souvenirs de Rosario ou la force de continuer à faire des films…

Je remercie Marc Duployer, mon ami ingénieur du son qui, en plus de tenir la perche, parvient à faire des photos et de petites vidéos souvenirs de nos tournages aux quatre coins du monde. C’est ainsi qu’il a saisi quatre moments très intenses qui se sont déroulés à Rosario (Argentine) où nous avons tourné une partie de mon prochain film Sacrée croissance!

Les deux premières concernent ma visite au Musée de la mémoire qui a été inaugurée récemment en hommage aux victimes de la dictature militaire argentine. Le fondateur et directeur de ce mémorial exceptionnel, Ruben Chababo avait tenu à me recevoir (voir sur ce blog) en raison de mon film et livre Escadrons de la mort: l’école française.

Il m’a demandé de dédicacer l’exemplaire espagnol de mon livre, qui – a-t-il dit – est « très consulté » dans la bibliothèque du Mémorial. Voici la dédicace que j’ai écrite: « À mes amis argentins, la mémoire c’est la vie. J’espère que mon livre contribue à éclairer le passé et le présent, pour que ce chapitre obscur de l’histoire argentine ne se répète jamais« .

 

Puis, Ruben Chababo m’a présenté deux installations du Mémorial qui m’ont replongée dans les années noires de l’Argentine.

 

 

Le soir, j’ai participé à la première nationale des Moissons du futur devant 800 personnes. Lors de mon mot d’introduction, j’ai demandé qui avait vu mon film Le monde selon Monsanto. La réponse fut impressionnante…

 

Puis, j’ai invité l’assistance à applaudir les « paysans et maraîchers du monde« , car » Les moissons du futur est un hommage à tous ceux et celles qui produisent des aliments sains« :

 

Tard dans la soirée, alors que le débat qui suivit la projection avait duré plus de deux heures , le public restant m’a fait une standing ovation qui m’a beaucoup émue… Nous avons pris rendez-vous pour l’année prochaine lors de la première de Sacrée croissance. La ville de Rosario a , en effet, l’intention d’acheter l’exposition , qui accompagnera la sortie du film.

Mais je n’étais pas au bout de mes peines! A partir de minuit j’ai dû dédicacer quelque 150 exemplaires de Las cosechas del futuro qui venait juste de sortir en Argentine, ainsi que de Nuestro veneno de cada dia.

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Ces moments privilégiés à Rosario m’ont confirmé qu’il fallait que je continue à faire des films, pour raconter la marche du monde et donner à chacun et chacune des outils pour agir ICI ET MAINTENANT…

En guise de bonne année, je remets ici le lien vers le trailer du documentaire.

À ce jour, nous avons réuni quelque 2800 souscriptions. Il en manque toujours 1200!

 

Aussaresses (2)

Vendredi s’est tenu au sénat un colloque international sur l’Opération Condor, organisé par le Collectif argentin pour la mémoire. Pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de la sinistre « Opération », je rappelle qu’elle désigne un programme d’assassinats conduit, dans les années 1970, par les dictatures d’Amérique latine,  qui ont coordonné leurs « efforts » pour éliminer leurs opposants dans tous les pays de la zone. Mise en place par le général Pinochet et son bras droit Manuel Contreras (Chili), l’Opération Condor a entraîné la mort de centaines de personnes au Chili, Argentine, Brésil, Bolivie, Paraguay et Uruguay.

Pour mener leur entreprise criminelle, les gouvernements militaires collaboraient dans le domaine du renseignement et constituaient des escadrons de la mort communs, chargés de kidnapper les victimes et de les transférer par avion dans le pays les « réclamant », où ils étaient torturés, avant de rejoindre la longue liste des disparus.

J’ai raconté dans Escadrons de la mort: l’école française comment la matrice de l‘Opération Condor s’inspirait des techniques de la Bataille d’Alger. C’est ce que j’ai expliqué, hier, après la projection de mon film à l’ambassade d’Argentine, qui constituait la clôture du colloque.

Plusieurs intervenants du colloque ont participé au débat qui a suivi, dont le juge espagnol Baltazar Garzón, l’avocat paraguayen Martín Almada, le journaliste américain John Dinges, l’avocat chilien Eduardo Contreras, le procureur argentin Miguel Angel Osorio (qui utilise mon film comme pièce à conviction dans les procès liés à l’Opération Condor), le ministre argentin, chargé des droits de l’homme, Federico Villegas Beltrán.

Au cours de ce débat, a été évoquée le rôle du général Aussaresses et des militaires français, en Amérique du Nord et du Sud. J’ai notamment expliqué que Paul Aussaresses avait été « sélectionné » avec d’autres gradés, qui avaient participé à la guerre sale algérienne, par Pierre Messmer, alors ministre des Armées, pour former les militaires des Etats Unis aux techniques de la « guerre antisubversive ».

Pour mon film, j’avais retrouvé deux anciens « élèves » d’Aussaresses au centre d’entraînement des forces spéciales de Fort Bragg: le colonel Carl Bernard et le général John Johns, deux vétérans de la guerre du Vietnam, qui m’ont raconté que les « bérets verts » s’étaient inspirés de la Bataille d’Alger pour organiser l’Opération Phénix à Saïgon pendant la guerre du Vietnam, qui « a coûté la vie à 20 000 innocents« .  Quand je les ai rencontrés en Virginie, le 27 avril 2003, c’était moins d’un mois après le déclenchement de la guerre d’Irak par le président Georges Bush et ses alliés occidentaux. Entre-temps, les deux officiers américains étaient très actifs dans un think tank, militant contre l’usage de la torture, qui s’est aussi opposé à la guerre en Irak.

Je mets en ligne un extrait de l’interview qu’ils m’ont accordée où ils disent clairement que l’utilisation de la torture ne sert à rien, y compris d’un point de vue strictement militaire, mais qu’elle conduit à générer de la haine et donc à encourager le « terrorisme » qu’elle est censée combattre…

Honte à l’EFSA! (2)

Comme je l’ai expliqué dans mon post précédent, l’aspartame n’aurait jamais dû être mise sur le marché,ainsi que l’avaient recommandé les scientifiques de la FDA, qui avaient jugé les études fournies par SEARLE calamiteuses. Si l’édulcorant a été finalement autorisé, en 1981,  c’est parce que Donald Rumsfeld, le patron de…  SEARLE (qui revendra l’entreprise en 1985 à … Monsanto) a rejoint la Maison Blanche, dès l’élection de Ronald Reagan, le chantre de la déréglementation. Un coup de force politique, doublé d’un évident conflit d’intérêt, que les scientifiques de la FDA dénonceront lors d’une commission d’enquête du Congrès.

 Notons que pour cette affaire, j’ai rencontré les représentants de toutes les institutions concernées:

– la FDA

– le JECFA, Joint experts Committe on Food Addtivies, qui dépend de l’Organsiation mondiale de la santé (OMS)

– l’EFSA

Aucun n’ a pu m’expliquer comment l’aspartame a pu envahir le marché, alors que les études fournies par le fabricant SEARLE pour étayer sa demande mise sur le marché, ont été considérées comme « calamiteuses« , voire « frauduleuses » par les experts de la FDA, chargés de les évaluer.

Aujourd’hui, l‘EFSA continue d’ignorer ces études qui fondent la Dose journalière admissible (DJA) de 40mG/ kg de poids corporel, toujours en vigueur. Comment l’expliquer? À l’instar du Britannique Erik Millstone, qui suit le dossier depuis plus de trente ans, je pense que l’EFSA a peur de se déjuger: si l’agence reconnaissait, aujourd’hui, qu’elle s’est trompée, en prétendant que l’aspartame n’était pas dangereux pour la santé, elle pourrait craindre un vent de panique et d’être attaquée par des citoyens victimes de l’édulcorant pour son incompétence notoire et les conflits d’intérêts de ses « experts » que j’ai longuement décrits dans Notre poison quotidien.

La politique de l’EFSA est donc celle de l’autruche: elle attend que les industriels qui utilisent l’aspartame dans les produits alimentaires, les sucreries, les sodas ou les médicaments, décident d’eux-mêmes de le substituer par un édulcorant « clean » (comme la stévia), un processus qui est déjà en cours. Ainsi, un jour, l’agence pourra dire: « Pourquoi s’inquiéter de l’aspartame? La substance n’est plus utilisée! »

C’est pourquoi je dis qu’il ne faut pas lâcher l’affaire, car elle est exemplaire d’un comportement indigne d’une institution qui prétend protéger la santé des citoyens européens…

Je mets en ligne la partie de mon livre où j’explique comment les autorités européennes ont autorisé l’aspartame, en reprenant les yeux fermés la « décision » de la FDA, arrachée au forceps, contre l’avis des scientifiques de l’agence américaine. C’est ce qu’on appelle « l’effet boule de neige« .

« Ensuite, ce fut l’effet boule-de-neige, m’a dit avec un sourire navré Erik Millstone, le professeur de politique scientifique de l’université du Sussex. L’élection de Reagan a eu des répercussions à Genève, puisque le JECFA, qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, a emboîté le pas à la FDA, suivi de tous les pays européens ! Au Royaume-Uni, par exemple, j’ai interrogé au milieu des années 1980 un représentant du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et des Aliments, pour savoir sur quelle base scientifique l’homologation de l’aspartame avait été accordée. Il m’a répondu qu’il y avait eu quelques échanges avec la FDA, qui avait certifié que l’édulcorant ne posait aucun problème, et c’est tout !

– Et sur quelles études s’est fondé le JECFA pour fixer sa DJA de 40 mg/kg ?, ai-je demandé.

– Sur les mêmes études que la FDA, à savoir celles de Searle ! Avec cette affaire, on comprend mieux pourquoi la première autorisation est très importante pour les firmes : l’idéal est de l’obtenir auprès de la FDA ou du JECFA, car c’est la porte ouverte au reste du monde, qui copie leurs décisions les yeux fermés. Après, il suffit de laisser passer le temps et plus personne ne se souvient dans quelles conditions la DJA a été fixée et le produit a un bel avenir assuré…

– Comment expliquez-vous que la FDA et le JECFA n’aient pas fixé la même DJA, s’ils ont évalué les mêmes études ?

– La décision fut complètement arbitraire, car de toute façon les études n’étaient absolument pas fiables ! Il est difficile d’en savoir plus, car malheureusement il n’y a aucune trace des débats dans les rapports du JECFA. »

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Il est vrai que les archives du Joint Expert Committee on Food Additives, comme celles du JMPR, ne sont pas très bavardes. Elles se contentent en général de résumer les arguments scientifiques qui ont conduit à la décision adoptée. Pour l’aspartame, on découvre ainsi que dix-neuf experts du JECFA, dont René Truhaut et le docteur Blumenthal de la FDA, se sont réunis du 14 au 23 avril 1975 pour évaluer sa toxicité. Ils ont examiné l’étude de Searle sur les effets du DKP, dont le rapport Bressler révélera deux ans plus tard les nombreuses irrégularités. « Un problème particulier se pose du fait de la présence d’une impureté, la benzyl-5 dioxo-3,6, pipérazine-2 (dicétopipérazine), notent-ils dans leur compte rendu. On a observé, chez des rats soumis pendant de longues périodes à un régime alimentaire contenant de la dicétopipérazine, des lésions qualifiées de polypes utérins. […] Le comité s’est donc trouvé dans l’impossibilité d’évaluer le composé. Il n’a donc préparé ni monographie ni norme[i]. » L’année suivante, le bilan est encore plus succinct, mais il est conforme aux inquiétudes que l’édulcorant suscite au même moment de l’autre côté de l’Atlantique : « Devant l’insuffisance des données fournies, le comité a décidé de reporter l’examen de l’aspartame. Des normes indicatives ont été établies, mais aucune monographie n’a été préparée[ii]. » Dans son rapport de 1977, le JECFA reparle de l’étude sur le DKP et évoque le « doute exprimé quant à la validité des données de base » : c’est pourquoi il décide de « reporter sa décision, en attendant que soient fournies des assurances sur la validité des données toxicologiques utilisées[iii] ».

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Il faut attendre son vingt-quatrième rapport, daté de 1980, pour que l’évaluation de l’aspartame fasse l’objet de quelques lignes très laconiques : « Le comité a examiné de nouvelles études de toxicité chez l’animal et plusieurs études sur l’homme. La dose sans effet a été évaluée d’après les études sur l’animal, à 4 g/kg. La DJA pour l’aspartame a été fixée à 40 mg/kg. […] Une monographie a été préparée[iv]. » En annexe, figurent effectivement cinq « études » : deux d’entre elles ont été réalisées par Iroyuki Ishii, qui aurait évalué l’incidence des tumeurs cérébrales chez des rats et mesuré les effets du DKP, pour le compte de Ajinomoto, le fabricant japonais d’aspartame. Le problème, c’est que leurs résultats sont annoncés pour… 1981[v] ! (Notons au passage que le secrétariat du JECFA compte parmi ses membres le « docteur M. Fujinaga, de la Fédération des associations des additifs alimentaires de Japon ».) Les trois autres études ont été fournies par Searle et concernent les effets de l’aspartame sur les personnes atteintes de phénylcétonurie – il est précisé qu’elles n’ont pas été publiées. On n’en saura pas plus sur les données scientifiques qui ont poussé le JECFA à « préparer une monographie », ni comment il a résolu les « doutes » soulevés par les études toxicologiques de Searle lors des précédentes réunions. Toujours est-il qu’en 1981, quelques mois après l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison-Blanche, le comité confirme définitivement la « DJA fixée lors de la vingt-quatrième réunion[vi] ».

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Trente ans plus tard, à Genève, l’histoire de la DJA de l’aspartame (toujours en vigueur en 2011) s’est bien évidemment perdue dans les limbes. « Quand le JECFA l’a fixée au début des années 1980, il s’est fondé sur toutes les études alors disponibles, m’a expliqué Angelika Tritscher, la secrétaire du JECFA et du JMPR. Cette norme est toujours valide car, depuis, elle a été confirmée par d’autres agences de réglementation. »

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« Confirmer » n’est pourtant pas le mot approprié car, pour cela, il eut fallu que les dites agences aient conduit leur propre évaluation des études fournies par Searle. Or, il n’en est rien, puisque celles-ci se sont contentées de « reprendre » la DJA fixée par le JECFA, ainsi que me l’a expliqué Hugues Kenigswald, le chef de l’Unité des additifs alimentaires à l’EFSA, quand je l’ai rencontré à Parme en janvier 2009 : « La dose journalière acceptable de 40 mg/kg a été établie par le JECFA, puis adoptée en Europe par le comité scientifique de l’alimentation humaine en 1985.

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– Est-ce que vous savez sur quelles études scientifiques le JECFA s’est fondé pour établir sa DJA ?, lui ai-je demandé.

– Sur les études financées par Searle, c’est-à-dire l’entreprise qui voulait mettre l’aspartame sur le marché, m’a répondu sans hésiter l’expert de l’EFSA.

– Savez-vous que les études de Searle étaient très controversées et jugées comme non fiables par de nombreux scientifiques de la FDA ?

– Je ne sais pas ce qu’il faut penser des études initiales, car je n’ai pas les éléments pour juger, a admis Hugues Kenigswald. Manifestement, s’il y avait un doute sur la validité des données, ce doute a été levé…

– Le problème, c’est qu’il n’y a eu aucune étude nouvelle de Searle qui permette de comprendre pourquoi ce doute a été levé et depuis tout le monde est resté “scotché” sur cette DJA…

– C’est peut-être regrettable, mais c’est souvent le cas avec des décisions qui ont été prises il y a trente ans[vii]… »

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Pendant tout l’entretien avec le représentant de l’EFSA, trois représentants de l’agence, assis derrière moi, notaient scrupuleusement et enregistraient les propos  échangés!

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Voilà comment, en tout cas, l’aspartame a conquis le monde, malgré les nombreux signaux d’alertes sanitaires que les agences réglementaires continuent d’ignorer avec une unanimité suspecte…


[i] Organisation mondiale de la santé, « Évaluation de certains additifs alimentaires (colorants, épaississants et autres substances). 19e rapport du comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires », Série de rapports techniques, n° 576, 1975.

[ii] Organisation mondiale de la santé, « 20e rapport du comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires », Série de rapports techniques, n° 599, 1976.

[iii] Organisation mondiale de la santé, « 21e rapport du comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires », Série de rapports techniques, n° 617, 1977.

[iv] Organisation mondiale de la santé, « 24e rapport du comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires », Série de rapports techniques, n° 653, 1980.

[v] Iroyuki Ishii et alii, « Toxicity of aspartame and its diketopiperazine for Wistar rats by dietary administration for 104 weeks », Toxicology, vol. 21, n° 2, 1981, p. 91-94.

[vi] Organisation mondiale de la santé, « 25e rapport du comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires », Série de rapports techniques, n° 669, 1981.

[vii] Entretien de l’auteure avec Hugues Kenigswald, Parme, 19 janvier 2010.

Honte à l’EFSA!

L’Autorité Européenne pour la Sécurité des Aliments (EFSA) vient d’annoncer qu’elle ne remettait pas en cause la Dose Journalière Admissible (DJA) de l’aspartame, au terme d’un processus de réévaluation des données scientifiques concernant l’édulcorant, qui a duré plus de deux ans.

Honte à l’EFSA!

Cette réévalualtion avait été demandée par la Commission Européenne, après les auditions organisées au Parlement Européen, par Corinne Lepage. La députée européenne avait vu mon film Notre poison quotidien en Belgique et s’était aussitôt mobilisée. Elle avait notamment obtenu l’audition de Huges Kenigswald, le chef du département des additifs alimentaires de l’EFSA. Celui-ci avait confirmé ce qu’il m’avait avoué lors de son interview: l’EFSA n’a jamais eu accès aux études réalisées par SEARLE, le fabricant d’aspartame (devenue une filiale de Monsanto), pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché de la Food and Drug Administration (FDA) et calculer la fameuse DJA (c’est-à-dire la dose journalière que nous sommes censés pouvoir ingérer sans tomber malades). Or, ces études sont extrêmement controversées, car leur qualité est absolument nulle! Les « irrégularités » – et le mot est faible- avaient été constatées par les agents de la FDA eux-mêmes, qui avaient refusé que la molécule soit mise sur le marché. 

Je mets ici un extrait de mon documentaire Notre poison quotidien, consultable sur le site d’ARTE:

http://notre-poison-quotidien.arte.tv/fr/aspartame/

Malheureusement, et encore une fois, l’EFSA a cédé aux lobbying de l’industrie en refusant de prendre en compte les critiques formulées notamment par le Réseau Environnement Santé qui suit de très près le dossier.

Je mets ici en ligne un extrait de mon livre Notre poison quotidien, qui constitue, à ce jour, la synthèse la plus complète réalisée sur le sujet.

« Je veux bien vous rencontrer, parce qu’on m’a dit que vous travailliez sérieusement, mais sachez que je n’ai pas donné d’interview sur l’aspartame depuis quinze ans. Ce dossier est désespérant, car il montre que les agences de réglementation comme la Food and Drug Administration n’assurent pas leur mission, qui est de protéger les consommateurs avant les intérêts de l’industrie. » Ce fut mon premier contact téléphonique avec John Olney, un psychiatre spécialisé en neuropathologie et immunologie qui a travaillé pendant plus de quarante ans à l’université Washington de Saint Louis (Missouri).

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Photo: Marc Duployer

E 621, E 900, E 951, etc. : les additifs chimiques alimentaires dans nos assiettes

À près de quatre-vingts ans, ce chercheur très respecté restera dans l’histoire médicale comme l’inventeur du terme « excitotoxicité », qui désigne la capacité de certains acides aminés (les constituants fondamentaux des protéines et peptides), comme l’acide glutamique ou l’acide aspartique (un composant de l’aspartame), d’exciter ou d’hyperactiver certains récepteurs neuronaux, au point de provoquer la mort de neurones quand ils sont en excès. Ce processus neurotoxique est associé à des maladies neurologiques comme l’épilepsie ou aux accidents cardiovasculaires, ainsi qu’à des pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson.

Ainsi que le soulignent le neurologue Dale Purves et ses coauteurs dans leur livre Neurosciences, « le phénomène d’excitotoxicité a été découvert par hasard en 1957, quand D. R. Lucas et J. P. Newhouse [deux ophtalmologistes britanniques] se sont aperçus que du glutamate de sodium, donné en nourriture à des souriceaux, détruisait les neurones de la rétine[i]. À peu près une décennie plus tard, John Olney […] prolongeait cette découverte, en montrant que les régions où on observait une mort neuronique sous l’effet du glutamate s’étendaient à la totalité de l’encéphale[ii] ».

« Mes études ont clairement montré que le glutamate est une neurotoxine qui peut créer des lésions dans une région du cerveau très importante pour le contrôle des fonctions endocriniennes, entraînant des troubles du comportement, des dysfonctionnements du système sexuel et l’obésité[iii] », m’a expliqué le docteur Olney, dans un parc de la Nouvelle-Orléans où nous nous étions donné rendez-vous en octobre 2009[iv]. J’assistais alors à un colloque sur les perturbateurs endocriniens (voir infra, chapitre 16) et lui à un symposium sur l’anesthésie et les dégâts qu’elle peut causer sur le cerveau des enfants. « À la différence de l’anesthésie, pour laquelle on peut réaliser un bilan bénéfices-risques, car elle est indispensable pour opérer de jeunes patients atteints de pathologies graves, le glutamate ne présente que des risques et, malheureusement, il est ingéré massivement par des millions d’enfants et de femmes enceintes », a soupiré le neurologue.

En effet, par-delà son usage dans la cuisine chinoise[1], le glutamate fait partie des quelque trois cents additifs alimentaires autorisés par l’Union européenne. Affublés d’un sigle, constitué de la lettre E suivie d’un numéro d’identification (celui du glutamate est E 621), les fameux « additifs » sont officiellement définis comme des « substances habituellement non consommées comme aliment en soi […], dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique, au stade de la fabrication, transformation, préparation, traitement, conditionnement, transport ou entreposage, a pour effet […] qu’elle devient elle-même, ou que ses dérivés deviennent directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires », selon les termes alambiqués de la directive européenne 89/107 qui en régit l’usage[v].

Plus prosaïquement, ces substances, qui sont très majoritairement des produits de synthèse chimique, ont fait irruption dans nos assiettes avec l’avènement de l’industrie agroalimentaire qui accompagna la « révolution verte » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Faisant le bonheur des industriels, car ils permettent une substantielle réduction des coûts de fabrication[2], ils remplissent toutes sortes de fonctions « technologiques » qu’une autre directive européenne (95/2) décrit très précisément : « conservateurs », « antioxygènes », « acidifiants » ou « correcteurs d’acidité », « antiagglomérants », « émulsifiants », « affermissants », « exhausteurs de goût » (comme le glutamate), « agents moussants » ou « antimoussants », « gélifiants », « agents d’enrobage », « humectants », « amidons modifiés », « gaz d’emballage », « propulseurs », « stabilisants », « épaississants » ou « édulcorants » (comme l’aspartame)[vi].

Quand la substance est naturelle, le fabricant utilise simplement le nom, comme pour le colorant « rouge de betterave » (aussi appelé E 162), mais quand il s’agit d’un produit chimique au nom rébarbatif et peu engageant, comme le diméthylpolysiloxane, un dérivé du silicone qui sert d’agent antimoussant dans les jus de fruits, les confitures, les vins ou le lait en poudre, il préfère indiquer le numéro, en l’occurrence E 900. La plupart des additifs alimentaires disposent d’une dose journalière acceptable (DJA), preuve s’il en était besoin qu’ils ne sont pas inoffensifs. Et, nous allons le voir avec l’exemple de l’aspartame, la sacro-sainte valeur a souvent été établie à partir d’études toxicologiques dont la qualité laisse pour le moins à désirer.

La découverte de l’aspartame

L’aspartame, ou E 951, est un édulcorant de synthèse dont le pouvoir sucrant est deux cents fois supérieur à celui du sucre de canne. Présent dans plus de 6 000 produits alimentaires, il est consommé mondialement par quelque 200 millions de personnes (dont 4 millions de Français), qui l’ingurgitent sous forme de sucrettes – sous les marques Canderel ou Equal –, céréales du petit-déjeuner, chewing-gums, boissons gazeuses (comme le Coca light ou autres liquides dits « sans sucre »), yaourts, desserts industriels, vitamines ou plus de trois cents médicaments. Les principaux fabricants sont les américains Merisant et NutraSweet (deux anciennes filiales de… Monsanto) et le japonais Ajinomoto, qui en produisent chaque année 16 000 tonnes.

La molécule fut découverte fortuitement par James Schatter, un chimiste de la firme pharmaceutique américaine G. D. Searle qui travaillait alors sur un nouveau médicament contre les ulcères. Sur des archives télévisées que j’ai pu visionner, on le voit en blouse blanche dans le laboratoire de la firme de Chicago, expliquer qu’un jour de 1965, il a machinalement léché sa main présentant des traces d’une poudre blanche et qu’il a été étonné par son goût étonnamment sucré[vii]. Il s’avéra que la substance possédait exactement la même saveur que le sucre, sans aucun apport calorique et sans l’arrière-goût métallique de la saccharine (E 954), l’édulcorant de synthèse (hautement controversé) qui dominait alors le marché[3]. Flairant la bonne affaire, Searle lança dès 1967 une série d’études destinées à déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès de la FDA, l’agence américaine chargée de la sécurité des aliments et des médicaments. Commence alors une incroyable saga qui fait qu’aujourd’hui l’aspartame est, pour les uns, l’« additif alimentaire le plus controversé de l’histoire », selon les termes du magazine The Ecologist[viii], et, pour les autres, l’« additif le mieux étudié de tous les temps[ix] », ainsi que ne cessent de l’affirmer les fabricants et les agences de réglementation comme la FDA.

Pour y voir plus clair, j’ai passé quatre mois à éplucher l’énorme dossier du E 951, en consultant près de mille documents – archives déclassifiées, études scientifiques, articles de presse, comptes rendus d’enquêtes parlementaires américaines – et j’ai interviewé une vingtaine d’experts. Je remercie au passage Betty Martini, une Américaine particulièrement tenace qui m’a ouvert le sous-sol de sa maison à Atlanta, où elle a créé le plus grand centre de documentation privé sur l’aspartame. Depuis vingt ans, elle accumule les pièces à conviction, obtenues grâce au Freedom of Information Act, une procédure qui permet à tout citoyen d’avoir accès aux documents internes de l’administration (même si certains sont parfois « caviardés » ou tronqués)[x].

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Peu à peu, j’ai ainsi pu reconstituer les étapes de ce feuilleton à rebondissements qui illustre les aberrations de la « société du risque », où les intérêts du big business priment sur les « impératifs de protection sanitaire de la population », contraignant les « responsables à des démentis d’autant plus bruyants que leur argumentation est faible[xi] ».

Pour bien comprendre les enjeux de la polémique, il faut savoir que l’aspartame est composé de trois molécules : l’acide aspartique (40 %), la phénylalanine (50 %) et le méthanol (10 %)[xii]. Les deux premiers sont des acides aminés que l’on trouve naturellement dans certains aliments, mais à une différence près : quand ils sont ingérés sous forme d’aspartame, ils ne sont liés à aucune protéine et sont donc largués dans l’organisme sous forme « libre ». En solution ou chauffées à plus de 30 °C, les deux substances ont tendance à se dégrader en dicétopipérazine ou « DKP », un sous-produit toxique soupçonné d’être cancérigène par certains chercheurs. Quant au méthanol, également connu sous le nom d’alcool méthylique ou d’alcool de bois, c’est aussi une substance que l’on trouve naturellement dans les fruits et légumes, sauf que contrairement à l’aspartame, il est toujours associé à de l’éthanol (ou alcool éthylique) qui en contrecarre les effets nocifs[4]. Quand il n’est pas neutralisé, le méthanol est métabolisé dans le foie qui le transforme en formaldéhyde, une substance classée « cancérigène pour les humains » en 2006 (voir supra, chapitre 7).

Comme nous allons le voir, ce sont les effets nocifs potentiels de chacune des trois molécules qui alimentent la controverse depuis quarante ans, mais aussi le plan de bataille développé par Searle dès le début des années 1970 pour imposer son édulcorant. C’est ce que révèle un « mémorandum confidentiel » très troublant qui prouve, pour le moins, que la firme était consciente que l’homologation du produit n’allait pas de soi. Rendu public lors d’une audience parlementaire américaine sur laquelle je reviendrai, ce document classé « secret commercial » a été adressé par Herbert Helling, l’un des responsables de Searle, à cinq scientifiques de la firme. « Voici mon point de vue concernant la stratégie que nous devons adopter pour l’édulcorant, écrit-il le 28 décembre 1970. Selon moi, notre objectif est d’obtenir l’autorisation de la Food and Drug Administration pour des usages variés qui permettent sa consommation (et donc sa production) à un niveau qui satisfasse nos exigences économiques. Il faut donc déterminer ce que nous avons besoin de faire, de savoir, ou d’accomplir pour parvenir à cet objectif. Nous devons anticiper sur les facteurs qui risquent de poser le plus de problèmes à la FDA en déterminant lequel d’entre eux en posera le moins (après les avoir classés selon le niveau de difficultés qu’ils représentent pour nous). Lors de notre rencontre avec les représentants de l’agence, notre philosophie et notre démarche de base doit être de les amener à dire “oui”, […] en créant une atmosphère positive à notre égard […] et en les entraînant dans un esprit subconscient de participation. Ma première inquiétude concerne le DKP et notre manque de données toxicologiques complètes à ce sujet. Je propose que nous leur présentions une série de postulats de manière informelle et qui ne nous engage pas, […] en essayant de les convaincre que ces postulats sont justes. Le premier postulat, c’est que la molécule est stable dans des produits secs, comme les céréales présucrées. Ensuite, nous pouvons aborder les différentes catégories alimentaires, une par une, pour voir laquelle rencontre de la résistance, […] ce qui nous permettra d’explorer la nature de cette résistance pour voir comment nous pouvons la vaincre avec les études en cours. […] La préparation de la réunion doit être faite à travers Virgil Wodicka, le chef du Bureau des aliments [de la FDA], qui vient de l’industrie[xiii]. »

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Les « études laxistes » de la société Searle

« Dès que j’ai su que Searle avait déposé une demande de mise sur le marché pour l’aspartame, j’ai contacté la firme pour lui communiquer une étude que j’avais réalisée en 1970 et qui concernait l’acide aspartique, l’un des composants de l’édulcorant, m’a expliqué John Olney. Elle montrait que cette substance créait le même type de lésions cérébrales que le glutamate[xiv]. Les représentants de Searle m’ont dit qu’ils allaient examiner la question et je leur ai demandé de m’envoyer un échantillon d’aspartame, ce qu’ils ont fait. Je l’ai donné à manger à des souriceaux et j’ai observé les mêmes dégâts cérébraux qu’avec l’acide aspartique. En 1974, j’ai découvert dans le Federal Register [l’équivalent d’un Journal officiel de la FDA, où sont publiés tous les textes réglementaires produits par l’agence] que l’homologation de l’édulcorant était imminente. J’ai aussitôt sollicité une audience auprès du directeur [commissioner] de la FDA en lui envoyant des clichés des lésions que j’avais observées dans le cerveau des souriceaux. Puis, j’ai contacté l’avocat James Turner, qui avait joué un rôle capital pour l’interdiction du cyclamate. »

De fait, en 1970, le cyclamate, un autre édulcorant de synthèse, avait été interdit aux États-Unis, à la suite d’une campagne menée par James Turner (l’avocat que nous avons déjà rencontré dans le chapitre 12), l’un des « poulains » de Ralph Nader, avec qui il avait publié la même année un best-seller, The Chemical Feast (Le festin chimique)[xv]. S’appuyant sur une étude qui avait montré que, associé à de la saccharine (à raison de neuf parts pour une), le cyclamate provoquait des cancers de la vessie chez des souris (comme la saccharine…), Turner avait contraint la FDA à demander le retrait du marché du produit, pourtant commercialisé depuis 1953[5]. Mais la suite de l’histoire montrera qu’Abbott, le fabricant du cyclamate, avait eu moins de chance que Searle, qui obtint l’homologation de l’aspartame pour les produits secs, le 26 juillet 1974.

« Aussitôt, avec une association de consommateurs, nous avons déposé un recours contre la décision de la FDA, en citant les études réalisées par John Olney, m’a raconté James Turner. Cela a déclenché une énorme controverse car, pour la première fois de son histoire, l’agence fut contrainte de rendre publiques les données scientifiques sur lesquelles elle avait fondé son autorisation. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les études fournies par Searle étaient laxistes[xvi]. »

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De fait, la polémique avait de quoi se nourrir, car les faits sont accablants : pendant six ans, les scientifiques de la FDA dénonceront avec une belle unanimité les nombreuses déficiences et irrégularités qui caractérisent les études toxicologiques de Searle, lesquelles fondent, pourtant, la DJA de l’aspartame toujours en vigueur aujourd’hui.

En juillet 1975, Alexander Schmidt, le directeur (commissioner) de la FDA, décide de créer un « groupe de travail spécial », chargé d’examiner la validité de vingt-cinq études de la firme concernant six médicaments et l’aspartame. Exceptionnelle, la demande fait suite à l’examen de tests pharmacologiques que les scientifiques de l’agence ont jugés « aberrants ». Parmi les membres du groupe de travail, il y avait Adrian Gross, qui travailla à la FDA de 1964 à 1979. Dans deux courriers adressés au sénateur Howard Metzenbaum en 1987[xvii], il a raconté en détail ce que les inspecteurs ont alors découvert dans les laboratoires de l’entreprise de Chicago, où ils ont passé au peigne fin onze études sur l’aspartame, dont deux considérées comme capitales puisqu’elles testaient les effets cancérigènes et tératogènes[6] de l’édulcorant.

Gross est l’un des signataires du rapport de cinq cents pages que le groupe de travail a remis le 24 mars 1976 et qui commence en ces termes : « Au cœur du processus réglementaire de la FDA, il y a sa capacité à pouvoir se reposer sur la validité des données de sécurité soumises par les fabricants des produits réglementés. Notre investigation démontre clairement que dans le cas de G. D. Searle, nous n’avons aucune base pour asseoir notre confiance. » Puis, le rapport énumère sur des dizaines de pages les « déficiences sérieuses » rencontrées dans les « opérations et pratiques » de la firme qui « concernent spécifiquement les études sur l’aspartame ». D’abord, ils ont constaté un « manque de souci pour l’homogénéité et la stabilité de l’ingrédient incorporé dans les régimes alimentaires », de sorte qu’il « n’y a aucune façon de savoir avec certitude si les animaux ont bien ingéré la dose rapportée ». Ils soulignent que les « comptes rendus des observations et résultats contiennent de nombreuses erreurs et aberrations » et qu’il y a des « observations rapportées qui concernent un produit qui n’a jamais existé ». Ils notent le « manque de formation des scientifiques “professionnels” qui ont fait les observations pour les études de tératogénicité » et la « perte d’informations pathologiques importantes due à la décomposition totale de certains organes ». Enfin, et c’est probablement le plus grave, ils dénoncent l’« excision de masses tumorales », c’est-à-dire le fait que des tumeurs ont été retirées des cobayes, ce qui a permis de réduire le nombre des cancers cérébraux observés dans les groupes expérimentaux (douze au total). Or, note Adrian Gross dans son courrier au sénateur Metzenbaum, malgré toutes les déficiences observées, il n’en reste pas moins que le « taux de tumeurs cérébrales des animaux exposés est nettement supérieur à celui des animaux non exposés et cet excès est hautement significatif ».

Le groupe de travail a aussi découvert que Searle avait « omis » de communiquer les résultats de deux études essentielles : l’une avait été réalisée par Harry Waisman, le directeur d’un laboratoire de l’université du Wisconsin, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de la phénylalanine. Conduite dès 1967 sur sept jeunes singes, celle-ci s’était soldée par la mort de l’un des cobayes, tandis que cinq avaient souffert de crises d’épilepsie. La seconde avait été réalisée par Ann Reynolds, une zoologue de l’université d’Illinois qui avait confirmé les résultats obtenus par John Olney. L’affaire est si grave que le groupe de travail recommande d’intenter une action en justice contre Searle pour « violation criminelle de la loi ». L’autorisation de mise sur le marché de l’aspartame est suspendue sine die, tandis que les faits sont publiquement dénoncés par Alexander Schmidt, lors d’une audience au Sénat en juillet 1976.

« J’ai ici le rapport du groupe de travail de la FDA sur les études de Searle, êtes-vous d’accord avec ses conclusions ?, a demandé le sénateur Edward Kennedy au directeur de l’agence.

– Oui, a-t-il répondu.

– Est-ce la première fois qu’un problème d’une telle magnitude a été découvert par la FDA ?, a insisté l’élu démocrate.

– Oui, […] nous avons parfois été informés de problèmes isolés, mais n’avions jamais rencontré de problèmes de cette ampleur dans une firme pharmaceutique[xviii]. »

Dans la foulée de son audition, Alexander Schmidt annonce la création d’un nouveau groupe de travail, chargé d’investiguer la troisième étude capitale réalisée par Searle concernant les effets du DKP, le métabolite de l’aspartame. Conduite par Jérome Bressler, un scientifique réputé de la FDA qui donnera son nom au rapport publié en août 1977, cette enquête confirme les irrégularités constatées par l’équipe précédente, avec toutefois quelques « originalités » qui valent le détour ! « Les comptes rendus des observations indiquent que l’animal n° A23 LM était vivant à la semaine 88, mort de la semaine 92 à la semaine 104, vivant à la semaine 108 et mort à la semaine 112 », notent ainsi les inspecteurs.

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La suite est de la même veine et je me contenterai de quelques extraits, tant la liste des « anomalies » est longue : « Une masse tissulaire de 1,5 x 1,0 cm a été excisée de l’animal B3HF le 2 décembre 1972 » ; « quatre-vingt-dix-huit des cent quatre-vingt-seize cobayes qui sont morts pendant l’étude ont été autopsiés très tard, parfois un an après la mort » ; « vingt animaux ont été exclus de l’étude en raison de leur décomposition excessive » ; « l’animal F6HF, une femelle exposée à une forte dose, a été retrouvé mort au 787e jour et le rapport pathologique notait une tumeur mesurant 5,0 x 4,5 x 2,5 cm. Le dossier remis par Searle à la FDA ne mentionnait pas cette tumeur, car l’animal avait été exclu de l’étude en raison de son état de décomposition » ; « un polype sur l’utérus de l’animal K9 MF a été découvert qui n’avait pas été diagnostiqué par Searle, ce qui porte le nombre de polypes utérins à cinq sur trente-quatre pour le groupe exposé à une dose médiane (15 %)[xix]. » Etc.

« En 1979, j’ai pu consulter les études de Searle, grâce à la procédure du Freedom of Information Act, m’a raconté John Olney, de sa voix étonnamment lente. J’ai été atterré par ce que j’ai découvert… Je me souviens notamment d’une photo prise par une technicienne du laboratoire, où l’on voyait un large morceau de DKP grossièrement mélangé à la nourriture en poudre des rats. Cette anomalie a été dénoncée dans le rapport Bressler, car les rongeurs sont suffisamment malins pour éviter une substance particulièrement nauséabonde. J’avais aussi noté le nombre élevé de tumeurs cérébrales constatées dans l’une des études centrales, car je sais que ce genre de tumeurs est excessivement rare chez les animaux de laboratoire. La littérature scientifique de l’époque donnait une incidence de 0,6 %, alors que l’étude de Searle parvenait à 3,57 %, malgré ses nombreuses déficiences. Je me souviens m’être dit qu’avec de tels éléments, la FDA ne pouvait que refuser l’homologation de l’aspartame[xx]… »

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Donald Rumsfeld impose l’aspartame

L’espoir du docteur Olney ne tardera pas à être déçu, car entre-temps un acteur d’une redoutable efficacité est entré en scène : Donald Rumsfeld, qui fut le représentant de l’Illinois au Congrès américain, puis secrétaire à la Défense dans le gouvernement de Gerald Ford. En mars 1977, celui que l’on surnommait le « JFK républicain » est nommé P-DG de… Searle. « La firme était installée dans la circonscription que Rumsfeld représentait lorsqu’il était élu au Congrès, m’a expliqué l’avocat James Turner. Et comme la famille Searle était très influente, elle l’avait soutenu pendant toute sa carrière politique. Après l’élection de Jimmy Carter [en novembre 1976], il a entamé une traversée du désert et la firme avait besoin d’un homme d’influence pour sauver ses affaires qui étaient menacées par les révélations sur ses pratiques et plusieurs procès en cours. Rumsfeld avait le profil idéal, car il était aussi bien introduit à Washington qu’à Chicago (Illinois). »

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On ne saura sans doute jamais avec précision le rôle qu’a joué le nouveau P-DG de Searle dans l’enterrement de la procédure judiciaire intentée par Richard Merrill, le chef du département juridique de la FDA qui, le 10 janvier 1977, avait porté plainte pour « rétention de données et fausse déclaration ». L’affaire était sérieuse, car c’était la première fois que l’agence demandait l’ouverture d’une enquête pénale contre un fabricant. Six mois plus tard, Samuel Skinner, le procureur du tribunal de l’Illinois en charge de l’instruction, était recruté par le cabinet d’avocats Sidley Austin, qui conseillait Searle. Il était remplacé par William Conlon, qui le rejoignit en janvier 1979, après avoir pris le soin de laisser passer le délai de prescription[xxi]

En juillet 1979, la FDA crée une commission d’enquête publique (Public Board of Inquiry, ou « PIB »), supervisée par trois scientifiques qui ont pour mission de faire une synthèse de toute l’information disponible sur l’aspartame. Entendu par les « juges », alors que les jours de l’administration démocrate semblent comptés, John Olney remet en septembre 1980 une déposition écrite où il rappelle les fondamentaux de l’évaluation des risques, d’autant plus pertinents que celle-ci concerne en l’espèce une substance dont l’utilité est loin d’être avérée : « Une analyse risques-bénéfices devrait être conduite, explique-t-il, en distinguant les sous-groupes de population qui sont susceptibles d’être affectés par la substance (les fœtus, les nourrissons, les enfants et les personnes atteintes de phénylcétonurie[7]) de ceux qui pourraient potentiellement en bénéficier (les diabétiques et les obèses), de manière à développer un plan intelligent qui permette de rendre le produit disponible pour les bénéficiaires sans exposer ceux pour qui il représente un danger indu[xxii]. »

La remarque est frappée au coin du bon sens, mais nous allons voir que cette qualité ne semble pas faire partie des critères d’évaluation revendiqués par les agences de réglementation. Concernant les « bénéfices » supposés de l’aspartame, le scientifique cite les conclusions d’un Forum sur les édulcorants organisé en 1974 par l’Académie nationale des sciences : « Il est possible qu’ils aient un bénéfice psychologique pour les personnes obèses qui, en utilisant des édulcorants à basses calories, se souviennent ainsi qu’elles doivent suivre un régime. […] L’édulcorant en soi représente au mieux un gimmick qui a une fonction mnémonique. » Quant aux diabétiques, les bénéfices qu’ils peuvent en tirer sont « de l’ordre du plaisir et du confort plutôt que de la santé ». Après avoir souligné le risque que courraient spécifiquement les enfants s’ils consommaient régulièrement un mélange de glutamate et d’aspartame (comme ils le font aujourd’hui en mangeant un paquet de chips arrosées de Coca light), John Olney enfonce le clou en rapportant le bilan de la saccharine qu’avait dressé Donald Kennedy, le nouveau directeur de la FDA : « 1) Aucun bénéfice pour un aucun groupe de consommateur n’a jamais été démontré ; 2) les enfants ont augmenté leur consommation de saccharine d’une manière alarmante ; 3) la FDA a une obligation spéciale de protéger les enfants, parce qu’ils ne sont pas assez matures intellectuellement pour évaluer les risques et prendre les bonnes décisions pour protéger leur santé[xxiii]. »

Le 30 septembre 1980, le Public Board of Inquiry rend son rapport et tout semble indiquer que John Olney et James Turner ont gagné la bataille : « L’utilisation de l’aspartame dans les aliments doit être interdite tant que la question de son éventuel potentiel cancérigène n’a pas été résolue par de nouvelles études, écrivent les trois juges dans leurs conclusions. Il est ordonné que l’autorisation de l’aspartame comme additif alimentaire soit retirée[xxiv]. » Mais cinq semaines plus tard, Ronald Reagan, le cow-boy d’Hollywood devenu l’apôtre de la déréglementation, est élu à la présidence des États-Unis. Donald Rumsfeld, qui restera P-DG de Searle jusqu’en 1985, rejoint sa transition team (équipe de transition), chargée de préparer la nouvelle administration avant l’investiture du 20 janvier 1981. Sa mission est de faire le ménage dans le ministère de la Santé, dont dépend la FDA. C’est lui qui propose le nom d’Arthur Hayes, professeur de médecine dans une université de Pennsylvanie, pour prendre la tête de l’agence.

Quand celui-ci est officiellement intronisé, le 3 avril 1981, le New York Times écrit ces lignes prémonitoires : « La FDA a la responsabilité de protéger les consommateurs contre les aliments, médicaments et cosmétiques impurs et nocifs. Son activité, particulièrement dans le domaine des nouveaux médicaments et additifs alimentaires considérés comme potentiellement cancérigènes, a été critiquée par les compagnies pharmaceutiques. Certains représentants de l’industrie considèrent le docteur Hayes comme plus proche de leurs points de vue que ne l’étaient ses prédécesseurs[xxv]. » Tout indique en effet que des « personnes haut placées » ont demandé au nouveau commissioner d’en « finir au plus vite avec le dossier de l’aspartame, comme un signal que l’administration Reagan entrait dans une nouvelle ère réglementaire[xxvi] ». Une ère où, conformément à la vulgate néolibérale, l’intervention de l’État dans les affaires de l’industrie doit être réduite à la portion congrue et où la FDA se transformera en une chambre d’enregistrement des produits industriels, en limitant ses contrôles au strict minimum.

De fait, le 15 juillet 1981, Arthur Hayes autorise la mise sur le marché de l’aspartame, avec une dose journalière acceptable de 50 mg/kg. Publiée dans le Federal Register, la décision est justifiée en ces termes : « Le commissioner a estimé qu’il y avait une certitude raisonnable : 1) que l’aspartame ne cause pas de tumeurs cérébrales chez les rats ; 2) qu’il ne comporte pas de risque de contribuer au retard mental, à des lésions au cerveau ou à des effets indésirables sur les systèmes neuroendocriniens et régulateurs des humains[xxvii]. »

Cette première autorisation concerne les « produits secs », comme les sucrettes, chewing-gums, céréales et poudres à café ou thé. Elle sera étendue aux boissons gazeuses et vitamines en 1983, puis progressivement à toutes les catégories alimentaires. Dans le courrier qu’il a adressé en novembre 1987 au sénateur Metzenbaum, Adrian Gross, qui fut membre du premier groupe de travail de la FDA, écrit avec amertume : « Il est très difficile de comprendre comment la FDA, qui avait estimé en 1976 que les études expérimentales sur l’aspartame fournies par Searle étaient d’une qualité inacceptable, a pu changer d’avis plusieurs années plus tard au point de considérer que les mêmes études étaient suffisamment fiables pour lui permettre d’affirmer qu’elle était “raisonnablement certaine” que cet additif alimentaire était sans danger pour la consommation humaine[xxviii]. »


[1] Le glutamate est responsable du « syndrome du restaurant chinois », qui peut se déclencher dans les minutes ou heures qui suivent l’ingestion. Celui-ci se traduit par des maux de tête, nausées, courbatures et éruptions cutanées. Le glutamate est utilisé par l’industrie agroalimentaire pour amplifier les saveurs salées et stimuler l’appétence des préparations en réduisant les doses d’épices.

[2] Par exemple, l’aromatisation d’une tonne de crème glacée avec de la vanille naturelle coûte 780 euros, mais seulement 4 euros avec l’éthyl-vanilline, un arôme chimique artificiel (voir Charles Wart, L’Envers des étiquettes. Choisir son alimentation, Éditions Amyris, Bruxelles, 2005).

[3] La saccharine a été interdite au Canada en 1977, car elle était suspectée d’induire des cancers (notamment de la vessie). Le CIRC l’a classée en 1987 dans le groupe 2 B, « cancérigène possible pour les humains », puis en 1999 dans le groupe 3 « inclassable »… Elle reste autorisée dans le reste du monde, avec une DJA de 5 mg/kg.

[4] Le méthanol est une substance très toxique, dont la consommation accidentelle peut entraîner la cécité et même la mort. En cas d’intoxication, le meilleur antidote est l’éthanol.

[5] À noter que les études sur ce produit ne provoquent pas les mêmes effets de part et d’autre de l’Atlantique : le cyclamate (E 952) est toujours autorisé en Europe pour les boissons non alcoolisées, les desserts et les confiseries, avec une DJA de 7 mg/kg, tandis que celle fixée par le JECFA est de 11 mg/kg…

[6] La tératogénicité désigne la capacité d’une substance chimique à provoquer des malformations fœtales.

[7] La phénylcétonurie est une maladie génétique due à une déficience qui empêche la transformation de la phénylalanine. Son dépistage est obligatoire dans de nombreux pays, comme la France, car, non traitée, elle se traduit par des troubles cérébraux et un retard mental.


[i] D. R. Lucas et J. P. Newhouse, « The toxic effect of sodium L-glutamate on the inner layers of the retina », AMA Archivs of Ophtalmology, vol. 58, n° 2, août 1957, p. 193-201.

[ii] Dale Purves, George J. Augustine, David Fitzpatrick, William C. Hall, Anthony-Samuel Lamantia, James O. McNamara, Leonard E. White, Neurosciences, De Boeck, Bruxelles, 2005, p. 145.

[iii] John Olney, « Brain lesions, obesity, and other disturbances in mice treated with monosodium glutamate », Science, vol. 164, n° 880, mai 1969, p. 719-721 ; John Olney et alii, « Glutamate-induced brain damage in infant primates », Journal of Neuropathology and Experimental Neurology, vol. 31, n° 3, juillet 1972, p. 464-488 ; John Olney, « Excitotoxins in foods », Neurotoxicology, vol. 15, n° 3, 1994, p. 535-544.

[iv] Entretien de l’auteure avec John Olney, Nouvelle-Orléans, 20 octobre 2009.

[v] « Directive 89/107/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative au rapprochement des législations des États membres concernant les additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l’alimentation humaine », Journal officiel, n° L 040, 11 février 1989, p. 0027-0033. C’est moi qui souligne.

[vi] « Directive 95/2/CE du Parlement européen et du Conseil concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants », 20 février 1995, Journal officiel de l’Union européenne, n° L 61, 18 mars 1995.

[vii] BBC, « The early show, artificial sweeteners, new sugar substitute », 28 septembre 1982.

[viii] Pat Thomas, « Bestselling sweetener », The Ecologist, septembre 2005, p. 35-51.

[ix] John Henkel, « Sugar substitutes : Americans opt for sweetness and lite », FDA Consumer Magazine, novembre-décembre 1999.

[x] Voir le site de « Mission possible », l’association créée par Betty Martini : <www.dorway.com>.

[xi] Ulrich Beck, La Société du risque, op. cit., p. 99.

[xii] Robert Ranney et alii, « Comparative metabolism of aspartame in experimental animals and humans », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 2, 1976, p. 441-451.

[xiii] Herbert Helling, « “Food and drug sweetener strategy. Memorandum confidential-Trade Secret Information” to Dr. Buzard, Dr. Onien, Dr. Jenkins, Dr. Moe, Mr. O’Bleness », 28 décembre 1970.

[xiv] John Olney, « Brain damage in infant mice following oral intake of glutamate, aspartate or cysteine », Nature, vol. 227, n° 5258, 8 août 1970, p. 609-611 ; Bruce Schainker et John Olney, « Glutamate-type hypothalamic-pituatary syndrome in mice treated with aspartate or cysteate in infancy », Journal of Neural Transmission, vol. 35, 1974, p. 207-215 ; John Olney et alii, « Brain damage in mice from voluntary ingestion of glutamate and aspartate », Neurobehavioral Toxicology and Teratology, vol. 2, 1980, p. 125-129.

[xv] James Turner et Ralph Nader, The Chemical Feast. The Ralph Nader Study Group Report on Food Protection and the Food and Drug Administration, Penguin, Londres, 1970. Ralph Nader est un avocat célèbre pour sa défense du droit des consommateurs, qui, par ailleurs, fut quatre fois candidat à l’élection présidentielle, dont deux sous les couleurs du parti vert des États-Unis.

[xvi] Entretien de l’auteur avec James Turner, Washington, 17 octobre 2009.

[xvii] Lettres d’Adrian Gross au sénateur Howard M. Metzenbaum, 30 octobre et 3 novembre 1987 (consultables sur le site <www.dorway.com>).

[xviii] Committee on Labor and Public Health, « Record of hearings of April 8-9 and July 10, 1976, held by Sen. Edward Kennedy, Chairman, Subcommittee on Administrative Practice and Procedure, Committee on the Judiciary, and Chairman, Subcommittee on Health », p. 3-4.

[xix] FDA, « Bressler Report », 1er août 1977.

[xx] Entretien de l’auteure avec John Olney, Nouvelle-Orléans, 20 octobre 2009.

[xxi] Andy Pasztor et Joe Davidson, « Two ex-US prosecutors roles in case against Searle are questioned in probe », The Wall Street Journal, 7 février 1986.

[xxii] John Olney, « Aspartame board of inquiry. Prepared statement », University School of Medicine St Louis, Missouri, 30 septembre 1980.

[xxiii] Ibid.

[xxiv] Department of Health and Human Services, « Aspartame : decision of the Public Board of Inquiry », Food and Drug Administration, docket n° 75F-0355, 30 septembre 1980.

[xxv] « Medical professor at Pennsylvania State is nominated to head Food and Drug Agency », The New York Times, 3 avril 1981.

[xxvi] Florence Graves, « How safe if your diet soft drink ? », Common Cause Magazine, juillet-août 1984.

[xxvii] « Food additives permitted for direct addition to food for human consumption : Aspartame », Federal Register, 8 juillet 1983, docket n° 82F-0305.

[xxviii] Lettre d’Adrian Gross au sénateur Howard M. Metzenbaum, 3 novembre 1987. C’est moi qui souligne.

La mort du général Aussaresses, l’ « exécutant » des basses oeuvres de la République française (1)

Le général Paul Aussaresses est mort le 2 décembre, dans sa maison alsacienne de La Vancelle. C’est là que je l’avais rencontré longuement, pour la dernière fois, en octobre 2003. J’étais venue passer deux jours chez lui et sa seconde épouse Elvier, avec une caméra et une « mission » : celle de lui faire raconter comment Maurice Audin avait disparu, après son arrestation par des paras français à son domicile algérois,  le 11 juin 1957. Père de trois enfants, Maurice Audin avait alors 25 ans, il était assistant de mathématiques à l’Université d’Alger et membre du parti communiste. Comme Henri Alleg, le directeur du quotidien Alger républicain, qui fut arrêté le 12 juin 1957 au domicile des Audin, Maurice soutenait le combat du FLN pour l’indépendance de l’Algérie. J’ai rencontré plusieurs fois Henri Alleg , auteur de La Question (mort en juillet dernier), où il racontait les sévices qu’il avait subis et révélait l’usage massif de la torture par les militaires français ( publié par les Éditions de Minuit, le livre fut interdit en 1958). À plusieurs reprises, Henri m’avait demandé de profiter de ma « relation » avec Aussaresses pour lui extirper tout ce qu’il savait sur la disparition de Maurice Audin, à laquelle le « nettoyeur » fut probablement associé. L’historien Pierre Vidal Naquet (mort en 2006), qui fut l’un des premiers intellectuels français à dénoncer l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie, m’avait fait la même demande, lorsque je lui avais rendu visite à son domicile parisien, au moment où je terminais l’écriture de mon livre Escadrons de la mort : l’école française (il avait accepté de relire les parties de mon livre concernant la guerre d’Indochine et d’Algérie).

J’ai donc passé deux journées dans la maison alsacienne du général Aussaresses, à qui j’ai proposé un « marché » : je filme son récit sur la mort de Maurice Audin, et dépose la bande dans un coffre-fort, en présence  d’un huissier, et je m’engage à ne diffuser le témoignage qu’après sa mort .

Malheureusement, le général Aussaresses a refusé, craignant sans doute qu’il y ait une fuite, qui aurait pu le conduire devant les tribunaux.  En effet, si tous les crimes perpétrés en Algérie sont couverts par l’amnistie, décrétée par le général de Gaulle en 1962, il en est un qui est imprescriptible : celui de la disparition forcée. Or, le corps de Maurice Audin n’ayant jamais été retrouvé, il fait partie des trois mille disparus, enregistrés pendant la guerre d’Algérie.

Quand mardi dernier, alors que je tournais en Angleterre pour mon prochain film Sacrée croissance !, j’ai été contactée par des journalistes qui voulaient m’interviewer sur la mort d’Aussaresses, j’ai ressenti un grand regret : celui d’avoir échoué dans ma « mission »…

Mais, je dois reconnaître que j’ai passé l’année 2003 à côtoyer des généraux tortionnaires – en France, Argentine, États Unis et Chili– et que je n’en pouvais plus de la posture que j’étais contrainte d’adopter : rester polie, souriante, faire des ronds de jambe, afin d’encourager les militaires à parler. J’ai tenu pendant un an, car j’étais convaincue que  l’histoire ne s’écrit pas uniquement avec la voix des victimes, mais aussi avec celle des bourreaux. Pour qu’on n’oublie pas, car la mémoire c’est la vie…

Je mets ici en ligne, un petit extrait de l’interview que m’avait accordée Aussaresses pour mon documentaire Escadrons de la mort : l’école française. Cet extrait ne figure pas dans le film, mais dans les bonus du DVD ainsi que  dans le livre éponyme. Comme on le constatera, j’affiche un grand détachement par rapport aux paroles du général, qui raconte, avec une froideur implacable, la première fois qu’il a torturé un homme à mort.

 

La première fois que j’ai rencontré Aussaresses c’était dans le restaurant parisien de La Coupole. J’avais dû beaucoup batailler pour obtenir cette rencontre, car, à l’époque, son avocat Gilbert Collard lui avait recommandé de ne plus parler. Un an plus tôt, le général avait  publié un livre où il reconnaissait avoir pratiqué la torture et les exécutions sommaires en Algérie. Un témoignage cru, exempt de tout remords, qui lui a valu deux procès : un pour “ complicité d’apologie de crimes de guerre ”, à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme ; et un autre, intenté par le Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples, qui l’accusait de “ crimes contre l’humanité ”.

Ayant fourbi mes armes, j’avais choisi de jouer cartes sur table, en lui disant ce qui était, au demeurant, le fond exact de ma pensée : “ Quelles que soient les raisons pour lesquelles vous avez agi ainsi, je ne pourrai jamais approuver ce que vous avez fait. C’est une question de morale. En revanche, au nom de la vérité historique, je trouve important que vous parliez. Je ne comprends pas que ceux qui n’ont cessé, avec raison d’ailleurs, de dénoncer le silence de la “Grande Muette” sur la guerre d’Algérie, vous tirent aujourd’hui dessus à boulets rouges… S’il faut vous juger, c’est pour ce que vous avez fait, pas pour ce que vous avez dit

—   Tout a été amnistié par De Gaulle au lendemain de l’indépendance algérienne, m’avait rétorqué le le général bardé de décorations.

—   Certes, lui avais-je répondu, mais ça ne vous gêne qu’on parle de vous comme d’un voyou de la pire espèce ? ”

—    Madame, avait souri Aussaresses , si je suis un voyou, alors je suis un voyou de la République… Toute ma vie, je n’ai été qu’un soldat qui a fait son travail de soldat pour la France parce que la France le lui a demandé… ”

J’ai raconté les suites de cette rencontre dans mon livre Escadrons de la mort : l’école française , dont je reproduis ici un extrait:

En tout cas, mon argument l’a convaincu. Pendant un an, je rencontrerai le général Aussaresses à plusieurs reprises : au siège d’Idéale Audience, le producteur du documentaire que je réalise pour Canal +, où je filmerai trois heures d’interview ; dans son appartement parisien, près de la Tour Montparnasse, et en Alsace, où il vit avec Elvier, sa seconde épouse[1].

À chaque rencontre, une question n’a cessé de me poursuivre : pourquoi parle-t-il ? Pourquoi a-t-il finalement accepté d’aller toujours plus loin dans le récit de sa “ carrière ” ? J’y vois trois raisons. D’abord, il est à la fin de sa vie et, à l’instar de ses collègues argentins qui me parleront également, il ressent, consciemment ou non, le besoin de soulager sa conscience, d’écrire lui-même sa part de l’Histoire, avant que d’autres s’en chargent à sa place. Ensuite, il aime parler aux femmes : avant moi, il y eut Florence Beaugé, du Monde[2]. Enfin, bien qu’il le nie farouchement, il a envie de mouiller les politiques, ceux qui l’ont “ envoyé au casse-pipe ”, pour reprendre l’une de ses expressions favorites. Ceux, en tout cas, qui ont fait du jeune provincial qui préparait Normale Sup, après avoir été premier prix de version latine au concours général, un spécialiste des “ coups tordus ” et des basses œuvres, en reconnaissant constamment ses mérites, puisqu’il a fini bardé de médailles avec le grade de général de brigade.

De fait, rien ne préparait Paul Aussaresses, né en 1918 dans le Tarn d’un père historien et directeur de journal, à devenir un spécialiste des “ coups durs et des coups tordus[3] ”. Il a vingt-deux ans quand il refuse de prêter serment au maréchal, parce qu’il “ n’apprécie pas sa politique collaborationniste ”. Quand est signé l’armistice, le 22 juin 1940, il choisit de rester sous les drapeaux et se porte volontaire pour commander une section de tirailleurs algériens au sud de Constantine. Devenu officier de carrière, il intègre l’école de Saint-Maixent qui s’était repliée avec l’école de Saint-Cyr à la caserne Miollis d’Aix-en-Provence, en zone libre. “ C’est à l’automne 1942, raconte-t-il, que je suis devenu agent secret. À vingt-quatre ans, ma famille bourgeoise de province et mon adolescence studieuse, mes convictions religieuses, les principes démocratiques auxquels j’étais attaché m’avaient préparé à devenir tout autre chose qu’une barbouze ou un tonton flingueur[4]. ”

C’est ainsi que le futur “ capitaine Soual ”, son nom de guerre, rejoint la France libre à Madrid, où il est recruté par les gaullistes pour les “ services spéciaux ”. Il est envoyé à Alger où un certain “ capitaine aviateur Delmas ” tente “ d’éprouver sa détermination ”.

L’anecdote vaut la peine d’être rapportée telle qu’Aussaresses la raconte, car elle constitue une justification a posteriori et une tentative de “ rationalisation ” de l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie : “ Je sais exactement ce que je risque, mon capitaine, dit la jeune recrue au “Bordelais” : si je suis pris, je serai fusillé, que je sois en uniforme ou pas. […] Alors Delmas éclata d’un fou rire nerveux : “Ah, mon pauvre garçon ! Quand on vous fusillera, vous serez bien content, car avant on vous aura torturé et la torture — croyez-moi —, c’est bien pire que la mort. C’est à cet instant que je compris un point essentiel : les guerres où l’un des deux camps mène une action clandestine sont d’autant plus impitoyables que la mauvaise foi y est l’arme principale. C’est cette mauvaise foi qui justifie toujours la violence et cette violence n’a jamais d’autre limite — pour paraphraser Clausewitz — que la violence mise en œuvre par l’adversaire. En l’occurrence, du moment que le principe était d’exécuter sommairement un ennemi auquel on refusait a priori toute qualité de combattant, cela supposait implicitement que l’on ait préalablement tiré de cet ennemi tous les renseignements dont il pouvait être porteur[5]. ”

Après cette explication pro domo, suit une note en bas de page encore plus tortueuse : “ C’est ce principe qui fut appliqué plus tard en Algérie. Mais la différence entre les résistants et le FLN, c’est qu’il n’était pas envisageable, dans l’esprit des résistants, de s’en prendre aux populations civiles. Pour cette raison, l’action de la Gestapo, lorsqu’elle torturait ou exécutait sommairement des résistants ou des combattants des forces spéciales — dont les objectifs étaient toujours militaires —, ne saurait être comparée à l’action menée en Algérie quelques années plus tard par l’armée française contre un FLN dont la politique était d’attaquer systématiquement des civils. De ce fait, j’ai souvent considéré que les terroristes sont les fils spirituels de la Gestapo qui s’en prenait, elle aussi, aux otages civils[6]. ”

De l’esprit des “ Jedburgh ” au “ 11e Choc ”

Le 18 novembre 1943, “ Jean Soual ” atterrit sur la “ terre promise ”, très précisément en Écosse. Après avoir subi des “ tests sévères ”, il est envoyé dans un camp d’entraînement des services spéciaux, où trois cent quarante volontaires — britanniques, américains, français, néerlandais, belges et canadiens — s’initient au parachutisme, mais aussi à toutes les techniques des barbouzes : “ J’allais ainsi accomplir, dans l’intérêt de mon pays et dans la clandestinité, des actions réprouvées par la morale ordinaire, tombant sous le coup de la loi et, de ce fait, couvertes par le secret : voler, assassiner, vandaliser, terroriser, écrit Aussaresses dans son livre. On m’a appris à crocheter les serrures, à tuer sans laisser de traces, à mentir, à être indifférent à ma souffrance et à celle des autres, à oublier et à me faire oublier. Tout cela pour la France[7]. ”

Les consignes sont simples : “ Taper très vite, sans jamais se poser de questions, pour tuer l’adversaire le plus vite possible. ” Ou encore : “ S’affranchir de tout élan moral, ne jamais chercher à être loyal, mais être simplement efficace et décidé à sauver sa vie par n’importe quel moyen. ” Et Aussaresses de commenter : “ Je suis sûr que c’est cet état d’esprit très particulier […] qui m’aida à tenir le coup lorsque, onze ans plus tard, je fus envoyé en Algérie. ”

En fait, le jeune Français est entré dans la famille des “ Jedburgh ”[8], la fine fleur des forces spéciales aériennes interalliées, où il fait la connaissance de l’avocat américain William Colby, futur patron de la CIA, au moment de la guerre du Viêt-nam, version US. La mission des “ tontons flingueurs ” est plus que risquée : s’infiltrer derrière les lignes ennemies, par équipes de trois — un Américain ou un Britannique, un officier du pays où se déroule l’opération et un opérateur radio —, pour soutenir les maquis de la Résistance, en prévision du débarquement des Alliés. C’est ainsi qu’Aussaresses est parachuté dans le maquis de l’Ariège, commandé provisoirement par un certain… Marcel Bigeard. Et puis, le 25 avril 1945 — “ Et là, disent ses anciens camarades, il fallait vraiment en avoir… ” —, il saute de nouveau, mais cette fois en uniforme allemand, entre Berlin et Magdebourg, pour prendre contact avec les prisonniers du camp 11A d’Altengrabow.

Repéré pour sa témérité à toute épreuve, il est affecté, à la fin de la guerre, à la DGER, la Direction générale des services spéciaux, bientôt rebaptisé SDECE, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage[9]. En clair : les services secrets, surnommés dans le jargon la “ Piscine ”, dont le siège est situé dans la caserne Mortier, à l’angle du boulevard Mortier et de la rue des Tourelles, dans le XXe arrondissement parisien.

À la différence de la Direction de la sécurité du territoire (DST), le SDECE n’est pas un service de police, mais un organisme militaire qui dépend directement du Premier ministre. Officiellement, sa mission est “ de rechercher hors du territoire national tous les renseignements et la documentation susceptibles d’informer le gouvernement, pour signaler aux administrations intéressées les agents des puissances étrangères qui nuiraient à la défense nationale ou à la sûreté de l’État[10] ”. Il dispose d’une structure éminemment clandestine, le “ Service Action ”, dont les agents sont habilités à mener toutes sortes d’“ opérations spéciales ” : “ L’élimination physique fait partie de la routine quotidienne des hommes du “Service Action” du SDECE, raconte Thyraud de Vosjoli, un ancien de la “Piscine” qui dirigea l’antenne du SDECE à Washington au début des années 1950. Ces hommes font leur devoir et sont fiers de leur professionnalisme, conscients de rien avoir à envier au savoir-faire de la Gestapo ou du KGB[11]. ”

C’est précisément dans le Service Action qu’est intégré le capitaine Aussaresses, en 1946. Jacques Morlane, son patron, lui demande de créer une “ unité spéciale ”, le 11e “ bataillon parachutiste de choc ”, dit “ 11e Choc ”, véritable bras armé des services secrets[12]. Nommé commandant, il est affecté à la citadelle de Mont-Louis, à 80 km à l’est de Perpignan, où il entraîne quelque 850 hommes, dont un certain Philippe Castille (qui mènera l’attentat contre le général Salan en 1957, avant de devenir le chef des plastiqueurs de l’OAS). L’insigne de ce bataillon spécial, c’est “ Bagheera ”, une tête de panthère noire choisie “ pour honorer la mémoire des membres du service Action en Extrême-Orient ”. C’est pour avoir créé le 11e Choc que Paul Aussaresses est décoré de la Légion d’honneur, à vingt-neuf ans.

“ Quelle était la mission du 11e Choc ?

— Eh bien, il devait mener ce qu’on appelait alors la “guerre psychologique”, partout où c’était nécessaire, et notamment en Indochine.

— Concrètement ?

—   Je préparais mes hommes à des opérations clandestines, aéroportées ou non, qui pouvaient être le plasticage de bâtiments, des actions de sabotage ou l’élimination d’ennemis… Un peu dans l’esprit de ce que j’avais appris en Angleterre[13]. ”

Si j’ai tenu à rappeler le parcours d’Aussaresses avant la guerre d’Algérie, c’est parce que je voulais qu’on comprenne bien une chose : l’homme n’entrait pas dans la catégorie simplificatrice – et somme toute, plus rassurante- des « grandes brutes fachos », aveuglées par leur bêtise ; il n’était pas non plus un « électron libre », torturant tout seul dans son coin.

Non ! Il était un « exécutant », pour reprendre la terrible expression de Pierre Messmer (décédé en 2007), lorsque je l’ai interviewé pour mon film. L’ancien para d’Indochine, qui fut ministre des Armées de 1960 à 1969, m’avait expliqué qu’il avait été sollicité par Robert McNamara, le secrétaire de la Défense du président Kennedy, qui voulait que la France envoient des « spécialistes » former les militaires américains aux techniques de la « guerre antisubversive ». Il avait choisi des militaires ayant une « expérience en Algérie », comme Aussaresses, qui, m’avait-il dit « n’était pas un penseur, mais un exécutant ».

Les « exécutants » obéissent aux ordres des « penseurs », en l’occurrence ici les politiques (le gouvernement et les députés) qui ont donné les pleins pouvoirs aux paras du général Massu pour mâter la rébellion indépendantiste.

Et les politiques, comme Pierre Messmer, qui n’a jamais été inquiété (ses obsèques ont été célébrées en grande pompe aux Invalides), n’ont jamais eu de compte à rendre, ni devant les tribunaux, ni devant l’histoire officielle qui continue de les encenser.

Voilà pourquoi je dis qu’il est facile de tirer à boulets rouges sur celui qui se vantait d’avoir créé et dirigé un « escadron de la mort », dont le modèle sera ensuite exporté vers l’Amérique du Nord et du Sud ; même si cela ne l’exonère en rien de sa responsabilité individuelle, n’oublions pas que Aussaresses n’était qu’une « petite main » , certes pleine de sang, dont les forfaits furent encouragés par une politique d’État, celle de la France. Or, à ce jour, les dirigeants de la France, qui furent impliqués dans la guerre sale algérienne, n’ont jamais été publiquement condamnés.

Comme l’a dit Bernard Stasi, le 10 mars 2004, au moment de me remettre le prix du Meilleur Documentaire Politique au … Sénat, « nous ne sommes pas encore au bout du chemin », si nous voulons que « notre pays mérite effectivement d’être considéré comme le pays des droits de l’Homme »...


[1]  La première femme d’Aussaresses était aussi membre des services spéciaux. Elle est décédée peu après la publication du livre de son ex-mari sur l’Algérie. Celui-ci dit qu’elle n’a pas supporté les révélations qu’il y faisait…

[2]  Florence Beaugé, “ Le secret du général Aussaresses ”, Le Monde, 20-21 mai 2001.

[3]  Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, op. cit., p. 18.

[4]  Paul Aussaresses, Pour la France. Services spéciaux 1942-1954, Le Rocher, Monaco, 2001, p. 7.

[5]  Ibid., p. 83.

[6]  Ibid., p. 84.

[7]  Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, op. cit., p. 15.

[8]  Du nom de l’abbaye écossaise en ruines.

[9]  Le SDECE deviendra l’actuelle DGSE, en 1981.

[10]  Cité par Roger Faligot et Pascal Krop, DST, police secrète, Flammarion, Paris, 1999.

[11]  Cité par Douglas Porch, Histoire des services secrets français, Albin Michel, Paris, 1995, tome 2, p. 130.

[12]  Il sera dissous en décembre 1963, sur ordre du général De Gaulle, à cause de l’attitude de ses cadres, majoritairement favorables à l’OAS.

[13]  Entretien avec l’auteur, 21 octobre 2003.