Un responsable de l’INRA pris en flagrant délit d’incompétence

Le 21 novembre, Christian Huygue, directeur scientifique-adjoint de l’agriculture à l’INRA a été auditionné à l’Assemblée nationale. Le député LREM Didier Martin lui a posé des questions relatives aux fonctions d’antibiotique et de chélateur du glyphosate, qui, comme je l’ai révélé dans mon film (toujours visible en replay)  Le Roundup face à ses juges,  sont complètement ignorées par les agences de réglementation.

Or, les réponses du cadre de l’INRA montrent qu’il n’est pas au courant… À moins qu’il ne mente. Ce qui dans les deux cas est grave.

Pour la fonction de chélation, voici ce que j’écris dans mon livre Le Roundup face à ses juges qui accompagne le film:

Ce n’est pas Monsanto qui a inventé le glyphosate, mais un chimiste suisse du nom d’Henri Martin, qui travaillait pour le laboratoire pharmaceutique Cilag. En 1950, n’ayant pu identifier aucune application pharmaceutique, la firme vendit la molécule à différentes entreprises qui la testèrent. C’est ainsi qu’en 1964, la multinationale américaine Stauffer Chemical obtint un premier brevet pour une fonction totalement méconnue de la molécule, celle de chélateur de métaux[1]. Provenant du grec khêlê (pince), la chélation est un processus physico-chimique qui permet à un « ligand » – le « chélateur » – d’attraper les cations ou atomes des métaux pour former avec eux un complexe stable, qu’on appelle « chélate ». En médecine, certains chélateurs sont utilisés comme agents de détoxification lors d’une contamination aiguë par des métaux lourds, comme le mercure des plombages dentaires, ou par des produits radiologiques, comme le plutonium. Car le processus de chélation rend les métaux solubles, ce qui permet aux organismes vivants de les excréter, notamment par les voies urinaires. Le brevet obtenu en 1964 par Stauffer Chemical montre ainsi que le glyphosate est un chélateur puissant, capable de séquestrer de nombreux métaux et minéraux, comme le calcium, le magnésium, le cadmium, le nickel, le cobalt, le plomb ou le strontium. La structure chimique de la molécule lui permet d’extraire les métaux de leur milieu, de les fixer et de les rendre solubles dans l’eau. C’est ainsi que le glyphosate a d’abord été utilisé comme détergent, afin de détartrer les chaudières et les canalisations d’eau privées ou industrielles, encrassées par des dépôts de métaux.

J’invite Christian Huygue à consulter le brevet obtenu par la Stauffer Chemical en 1964. Il verra (s’il comprend l’anglais…) que le glyphosate est un chélateur puissant, ainsi que l’ont confirmé de nombreux scientifiques indépendant comme cette étude scandinave ou cette étude parue dans The Chemical Monthly.

Le glyphosate séquestre les minéraux présents dans le sol, et les rend inaccessibles aux plantes. Du coup, comme l’explique très bien le phytopathologiste Don Huber de l’Université de Purdue (États-Unis) dans ce bonus de mon film  les plantes OGM, – comme le soja ou le maïs – qui ont été manipulées génétiquement pour résister au glyphosate tombent malades, pour cause de déficience en minéraux. Le glyphosate chélate aussi les minéraux présents dans les organismes des mammifères qui sont contaminés par les voies de l’alimentation, provoquant des déficiences, ainsi que l’ont montré plusieurs études européennes et américaines.

De plus, contrairement à ce qu’a affirmé l’éminent scientifique de l’INRA, le glyphosate est bien un antibiotique à large spectre, ainsi que le montre le deuxième  brevet obtenu par Monsanto en 2010 (le premier obtenu par la multinationale, en 1969, concernait la fonction herbicide de la molécule).

Dans son explication très confuse, Christian Huygue mélange tout. Avec beaucoup de mal, il essaie d’expliquer au député, dont j’imagine le désarroi, ce qui est censé être le principal mode d’action  du glyphosate. De fait, Monsanto a toujours prétendu que la caractéristique de son désherbant dit  « non sélectif » ou « total », c’est qu’il  est absorbé par la plante au niveau des feuilles et transporté rapidement par la sève jusqu’aux racines et rhizomes, en affectant la « voie du shikimate », un intermédiaire métabolique essentiel à la synthèse des acides aminés aromatiques, ce qui entraîne une diminution de l’activité de la chlorophylle ainsi que de certaines hormones. Son action bloque la croissance végétale, provoquant une nécrose des tissus qui aboutit à la mort de la plante. L’un des arguments avancés par la multinationale pour affirmer que le glyphosate n’est pas toxique pour les humains ni pour les animaux, c’est que la voie du shikimate est présente chez les plantes, les algues et les bactéries mais est absente chez les vertébrés.

Le colonel Don Huber, qui travailla sur les armes chimiques et bactériologiques dans les laboratoires biologiques de Fort Detrick (Maryland), met ces « arguments  » en pièces, ainsi que je l’ai écrit dans mon livre:

« Contrairement à ce que prétend Monsanto, le principal mode d’action du glyphosate n’est pas l’inhibition de l’enzyme EPSPS qui commande la voie du shikimate, mais ses fonctions d’antibiotique et de chélateur », a dit Don Huber sur un ton extrêmement ferme. Pour bien saisir cette affirmation un peu technique, il faut rappeler que la « voie du shikimate », est un intermédiaire métabolique, qui est essentiel pour la synthèse des acides aminés aromatiques (voir supra, chapitre 1). Cette « voie » est activée par une enzyme qui porte un nom à rallonge et que l’on appelle communément la « EPSPS »[2]. C’est de cette enzyme dont parle Monsanto sur les étiquettes de ses bidons de Roundup où l’on peut lire : « Le glyphosate affecte une enzyme que l’on trouve dans les plantes mais pas chez les humains ni chez les animaux de compagnie. »

« Cette affirmation est fausse pour deux raisons, a réagi Don Huber, quand je lui ai rappelé la notice du Roundup. D’abord, parce que le glyphosate n’affecte pas seulement l’enzyme EPSPS, mais 291 enzymes qui ont besoin des minéraux comme cofacteurs pour activer les métabolismes premiers et secondaires de la plante. Par exemple, il y a vingt-cinq enzymes qui dépendent du manganèse pour agir correctement ; or, les plantes souffrent d’une déficience en manganèse à cause du glyphosate accumulé dans les sols. Par ailleurs, il est faux de dire que le glyphosate épargne les mammifères – les humains et les animaux – qui ne possèdent par la voie du shikimate, car les bactéries, elles, la possèdent comme les plantes et les algues ! Et comme nous le savons tous, notre intestin, qui est considéré comme notre “deuxième cerveau”, est plein de bactéries qui ont besoin de l’enzyme EPSPS pour produire nos acides aminés – comme le tryptophane, la tyrosine, la phénylalanine –, essentiels pour nos cellules neurologiques ou hormonales. Or, les bactéries sont sensibles au glyphosate. Ce qui peut avoir des conséquences très graves pour la santé des animaux et des humains » (voir infra, chapitres 6 et 7).

[1] La demande de brevet a été déposée par deux inventeurs, Toy Fon et Eugène Uhing, au nom de Stauffer Chemical le 30 janvier 1961. Le brevet a été accordé par l’Office des brevets des États-Unis le 8 décembre 1964, sous le numéro 3160632A.

[2] Le nom complet de l’EPSPS synthase est 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase. Cette enzyme intervient à la sixième étape de la voie du skikimate en permettant la synthèse de trois acides aminés aromatiques : la phénylalanine, la tyrosine et le tryptophane.

Pour finir, je copie la réponse intégrale de l’éminent responsable de l’INRA:

Le Mardi 21 Novembre 2017,

Audition à l’Assemblée nationale, Mission d’information commune sur l’usage des produits phytopharmaceutiques

Christian Huyghe (directeur scientifique adjoint agriculture de l’INRA) sur les effets chélateur et antibiotique du Glyphosate

 

Question de Didier Martin :

Monsieur le président directeur général, quitte à disloquer encore davantage votre présentation, mais puisque vous avez parlé du glyphosate et que la présidente nous propose de poser spontanément des questions… Le glyphosate est un chélateur et le glyphosate est un antibiotique. C’est pas moi qui le dis, c’est ce que j’ai pu lire dans les publications. Puisque votre institution est spécialiste de l’agronomie, quelle répercussion ces fonctions de chélateur et d’antibiotique peuvent avoir sur la croissance des plantes cultivées, et pas cultivées. Et globalement dans notre environnement.

Réponse de Christian Huyghe :

Le glyphosate c’est pas un antibiotique. C’est une molécule qui a une particularité biologique puisqu’elle réussit à tromper une enzyme absolument fondamentale d’un processus métabolique qui est partagé par toutes les plantes et elle arrive à se greffer sur cette enzyme et à bloquer le fonctionnement de cette enzyme-là. C’est pour ça que, comme cette enzyme est partagée par tout le règne végétal, elle est aussi efficace et qu’elle tape sur à peu près tous les végétaux. Et en plus comme c’est une molécule qui est de taille relativement modeste, extrêmement soluble dans la sève, elle circule très vite dans le végétal, elle est capable d’aller taper dans tous les tissus, y compris les tissus racinaires. C’est pour ça que le glyphosate s’avère extrêmement efficace sur ce qu’on appelle les mauvaises herbes vivaces, des mauvaises herbes qui ont des systèmes racinaires extrêmement développés, qui d’une façon générale sont très difficile à éliminer parce que la plupart des herbicides détruisent les systèmes aériens et le glyphosate parce qu’il est absorbé à cet effet systémique et qu’il va stopper le fonctionnement et le développement d’absolument tous les végétaux. Donc c’est ça la fonction particulière, c’est une molécule qui est assez unique puisqu’il n’y en a qu’une autre qui avait un effet à peu près semblable qui est le gluphosinate d’ammonium, qui est même moins efficace. Donc le glyphosate n’a jamais eu de petit frère, il n’y a jamais eu de molécule ayant une activité similaire et comme il est très efficace, très peu cher il a été très utilisé. C’est ça son vrai défaut. Comme il marchait extrêmement bien sur toutes les flores, tout le monde l’a généralisé et pas que les agriculteurs.

Relance de Didier Martin :

Ma question portait sur des notions que j’ai prises dans des publications grand public. Effet antibiotique, effet chélateur, qui perturbent y compris la croissance des plantes cultivées, qui finissent par chuter de rendement avec une sorte de nécrose des plantes.

Réponse de Christian Huyghe :

Alors je ne sais pas qui a écrit que c’était un antibiotique parce que ce n’en est pas un… Enfin, en tous cas pas un antibiotique au sens où on les entend quand il s’agit de soigner des animaux. C’est antibiotique dans le sens où ça supprime la vie. De fait quand ça tue un végétal on peut considérer que c’est contre la vie mais… En tous cas, en termes d’un antibiotique utilisé pour soigner des humains ou des animaux ce n’est absolument pas ça.

Après le fait d’être un chélateur : la notion de chélation elle est liée à la capacité qu’a une molécule à être chélateur en transportant une autre. Là aussi le glyphosate n’a pas cette capacité à transporter d’autres molécules, par contre il a cette capacité à aller se lier sur cette enzyme particulière dont le nom est assez compliqué ce qui fait que je ne vais pas vous le dire là. C’est une enzyme qui sert à la production, au métabolisme le plus fondamental parce qu’il traite avec les acides aminés et c’est une enzyme qui est constitué d’un trimère, donc trois molécules. C’est d’ailleurs ça qui avait été manipulé lorsqu’on a fait des OGM résistants au glyphosate, c’était en changeant un de ces trimères-là. L’affinité du glyphosate pour cette enzyme disparaissait et donc la plante devenait tolérante au glyphosate. C’était ça le mécanisme. Donc le glyphosate a cette capacité à aller se lier à cette enzyme-là donc c’est sûrement pour ça que quelqu’un, à un moment donné, à utiliser le terme de chélation mais il n’a pas la capacité qu’on par exemple des chélateurs du fer. On utilise beaucoup de chélateur du fer quand on est en situation de chlorosférite, sur certaines vignes par exemple avec des ph très bas. Donc on est obligé d’apporter du fer chélaté. Donc c’est une molécule organique sur laquelle on a mis du fer et qui a la capacité à l’apporter au végétal. N’essayez pas d’apporter du fer avec du glyphosate, vous allez tuer la plante.