Nouvelles de Monsanto, Colombie et des Déportés du libre échange

Samedi s’est déroulée place Stalingrad (Paris) la deuxième marche contre Monsanto. Organisée par le collectif des Engraineurs, celle-ci a réuni plus d’un millier de personnes, tandis qu’un peu partout dans le monde  des citoyens se réunissaient pour demander que cessent l’empoisonnement des terres et des hommes ainsi que la privatisation et l’accaparement des semences.

Voici le compte-rendu qu’en a fait le site Bioaddict:

http://www.bioaddict.fr/article/ecologie-le-mouvement-contre-monsanto-prend-de-l-ampleur-a4173p1.html

Très festive, la rencontre a débuté par la performance de Kolibri, qui a écrit un rap sur Monsanto à partir de mon film Le monde selon Monsanto.

Kolibri

À faire circuler sans compter, car musique et paroles, tout est parfait !

Écoutez:

http://colibris.ning.com/video/monsanto-kolibri?xg_source=activity

Image 2

Photo: collectif des Engraineurs

 Avant d’introduire les différents intervenants , dont Laurent Pinatel, porte-parole de la confédération paysanne, Laurent Marbot vice-président du réseau des AMAP d’Île-de-France, l’économiste Geneviève Azam d’ATTAC et moi-même- Benjamin Sourice de Combat Monsanto a donné une bonne nouvelle : après les violentes manifestations qui se sont déroulées en Colombie en août et septembre (voir sur ce Blog), le gouvernement a annoncé la suspension pour deux ans de la « Résolution  9 .70 » qui interdisait aux paysans de garder une partie de leur récolte pour la resemer, l’année suivante.

Cette « résolution » , qui vise à protéger les « droits de propriété intellectuelle » sur les semences détenus par les multinationales de l’agrobusiness, comme Monsanto ou Cargill, faisait partie du « package » compris dans l’Accord de Libre Échange que la Colombie a signé avec les États Unis et qui vient d’entrer en vigueur. Aux termes de cette « résolution », plusieurs centaines de tonnes d’aliments ont été détruites en Colombie, au motif qu’ils avaient été produits avec des semences non certifiées.

Je vous invite à lire l’excellent compte-rendu mis en ligne par l’ONG GRAIN :

http://www.grain.org/fr/article/entries/4781-soulevement-des-agriculteurs-colombiens-les-semences-sous-les-feux-de-l-actualite

Image 1Photo: collectif des Engraineurs

À Stalingrad, mon allocution a porté sur les alternatives au modèle agro-industriel incarné par Monsanto, ainsi que je les ai présentées dans mon film et livre Les moissons du futur.

Je vous invite à visionner cette courte vidéo réjouissante que j’ai tournée en « bonus » au Sénégal et qu’ARTE a mise en ligne, quelques jours avant la diffusion des Moissons du futur. Que ceux qui prétendent que l’agroécologie ne pourra pas nourrir le monde aillent se rhabiller!!

http://www.arte.tv/fr/senegal/6921216.html

Par ailleurs, j’ai reçu des nouvelles de Sofía Gattica, l’Argentine qui avait été molestée et frappée par la police (voir sur ce Blog), lors d’une occupation du site où Monsanto veut construire une usine géante de semences transgéniques.

En tournage aux fins fonds du Népal , pour mon prochain film Sacrée  croissance! (voir sur mon site: www.m2rfilms.com ) j’avais perdu le contact avec Sofía, faute d’accès à internet. La lauréate du prix Goldman a été violemment frappée à la tête par la police, puis hospitalisée. Mais, aujourd’hui, malgré les harcèlements, elle a repris sa sa place sur les lieux de l’occupation. Je vais bientôt mettre en ligne l’interview qu’elle m’a accordée lors de son passage à Paris en juin dernier.

En attendant, vous pouvez consulter ce site qui montre la violence de l’intervention policière sur le site de la future usine de Monsanto:

http://berthoalain.com/2013/10/01/conflit-mosanto-affrontements-a-malvinas-argentinas-cordoba-30-septembre-2013/

Ei ici, les violences policières dont a été victime Sofía:

http://www.enredando.org.ar/2013/09/30/cordoba-sofia-gatica-golpeada-por-la-represion/

Enfin, je vous informe que mon film Les déportés du libre échange va entamer un tour de France, car il fait partie de la sélection du Festival Alimenterre 2013.

Je joins le communiqué de lancement de la septième édition de ce festival, qui commence, chaque année, le 16 octobre – lors de la journée mondiale de l’alimentation– et se déroule jusqu’à la fin novembre. Vous trouverez ci-dessous les dates de programmation de mon film sur tout le territoire français :

http://www.festival-alimenterre.org/film/deportes-libre-echange

 

LANCEMENT DE LA 7e EDITION

FESTIVAL DE FILMS ALIMENTERRE 2013

Des images et des mots sur les désordres alimentaires du monde

La transition agricole et alimentaire, concrètement, c’est possible ? Le gaspillage alimentaire chez nous, ça crée de la faim ailleurs ? L’agro-écologie, utopie ou modèle pour que chacun puisse se nourrir demain ? Le libre-échange, un moyen efficace pour favoriser le développement pour tous ou un générateur d’injustices ?

► Pour en savoir plus sur la programmation :

http://www.festival-alimenterre.org/edition-2013/programme

Le Festival ALIMENTERRE 2013, ce sont plus de 600 projections-débats en France, en Belgique, en Pologne, en République Tchèque et en Roumanie. En Afrique, le Festival se déroulera au Bénin, au Burkina-Faso, au Gabon, en Guinée-Conakry, à Madagascar, au Sénégal et au Togo. Les Comores et le Québec accueilleront également le Festival.

► Pour connaître les dates et lieux de projection :

http://www.festival-alimenterre.org/agenda

N’hésitez pas à faire tourner cette information dans vos réseaux. Le communiqué de presse est téléchargeable sur le site du CFSI :

www.cfsi.asso.fr/sites/www.cfsi.asso.fr/files/communique_de_presse_alimenterre_2013_vf.pdf

Bons débats !

Coup de gueule

Ce soir je suis en colère, et je l’assume. Comme l’a écrit le philosophe, écrivain, et poète,  George Bataille :

« Le cœur est humain dans la mesure où il se révolte ».

L’humanité va crever de l’indifférence, des discours mous-du-genou, de l’incapacité des pauvres bipèdes que nous sommes à nous lever pour arrêter la barbarie et  défendre la vie.

Ce soir je suis en colère car j’ai reçu des nouvelles terribles de Colombie. Et ces nouvelles nous concernent tous !

Je les résume en quelques mots : la Colombie a signé un « accord de libre échange » avec les États Unis qui est récemment entré en vigueur. Cet accord contient une clause qui oblige les paysans à cultiver des « semences certifiées », c’est-à-dire produites par les « sélectionneurs » comme … Monsanto ou Syngenta.

Pour remplir cette « clause », l’Institut agroalimentaire colombien a publié un texte – la résolution 970- qui menace d’amendes et de poursuites judiciaires tout paysan qui continuerait de faire ce qu’il a toujours fait : garder  une partie de sa récolte pour ensemencer ses champs.

Depuis le 19 août, des dizaines de milliers de Colombiens – paysans, étudiants, mineurs, chauffeurs routiers, médecins- se sont lancés dans les rues pour dénoncer cette violation d’un droit humain fondamental : celui de se nourrir soi-même.

De violents affrontements ont eu lieu à Bogota, où le président Santos a déclaré le couvre-feu et mobilisé 50 000 membres des forces armées et de la police militaire pour « mater les vandales » et défendre la loi d’airain imposée par Monsanto et consorts.

Je connais bien la Colombie : cet immense pays à l’extraordinaire biodiversité a la capacité de nourrir sa population,  s’il laisse ses paysans faire leur travail. Pour cela, il leur faut de la terre, et la majorité d’entre eux en est privée. Si maintenant, on les empêche de sélectionner leurs graines, c’en est fini de l’agriculture vivrière colombienne.

Comme ce fut le cas au Mexique après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (l’ALENA), le pays sera envahi par les produits agricoles bas de gamme et subventionnés des États Unis, les magasins Walmart et autres chaînes de discount qui pousseront à la rue des millions de petits paysans.

J’invite tous ceux et celles qui me lisent à regarder le reportage « Les déportés du libre échange » que j’ai consacré à l’ALENA, et qui a été diffusé sur ARTE en février 2012 . Je l’ai mis en ligne sur mon site web, et on peut aussi le trouver comme bonus sur le DVD des Moissons du futur :

http://www.mariemoniquerobin.com/deportesdulibreechangeextrait.html

Vous trouverez sur ce Blog d’autres billets concernant l’ALENA ainsi que des extraits du chapitre que je lui ai consacré dans mon livre Les moissons du futur. Ce soir, je mets en ligne un autre extrait de ce chapitre (voir ci-dessous).

Par ailleurs, je rappelle que l’Union européenne s’apprête à négocier un accord de libre échange avec les États Unis, dont j’ai aussi commenté les effets dévastateurs qui ne manqueront de s’abattre sur le vieux continent (voir aussi sur ce blog).

C’est pourquoi j’ai accepté de prêter mon image et mon nom à une affiche réalisée par le Collectif des Engraineurs qui s’est associé à la campagne qu’ATTAC et d’autres organisations ont décidé de lancer dès l’automne. Rejoignez-les !

affiche TAFTA

 

« Les États-Unis pratiquent le dumping »

« L’histoire de l’ALENA prouve que la mondialisation ne pourra pas nourrir le monde, c’est sûr ! » L’homme qui me reçoit, ce 25 octobre 2011, n’est pas un gauchiste altermondialiste que l’on peut suspecter de faire de l’antilibéralisme primaire. Professeur à l’Université Tufts de Boston, où il dirige le Global Development and Environment Institute, Timothy A. Wise est spécialiste du développement et du commerce international et, à ce titre, il est régulièrement consulté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En 2009, il a corédigé un rapport intitulé Le Futur de la politique commerciale nord-américaine. Les leçons de l’ALENA[i], remis au président Barack Obama – lequel, pendant sa campagne électorale, s’était engagé à réformer le traité. Puis, en 2010, en collaboration avec l’Institut Woodrow Wilson de Washington, il a publié un autre rapport au titre sans ambiguïtés : Le Dumping agricole de l’ALENA. Estimations des coûts des politiques agricoles américaines pour les producteurs mexicains[ii]. Dans ce document, considéré comme une référence, il a « examiné huit denrées agricoles – le maïs, le soja, le blé, le riz, le coton, la viande de bœuf, de porc et de poulet –, toutes largement subventionnées par le gouvernement américain, qui étaient produites en grandes quantités au Mexique avant l’ALENA et dont l’exportation des États-Unis vers le Mexique a considérablement augmenté après le traité. […] Entre 1997 et 2005, les exportations de porc ont augmenté de 707 %, celles de bœuf de 278 %, de poulet de 263 %, de maïs de 413 %, de blé de 599 %, de riz de 524 % ».

IMGP2192

« Pourquoi dites-vous que les États-Unis pratiquent le dumping ?

– Si l’on prend la définition retenue par l’OMC, selon laquelle le dumping consiste à exporter des produits à un prix inférieur à leur coût de production, il n’y a aucun doute que l’ALENA a encouragé le dumping, m’a fermement répondu Timothy Wise. Par exemple, de 1997 à 2005, les États-Unis ont vendu le maïs à un prix inférieur de 19 % à son coût de production. Par un mécanisme de subventions, très élevées sur la période étudiée (en moyenne 200 dollars par hectare), les États-Unis ont encouragé la surproduction pour pouvoir inonder le Mexique, ce qui a entraîné un effondrement du prix de 66 % sur le marché local. À ces subventions en monnaie sonnante et trébuchante, s’ajoute un autre type de subventions que j’appellerais “indirectes”, qui tient au fait que les grands céréaliers du Midwest ne payent pas pour la pollution, par exemple, des nappes phréatiques qu’ils occasionnent. Le coût de ces externalités négatives n’est pas inclus dans le prix du maïs exporté vers le Mexique. À l’inverse, les petits producteurs mexicains qui pratiquent l’agroécologie et entretiennent la biodiversité du maïs dans leurs champs ne sont pas récompensés pour le service qu’ils rendent à l’humanité, mais aussi, d’ailleurs, aux sélectionneurs qui causent leur mort. Il est évident que les petits paysans mexicains ne pouvaient résister à cette double concurrence déloyale.

– Quel fut le coût de ce dumping pour les paysans mexicains ?

– Avec les chercheurs de l’Institut Woodrow Wilson, nous avons estimé que le manque à gagner des paysans mexicains pour les huit denrées étudiées s’élevait à 12,8 milliards de dollars de 1997 à 2005. Le secteur le plus touché est le maïs, qui enregistre la moitié des pertes, puis celui de l’élevage, qui a perdu 1,6 milliard de dollars. En effet, le dumping a aussi fonctionné pour la viande, car aux États-Unis, le bétail est nourri avec du maïs ou du soja subventionné.

IMGP2201

– Pourquoi le gouvernement mexicain ne s’est-il pas élevé contre ces pratiques déloyales ?

– Bonne question !, m’a répondu le chercheur de Boston. En fait, l’ALENA prévoyait pour la “libéralisation” du marché du maïs une période de transition de quatorze ans, qui permettait au Mexique, au moins jusqu’en 2008, de fixer des taxes à l’importation qui auraient pu compenser le dumping de 19 %. Mais le gouvernement mexicain a refusé d’appliquer cette clause et a donc laissé ses petits paysans sans défense…

– Mais pourquoi ?

– Une autre bonne question !, a répliqué Timothy Wise avec un sourire navré. La seule explication, c’est que l’ALENA a été conçu pour bénéficier aux multinationales américaines, comme Cargill ou Monsanto, mais aussi mexicaines, comme Maseca ou AgroInsa. Et ça a marché, puisqu’aujourd’hui le Mexique importe 34 % du maïs qu’il consomme, ce qui crée beaucoup de business… Certes, trois tomates sur quatre consommées aux États-Unis sont désormais produites dans des serres mexicaines ultramodernes, mais en termes d’emploi, ce fut l’hémorragie : en 1994, 8,1 millions de personnes travaillaient au Mexique dans l’agriculture, elles ne sont plus aujourd’hui que 5,8 millions. Et les emplois créés dans le secteur agroexportateur censés avoir compensé en partie les faillites paysannes sont des travaux saisonniers et précaires[1].

– Quel a été l’impact de l’ALENA sur l’immigration illégale au États-Unis ?

– S’agissant d’une immigration illégale, les données sont difficiles à obtenir. Mais on estime en général que le flux de migrants mexicains a été de 500 000 à 600 000 personnes par an jusqu’en 2008, année où il s’est réduit de moitié en raison de la récession.

– Qu’est-il advenu du rapport que vous avez remis au président Obama ?

– Rien, m’a répondu Timothy Wise avec une moue embarrassée. Il y a trop d’argent en jeu… Obama est même le président qui a mené la politique la plus dure contre les sans-papiers mexicains, doublement pénalisés par l’ALENA alors qu’ils participent largement à l’économie des États-Unis[2]. »


[1] De 1994 à 2003, 500 000 emplois ont été créés dans l’industrie, les services ou le secteur agroexportateur.

[2] Les États-Unis comptaient en 2011 quelque 11 millions d’immigrés sans-papiers, dont 6 millions de Mexicains.


[i] Kevin Gallagher, Enrique Dussel Peters et Timothy A. Wise (dir.), The Future of North American Trade Policy. Lessons from NAFTA, Pardee Center Task Force Report, Boston University Frederick S. Pardee Center for the Study of the Longer-Range Future, novembre 2009.

[ii] Timothy A. Wise, Agricultural Dumping under NAFTA. Estimating the Costs of U.S. Agricultural Policies to Mexican Producers, Mexican Rural Development Research Report n° 7, Woodrow Wilson International Center for Scholars, Washington, 2010.

Non à l’accord de libre échange américano-européen!

J’appelle tous les internautes à se mobiliser contre l’accord de libre échange avec les Etats Unis que la Communauté européenne envisage de signer dans un avenir proche. J’ai réalisé récemment un documentaire, intitulé « Les déportés du libre échange« , diffusé sur ARTE, qui racontait les conséquences désastreuses de l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) , entré en vigueur le 1er janvier 1994, pour les paysans, travailleurs et citoyens mexicains:

http://www.mariemoniquerobin.com/deportedulibreechangesynopsis.html
J’y ai consacré un chapitre entier dans mon livre Les moissons du futur (voir ci-dessous).
Qu’on ne s’y trompe pas: au nom du « libre échange » et de « l’harmonisation« , le futur accord entraînera un alignement européen sur le modèle américain: privatisation des services publics – santé, éducation-, remise en cause des lois environnementales, des droits du travail, poulets et lait aux hormones, OGM, etc.

Comme le rappelle le député européen Yannick Jadot dans Libération d’aujourd’hui, récemment, le Québec a décidé d’un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste, et les compagnies des Etats Unis ont brandi l’ALENA pour exiger des centaines de millions de dollars d’indemnisation.
Certes, on peut se féliciter de la position ferme du président Hollande qui a exigé que soit retiré du cadre des négociations le secteur audiovisuel, mais ce n’est pas suffisant! Je crains même que ce soit un moyen de nous faire avaler la pilule…
Les accords de libre échange promus par les Etats Unis sont pilotés par les grandes multinationales qui visent ainsi à terminer leur besogne: mettre la planète en coupe réglée. C’est ce que j’ai expliqué, en juin 2012, au parlement japonais, qui m’avait sollicitée lors de mon séjour en terre nippone pour mes films Les moissons du futur et Terre souillée. Le pays est aussi en négociation avec les Etats Unis pour la signature d’un accord de « libre échange »:

http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2012/06/24/message-au-parlement-japonais/

 

À chacun de se mobiliser pour que l’accord américano-européen ne soit jamais signé!

 

Je mets ici en ligne le début du chapitre que j’ai consacré à l’ALENA dans mon livre Les moissons du futur:

 

Le « libre-échange » affame le Mexique

« Aujourd’hui, les États-Unis, le Mexique et le Canada embarquent ensemble dans une entreprise extraordinaire. Nous allons créer le marché le plus grand, le plus riche et le plus productif du monde, un marché de 6 milliards de dollars et de 360 millions de personnes. […] L’Accord de libre-échange nord-américain va créer de nouveaux emplois avec de bons salaires dans les trois pays, parce qu’un marché ouvert stimule la croissance et crée de nouveaux produits à des prix compétitifs. […] Le libre-échange est la voie du futur. » C’était le 7 octobre 1992, à San Antonio, au Texas, le fief du président George W. Bush qui prononçait ces mots exaltés. Ce jour-là, il avait convié ses homologues canadien, Brian Mulroney, et mexicain, Carlos Salinas de Gortari, pour un grand raout à la hauteur de l’enjeu : la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), prévoyant la libre circulation des biens et des services, y compris des produits agricoles, dans les trois pays de la zone.

L’Accord de libre-échange nord-américain : une « bonne affaire » ?

N’en déplaise à nos amis canadiens, mais je passerai l’allocution de leur Premier ministre pour me concentrer sur celle du président mexicain, qui était alors sur le point d’engager son pays sur une voie dévastatrice. Vêtu d’un costume bleu, il avait l’air tout petit à côté de ses deux grands voisins du Nord, un peu comme une pièce rapportée qu’on rajoute au dernier moment sur la photo de famille. Il semble que ce fut aussi l’impression de mes collègues de l’Associated Press qui ont couvert l’événement. Quand j’ai consulté leurs rushes (les images brutes), j’ai découvert qu’ils avaient très peu filmé le discours de Carlos Salinas de Gortari, préférant faire de longs plans de coupe sur Bush et Mulroney, pendant qu’il parlait. Du coup, quand en janvier 2012, j’ai voulu monter le reportage que j’ai réalisé pour Arte sur l’ALENA[i], j’ai dû faire appel à la télévision mexicaine pour avoir le discours de leur président parlant avec le son et l’image. L’anecdote n’est pas anodine, car elle en dit long sur ce qui se préparait ce 7 octobre 1992 : la mise en coupe réglée de l’économie mexicaine par la première puissance du monde.

« Avec le traité de libre-échange, nos peuples prennent acte des nouvelles conditions de l’économie mondiale, a déclaré sur un ton monocorde Carlos Salinas. […] Le traité permettra aux producteurs de faire des économies d’échelle, en profitant des avantages comparatifs de chacune de nos économies. Il favorisera la croissance économique du Mexique […] et entraînera une augmentation de la productivité et de meilleurs salaires pour les travailleurs. Grâce à l’ALENA, nous serons tous gagnants ! »

S’ensuivent des images où l’on voit les trois dirigeants apposer leur paraphe sur de volumineux livres reliés de cuir, contenant des milliers de pages de documents. Mais l’affaire n’était pas encore dans le sac, car pour pouvoir entrer en vigueur, l’ALENA devait être approuvé par les trois Parlements nationaux. Et ce fut aux États-Unis que la bataille fut la plus rude. Celle-ci incomba au démocrate Bill Clinton, qui gagna les élections contre le républicain Bush, un mois après la signature de San Antonio, et se révéla un défenseur invétéré du « libre-échange ». C’est ainsi que, le 14 septembre 1993, il organisa une cérémonie somptueuse à la Maison-Blanche. Pour cette occasion exceptionnelle, il avait convié ses trois prédécesseurs, Gerald Ford, Jimmy Carter et George W. Bush. Car l’heure était à l’union nationale : pour convaincre le Congrès de ratifier l’ALENA, l’administration Clinton avait dû négocier l’adjonction de trois accords annexes portant sur le respect de l’environnement, le droit des travailleurs, la sécurité au travail et le droit des enfants. Autant de domaines qui concentraient les critiques des opposants à l’ALENA, aussi bien dans le camp démocrate que républicain, sans oublier les organisations de la société civile ou les syndicats. La suite prouvera qu’ils n’avaient pas tort, et les trois accords annexes n’y changeront pas grand-chose.

« Je transmettrai l’ensemble des accords au Congrès pour approbation », a expliqué Bill Clinton, après avoir chaleureusement remercié George Bush, qui a « largement contribué aux négociations pour l’ALENA ». « Bien que le combat risque d’être difficile, je suis profondément convaincu que nous pouvons gagner, a-t-il poursuivi. D’abord, parce que l’ALENA signifie des emplois américains bien payés. Si ce n’était pas le cas, je ne soutiendrai pas ce traité. Je suis convaincu que l’ALENA créera un million d’emplois dans les cinq années qui suivront son entrée en vigueur. […] L’ALENA créera ces emplois en promouvant un boom des exportations vers le Mexique, en supprimant les taxes douanières que l’administration du président Salinas a déjà réduites mais qui restent plus élevées que les taxes américaines. […] Cela signifie que l’on va pouvoir combler plus rapidement le fossé qui existe entre les niveaux de salaires de nos deux pays. Et au fur et à mesure que les bénéfices de la croissance économique irrigueront le Mexique et profiteront aux gens qui travaillent, que se passera-t-il ? Ceux-ci auront plus de revenus disponibles pour acheter des produits américains et il y aura moins d’immigration illégale, parce que les Mexicains seront capables d’entretenir leurs enfants en restant chez eux. »

Après avoir été copieusement applaudi, le président américain a conclu avec l’emphase des grands moments : « Nous pouvons gagner. L’heure n’est pas au défaitisme. […] Dans un monde imparfait, nous avons la possibilité d’avancer et de créer un futur qui vaut la peine pour nos enfants et nos petits-enfants, digne de l’héritage de l’Amérique et conforme à ce que nous avons fait à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous devons créer une nouvelle économie mondiale. […] C’est l’occasion de fournir un nouvel élan à la liberté et à la démocratie en Amérique latine et de créer de l’emploi aux États-Unis. C’est une bonne affaire et nous devons la saisir. » Bill Clinton a gagné : l’ALENA a été ratifié par le Congrès à une majorité honorable[1], le 17 novembre 1993. Il est entré en vigueur le 1er janvier 1994.

« La disparition des petits paysans était programmée »

Considéré comme le « laboratoire de la mondialisation », l’ALENA est un sujet complexe. Avant d’aller voir sur le terrain, au Mexique, mais aussi aux États-Unis, quelles ont été ses conséquences dans le domaine agricole, j’ai voulu rencontrer un témoin de premier plan : Laura Carlsen, qui vit depuis 1986 à Mexico, où elle dirige le « programme des Amériques » du Center for International Policy de Washington. Elle a notamment coécrit un livre, intitulé Confronting Globalization et paru en 2003, qui dressait un premier bilan économique et social de l’ALENA. Elle a suivi de très près la genèse du traité et le débat intense qu’il a suscité de part et d’autre du Rio Grande[ii].

« J’étais au Mexique pendant toute la période de négociations de l’ALENA et personne ne savait ce qu’était un traité de libre-échange et quelles conséquences cela allait avoir, m’a-t-elle expliqué, lors de ma visite à son domicile, le 16 octobre 2011. C’est la première fois, en effet, qu’un accord de libre-échange était signé entre des pays dont l’économie est si différente, comme celles des États-Unis, la première puissance mondiale, et du Mexique, un pays sous-développé. Jusqu’à présent, ce genre de traité concernait des pays avec des économies proches, comme en Europe. L’argument des promoteurs du traité était qu’il allait être un exemple parfait d’intégration régionale, permettant à chacun des trois pays de tirer parti de ses “avantages comparatifs”. Par exemple, grâce à son climat, le Mexique allait pouvoir vendre des fruits et légumes produits hors saison aux États-Unis ou au Canada. En fait, les “avantages comparatifs” étaient des niches que le Mexique était censé occuper sur le marché de la première puissance mondiale. Dans les faits, l’ALENA a entraîné un vaste processus de réorganisation de la chaîne alimentaire en Amérique du Nord.

– Pourquoi avez-vous écrit que l’ALENA était “mal nommé” ?

– Parce que la plupart des termes qui constituent le nom de l’accord sont erronés. Il n’y a rien de “libre” dans l’“échange” qu’a permis l’ALENA. Si on prend l’exemple du marché des aliments en Amérique du Nord, il est dominé par une poignée de multinationales qui contrôlent toute la chaîne, avec une intégration verticale comprenant la production, la distribution, l’importation ou l’exportation des aliments. Leur objectif n’est pas de produire des aliments pour nourrir les gens, mais de faire le maximum de profit. Le terme “accord” est aussi trompeur : l’ALENA a été négocié par les gouvernements avec les multinationales. Étaient absents de la table des négociations des millions de petits paysans et de travailleurs, dont les représentants n’ont jamais été consultés, alors que le traité allait affecter la vie de millions de personnes. Clairement, ce sont les multinationales qui ont gagné, notamment celles de l’agrobusiness, et ceux qui ont perdu ce sont les petits paysans, les ouvriers et les petites entreprises locales.

– Quelles ont été les conséquences pour les petits paysans mexicains ?

– Ils représentent sans aucun doute le secteur le plus touché par l’ALENA. Ils ont perdu tout soutien du gouvernement mexicain, qui a démantelé le système des aides à l’agriculture familiale. Ce système comprenait des prix garantis aux producteurs, un accès aux crédits et un soutien des prix à la consommation, qui permettaient aux petits paysans de vivre et aux consommateurs de se nourrir bon marché, notamment pour les tortillas. Tout a disparu. Après l’entrée en vigueur de l’ALENA, les importations de maïs en provenance des États-Unis ont quintuplé et les prix se sont effondrés. Les familles paysannes, qui avaient l’habitude de consommer un tiers de leur production et de vendre les surplus sur les marchés, ont vu leur pouvoir d’achat se réduire comme peau de chagrin, ce qui a entraîné une augmentation de la pauvreté et de la malnutrition. Le résultat de l’ALENA, c’est que ceux qui produisent les aliments ont commencé à avoir faim. La malnutrition concerne aujourd’hui 19 millions de personnes, dont 60 % vivent à la campagne.

– Mais les promoteurs de l’ALENA pouvaient-ils prévoir ce qui allait se passer ?

– Ils le savaient parfaitement ! Je me souviens avoir rencontré, en 1991, l’attaché commercial des États-Unis au Mexique. Il m’a dit, sans ambages : “Nous savons que 3 millions de petits paysans seront mis hors circuit.” J’ai demandé : “Qu’est ce qui va leur arriver ?” Il m’a répondu qu’ils étaient “obsolètes”. Je n’oublierai jamais ce mot terrible ! Il m’a dit : “Nous allons investir dans l’industrie et ce sera mieux pour eux de devenir des ouvriers plutôt qu’ils restent dans ces zones arriérées.” Or ces industries n’ont jamais vu le jour, car à part les sinistres maquiladoras, les usines de montage sur la frontière entre les deux pays, l’ALENA n’a apporté aucun emploi industriel, c’est même tout le contraire ! Le résultat, en tout cas, c’est que 3 millions de petits paysans, majoritairement des producteurs de maïs, ont abandonné l’agriculture. Et cet exode rural massif était programmé.

– Pourquoi les producteurs de maïs ont-ils été particulièrement touchés ?

– Les États-Unis ont un mode de production très intensif, grâce à l’usage massif d’intrants – pesticides et engrais chimiques, énergie, irrigation – et des monocultures qui s’étendent sur des milliers d’hectares, au détriment de l’environnement. De plus, les producteurs américains reçoivent des subventions que les Mexicains n’ont pas. C’est probablement l’un des aspects les plus scandaleux de l’ALENA. Les États-Unis ont été autorisés à maintenir non seulement leurs subventions, mais aussi certaines barrières douanières, notamment pour le riz et le sucre. Et c’est au Mexique – un pays qui a de sérieux problèmes de pauvreté et de sous-développement – qu’on a demandé d’éliminer ses barrières douanières, de s’ouvrir totalement aux capitaux étrangers et de supprimer les aides à l’agriculture familiale. Les petits paysans ont complètement été exclus du jeu et, pour survivre, ils n’avaient que deux options : émigrer vers les États-Unis ou rejoindre l’économie informelle de Mexico ou la filière de la drogue qui, aujourd’hui, gangrène le pays. »


[1] La Chambre des représentants a approuvé l’ALENA par 234 voix (132 républicains et 102 démocrates) contre 200, et le Sénat par 61 voix (34 républicains et 27 démocrates) contre 38.


 

Notes du chapitre 10

[i] Marie-Monique Robin, Les Déportés du libre-échange, « Arte Reportage », 4 février 2012.

[ii] Timothy A. Wise, Hilda Salazar et Laura Carlsen, Confronting Globalization, Kumarian Press, Blue Hills, 2003.

 

Le Mouv’ parle des « déportés du libre échange »

Pour ceux qui auraient raté l’émission que le Mouv’ a consacrée aujourd’hui à mon reportage « Les déportés du libre échange« , qui sera diffusé samedi prochain (4 février) à 18 heures 50 sur ARTE, vous pouvez vous rattraper:

http://www.lemouv.fr/diffusion-les-forcats-du-travail-de-tanger-au-zacatecas

Je vous rappelle que vous pouvez consulter la bande annonce de ce reportage qui raconte les conséquences désastreuses de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire du Mexique sur mon Blog (rubrique « Les déportés du libre échange », ou sur le site de m2rfilms (rubrique « Notre actualité »):

www.m2rfilms.com

« Les déportés du libre échange » représente la première production de m2rfilms , la maison de production que j’ai récemment créée. Je prépare actuellement un nouveau film (et livre) provisoirement intitulés « Comment on nourrit les gens? », qui investigue la capacité de nourrir le monde, avec des techniques agro-écologiques. Vous trouverez plus d’informations sur ce projet déjà bien avancé sur le site de m2rfilms, qui a lancé une opération de « crowdfunding« , de financement communautaire, permettant à tous ceux qui  désirent  soutenir le film, en pré-achetant le DVD. Actuellement, nous sommes à quelque 1600 souscriptions (soit un peu plus de 1450 souscripteurs, certains ayant acheté plusieurs DVD). Pour le budget, nous avions tablé sur 2500 souscriptions, avis aux amateurs!

Plus d’informations sur la démarche et ses objectifs à l’adresse suivante:

http://www.m2rfilms.com/crbst_22.html

La souscription donne accès aux pages « membres » de m2rfilms où je rends compte régulièrement de la progression du montage financier et de l’enquête.

Les déportés du libre échange (2)

Je mets en ligne le texte que j’ai remis au service de presse d’ARTE pour annoncer mon reportage « Les déportés du libre échange« . Pour les anglophones, je recommande vivement de consulter le site du Pr. Timothy Wise, de l’Université Tufts de Boston, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’ALENA (North American Free Trade Agreement-NAFTA) et de ses conséquences désastreuses pour l’économie, et notamment l’agriculture mexicaine. J’ai longuement interviewé le Pr. Wise que les spectateurs retrouveront, en octobre 2012,  dans mon film « Comment on nourrit les gens? » (photo 1):

http://www.ase.tufts.edu/gdae/policy_research/MexicoUnderNafta.html

Par ailleurs, j’ai aussi interviewé pour « Les déportés du libre échange » Julie Greene, professeure d’histoire à l’Université du Maryland, qui a écrit un article très complet sur l’ALENA (et prépare un ouvrage), en s’intéressant précisément au lien qui unit le maïs (transgénique) subventionné qu’elle cultive sur la ferme de ses parents dans le Nebraska, et les milliers de sans papiers mexicains qui travaillent dans les usines à viande de l’Etat (photo 2). Publié dans Dissent, cet article a été traduit (en partie- dans Courrier International (N° 1059, février 2011):

http://www.dissentmagazine.org/article/?article=3677

Enfin, parmi les différents experts que j’ai interviewés pour « Les déportés du libre échange », il y a notamment Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui a dressé un bilan très sévère de la situation alimentaire au Mexique, depuis l’ALENA, et que l’on voit (photo 3), lors de sa rencontre avec les sénateurs mexicains, en juin 2011. Comme on leur verra dans mon reportage, nombreux sont les sénateurs qui demandent, aujourd’hui, une révision de l’ALENA, pour que soit retiré de l’accord le volet agricole, en raison précisément du dumping déloyal des Etats Unis qui  a conduit sur la route de l’exil (comme dans la chanson « Deportees » de Woodie Guthrie) trois millions de petits paysans et leurs familles., tandis que les multinationales , comme Cargill-Monsanto, s’emparaient des clés de l’alimentation nationale.

Voici mon texte:

Le 1er janvier 1994, entrait en vigueur l’Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA), signé en décembre 1992 par les Etats Unis, le Canada et le Mexique. Prônant la déréglementation et le renoncement à  toute forme de protectionnisme, il exigeait des trois pays partenaires l’abolition de toutes les taxes d’importation et le démantèlement des aides destinées à soutenir les agricultures et industries nationales. Reprenant les credos de la vulgate ultra-libérale, les signataires de l’accord affirmaient que celui-ci allait entraîner un développement sans précédent des échanges commerciaux entre les trois pays, qui allaient pouvoir faire jouer à plein leur « avantage comparatif ». Le Mexique, par exemple, le pays le plus pauvre du trio, allait pouvoir produire des fruits et légumes en contre-saison pour les exporter « librement » vers ses grands voisins du nord. De même, la « libre concurrence » allait lui permettre de se procurer de la nourriture moins chère et d’entrer dans le club des nations développées grâce à l’accroissement du volume de ses exportations, dont les bénéfices allaient irriguer toute l’économie mexicaine, entraînant un « bien être général » (principe du « donnant donnant »).

Seize ans plus tard, la belle fiction a tourné au scénario catastrophe. Certes, d’ après le FMI, le commerce total entre les USA et le Mexique a triplé entre 1993 et 2004, et toutes les heures, le Mexique importe des produits agricoles et alimentaires des Etats Unis pour une valeur d’ un million et demi de dollars, mais , toutes les heures aussi, trente Mexicains quittent la campagne pour émigrer clandestinement aux Etats Unis, tandis que progressent les taux de malnutrition (mais aussi d’obésité) et de pauvreté dans tout le pays.

De fait, l’ALENA a littéralement laminé l’agriculture mexicaine, et notamment les petits paysans (21% de la population active) qui exploitent, en moyenne, cinq hectares de cultures vivrières : fruits, légumes et maïs, la plante sacrée des mayas et aztèques, qui constitue l’aliment de base depuis la nuit des temps.

Au nom du « libre échange », le Mexique a progressivement démantelé le système qui avait pourtant permis son autosuffisance alimentaire pendant des décennies, à savoir des prix garantis aux producteurs locaux et un contrôle des prix pratiqués dans les villes (soutien à la consommation).  Dans le même temps, le pays s’est retrouvé inondé de maïs américain (transgénique) vendu à un prix trois fois inférieur au maïs « criollo » (local), en raison des subventions accordées par Washington aux producteurs américains. Quinze ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA, le Mexique importait vingt millions de tonnes de maïs provenant du nord du Rio Grande, soit 40% du marché national, commercialisées par des multinationales de l’agroalimentaires, qu’elles soient américaines  comme Cargill-Monsanto,  ou mexicaines comme Maseca.

Incapables de résister à cette concurrence que d’aucuns dénoncent comme un dumping déloyal , trois millions de petits paysans ont dû cesser leur activité et rejoindre les bidonvilles mexicains ou tenter leur chance comme travailleurs clandestins aux Etats Unis. Un grand nombre des « indocumentados «  travaillent dans les usines d’abattage et de conditionnement de la viande qui ont poussé comme des champignons dans les Etats de l’Iowa ou du Nebraska, tandis que le flux sans précédent d’immigrés clandestins provoquait des  réactions de xénophobie aux Etats Unis.

On a vu le résultat de cette politique en 2007 lorsque le prix du maïs des Etats Unis a doublé en raison de la demande en biocarburants: en un mois, le prix de la tortilla de maïs a augmenté de 50% suscitant les premières émeutes de la faim du XXIème siècle…

Photo 4: Avec José et Hilda, un couple de paysans de l’Etat de Zacatecas que l’ALENA a ruiné, en raison des importations massives de maïs et de haricots des Etats Unis, subventionnés et vendus à un prix 20% au dessous du coût de production d’après les études de Timothy Wise.

Tous sur ARTE, le 4 février à 18 heures 50 ! Bande annonce: « Les déportés du libre échange »

Avant toute chose: bonne année!

Très prise par le tournage de mon prochain documentaire « Comment on nourrit les gens? », qui sortira sur ARTE en octobre 2012 (avec un livre), j’ai un peu déserté mon Blog ces deux derniers mois. Mais j’y reviens avec une bonne nouvelle: le 4 février prochain, à 18 heures 50, ARTE Reportage diffusera « Les déportés du libre échange », un documentaire de 26 minutes, et la première production de M2RFilms, la maison de production que j’ai créée l’année dernière:

http://www.m2rfilms.com/

En juin 2011, en effet,  j’ai accompagné Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, lors de sa mission au Mexique. Alors que le budget de mon nouveau film « Comment nourrir les gens ? » était loin d’être bouclé, j’avais décidé de filmer le voyage du représentant de l’ONU, car je savais que l’histoire récente du Mexique est l’illustration parfaite de ce qu’il faut faire si on veut … affamer un peuple.

Ce que j’ai découvert dépassait tout ce que j’avais pu imaginer : depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) en janvier 1994, trois millions de petits paysans ont dû quitter l’agriculture pour rejoindre les bidonvilles de Mexico ou tenter leur chance clandestinement aux Etats Unis, où ils travaillent dans des conditions infra-humaines comme ouvriers agricoles ou esclaves des temps modernes dans les usines à viande du Nebraska ou d’ailleurs.
Alors qu’avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant d’un point de vue alimentaire, aujourd’hui il dépend des Etats Unis d’où il importe 40% de ses aliments. En janvier 2007, il a connu les premières émeutes de la faim de son histoire, provoquées par la flambée du prix de la tortilla de maïs qui constitue l’aliment de base de la population.

Comment en est-on arrivé à cette situation désastreuse  (où Cargill-Monsanto joue un rôle très néfaste…)? Après mon voyage en juin, j’ai proposé à Marco Nassivera, le responsable d’ARTE Reportage, de réaliser un documentaire spécifique sur l’ALENA et ses conséquences sur l’agriculture et la sécurité alimentaire du Mexique. Pour le réaliser, je suis retournée au Mexique, puis aux Etats Unis, en octobre dernier. J’ai notamment filmé dans l’Etat du Zacatecas, à 700 kilomètres au nord de Mexico. D’après le dernier recensement, il y a aujourd’hui plus de Zacatenos vivant aux Etats Unis (1 600 000) qu’à l’intérieur de l’Etat (1 400 000) . Dans les villages sont restés les femmes, les enfants et les anciens. Ils survivent grâce aux « remesas », l’argent envoyé par leurs proches qui ont émigré aux Etats unis En 2007, les remesas ont rapporté 20 milliards d’Euros au Mexique.

La  vidéo ci-dessous a été filmée lors d’une réunion organisée par l’UNORCA, un syndicat agricole qui fait partie de Via Campesina, dans le petit village de San Pablo, où l’on m’a demandé de me présenter ainsi que mon travail.