Le Mouv’ parle des « déportés du libre échange »

Pour ceux qui auraient raté l’émission que le Mouv’ a consacrée aujourd’hui à mon reportage « Les déportés du libre échange« , qui sera diffusé samedi prochain (4 février) à 18 heures 50 sur ARTE, vous pouvez vous rattraper:

http://www.lemouv.fr/diffusion-les-forcats-du-travail-de-tanger-au-zacatecas

Je vous rappelle que vous pouvez consulter la bande annonce de ce reportage qui raconte les conséquences désastreuses de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire du Mexique sur mon Blog (rubrique « Les déportés du libre échange », ou sur le site de m2rfilms (rubrique « Notre actualité »):

www.m2rfilms.com

« Les déportés du libre échange » représente la première production de m2rfilms , la maison de production que j’ai récemment créée. Je prépare actuellement un nouveau film (et livre) provisoirement intitulés « Comment on nourrit les gens? », qui investigue la capacité de nourrir le monde, avec des techniques agro-écologiques. Vous trouverez plus d’informations sur ce projet déjà bien avancé sur le site de m2rfilms, qui a lancé une opération de « crowdfunding« , de financement communautaire, permettant à tous ceux qui  désirent  soutenir le film, en pré-achetant le DVD. Actuellement, nous sommes à quelque 1600 souscriptions (soit un peu plus de 1450 souscripteurs, certains ayant acheté plusieurs DVD). Pour le budget, nous avions tablé sur 2500 souscriptions, avis aux amateurs!

Plus d’informations sur la démarche et ses objectifs à l’adresse suivante:

http://www.m2rfilms.com/crbst_22.html

La souscription donne accès aux pages « membres » de m2rfilms où je rends compte régulièrement de la progression du montage financier et de l’enquête.

Le « phytothéâtre » ou les dangers des pesticides

Dans quelques jours, le tribunal de Lyon rendra publique sa décision concernant l’affaire qui oppose Paul François, l’agriculteur de Charente, victime d’une grave intoxication chimique au Lasso (un herbicide de Monsanto), ayant déclenché de sérieux troubles neurologiques chroniques, et la multinationale américaine. Avant de revenir longuement sur cette affaire, que je relate dans mon livre et film Notre poison quotidien :

http://www.arte.tv/fr/_C2_AB-Notre-poison-quotidien-_C2_BB-Une-enquete-de-Marie-Monique-Robin—Livre–DVD—VOD/3673748,CmC=3674010.html

je mets en ligne un tournage que j’ai réalisé au lycée Bonne-Terre de Pézenas, où la Mutualité sociale agricole (MSA) organisait un « phyto-théâtre » pour mettre en garde les futurs viticulteurs des dangers que leur font courir les poisons agricoles. Je copie aussi les deux pages de mon livre, que j’ai consacrées à cette session de « prévention », et que j’ai intitulées…  « l’impossible prévention »…

Le montage de la séquence est précédé d’une interview du Docteur Jean-Luc Dupupet, qui était le médecin en charge des risques chimiques à la MSA, au moment du tournage.

L’impossible prévention

« La principale difficulté que vous aurez en utilisant les phytosanitaires, c’est d’apprendre à percevoir l’invisible… C’est-à-dire apprendre à savoir que le “produit phyto” que vous aviez au départ dans le bidon s’est retrouvé progressivement dans votre environnement. Vous comprenez, ce n’est pas de la peinture rouge, il ne se voit pas[1]… C’est d’autant plus difficile que le matériel de pulvérisation n’est pas extraordinaire, que les formulations sont difficiles à utiliser et les produits dangereux. Malgré tout ça, il faudra apprendre à gérer votre propre prévention… »

Surréaliste, la scène se déroule le 9 février 2010, dans le lycée agricole catholique Bonne-Terre de Pézenas (Hérault). Médecin du travail à la Mutualité sociale agricole (MSA), Gérard Bernadac est venu animer une séance de « prévention des risques phytosanitaires » en compagnie d’Édith Cathonnet, conseillère en prévention à la MSA du Languedoc, et du docteur Jean-Luc Dupupet, médecin en charge du risque chimique, venu spécialement de Paris, où se trouve le siège de la mutuelle. La formation s’adresse à une trentaine d’élèves – tous des garçons – de la filière viticulture œnologie, des fils de vignerons qui se préparent à rejoindre l’exploitation familiale[2]. Elle fait partie d’un module qui permettra à ces futurs agriculteurs d’obtenir le « certiphyto », un diplôme autorisant l’usage professionnel des « produits phytopharmaceutiques » et qui sera obligatoire à compter de 2015, en vertu d’une directive européenne d’octobre 2009 « pour une utilisation durable des pesticides ». D’ici là, la MSA a du pain sur la planche, car c’est à elle que le ministère de l’Agriculture a confié la mission de former les utilisateurs, magasiniers et négociants, soit environ un million de personnes. Jusqu’alors, n’importe qui pouvait utiliser les poisons sans aucune formation préliminaire…

En observant les jeunes lycéens assis bien sagement dans la jolie chapelle de l’établissement privé, je ne peux m’empêcher de penser aux multiples dangers auxquels ils seront immanquablement confrontés au cours de leur activité professionnelle. Chaque année, en effet, quelque 220 000 tonnes de pesticides sont épandues dans l’environnement européen : 108 000 tonnes de fongicides, 84 000 tonnes d’herbicides et 21 000 tonnes d’insecticides[i]. Si on y ajoute les 7 000 tonnes de « régulateurs de croissance » – des hormones destinées notamment à raccourcir la paille du blé –, cela fait environ un demi-kilo de substances actives pour chaque citoyen européen. La France se taille la part du lion, car avec ses 80 000 tonnes annuelles, elle est le premier consommateur européen de pesticides et le quatrième consommateur mondial, derrière les États-Unis, le Brésil et le Japon. 80 % des substances pulvérisées concernent quatre types de cultures, qui ne représentent pourtant que 40 % des surfaces cultivées : les céréales à paille, le maïs, le colza et la vigne justement, l’un des secteurs agricoles où l’on utilise le plus de « produits phyto ».

La formation au lycée Bonne-Terre a débuté par une séance de « Phyto théâtre », un sketch joué par le docteur Bernadac et sa collègue de la MSA pour sensibiliser les futurs agriculteurs aux « bonnes pratiques » permettant d’éviter le pire. Dans son introduction, Édith Cathonnet a d’ailleurs fait un drôle d’aveu : après avoir énuméré toutes les phases du travail qui comportait des « risques » – l’ouverture du bidon, la préparation de la « bouillie », le remplissage ou nettoyage de la cuve, l’épandage lui-même surtout si la cabine n’est pas étanche ou souillée, etc. –, elle a fini par lâcher, comme un cri du cœur : « La façon idéale de se protéger, c’est de ne pas traiter, parce qu’on n’est pas du tout en contact avec le produit ! »

Puis, au fur et à mesure que se déroulait le « Phyto théâtre » d’un réalisme absolu – j’ai vu ces gestes mille fois sur les fermes de ma commune natale –, j’ai senti le malaise m’envahir. Toute la démonstration reposait en effet sur l’usage de la combinaison de cosmonaute que les agriculteurs sont censés porter pour se protéger, avec les incontournables accessoires que sont les masques à gaz et lunettes de batraciens qui donnent aux paysans des allures d’extraterrestres. Or, trois semaines plus tôt, le 15 janvier 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) avait publié un rapport très inquiétant sur l’inefficacité de ces combinaisons[ii]. Dans leur étude, les experts y expliquaient en détail qu’ils avaient testé dix modèles de combinaison : « Seuls deux modèles sur les dix testés conformément à la norme atteignent le niveau de performance annoncée. Pour les autres combinaisons, le passage des produits chimiques a été quasi immédiat à travers le matériau de trois d’entre elles et à travers les coutures pour deux autres, ce qui constitue des non-conformités graves. Les trois dernières sont à déclasser pour au moins une substance. »

Enfonçant le clou, ils constataient que les tests réalisés par les fabricants « sont réalisés en laboratoire dans des conditions trop éloignées des conditions réelles d’exposition. Les facteurs essentiels, tels que la durée d’exposition, la température extérieure, le type d’activité, la durée de contact n’entrent pas en considération ». Et leur conclusion était sans appel : « Un contrôle de conformité de l’ensemble des combinaisons de protection contre les produits chimiques liquides présentes sur le marché doit être réalisé et les combinaisons non conformes retirées sans délai. »


[1] C’est moi qui souligne.

[2] La présence de mon équipe de tournage a été signalée sur le site du lycée : <www.bonne-terre.fr>.


[i] Pesticide Action Network Europe et MDRGF, « Message dans une bouteille ». Étude sur la présence de résidus de pesticides dans le vin, <www.mdrgf.org>, 26 mai 2008.

[ii] Afsset, « L’Afsset recommande de renforcer l’évaluation des combinaisons de protection des travailleurs contre les produits chimiques liquides », <www.afsset.fr>, 15 janvier 2010.

Les déportés du libre échange (2)

Je mets en ligne le texte que j’ai remis au service de presse d’ARTE pour annoncer mon reportage « Les déportés du libre échange« . Pour les anglophones, je recommande vivement de consulter le site du Pr. Timothy Wise, de l’Université Tufts de Boston, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’ALENA (North American Free Trade Agreement-NAFTA) et de ses conséquences désastreuses pour l’économie, et notamment l’agriculture mexicaine. J’ai longuement interviewé le Pr. Wise que les spectateurs retrouveront, en octobre 2012,  dans mon film « Comment on nourrit les gens? » (photo 1):

http://www.ase.tufts.edu/gdae/policy_research/MexicoUnderNafta.html

Par ailleurs, j’ai aussi interviewé pour « Les déportés du libre échange » Julie Greene, professeure d’histoire à l’Université du Maryland, qui a écrit un article très complet sur l’ALENA (et prépare un ouvrage), en s’intéressant précisément au lien qui unit le maïs (transgénique) subventionné qu’elle cultive sur la ferme de ses parents dans le Nebraska, et les milliers de sans papiers mexicains qui travaillent dans les usines à viande de l’Etat (photo 2). Publié dans Dissent, cet article a été traduit (en partie- dans Courrier International (N° 1059, février 2011):

http://www.dissentmagazine.org/article/?article=3677

Enfin, parmi les différents experts que j’ai interviewés pour « Les déportés du libre échange », il y a notamment Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui a dressé un bilan très sévère de la situation alimentaire au Mexique, depuis l’ALENA, et que l’on voit (photo 3), lors de sa rencontre avec les sénateurs mexicains, en juin 2011. Comme on leur verra dans mon reportage, nombreux sont les sénateurs qui demandent, aujourd’hui, une révision de l’ALENA, pour que soit retiré de l’accord le volet agricole, en raison précisément du dumping déloyal des Etats Unis qui  a conduit sur la route de l’exil (comme dans la chanson « Deportees » de Woodie Guthrie) trois millions de petits paysans et leurs familles., tandis que les multinationales , comme Cargill-Monsanto, s’emparaient des clés de l’alimentation nationale.

Voici mon texte:

Le 1er janvier 1994, entrait en vigueur l’Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA), signé en décembre 1992 par les Etats Unis, le Canada et le Mexique. Prônant la déréglementation et le renoncement à  toute forme de protectionnisme, il exigeait des trois pays partenaires l’abolition de toutes les taxes d’importation et le démantèlement des aides destinées à soutenir les agricultures et industries nationales. Reprenant les credos de la vulgate ultra-libérale, les signataires de l’accord affirmaient que celui-ci allait entraîner un développement sans précédent des échanges commerciaux entre les trois pays, qui allaient pouvoir faire jouer à plein leur « avantage comparatif ». Le Mexique, par exemple, le pays le plus pauvre du trio, allait pouvoir produire des fruits et légumes en contre-saison pour les exporter « librement » vers ses grands voisins du nord. De même, la « libre concurrence » allait lui permettre de se procurer de la nourriture moins chère et d’entrer dans le club des nations développées grâce à l’accroissement du volume de ses exportations, dont les bénéfices allaient irriguer toute l’économie mexicaine, entraînant un « bien être général » (principe du « donnant donnant »).

Seize ans plus tard, la belle fiction a tourné au scénario catastrophe. Certes, d’ après le FMI, le commerce total entre les USA et le Mexique a triplé entre 1993 et 2004, et toutes les heures, le Mexique importe des produits agricoles et alimentaires des Etats Unis pour une valeur d’ un million et demi de dollars, mais , toutes les heures aussi, trente Mexicains quittent la campagne pour émigrer clandestinement aux Etats Unis, tandis que progressent les taux de malnutrition (mais aussi d’obésité) et de pauvreté dans tout le pays.

De fait, l’ALENA a littéralement laminé l’agriculture mexicaine, et notamment les petits paysans (21% de la population active) qui exploitent, en moyenne, cinq hectares de cultures vivrières : fruits, légumes et maïs, la plante sacrée des mayas et aztèques, qui constitue l’aliment de base depuis la nuit des temps.

Au nom du « libre échange », le Mexique a progressivement démantelé le système qui avait pourtant permis son autosuffisance alimentaire pendant des décennies, à savoir des prix garantis aux producteurs locaux et un contrôle des prix pratiqués dans les villes (soutien à la consommation).  Dans le même temps, le pays s’est retrouvé inondé de maïs américain (transgénique) vendu à un prix trois fois inférieur au maïs « criollo » (local), en raison des subventions accordées par Washington aux producteurs américains. Quinze ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA, le Mexique importait vingt millions de tonnes de maïs provenant du nord du Rio Grande, soit 40% du marché national, commercialisées par des multinationales de l’agroalimentaires, qu’elles soient américaines  comme Cargill-Monsanto,  ou mexicaines comme Maseca.

Incapables de résister à cette concurrence que d’aucuns dénoncent comme un dumping déloyal , trois millions de petits paysans ont dû cesser leur activité et rejoindre les bidonvilles mexicains ou tenter leur chance comme travailleurs clandestins aux Etats Unis. Un grand nombre des « indocumentados «  travaillent dans les usines d’abattage et de conditionnement de la viande qui ont poussé comme des champignons dans les Etats de l’Iowa ou du Nebraska, tandis que le flux sans précédent d’immigrés clandestins provoquait des  réactions de xénophobie aux Etats Unis.

On a vu le résultat de cette politique en 2007 lorsque le prix du maïs des Etats Unis a doublé en raison de la demande en biocarburants: en un mois, le prix de la tortilla de maïs a augmenté de 50% suscitant les premières émeutes de la faim du XXIème siècle…

Photo 4: Avec José et Hilda, un couple de paysans de l’Etat de Zacatecas que l’ALENA a ruiné, en raison des importations massives de maïs et de haricots des Etats Unis, subventionnés et vendus à un prix 20% au dessous du coût de production d’après les études de Timothy Wise.

Tous sur ARTE, le 4 février à 18 heures 50 ! Bande annonce: « Les déportés du libre échange »

Avant toute chose: bonne année!

Très prise par le tournage de mon prochain documentaire « Comment on nourrit les gens? », qui sortira sur ARTE en octobre 2012 (avec un livre), j’ai un peu déserté mon Blog ces deux derniers mois. Mais j’y reviens avec une bonne nouvelle: le 4 février prochain, à 18 heures 50, ARTE Reportage diffusera « Les déportés du libre échange », un documentaire de 26 minutes, et la première production de M2RFilms, la maison de production que j’ai créée l’année dernière:

http://www.m2rfilms.com/

En juin 2011, en effet,  j’ai accompagné Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, lors de sa mission au Mexique. Alors que le budget de mon nouveau film « Comment nourrir les gens ? » était loin d’être bouclé, j’avais décidé de filmer le voyage du représentant de l’ONU, car je savais que l’histoire récente du Mexique est l’illustration parfaite de ce qu’il faut faire si on veut … affamer un peuple.

Ce que j’ai découvert dépassait tout ce que j’avais pu imaginer : depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) en janvier 1994, trois millions de petits paysans ont dû quitter l’agriculture pour rejoindre les bidonvilles de Mexico ou tenter leur chance clandestinement aux Etats Unis, où ils travaillent dans des conditions infra-humaines comme ouvriers agricoles ou esclaves des temps modernes dans les usines à viande du Nebraska ou d’ailleurs.
Alors qu’avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant d’un point de vue alimentaire, aujourd’hui il dépend des Etats Unis d’où il importe 40% de ses aliments. En janvier 2007, il a connu les premières émeutes de la faim de son histoire, provoquées par la flambée du prix de la tortilla de maïs qui constitue l’aliment de base de la population.

Comment en est-on arrivé à cette situation désastreuse  (où Cargill-Monsanto joue un rôle très néfaste…)? Après mon voyage en juin, j’ai proposé à Marco Nassivera, le responsable d’ARTE Reportage, de réaliser un documentaire spécifique sur l’ALENA et ses conséquences sur l’agriculture et la sécurité alimentaire du Mexique. Pour le réaliser, je suis retournée au Mexique, puis aux Etats Unis, en octobre dernier. J’ai notamment filmé dans l’Etat du Zacatecas, à 700 kilomètres au nord de Mexico. D’après le dernier recensement, il y a aujourd’hui plus de Zacatenos vivant aux Etats Unis (1 600 000) qu’à l’intérieur de l’Etat (1 400 000) . Dans les villages sont restés les femmes, les enfants et les anciens. Ils survivent grâce aux « remesas », l’argent envoyé par leurs proches qui ont émigré aux Etats unis En 2007, les remesas ont rapporté 20 milliards d’Euros au Mexique.

La  vidéo ci-dessous a été filmée lors d’une réunion organisée par l’UNORCA, un syndicat agricole qui fait partie de Via Campesina, dans le petit village de San Pablo, où l’on m’a demandé de me présenter ainsi que mon travail.