisse, etc. a permis à l’agence d’évaluer cette exposition. Dans 23 % des situations, les femmes enceintes sont potentiellement exposées à des taux de BPA présentant un risque accru de cancer du sein pour l’enfant à naître.

La situation la plus inquiétante est celle des caissières qui manipulent des tickets de caisse en permanence : en cas de grossesse, les risques pour l’enfant à naître, outre ceux de cancer du sein, peuvent concerner les troubles du comportement, le risque d’obésité et d’éventuelles altérations de l’appareil reproducteur féminin.

Comment diminuer les risques ? s’interroge, de son côté, Libération, qui écrit dans un article intitulé « Bisphénol A, substance tout risque »:

Le Parlement a adopté une loi interdisant le bisphénol A dans tout conditionnement à vocation alimentaire à partir de 2015. Première étape, sa présence est interdite dans les contenants alimentaires destinés aux enfants de moins de trois ans depuis janvier. «Cette nouvelle législation devrait conduire à une baisse très significative du niveau d’exposition au BPA», se réjouit l’Anses. D’ores et déjà, l’agence recommande de réduire l’exposition des personnes manipulant des papiers thermiques contenant du bisphénol A. Aux femmes enceintes, elle conseille également d’éviter boîtes de conserves et bonbonnes d’eau.

Bien sûr, on ne peut que se réjouir de l’avis des experts de l’ANSES qui ont , enfin, fait leur travail : examiner TOUTES les études menées sur le BPA , dont plusieurs centaines réalisées par des laboratoires indépendants qui montrent le danger que représente une exposition à faibles doses, notamment des fœtus. Mais que de temps perdu ! Car la plupart des études qu’ils ont examinées étaient disponibles il y a déjà plusieurs années!

Ainsi que je l’ai raconté dans mon livre Notre poison quotidien, il n’est pas loin  le temps où Roselyne Bachelot, ministre de la santé, assurait, avec l’aplomb de rigueur, que les biberons contenant du Bisphénol A étaient tout à fait inoffensifs ! Ni celui, où Pascale Briand, la directrice de l’AFSSA (l’ancêtre de l’ANSES) disait, la main sur le cœur, que le BPA avait été très bien testé par les industriels et qu’il ne fallait pas céder à l’ « émotion », ainsi qu’on peut l’entendre dans cet extrait de mon film :

Comme je l’ai écrit dans la postface de l’édition poche de Notre poison quotidien (voir sur ce blog), les « choses avancent lentement mais sûrement ».

En attendant, une chose est sûre: logiquement, le ministère de la Santé devrait lancer une campagne d’information après des femmes enceintes et des jeunes parents les invitant à jeter à la poubelle ou à boycotter, au plus vite, tous les produits contenant du Bisphénol A, comme les récipients en plastique, les bonbonnes d’eau,  les boîtes de conserve et canettes, sans oublier certains matériels médicaux, les tickets de caisse ou les reçus de cartes bancaires.

Censure à Haguenau: les pratiques antidémocratiques de la FDSEA

A dire vrai cela ne m’était encore jamais arrivé! Sur les quelque 300 projections des Moissons du futur, organisées depuis octobre dernier, c’est la première fois qu’un rendez-vous prévu de longue date était annulé quasiment à la dernière minute!

L’histoire est la suivante: M2Rfilms, ma maison de production, avait été contactée il y a plus de six mois par Le Jardin des Sciences, une « équipe pluridisciplinaire »  de l’Université de Strasbourg, dirigée par Saïd Hasnaoui.  «  Ancré au cœur de l’Université et tournée vers la Cité, le Jardin des Sciences organise un grand nombre de manifestations diverses permettant un débat science-citoyen sans cesse renouvelé« , explique le site de  cette institution très réputée en Alsace:

http://jardin-sciences.unistra.fr

Pour désenclaver la science et la rendre accessible au plus grand nombre, le Jardin des Sciences a développé un partenariat avec les communes alsaciennes, avec lesquelles il organise notamment des projections de documentaires à caractère scientifique, suivies de débats. C’est ainsi que la ville de Haguenau avait accepté sa proposition d’organiser une projection des Moissons du futur dans le cadre de la semaine du développement durable.

Il y a deux semaines, la rumeur a commencé à circuler que la FDSEA – la branche départementale de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire – avait fait pression sur le député-maire Claude Sturni pour annuler la soirée. « La FDSEA se vante d’avoir empêché ta venue » m’a ainsi prévenu un ami alsacien.

N’ayant pas été informée de ce changement de programme, M2RFilms a contacté la représentante de la mairie de Haguenau en charge de la programmation et Saïd Hasnaoui du Jardin des sciences, lesquels ont confirmé, fort embarrassés, qu’ils n’avaient rien pu faire pour empêcher cette annulation… D’après les informations que j’ai obtenues c’est un représentant de la FDSEA qui aurait effectivement demandé au député-maire d’annuler la projection, au motif que le film était « polémique »!!

Il est intéressant de constater qu’un agriculteur alsacien, représentant d’un syndicat agricole, empêche la projection d’un film qui constitue un hommage aux paysans pratiquant une agriculture efficace, productive et respectueuse de l’environnement. De quoi a-t-il peur? Mais peut-être n’a-t-il pas vu le film qui comprend une partie tournée sur une ferme allemande située à trente kilomètres de Strasbourg?!

Il est aussi intéressant de constater qu’un élu – le sieur Claude Sturni– accepte de céder aux injonctions d’un syndicaliste agricole – je choisis délibérément de rester sobre dans mes termes- et de faire annuler un événement préparé de longue date par ses services!!

Bel exemple de démocratie!!

Face à cet acte de censure manifeste, le Jardin des Sciences a rapidement rebondi en organisant à la dernière minute, en partenariat avec l’association Campus Vert– que je remercie chaleureusement-  une projection débat dans un amphithéâtre de l’Université de Strasbourg:

http://campusvert.u-strasbg.fr

Hier soir, donc quelque 150 personnes étaient présentes malgré la communication très réduite!

C’est d’autant plus remarquable que Campus Vert avait déjà projeté le film la semaine précédente: l’association m’avait invitée, mais j’avais décliné l’offre, car je pensais être à … Haguenau la semaine suivante! Je rappelle que j’avais aussi présenté mon enquête, en décembre dernier, lors d’une rencontre organisée par la librairie Kléber et le Club de la presse, où étaient présentes plus de 200 personnes.

 Je remercie donc Le Jardin des Sciences et l’Association Campus Vert pour cet acte de résistance à la censure. Je remercie aussi Mme Véronique Le Tan de la mairie de Haguenau, qui a beaucoup oeuvré pour que soit maintenue la projection, et qui était présente hier dans l’amphithéâtre. Je remercie, enfin, Mr. Philippe Muller, producteur des Soirées Thema de ARTE, qui était aussi présent pour souligner son attachement à la « liberté d’informer« . Je remercie, enfin, tous ceux et celles qui se sont mobilisées très rapidement pour que les pratiques anti-démocratiques de la FDSEA soient dénoncées.

Pour ma part, j’ai décidé d’inviter l’édile alsacien peu courageux au colloque sur l’agro-écologie organisé, lundi prochain, au sénat (voir mon post précédent). Le député-maire de Haguenau aura l’occasion d’y croiser le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, qui a promis de faire de l’agro-écologie « une force pour la France« . Il aura aussi l’occasion de voir de larges extraits du film qu’il a fait censurer sur sa commune!