La croissance ne profite qu’aux riches!

La « croissance » ne profite qu’aux riches, qui sont de plus en riches, et ne sert pas à réduire le chômage et la pauvreté : c’est ce que vient de démonter avec brio un rapport publié par une centaine d’économistes, réunis au sein de la World Wealth and  Income Database. Les chiffres sont accablants : depuis les années 1980, le 1% le plus riche a capté 27% de la croissance du revenu, contre 12% pour les 50% les plus pauvres de la planète. Malgré son « modèle protecteur » , sans cesse attaqué par la doxa libérale, la France n’est pas en reste : entre 1983 et 2014, le revenu moyen du 1% le plus riche a progressé de 98% contre 31% pour le reste de la population. Le « 1% le plus riche » désigne ceux et celles qui profitent de la mondialisation et de la dérégulation de la finance et de l’économie, lancée au début des années 1980 par Margaret Thatcher (Grande Bretagne) et Ronald Reagan (États-Unis) et promue à l’unisson par tous les gouvernements, libéraux ou sociaux-démocrates, européens. Il désigne aussi les « premiers de cordée » que le président Macron a élevés au rang de modèle, alors qu’ils ne doivent leur « réussite » qu’à un système généralisé de prédation des ressources humaines et naturelles, qui nous conduit tout droit vers l’effondrement.

Comme en est-on arrivé là ?

C’est ce que j’expliquais dans mon livre Sacrée croissance ! où j’imaginais que le 14 avril 2014 le président François Hollande, après la lecture du dernier rapport du GIEC sur le dérèglement climatique, avait – enfin !- compris que la fameuse « croissance » n’était pas la solution, mais le problème et décidait de lancer la « grande transition » vers une société durable, décarbonée, plus équitable et plus solidaire. J’écrivais mon livre en… 2034 en racontant cette formidable aventure qui nous avait permis d’éviter « l’irréversible », pour reprendre l’expression de l’appel des 15 000 scientifiques publié récemment.

L’explosion des inégalités n’est pas une fatalité, elle a une cause ! Elle est le produit de décisions politiques que les citoyens peuvent influer, à condition de comprendre les mécanismes à l’œuvre, car, selon mon adage, « savoir c’est pouvoir »…

Cet extrait de mon livre est issu du chapitre « L’argent fou », compris dans la deuxième partie intitulée « Le grand gâchis ».

La financiarisation de l’économie, Dracula des temps modernes

À la veille du 14 Avril, l’hypothèse d’un effondrement imminent de ce que l’on appelait alors le « système financier » était en effet régulièrement avancée par les économistes critiques et des organisations citoyennes internationales comme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne), un mouvement d’éducation populaire qui, depuis sa création en France en 1998, n’avait cessé de se battre « contre l’hégémonie de la finance et la marchandisation du monde ». Grâce à ses cent trente-cinq comités et groupes locaux dans trente-huit pays, l’association avait joué un rôle primordial, en expliquant pourquoi les citoyens devaient reprendre en main le système économique en déboulonnant la croissance et l’une de ses créatures les plus maléfiques : la financiarisation de l’économie.

Tel un Dracula des temps modernes, ce processus avait commencé dans les années 1980, à mesure que les idées néolibérales de Friedrich von Hayek et de Milton Friedman se répandaient sur la planète (voir supra, chapitre 3). Lancée par Ronald Reagan et Margareth Thatcher, puis relayée par l’Union européenne à partir des années 1990, la « révolution néolibérale » se résumait à un mot : déréglementation. Et de fait, tous les dispositifs de régulation qui avaient été mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale ou durement conquis par des luttes syndicales pour éviter l’« ensauvagement du capitalisme[1] » furent méthodiquement démantelés. Au nom de la « liberté » et de l’« efficacité », tout fut systématiquement « libéré », y compris dans le domaine de la finance : les taux de change et d’intérêt, les mouvements de capitaux et les marchés boursiers. Ainsi que l’écrivit ATTAC, « la déréglementation financière engendra la prolifération de techniques bancaires baptisées “innovations” : produits dérivés, titrisation, marchés à terme, rachat d’actions, effet de levier, stock-options. Tout cet arsenal eut pour effet de favoriser une instabilité financière chronique, débouchant périodiquement sur la montée d’une bulle spéculative suivie systématiquement d’un krach[2] ».

D’un coup, le monde devint un immense casino où les barons de la croissance jouaient à la roulette dans le seul but de décrocher le maximum de profits. L’argent (indûment) gagné ne servait plus à investir pour faire tourner la machine économique, comme l’avaient préconisé les économistes classiques tel Adam Smith (voir supra, chapitre 1), mais à spéculer. En effet, ainsi que le soulignait en 2013 l’Institut de recherche et d’information économique de Montréal, « dans la logique financière, le capital n’a plus à passer par le détour de la production pour fructifier ; sa simple circulation engendre une création de capital neuf. L’investissement à court terme devient la norme et c’est la spéculation qui fait augmenter la valeur d’un actif[3] ». En d’autres termes : fini ce qu’on appelait alors le « théorème de Schmidt » (du nom d’Helmut Schmidt, l’ancien chancelier allemand de 1974 à 1982), selon lequel « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Désormais, la finance était un système poussant « hors sol », complètement déconnecté de l’économie réelle.

Dans le même temps, par le jeu des privatisations et de la mondialisation, les spéculateurs étendirent leur emprise sur les entreprises, qui furent contraintes d’appliquer le principe de rentabilité à court terme propre à la sphère financière. Dès lors, pour assurer le maximum de dividendes aux actionnaires, tout était bon : les délocalisations, les « licenciements boursiers[4] » et la pression maximale sur les salaires. Au final, les profits dégagés par l’activité productive ne servaient plus à investir ni à rémunérer les salariés, mais à remplir les poches de la classe des riches (voir supra, chapitre 5). Pire : plus les profits augmentaient, plus la part accordée aux salariés diminuait – d’après l’INSEE, la part des richesses produites revenant aux salariés français était ainsi passée de 62 % en 1960 à 57 % en 2005.

Progressivement, la sphère financière en vint à contrôler tous les rouages de l’économie, mais aussi tous ses acteurs, contraints de financiariser leurs activités afin de nourrir l’insatiable bête. La clé ? Une expansion absolument sans précédent de l’endettement des ménages, qui n’a cessé de progresser partout – en 2011 en France, celui-ci représentait 61 % du PIB, contre 38 % en 2000. Étranglés par des salaires stagnants, les foyers avaient massivement recours aux « crédits à la consommation » pour financer leurs achats de biens et services (voiture, travaux, équipements domestiques, voyages) et, pour bon nombre d’entre eux, assouvir leur addiction[5]. De même, en mai 2014, l’encours de la dette immobilière française avait atteint la somme faramineuse de 915,8 milliards d’euros ! Une étude publiée la même année par Jacques Friggit, économiste au Conseil général de l’environnement et du développement durable, avait révélé que les prix de l’immobilier ancien avaient augmenté beaucoup plus vite que les revenus, contraignant les Français à s’endetter de plus en plus longtemps : en 2012, il fallait 32,5 ans pour acheter le logement qu’on achetait en quinze ans en 2000 ! Octroyés par des banques privées moyennant un taux d’intérêt composé de type exponentiel (voir supra, chapitre 1), ces prêts étaient devenus la principale source de création monétaire. Je reviendra ultérieurement (voir infra, chapitre 9) sur les effets dévastateurs de ce que l’on appelait alors la « monnaie-dette », mais pour l’heure il suffit de comprendre qu’en cette phase ultime du capitalisme mondialisé, l’endettement était le seul moyen de maintenir la croissance en vie, d’où l’inertie complice des dirigeants politiques qui, quand ils ne l’ont pas encouragé, ont laissé proliférer le virus fatal. « La croissance exceptionnelle de la consommation entre 1990 et 2007 a été alimentée par une expansion massive du crédit et un niveau croissant d’endettement, notait ainsi l’économiste Tim Jackson dans son livre Prosperity without Growth. Cela a permis de protéger la croissance quelque temps, mais finalement cela a conduit à des niveaux insoutenables de dette qui ont déstabilisé les marchés financiers eux-mêmes. […] La crise économique n’est pas la conséquence de mauvaises pratiques isolées à l’intérieur du secteur bancaire. L’irresponsabilité a été approuvée au plus haut niveau des États, avec un objectif très clair : la poursuite et la protection de la croissance économique[6]. »

« Un système pourri jusqu’à la moelle »

« L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. […] Jamais une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général. » Voilà ce qu’écrivait l’économiste Maurice Allais dans une tribune publiée dans Le Figaro en octobre 1998[7]. Et effectivement, ce qui devait se passer se passa : moins de dix ans plus tard, la « pyramide de dettes » s’effondra, entraînant le monde dans la plus grave récession économique de l’histoire. Le déclencheur fut ce que l’on a appelé la « crise des subprimes », ces crédits dits à « haut risque » accordés aux ménages américains les moins fortunés à des taux variables et élevés[8]. Il a suffi que la Banque fédérale américaine décide brutalement de relever ses taux d’intérêt pour que tout le château de cartes s’écroule. Incapables de faire face à leurs échéances, 3,6 millions de propriétaires américains furent jetés à la rue entre juin 2006 et septembre 2008. En explosant, la « bulle immobilière » provoqua une réaction en chaîne de défauts de paiement et de faillites, à commencer par celle de la banque Lehman Brothers (15 septembre 2008). On découvrit alors les pratiques criminelles d’un vaste « système bancaire parallèle » (shadow banking system) reposant sur la vente de produits financiers pourris (junk), fourgués dans une multitude de « produits dérivés » qui avaient contaminé tout le système financier[9]. Du jour au lendemain, toutes les grandes banques qui régnaient sur les places boursières se retrouvèrent au bord de la faillite ! Pour les « sauver », les gouvernements, d’abord aux États-Unis, puis en Europe, mirent généreusement la main à la poche en injectant des milliers de milliards d’euros puisés sur les deniers publics ou obtenus grâce à des… emprunts[10] ! Quelques voix isolées s’élevèrent pour dénoncer ce principe consistant à privatiser les profits et à socialiser les pertes, tandis que les dirigeants des entreprises renflouées, non seulement ne furent pas sanctionnés, mais s’accordaient des salaires et primes mirobolants !

En attendant, les gros bonnets de la croissance et leurs alliés politiques provoquèrent un beau désastre, car bien sûr, en raison du processus de financiarisation de l’économie précédemment évoqué, la « crise » se répandit comme une tache d’huile dans toute l’économie réelle : des dizaines de millions d’emplois furent détruits, principalement dans les pays du Nord, provoquant une envolée spectaculaire du chômage. En France, pour la seule année 2013, 44 000 petites et moyennes entreprises (PME) furent rayées de la carte[11]. Dans le même temps, le montant de la dette mondiale atteignit des records historiques : plus de 100 000 milliards de dollars ! Incluant l’endettement public et celui des entreprises et des sociétés financières, mais pas celui des ménages, cette dette avait été multipliée par 2,5 depuis 2000. Avec la crise de 2008, c’est la dette des États qui avait le plus augmenté (+ 80 % en six ans), précisément parce que les gouvernements avaient renfloué les caisses des firmes délinquantes.

Le cas de la France était exemplaire : en 2013, sa dette publique s’élevait à 1 925,3 milliards d’euros, soit 93,5 % du PIB, alors qu’elle ne représentait « que » 78 % du PIB en 2009, 55,5 % en 1995 et 21 % en 1979[12]. Contrairement à ce que répétaient à l’envi les barons de la croissance (industriels ou politiques), l’explosion de la dette n’était pas due à un excès irresponsable des dépenses publiques, mais à trois facteurs provenant de décisions strictement politiques : les « plans de sauvetage de la finance et la récession provoquée par la crise bancaire et financière de 2008 »[13] ; « la “contre-révolution fiscale” menée par les gouvernements depuis vingt-cinq ans » qui, selon un rapport parlementaire, avait privé la France de 100 milliards d’euros de recettes entre 2000 et 2010, en raison des baisses d’impôts et niches fiscales consenties (auxquels s’ajoutaient 30 milliards dus aux exonérations de cotisations sociales)[14] ; enfin, le niveau excessif des taux d’intérêt qui avait engendré un « effet boule de neige » des intérêts composés exponentiels : en 2013, la France avait payé 45 milliards d’euros, uniquement au titre des intérêts de la dette ! Or, cet emballement n’était pas tombé du ciel : une loi de 1973, baptisée « loi Pompidou-Giscard », avait contraint l’État à emprunter exclusivement auprès des banques privées, et non plus à la Banque de France qui lui prêtait jusque-là à taux zéro[15]. Ce qui marchait plutôt bien, puisqu’en 1973, « l’État français n’était quasiment pas endetté[16] ». Cette disposition avait été confirmée par le traité de Maastricht (1992), puis par le traité de Lisbonne (2007), qui interdisaient « à la Banque centrale européenne (BCE) et aux banques centrales des États membres d’accorder tout type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, et aux autres autorités publiques des États membres ». Alors que la BCE était autorisée à prêter aux banques privées à des taux inférieurs à ceux que celles-ci accordaient aux États !

Pour reprendre l’expression de William Rees, le « système était pourri jusque la moelle ». Mais en attendant, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes : pour réduire leurs « déficits », les gouvernements faisaient subir à leurs peuples une cure d’austérité qui ne faisait que creuser l’écart entre les riches et les pauvres. À l’aube du 14 Avril, alors que « 3,5 millions d’Européens dépendaient des points de distribution alimentaire de la Croix-Rouge, un chiffre qui avait bondi de 75 % entre 2009 et 2012 », « le patrimoine des riches, sur l’ensemble de la planète, culminait à 178 milliards d’euros, en hausse de 4,9 % en un an[17] »…

 

[1] J’emprunte cette expression joliment trouvée à ATTAC, Sortir de la crise globale. Vers un monde solidaire et écologique, La Découverte, Paris, 2009, p. 54.

[2] Ibid., p. 37.

[3] Julia Posca, « Qu’est-ce que la financiarisation de l’économie ? », Institut de recherche et d’information économique, 7 février 2013.

[4] En France, jusqu’en 1986, tout licenciement était soumis à une demande d’autorisation préalable de l’administration. Cette disposition, permettant notamment d’empêcher les « licenciements boursiers » (c’est-à-dire sans autre raison économique que l’augmentation du profit distribué aux actionnaires), a été supprimée par le gouvernement du Premier ministre libéral Jacques Chirac. Elle a été réintroduite après la GT dans le cadre de la loi de 2016, dite de « rénovation sociale des entreprises ».

[5] En 2010, le montant total (encours) du crédit à la consommation dans le monde était de 5 473 milliards d’euros ; il avait augmenté de 15,5 %, entre 2009 et 2012, atteignant alors 6 383 milliards d’euros.

[6] Tim Jackson, Prosperity without Growth, op. cit, p. 21, 25 et 31.

[7] Cité par Pierre-Antoine Delhommais, « Maurice Allais, prophète maudit », Le Monde, 24 janvier 2009 (Maurice Allais est notamment l’auteur de La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires, Clément Juglard, Paris, 1999).

[8] Aux États-Unis, le montant des prêts subprime était passé de 173 à 600 milliards de dollars de 2001 à 2006 ; et la part de ces prêts à hauts risques dans le total des prêts immobiliers était passé de 5 % à 14 %.

[9] Certains de ces « produits » avaient été créés en recourant à la technique de la « titrisation », consistant à « transférer à des investisseurs des actifs financiers tels que des créances (par exemple des factures émises non soldées ou des prêts en cours), en transformant ces créances, par le passage à travers une société ad hoc, en titres financiers émis sur le marché des capitaux ». Cette définition proposée par Wikipédia est la meilleure que j’ai trouvée, tant cette technique est tordue et donc difficile à comprendre…

[10] Le premier plan de sauvetage américain destiné aux banques de Wall Street et aux compagnies d’assurances s’élevait à 12 000 milliards de dollars. Après j’ai renoncé à calculer le montant total des différents « plans de sauvetage » américains et européens.

[11] Denis Cosnard, « Les liquidations d’entreprises sont à un niveau historique », Le Monde, 22 novembre 2013.

[12] Source : « La dette publique de la France », Wikipédia. En 2013, dans les pays dits « développés », le record de l’endettement public était détenu par le Japon (245 % du PIB), la Grèce (175 %), l’Italie (132 %) et les États-Unis (111 %).

[13] D’après le ministère de l’Économie et des Finances, le seul « sauvetage de l’euro » avait coûté 68,7 milliards d’euros à la France.

[14] Source : Le Manifeste des économistes atterrés, chapitre 4.

[15] La loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 a été élaborée par Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Économie du président Georges Pompidou. Les mauvaises langues susurrent que le fait que Pompidou ait travaillé pour la banque Rothschild n’était peut-être pas étranger à cette loi, qui officiellement devait limiter la capacité de l’État à créer de la monnaie en utilisant la planche à billets (ce qui pouvait engendrer de l’inflation)…

[16] Jean-Luc Shaffhauser, « Mais pourquoi avait-on voté en 1973 cette loi imposant à l’État de passer par les banques privées ou les marchés pour financer sa dette ? », Atlantico, 18 janvier 2012.

[17] Christian Losson, « Les riches se régalent, les autres dégustent », Libération, 11 octobre 2013.

Xavier Beulin et la machine à détruire … l’agriculture

Alors que je suis en train de terminer le montage de la version 52′ de mon prochain film « Ungersheim, un village en transition« , je ne peux m’empêcher de commenter les nouvelles en provenance du monde agricole (où je suis née il y a plus d’un demi siècle!). D’après une première estimation, la facture des dégradations causées par les manifestations d’agriculteurs en Bretagne s’élèverait à … 4 millions d’euros. Dans le même temps, le préfet de la Région annonce que le montant des aides attribuées récemment aux éleveurs bretons  atteint les 14 millions d’euros! Autant dire que l’agriculture française, dont l’élevage intensif breton est emblématique,  est un puits sans fonds, car c’est le modèle qui est malade. Ce même modèle que promeut sans relâche la FNSEA, le syndicat majoritaire, dont le puissant patron, l’homme d’affaires Xavier Beulin, est tout aussi emblématique. En  tant que fille de paysans,  je ne suis bien sûr pas insensible au désarroi des agriculteurs de Bretagne et d’ailleurs, mais je voudrais qu’ils ouvrent les yeux:  la disparition de dizaines de milliers d’agriculteurs est  programmée, car elle est inéluctable dans un système globalisé, où le seul moyen de survivre c’est de s’agrandir, et donc de piquer la terre de ses voisins. Pire: la FNSEA est, à ma connaissance, le seul syndicat qui organise la mort de ses adhérents, en s’accrochant à un modèle agro-industriel conduisant à  la mort annoncée des petits et moyens exploitants, au profit des gros, comme… Xavier Beulin. Cette histoire est tragique, mais elle nous concerne tous, car c’est la qualité de nos aliments, de nos paysages, de notre eau, de notre air, mais aussi de notre climat qui est en jeu! Plus que jamais il faut que les citadins et consommateurs se mobilisent pour exiger du gouvernement et du ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll (qui avait promis monts et merveilles ) qu’ils organisent la sortie de ce système mortifère en promouvant à grande échelle l’agro-écologie et l’agriculture locale et bio. Dans mon livre Sacrée croissance (écrit en … 2034), j’ai imaginé que François Hollande et son ministre décidaient de lancer une nouvelle « révolution agricole » en convertissant … Xavier Beulin. Je transcris ici le passage de mon livre qui a beaucoup faire rire l’économiste Jean Gadrey. Je précise que cet ouvrage est une « uchronie » c’est-à-dire une fiction où je raconte comment en vingt ans nous avons pu éviter l’effondrement de notre civilisation, grâce au… Président Hollande, qui, le 14 avril 2014, a compris qu’il fallait agir au plus vite, après avoir lu attentivement le dernier rapport du GIEC (le Groupe intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat).

(Extrait de Sacrée Croissance!)

La spectaculaire métamorphose du président de la FNSEA, Xavier Beulin

Et le gouvernement tint parole. Pour mener sa campagne de désintoxication des campagnes, il s’inspira de la politique menée au début des années 1960 par le Premier ministre Michel Debré, dont la loi de programmation agricole avait alors visé à « faire disparaître la petite exploitation familiale [et à] encourager le départ des ruraux de la terre, [afin de] constituer des exploitations de taille rentable adaptées au marché », ainsi que l’avaient raconté les historiens Serge Berstein et Pierre Milza[1]. Pour cela, on n’avait pas lésiné sur les moyens : réforme de l’enseignement agricole, formation des techniciens des chambres d’agriculture aux vertus de la chimie, prêts à taux préférentiels pour pousser les paysans à se « moderniser », organisation des « filières ». Bref, on avait « mis le paquet » et ça avait marché… L’idée de François Hollande et de son ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll était d’utiliser les mêmes moyens, mais pour un objectif inverse ! « Sur qui allons-nous nous appuyer ? », demanda le Président, dans un tête-à-tête historique qu’il a rapporté dans son livre Comment le 14 Avril a changé ma vie. Plus d’un demi-siècle auparavant, Michel Debré et son ministre Edgard Pisani avaient eu le soutien du Centre national des jeunes agriculteurs[2]. « On peut demander à Xavier Beulin de nous aider », avait suggéré Stéphane Le Foll. « Beulin ? », s’était étonné le Président, en faisant les yeux ronds.

Et on comprend a posteriori sa perplexité. À cinquante-six ans, Xavier Beulin était alors le président de la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Il exploitait une ferme de 500 ha dans le Loiret et dirigeait Sofiprotéol, un groupe agroindustriel pesant 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013 et leader dans les biocarburants, les huiles végétales (Lesieur) et la nutrition animale. Celui qu’on comparait à Napoléon et qui avait déclaré que « les biotechnologies, c’est l’avenir de l’agriculture biologique[3] » avait le pouvoir de bloquer la « nouvelle révolution agricole » sur un claquement de doigts. « C’est un businessman et, s’il sent que le vent a tourné, il suivra le vent, avait dit Stéphane Le Foll, qui connaissait bien le personnage. Et puis il a quatre enfants, qui ne seront pas épargnés par l’effondrement… »

On ne sut jamais précisément ce qui avait motivé la métamorphose de Beulin, mais elle fut spectaculaire ! Le patron de la FNSEA accepta de réunir ses troupes avec les dirigeants de Coop de France (qui regroupait toutes les coopératives agricoles, soit 40 % de l’agroalimentaire français, cumulant un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards d’euros), de Limagrain (une multinationale coopérative d’Auvergne, premier semencier européen), des chambres d’agriculture et du Crédit agricole ; bref, tous ceux qui s’enorgueillissaient d’avoir fait de la France la « première puissance agricole d’Europe ». Le 21 février 2015, j’ai eu le privilège d’assister à cet incroyable rassemblement qui inaugurait le Salon international de l’agriculture à la Porte de Versailles à Paris, grâce à Stéphane Le Foll qui m’avait personnellement invitée.

« L’agriculture est à la croisée des chemins[4], avait commencé Xavier Beulin sur un ton aussi solennel qu’inhabituel. Nous ne pouvons pas continuer à ignorer les multiples crises qui menacent la stabilité du monde. Or, le système agroindustriel que nous représentons, loin de les atténuer, au contraire les accélère : il est responsable de 14 % des émissions de gaz à effet de serre, à cause de nos pesticides et engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; à cause aussi de nos engins agricoles et du transport de nos produits sur de longues distances. Pour chaque calorie alimentaire produite, on estime qu’il faut sept calories d’énergie. Et à ces 14 %, s’ajoutent les 19 % dus à la déforestation, pratiquée pour développer des monocultures (comme le soja transgénique argentin, qui nourrit les animaux de nos élevages industriels) ou pour produire les biocarburants de Sofiprotéol. De plus, selon la FAO, l’élevage intensif produit 18 % des gaz à effet de serre sous forme de méthane. Si l’on ajoute le protoxyde d’azote, un gaz trois cents fois plus réchauffant que le CO2 que dégagent nos sols nus surazotés, alors notre bilan est catastrophique !

« Nous devons changer de modèle agricole, d’autant que nous allons souffrir durement des effets du réchauffement climatique. D’après plusieurs études, dont l’une de nos amis de l’INRA, l’augmentation des températures et des précipitations de 1980 à 2008 a fait chuter les rendements moyens du blé et du maïs respectivement de 5,5 % et 3,8 %[5]. Il est clair que si la canicule de l’été 2003 devait devenir la règle, nous devrons changer de métier, car nous n’aurons plus d’eau ! La part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau atteint aujourd’hui 70 %, en raison de nos techniques d’irrigation. Nous ne pouvons plus gaspiller ce bien commun avec des techniques agricoles inadaptées. D’autant plus qu’au problème de la raréfaction s’ajoute celui de la pollution, particulièrement en France où la plupart des rivières et nappes phréatiques présentent des teneurs en nitrates et pesticides très inquiétantes. Arrêtons de nous voiler la face : vous savez comme moi que beaucoup de collègues sont malades à cause des poisons chimiques que nous déversons dans nos champs, ce qui coûte cher à la Sécurité sociale. Vous savez aussi que 23 % des sols que nous exploitons sont complètement érodés, pour ne pas dire “morts”. Il est clair que si nous devions payer pour tous les dégâts que nous causons, nous n’aurions plus qu’à mettre la clé sous la porte ! Il va donc falloir remettre tout le système à plat, en se préparant à la fin des subventions qui encouragent ces travers irresponsables.

– Tu vas vraiment renoncer aux subventions pour les biocarburants et à la ristourne de la taxe sur les produits pétroliers qui ont rapporté à Sofiprotéol, dixit la Cour des comptes, au moins 500 millions d’euros de 2005 à 2010[6] ?, l’a alors coupé un grand céréalier de la Beauce.

– Ouais, avait répondu Beulin. Le bilan carbone de mon biodiésel est désastreux, puisqu’il engendre deux fois plus de gaz à effet de serre que le gazole. Les écolos ont raison… »

Ces mots provoquèrent un vaste brouhaha dans l’assistance, que le président de la FNSEA interrompit fermement : « De toute façon, nous n’avons pas le choix. L’ère des monocultures et des grandes exploitations est révolue ! Car non seulement elles produisent beaucoup de gaz à effet de serre, mais elles sont aussi beaucoup moins productives que les petites fermes diversifiées, au regard des ressources consommées. Il n’y a aucun doute là dessus. D’ailleurs, pour montrer l’exemple, j’ai décidé de louer un dixième de ma ferme, soit 50 ha, à un groupement d’intérêt économique et environnemental, les nouveaux GIEE créés par la dernière loi d’orientation agricole, qu’il va falloir d’ailleurs complètement revoir. Désormais, la priorité doit être la transition vers l’agroécologie, la vraie, pas celle que nous avions vendue au ministre Le Foll pour l’embobiner ! Vous savez très bien que l’“écologiquement intensif” était une embrouille pour vider l’agroécologie de sa dimension biologique fondamentale. Nous devons aussi revoir nos filières pour privilégier les aliments consommés par les humains et non par les animaux. C’est pourquoi il faut développer partout la production de fruits et légumes bios, à la campagne, mais aussi dans les villes, car avec le réchauffement climatique et la raréfaction des énergies fossiles, la France n’est pas à l’abri de graves pénuries alimentaires. »

[1] Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de la France au xxe siècle, tome 4, 1958-1974, Complexe, Bruxelles, 1999, p. 154.

[2] Le CNJA était alors dirigé par Michel Debatisse, l’ancien secrétaire de la Jeunesse agricole catholique (JAC), dont mon père avait été l’un des représentants pour l’Ouest de la France.

[3] Coralie Schaub, « Agricultor », Libération, 17 mai 2011.

[4] L’Agriculture à la croisée des chemins était le titre d’un document publié en 2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD (International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, <ur1.ca/ing5t>). Rédigé à la demande de la Banque mondiale par quatre cents scientifiques internationaux, ses conclusions avaient été approuvées par cinquante-huit pays lors d’une conférence qui s’était tenue à Johannesburg en avril 2008.

[5] Depuis des décennies, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) avait largement soutenu en France le développement de l’agriculture chimique. Il a été rebaptisé en 2016 Institut national pour la recherche agroécologique.

[6] Le 24 janvier 2012, la Cour des comptes avait publié un rapport très critique sur la politique d’aide à la production des biocarburants (196 millions d’euros de subventions en 2011) en dénonçant la « situation de rente » de Sofiprotéol. Pour l’État, le manque à gagner était de 2,7 milliards d’euros entre 2005 et 2010 (voir Agnès Rousseaux, « Agrocarburants : un juteux business sur le dos de la collectivité », Basta !, 1er février 2012, <ur1.ca/ingru>).

Sacrée croissance! est partout!!

Voici mon agenda dans les jours qui viennent. Sacrée croissance! -le film, le livre et l’exposition- sont très demandés!

– le 29 août, j’étais à Saint Etienne pour les assises catholique de l’écologie:

– le 7 septembre, j’animais une session au très prestigieux Forum mondial Convergences,  où on a passé  le début du film:
http://www.convergences.org/forum-mondial-convergences/programme/
– le 9, je suis à Marseille, pour l’inauguration de l’exposition (achetée par la la région PACA) avec projection du film, à 17 heures:
http://destimed.fr/Marseille-exposition-Sacree-Croissance-a-la-maison-de-la-Region-du-1er-au-10
– le 10, je suis à Grenoble, pour les mêmes raisons ( l’exposition a aussi été achetée par la région Rhône Alpes), invitée par la ville et Alternatiba:
http://www.sera.asso.fr/index.php/event/alternatiba-grenoble-projets-sera-septembre-2015/
– le 11 et le 12, je suis à Toulouse avec, entre autres, projection du film à Utopia:
http://www.cinemas-utopia.org/toulouse/index.php?id=2809&mode=film

– le 13, je suis à la Fête de l’Huma, où il y aura l’exposition et un débat sur Sacrée croissance!
http://www.humanite.fr/fete-de-lhumanite-marie-monique-robin-au-service-de-lhumain-et-de-la-planete-582055

– le 18, je suis à la FNAC de Strasbourg, pour le vingtième anniversaire de ARTE Editions:

http://www.fnac.com/Colmar/Delphine-Prunault-et-Marie-Monique-Robin/cp27219/w-4?Origin=fnac_google&SpaceID=106

– le 19, je suis à la Biennale d’art contemporain de Melle:

http://www.2015.biennale-melle.fr/evenements.html

http://www.2015.biennale-melle.fr/mmrobin.html

 

 

Mon voyage en Argentine

  J’ai passé une semaine en Argentine du 17 au 25 juin. Ce fut un voyage très dense qui m’a permis d’honorer plusieurs invitations que je n’arrivais pas à « caser » dans mon emploi du temps, trop chargé. Je raconte ce séjour plein d’émotions en 5 actes.

ACTE 1, colloque sur la santé environnementale à Rosario

      Je suis arrivée à l’aéroport d’Ezeiza, le 17 juin à 8 heures du matin. J’ai à peine eu le temps de souffler car un chauffeur de l’Université de Rosario m’attendait pour me conduire au 3ème colloque latino-américain sur la santé environnementale. Nous avons roulé pendant quatre heures pour rejoindre la troisième ville argentine, située à quelque 300 kms de Buenos Aires, au cœur de l’empire transgénique.

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  Légende: lors du colloque sur la santé environnementale à l’Université de Rosario

L’Argentine est l’un des principaux producteurs de soja roundup ready. Avec 22 millions d’hectares, l’OGM de Monsanto recouvre actuellement plus de 60% des surfaces cultivées. Ainsi que je l’avais raconté dans « Argentine : le soja de la faim » (ARTE Reportage/2005), la « sojisation » du pays a entraîné la déforestation d’immenses étendues et la transformation de la légendaire pampa en un « désert » d’où ont été chassées vaches et cultures vivrières. Le paysage entre Buenos Aires et Rosario est à l’image de ce désastre : toutes les prairies où paissaient autrefois les vaches des « tambos » (les fermes laitières) ont été retournées pour semer du soja roundup ready. En juin, le spectacle est d’une désolation absolue : après la récolte, effectuée généralement en avril, il ne reste plus qu’une étendue sans fin de terre grise et nue, d’où émergent quelques résidus de végétaux qui seront bientôt anéantis par l’ « herbicide qui tue tout ».

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  Les épandages de roundup sont effectués souvent par avion jusqu’aux portes des maisons, écoles et aux abords des villes et villages. En 2010, s’est réuni pour la première fois le « Réseau des médecins des villes et villages arrosés » qui a défrayé la chronique. D’un coup, la presse nationale a découvert l’ampleur des dégâts sanitaires provoqués par le glyphosate (la molécule active du roundup). Depuis , la communauté scientifique et médicale argentine se mobilise pour accumuler les données aussi bien sur le terrain qu’en laboratoire. L’université de médecine de Rosario mais aussi de Córdoba, – les capitales des provinces les plus transgéniques du pays (Santa Fe et Córdoba)-, organise régulièrement des enquêtes épidémiologiques à la demande des maires des « communes arrosées ». Pendant une semaine, une centaine de chercheurs et étudiants de la faculté de médecine (mais aussi de géographie, biologie, ou psychologie) s’installent dans un village et interrogent, un à un (sur la base bien évidemment du volontariat) tous ses habitants, en réalisant aussi des prélèvements sanguins et d’urines. Toutes les enquêtes épidémiologiques réalisées à ce jour montrent que les populations qui vivent au milieu des immenses cultures de soja roundup ready présentent des taux de prévalence et d’incidence de cancers, malformations congénitales, diabète, troubles neurologiques et intestinaux graves, allergies ou stérilité de trois à dix fois supérieurs à la moyenne nationale. Un scandale sanitaire que j’ai dénoncé dans une interview au journal anglophone Buenos Aires Herald.

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Légende: avec Damián Verzeñassi,  chercheur à l’Université de médecine de Rosario, qui a coordonné plusieurs enquêtes épidémiologiques et Damián Marino, de l’Université de La Plata qui réalise une cartographie minutieuse de l’état de contamination de l’Argentine (eau, air, sols) par le glyphosate.

  Depuis 2011, l’Université de Rosario organise, tous les deux ans, un colloque sur la santé environnementale s’adressant aux professionnels de la santé publique d’Amérique Latine. En 2013, j’y avais participé en faisant une conférence par skype dans laquelle j’avais présenté mon film et livre Notre poison quotidien. Lors de la troisième édition de 2015, le thème de mon intervention fut la … croissance et le lien entre un modèle économique fondé sur la croissance exponentielle de la production et l’explosion des maladies chroniques. En substance, j’ai expliqué que le modèle transgénique était très bon pour le Produit intérieur brut – le fameux « PIB »- de l’Argentine : l’exportation du soja transgénique , pour nourrir les poules, les vaches et les cochons d’Europe ou de Chine, procure des devises au pays qui renflouent sa balance commerciale ; les nombreux malades, contaminés par le roundup, augmentent le chiffre d’affaires des médecins, hôpitaux et pharmacies du pays, car dans une économie croissanciste, l’intérêt du secteur médical et pharmaceutique ait qu’il y ait de plus en plus de malades. Si on y ajoute les procédures judiciaires de plus en plus nombreuses qui mobilisent avocats, greffiers, juges, ou l’activité commerciale que génère la nécessité d’importer les produits alimentaires que l’Argentine ne produit plus, on peut dire que dans le modèle économique dominant, le soja transgénique est du pain bénit, du moins pour une petite minorité qui en profite copieusement : les grands producteurs de soja, les actionnaires des « pools de semences », Monsanto et ses alliés, y compris politiques, les vendeurs de herbicides, engrais et autres produits chimiques, les négociants internationaux, etc. J’ai aussi expliqué que si le PIB n’était pas l’unique instrument de mesure de la « prospérité », mais qu’on y adjoignait des indicateurs de santé environnementale et sociale, le résultat serait bien évidemment tout autre et même catastrophique. À terme, l’Argentine est en train d’hypothéquer sa souveraineté alimentaire mais aussi les conditions de vie de ses enfants et petits enfants.

ACTE 2 : « Pas d’OGM dans la province de Misiones ».

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  Légende: ci-dessus, avec Carlos Rovira, président du parlement de Misiones, et ci-dessous avec Juan Carlos Agulla, le vice-président.

« Quand j’ai lu Le monde selon Monsanto, je me suis juré que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que le soja transgénique n’entre pas dans la province de Misiones, et aujourd’hui nous sommes la seule région d’Argentine où il n’y a pas d’OGM ! ». L’homme qui me reçoit , ce 18 juin 2015, s’appelle Carlos Rovira et il est le président de la chambre des députés de la province de Misiones, dans le nord-est de l’Argentine. Devant mon incrédulité, il se lève et extrait de sa bibliothèque un exemplaire de mon livre, en français ! « Vous voyez, me dit ce francophile revendiqué, qui reçut la légion d’honneur des mains de Jacques Chirac, dès que votre livre est sorti en France, je l’ai fait acheter. Je l’avais lu avant que ne sorte l’édition espagnole. Quant au film, j’ai fait comme tout le monde ici, je l’ai vu sur internet, mais depuis la députée Marta Ferreira a acheté un DVD espagnol légalement en France ! ». À ses côtés Marta opine du chef. Cette femme dynamique, éprise d’écologie, fut religieuse pendant vingt ans avant d’entrer en politique et d’épouser un Français. C’est elle qui a suggéré à « l’ingénieur Rovira », comme on l’appelle ici, de me faire venir dans la province de Misiones, pour présenter mon film et livre Las cosechas del futuro (Les moissons du futur) . « Nous sommes un îlot de biodiversité dans une mer d’OGM, m’explique le président du parlement. Nous avons 30 000 paysans qui produisent des aliments, mais il faut les soutenir pour qu’ils ne succombent pas aux sirènes du lobbying pro OGM qui est très puissant ». Impressionnant, en effet. Posadas, la capitale de Misiones, est située à la frontière du Paraguay et du Brésil qui s’étendent de l’autre côté du fleuve Paraná. Du soja transgénique à perte de vue, ainsi que je l’avais montré dans Le monde selon Monsanto.   Même paysage désolant au sud et à l’ouest de la province de Misiones où la folie transgénique a chassé les petits paysans producteurs d’aliments, tandis que les bulldozers rasaient les « bosques nativos », les forêts primitives.

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Légende: avec Marta Ferreira, députée, et le vice-président du parlement de Misiones

   Si la région de Misiones n’a pas de cultures OGM, en revanche, le roundup et glyphosate sont utilisés pour les plantations de pins et d’eucalyptus (une concession chilienne très ancienne), les cultures de tabac et de maté (voir mon interview). « Nous venons de promulguer une loi pour promouvoir l’agroécologie, m’a expliqué l’ingénieur Rovira. Notre but est d’encourager l’agriculture biologique et les circuits courts, et y compris la conversion des producteurs de tabac vers des cultures vivrières. Je voudrais proposer la création d’un ministère de l’agriculture familiale pour que la province ait le moyen de ses ambitions » (voir mon interview).

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Légende: projection des Moissons du futur à Misiones, et rencontre avec des paysannes pratiquant l’agriculture biologique lors de la projection des Moissons du futur à Overa. Dans les mains, je tiens les version espagnoles de mon livre Notre poison quotidien et Les Moissons du futur.

Après notre rencontre, Carlos Rovira a rejoint le parlement où les députés siègent chaque jeudi. J’ai été très officiellement déclarée « visiteur illustre », puis j’ai passé deux jours à donner des interviews et présenter Les moissons du futur à Posadas, et dans deux autres villes de la province.

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Légende: au parlement, avec Carlos Rovira et Marta Ferreira,  où j’ai été déclarée « visiteur illustre ».

 

ACTE 3 : Rencontre avec les habitants de las Malvinas : « Monsanto ne passera pas ! »

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   « Merci ! C’est grâce à votre film Le monde selon Monsanto que tout le quartier s’est mobilisé pour empêcher l’installation de l’usine de semences transgéniques. Et nous ne lâcherons pas ! » Ce fut, sans aucun doute, l’un des moments les plus émouvants de mon séjour argentin. La femme qui me parle, avec beaucoup d’émotion, est une mère de famille du quartier très pauvre de Las Malvinas , situé dans la banlieue de Córdoba. La rencontre a lieu dans une maison en parpaings où se sont réunis une vingtaine d’habitants du quartier, qui font partie du « comité d’occupation de l’usine de Monsanto ». « Un jour, poursuit mon interlocutrice, est arrivé un jeune avec une centaine de copies de votre film. Il les a distribuées et a organisé des projections dans chaque pâté de maisons. Moi, j’ai vu votre film trois fois, pour bien comprendre son contenu car comme toutes les femmes ici, je n’avais jamais entendu parler d’OGM, ni du roundup. A la fin, j’ai dit à mon mari : il faut qu’on rejoigne le comité d’occupation ! »Inutile de préciser que « la centaine de copies » avait été … piratée !

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La rencontre s’est poursuivie par une visite du site d’occupation, où Monsanto voulait installer la plus grande usine de semences transgéniques du monde. À la manière de Notre Dame des Landes, le site est occupé en permanence par des jeunes qui se relaient dans les cabanes construites devant l’entrée du terrain ainsi que le long du grillage qui entoure la « propriété privée ». Il y a deux ans, de violents affrontements ont éclaté entre les opposants à l’usine et les forces de l’ordre dans ce lieu emblématique, devenu l’un des symboles de la résistance à Monsanto. Ce combat a été raconté dans un joli clip réalisé par « Perro Verde », un jeune que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Córdoba.

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Actuellement, la construction de l’usine est suspendue. Saisie par le comité d’occupation, la justice a, en effet, estimé que le dossier d’impact environnemental fourni par Monsanto était très mal ficelé. La multinationale américaine est censée conduire une nouvelle étude d’impact, mais tout indique que la multinationale cherche un autre lieu pour installer son usine, ce qui ne sera pas aisé : plusieurs responsables politiques ont dors et déjà annoncé qu’ils ne voulaient pas de la « papa caliente » (la patate chaude) sur leur territoire…

 

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ACTE 4 : Conférence à l’université de Córdoba

   Après ma visite à las Malvinas, j’ai rejoint l’Université de Cordoba pour une projection de mon film Les moissons du futur qui a réuni 700 personnes.

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L’événement était organisé par la Chaire libre d’agro-écologie et de souveraineté alimentaire et la faculté de philosophie et de science humaines. Il fut boycotté par la faculté d’agronomie, en raison d’un conflit (violent) qui oppose cette dernière au reste de l’Université. En effet, l’an passé Monsanto a proposé d’arroser la faculté d’agronomie avec un gros contrat financier (j’ai oublié le montant), ce qui a provoqué l’ire de toutes les autres facultés, qui ont, à juste titre, revendiqué l’indépendance de la recherche et la non ingérence d’intérêts privés au sein de l’université. Finalement, devant l’extraordinaire résistance, le recteur de l’Université a refusé le juteux contrat, provoquant, à son tour, l’ire des agronomes qui, dans leur grande majorité, ne voyaient aucun problème à ce que leur activité soit financée par une multinationale aussi controversée que Monsanto.

P1020069Légende: Diego Tatián, le doyen de la faculté de philosophie.

    Une anecdote amusante : avant la projection de mon film, j’ai donné plusieurs interviews organisées par le service de presse de l’Université. J’ai notamment été interrogée par Sergio Carreras, responsable de la page agriculture dans le journal régional La Voz, connu pour son soutien indéfectible aux OGM. À la fin de l’interview, le journaliste me demande si la posture écologiste n’est pas « une posture quasi religieuse qui idolâtre la nature et combat la technologie ? » L’argument n’est pas nouveau et j’ai l’habitude d’y répondre , mais , cette fois, j’avais un allié de taille : le Pape François, un jésuite argentin, dont je venais de lire l’encyclique « sur la sauvegarde de la maison commune » et qui prône une « écologie intégrale » pour permettre à l’humanité de faire face aux défis menaçant sa survie. Mon interlocuteur a acquiescé sans mot dire…

Je reviendrai ultérieurement sur l’encyclique, un texte absolument fondamental que je cite désormais régulièrement dans mes conférences. Comme le 23 juin, lors de la table ronde organisée à l’Université de Córdoba où j’ai présenté mon enquête sur les alternatives au modèle économique fondé sur la croissance, dont l’agriculture industrielle est l’une des illustrations les plus dramatiques.

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Légende: table ronde à l’Université de Córdoba

ACTE 5 : Audition lors du méga-procès de la Perla

  Lors du trajet en voiture, qui m’a conduite de Las Malvinas à l’Université, j’ai reçu un appel du procureur du tribunal de Misiones où se tenait depuis … trois ans le méga-procès de La Perla, un centre de détention clandestin de la dictature (1976-1982) où ont été torturées à mort des milliers de personnes. Dans la province de Córdoba, la répression fut particulièrement féroce, sous la houlette du sanguinaire général Luciano Benjamín Menéndez, dont j’avais raconté les horreurs dans mon livre Escadrons de la mort : l’école française. C’est lui qui organisa l’accident de voiture qui causa la mort de l’évêque Enrique Angelelli, l’un des crimes pour lesquels il fut condamné à la prison à perpétuité. Lors de cet appel téléphonique, totalement imprévu, le procureur m’a demandé de venir témoigner au procès, comme je l’ai déjà fait une dizaine de fois dans différents tribunaux argentins (voir sur ce blog, rubrique « escadrons de la mort : l’école française »). J’ai d’abord refusé, car je ne me sentais pas prête, n’ayant rien préparé, mais Diego Tatián, le doyen de la faculté de philosophie, qui m’accompagnait m’a demandé … d’accepter ! C’est ainsi que j’ai été auditionnée pendant deux heures dans le tribunal de Córdoba où l’audience très nombreuse m’ a fait une ovation qui m’a provoqué un malaise dû à l’émotion et à la fatigue.

Après être sortie avec grande difficulté du tribunal, tant j’étais assaillie par les journalistes et les citoyens, j’ai donné l’interview que j’avais promise à la télé de l’Université sur Les moissons du futur dans le hall de mon hôtel !

4 La croissance est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique

Après une interruption de plus de trois mois, je reprends la publication des papiers que j’ai écrits à la suite de la participation de François Hollande au 7-9 de France Inter, le 5 janvier dernier. Voici donc le quatrième volet de cette série qui reprend point par point les arguments (ou non-arguments) avancés par le chef de l’État. Alors que la France s’apprête à recevoir la COP 21, la grande conférence sur le climat qui se tiendra au Bourget du 30 novembre au 11 décembre, il semble que le président n’ait toujours pas compris que la croissance économique est totalement incompatible avec la réduction des émissions de gaz à effets de serre qu’il appelle, par ailleurs, de ses vœux.

La matière de ce papier a nourri mon intervention après la projection de Sacrée croissance ! au siège des Nations Unies (le 15 avril) qui était organisée par François Gave, le conseiller en charge du développement durable à la mission permanente française auprès de l’ONU et le service culturel de l’ambassade de France à New York . Environ 90 personnes ont participé à la projection, essentiellement des membres des délégations diplomatiques, car malheureusement une manifestation (chose rare aux Etats Unis !) bloquait la circulation sur Broadway, ce qui a empêché la majorité des quelque 100 personnes inscrites sur le site du consulat de rejoindre l’événement[1]. J’ai également donné une interview à la radio des Nations Unies sur la nécessité de changer de cap agricole en promouvant l’agro-écologie, pour nourrir le monde tout en contribuant efficacement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

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 Photos: Anne-Sophie Hermil

Qu’est ce que « l’effet de serre » ?

 Je constate régulièrement que bon nombre de nos concitoyens ne savent pas exactement ce qu’est « l’effet de serre ». Ils ne comprennent pas non plus en quoi l’activité humaine a un impact sur la concentration des « gaz à effet de serre » dans l’atmosphère et quel est le lien entre cette dernière et le dérèglement climatique en cours.

Je rappelle donc que c’est le chimiste suédois Svante Arrhenius (1859-1927) qui a développé le premier modèle de l’effet de serre. Dans un article présenté en 1895 devant la Société physique de Stockholm, intitulé « De l’influence de l’acide carbonique dans l’air sur la température de la Terre », le futur prix Nobel de chimie (1903) avait expliqué que le CO2 est naturellement présent dans l’atmosphère et qu’avec la vapeur d’eau, le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O), il forme une couche de gaz autour de notre planète qui permet à celle-ci de maintenir une température moyenne de 15° C. En effet, après avoir capté l’énergie solaire, la Terre renvoie une partie de sa chaleur vers l’espace, laquelle reste emprisonnée par les gaz (à « effet de serre »). Sans ce phénomène, sa température moyenne serait de – 18°, ce qui la rendrait invivable. Dans son article, Svante Arrhenius écrivait que « le petit pourcentage de gaz carbonique dans l’atmosphère risque de changer de manière notable au cours des prochains siècles, en raison des progrès de l’industrie ». Il avait même calculé que le doublement de la concentration de CO2 pourrait entraîner un réchauffement de trois à quatre degrés, ce qui correspondait aux prévisions faites par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en … 2014[2].

 Pourquoi la situation actuelle est elle préoccupante ?

 Avant l’ère industrielle (milieu du XIXème siècle), la concentration moyenne de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère était d’environ 278 ppm [3], une quantité stable depuis l’avènement de l’Holocène, l’ère géologique qui a permis à l’humanité de prospérer en raison précisément d’une grande stabilité climatique. Le 9 mai 2013, cette concentration a franchi le seuil de 400 ppm, le niveau le plus élevé depuis… 800 000 ans. On estime que depuis l’ère industrielle quelque 500 milliards de tonnes de carbone ont été émises dans l’atmosphère provenant de la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), de la production de ciment et de la déforestation ( ce qu’on appelle prosaïquement «  le changement d’affectation des sols » qui représente environ 30% du total ). Plus de la moitié de ces émissions ont eu lieu après le milieu des années 1970, avec une accélération notable au cours des vingt dernières années, puisqu’entre 1992 et 2012, elles ont augmenté de 38 %. Ces émissions anthropiques – c’est-à-dire issues de l’activité humaine – de gaz « à effet de serre » ont entraîné un réchauffement de la Terre de 0,85 °C entre 1880 et 2012, les trois dernières décennies ayant été les plus chaudes qu’ait connues l’hémisphère Nord depuis au moins 1 400 ans. D’après le GIEC, si les émissions se poursuivent au rythme actuel (environ + 2,3% par an) la température moyenne de la terre pourrait augmenter d’au moins 4,8 ° d’ici la fin du XXIème siècle. En fait, tout indique que l’augmentation pourrait être bien supérieure, en raison des « boucles de rétroaction positive » largement sous-estimées sur lesquelles je vais revenir.

 Les précédents du PETM et du permien

 En quoi cela est-il inquiétant ? Pour certains il est difficile de comprendre pourquoi une augmentation de la température globale de la terre de six degrés puisse être dangereuse, alors qu’en France, par exemple, la température peut varier sur une année de -10 à + 30°. Certes, mais cette variabilité locale qui caractérise l’hémisphère nord ne change rien au fait que la température moyenne de la terre est restée longtemps globalement inchangée, soit +15°. Or, la dynamique du climat est une mécanique extrêmement délicate, ainsi que le montre l’histoire de la planète elle-même. D’après les géologues et climatologues, la dernière fois où la terre a connu un réchauffement de 6° c’était il y a … cinquante-cinq millions d’années, pendant ce qu’ils appellent le « Maximum thermique du Passage paléocène-éocène » (PETM). Au terme d’une période qui a duré … 20 000 ans, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a atteint 1 000 ppm. C’était l’époque où Pangée, le supercontinent qui réunissait alors toutes les terres émergées, a commencé à se fracturer, provoquant une suractivité des volcans qui ont craché d’énormes quantités de gaz carbonique. La température moyenne de la Terre s’est élevée de deux degrés en quelques milliers d’années. La surface des océans s’est réchauffée, tandis qu’une quantité énorme de carbone entrait dans les océans, entraînant leur acidification[4]. Ce phénomène a provoqué l’asphyxie du plancton ainsi que des organismes marins contenant du carbonate de calcium, comme les mollusques et crustacés (moules, huîtres), et les coraux, qui, du coup, se sont mis à libérer du carbone. Et puis, sous l’effet du réchauffement des eaux, les hydrates de méthane qu’on appelle aussi “glaces de feu”, qui dormaient au fond de l’océan, se sont mis à fondre et à relâcher de gigantesques quantités de méthane, un gaz vingt-et-une fois plus réchauffant que le CO2. Résultat : au moment du passage du Paléocène à l’Éocène, la température de la Terre avait augmenté d’au moins six degrés. Cela a provoqué des inondations et des tempêtes d’une violence inouïe, mais aussi des sécheresses qui transformèrent d’énormes territoires en désert. Mais comme l’évolution avait été relativement lente, les plantes et animaux terrestres ont réussi, pour la plupart, à sauver leur peau en se déplaçant progressivement vers le nord, au fur et à mesure que la température augmentait. On vit ainsi des palmiers dans l’Alaska et des forêts denses recouvrir certaines parties du globe. Pour s’adapter, certaines espèces animales furent contraintes de rétrécir, en devenant carrément naines, comme les chevaux qui se réduisirent à la taille d’un chat siamois. « La différence, a expliqué Jim Zachos, un paléo-océanographe américain, c’est que le rythme des émissions actuelles de carbone est trente fois plus rapide qu’à l’époque du PETM… »[5]

Deux cents millions d’années plus tôt –il y a très exactement 251 millions d’années – l’ère du permien s’était terminée par l’extinction (la troisième dans l’histoire de la vie) de 95 % des espèces. Ce cataclysme fut provoqué par un réchauffement progressif de la planète de six degrés, qui s’est étalé sur… 100 000 ans.

 Des records d’extrêmes climatiques

 Je suis surprise de constater que, malgré tous les signaux évidents, le climato-scepticisme continue de prospérer, y compris parmi ceux qui suivent assidûment mes travaux, comme j’ai pu le constater à plusieurs reprises sur mon blog ou ma page facebook. Pourtant, tout indique que la machine du dérèglement climatique est déjà à l’œuvre. En 2012, par exemple, deux chercheurs de Postdam (Allemagne) ont passé au crible quatre-vingt-six articles scientifiques concernant les événements extrêmes qui ont émaillé la première décennie du siècle : « On y trouve les plus fortes canicules depuis cinq cents ans en Europe de l’Ouest (2003) et en Russie, résumait le quotidien Libération, des inondations dramatiques au Pakistan (20 millions de personnes affectées et au moins 3 000 morts en 2010), les pluies les plus intenses jamais enregistrées dans l’est de l’Australie (1,8 milliard d’euros de dégâts en 2010) mais aussi en Grande-Bretagne (3,8 milliards d’euros de dégâts au printemps 2007)[6]. » Fin 2011, rapportait Le Monde peu auparavant, le Mexique a connu la « pire sécheresse enregistrée depuis soixante-et-onze ans » : « 2 millions d’hectares de cultures ont été dévastés et 450 000 têtes de bétail sont mortes[7] ». Puis, après les « pluies records », l’Australie a été « touchée par une canicule record » au cours de l’été 2013-2014, au point que « le bureau météorologique a été contraint d’ajouter des nouvelles couleurs à ses cartes de température pour prendre en compte des canicules au-delà de 50 °C[8] ». Un an plus tard, c’était au tour de la Californie de connaître la « pire sécheresse depuis cent ans[9] ». Ces sécheresses exceptionnelles ont été accompagnées de méga-incendies durant parfois des semaines, comme en Australie et en Californie. Plusieurs simulations ont montré que si le réchauffement de la Terre atteignait les 2° C, le nombre annuel de jours très chauds dans les zones méditerranéennes, notamment en France et en Espagne, augmenterait de 200 % à 500 % (soit soixante-cinq jours de plus par an), avec des températures similaires, voire supérieures, à celles de la canicule de 2003 (ayant causé 15 000 morts en France)[10].

Dans le même temps, la fréquence et l’intensité des tempêtes et cyclones n’ont cessé de croître sur tous les continents, comme au Bangladesh, « l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique, qui dénombre 60 % des victimes de cyclones dans le monde ces vingt dernières années et pourrait perdre 40 % de ses terres agricoles d’ici à 2050, selon les projections des Nations unies », expliquait Le Monde en 2013[11]. Grand champion du climato-scepticisme, les États-Unis ne sont pas épargnés : en 2005, l’ouragan Katrina, l’un des plus puissants de l’histoire, a fait 2 000 morts et 120 milliards d’euros de dégâts à La Nouvelle-Orléans, suivi, sept ans plus tard, par l’ouragan Sandy, qui « a coûté très cher à New York : quarante-trois morts ; 19 milliards de dollars de dégâts ; 17 % de la ville inondés et 90 000 bâtiments endommagés[12] ». Plusieurs simulations[13] ont montré que les cyclones de catégorie 5 (la plus élevée sur l’échelle de Saffir-Simpson), comme celui qui a ravagé les Philippines en novembre 2013 (au moins 6 000 morts), seront monnaie courante dans un monde où la température moyenne augmenterait de plus de trois degrés, de même que les tempêtes au moins similaires à celles qui ont dévasté la France en 1999. « Dans la partie Sud de la mer du Nord, ce qui était considéré comme un événement censé se produire une fois tous les cent vingt ans aura lieu tous les sept ou huit ans », a averti le climatologue Jason Lowe dans un article publié en 2001[14]. De fait, à Londres, les digues de la Tamise ont été relevées soixante-deux fois entre 1983 et 2001, ce qui « a coûté des milliards d’euros », uniquement « pour faire face à l’impact combiné de tempêtes plus violentes et de l’élévation du niveau de la mer », ainsi que l’a résumé le journaliste et militant écologiste britannique Mark Lynas en 2008, dans un ouvrage remarquable (et effrayant) intitulé Six Degrees. Quant au niveau des mers, il augmente beaucoup plus vite que ne l’avaient prévu les experts du GIEC, qui en 2001 tablaient sur une augmentation moyenne d’environ 2 mm par an, alors qu’elle fut de 3,2 mm en 2013. Cette élévation est due à la fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland, ainsi que des glaciers de montagne qui s’avère beaucoup plus rapide que prévu. Les rapports du GIEC n’avaient pas prévu non plus que la banquise de l’Arctique se réduirait si vite que le mythique passage du Nord-Ouest, qui relie l’Atlantique au Pacifique, s’ouvrirait dès 2007 sous l’effet du réchauffement climatique[15].

Les boucles de rétroaction positives

 Les sous-estimations du GIEC sont notamment dues à la non prise-en compte de ce que les experts appellent « les boucles de rétroaction positive » car elles sont difficiles à simuler. En effet, le changement climatique n’est pas un phénomène linéaire mais exponentiel qui comprend des points de basculement (« tipping points « en anglais), lesquels une fois franchis provoquent une accélération de la tendance en cours. C’est ainsi que la fonte accélérée des glaces est due à l’évolution de l’effet albédo, qui fait que les surfaces blanches renvoient une grande partie des rayonnements solaires qu’elles reçoivent : quand la glace a fondu, les surfaces absorbent cette énergie et se réchauffent, entraînant une accélération du dégel. En 2004, James Hansen, le célèbre (et courageux) climatologue de la NASA[16], avait pointé cette « bombe à retardement », alors non prise en compte dans les rapports du GIEC . Il rappelait qu’il y a 14 000 ans, à la fin de la dernière ère glaciaire, la fonte des glaces avait provoqué une élévation du niveau de la mer d’un mètre tous les vingt ans pendant quatre siècles (et marqué l’entrée dans l’ère plus chaude de l’holocène). À son tour, la fonte des mers de glace accélérera la désintégration du pergélisol des régions arctiques, comme la toundra de Sibérie, qui contient d’énormes quantités de carbone et de méthane, une autre « bombe à retardement pour le climat », comme l’a écrit Le Monde[17].

De même, l’acidification des océans pourrait à terme transformer le plus grand puits de carbone de la planète en un puissant émetteur, faisant grimper la température de la Terre d’au moins un degré. Mais d’ici là, une autre boucle de rétroaction se sera activée, l’une des plus puissantes qui soit : la « rétroaction du cycle du carbone ». Ce phénomène a déjà été observé par plusieurs équipes de chercheurs lors de la grande canicule de l’été 2003, où 30 % des végétaux européens ont montré une transpiration excessive et un arrêt de la croissance[18]. Au lieu de capter du carbone, conformément au mécanisme de la photosynthèse, ils se sont mis à en relâcher une quantité équivalente à 12 % des émissions dues à la combustion des énergies fossiles, soit 500 millions de tonnes. Cette « menace non prise en compte dans les scénarios climatiques » a été confirmée dans une « vaste étude internationale », publiée en 2012 dans Nature[19]. « Portant sur plus de deux cent-vingt espèces réparties dans quatre-vingts régions aux climats variés », celle-ci conclut que « les deux tiers des arbres dans le monde sont menacés de dépérissement » et qu’ils fonctionnent déjà « à la limite de l’embolie et de leur rupture hydraulique[20] ».

Véritable poumon de la Terre, l’Amazonie n’est pas épargnée : en 2005, une sécheresse exceptionnelle a provoqué des incendies sans précédent dans le bassin amazonien, préfigurant ce que pourrait signifier l’effondrement de l’immense forêt tropicale. D’après une étude publiée en 2000 par des chercheurs du Hardley Centre[21] (Grande-Bretagne), cette catastrophe qui transformerait l’Amazonie en un désert, pourrait entraîner un réchauffement supplémentaire de 1,5° C d’ici la fin du siècle. Enfin, la dernière boucle de rétroaction qui n’est pas prise en compte dans les simulations du GIEC concerne le largage des hydrates de méthane, ces « glaces de feu » dormant dans les fonds marins, dont j’ai parlé un peu plus haut. S’ils étaient relâchés, ainsi que l’a résumé Mark Lynas dans son livre Six Degrees, « une planète entièrement nouvelle se formerait qui n’aurait plus rien à voir avec la Terre que nous connaissons aujourd’hui. Il n’y aurait plus de glace dans les deux pôles. Les forêts tropicales auraient brûlé et disparu. L’augmentation du niveau de la mer aurait entraîné l’inondation des villes côtières et progressivement des terres intérieures. Les humains seraient regroupés dans des “zones habitables” toujours plus réduites à cause du double phénomène des sécheresses et des inondations[22] ».

La prudence excessive des scientifiques

 Comment en sommes nous arrivés là ? Cette question ne cesse de me tarauder, comme tous ceux qui voient l’humanité marcher vers le gouffre, tels les moutons de Panurge. Dans mon livre Sacrée croissance ! je développe plus en détail les raisons de ce que j’appelle le « Grand Déni », mais ici je me contenterai de citer Naomi Oreskes (professeure d’histoire des sciences à l’université de Harvard) et son collègue Erik Conway (de l’Institut de technologie de Californie) qui dans leur ouvrage L’Effondrement de la civilisation occidentale[23] imaginent que la civilisation moderne s’est effondrée en 2093 et qu’un historien chinois de la fin du xxive siècle, descendant des survivants, rédige un rapport pour comprendre comment les « enfants des Lumières » n’ont pas pu éviter une telle catastrophe. Comparant celle-ci avec la chute des Mayas, le chroniqueur souligne que « le cas de la civilisation occidentale était différent, parce que les gens savaient ce qui était en train de se produire, mais ils furent incapables de l’arrêter. C’est d’ailleurs l’aspect le plus effrayant de cette histoire de constater tout ce qu’ils savaient et à quel point ils furent incapables d’agir. Le savoir n’a pas été traduit en pouvoir[24] ». Il pointe le rôle des scientifiques qui « étudiaient les désastres de plus en plus fréquents mais n’ont pas permis de freiner le déni, car ils étaient empêtrés dans le concept obscur alors dominant de “signification statistique” ou de “limite de confiance de 95 %” ». En effet, explique-t-il, « les scientifiques du xxe siècle croyaient qu’on ne pouvait accepter la causalité d’un résultat que si la probabilité qu’il soit dû au hasard était inférieure à un sur vingt. De nombreux événements dont les mécanismes de causalité étaient physiquement, chimiquement ou biologiquement liés à une augmentation de la température furent ainsi rejetés comme “non prouvés”, car ils ne rentraient pas dans cette convention statistique ». L’historien chinois avance aussi une hypothèse que j’ai moi-même pu constater lors de mes (nombreuses) rencontres avec des chercheurs: « Les scientifiques occidentaux avaient construit une culture intellectuelle fondée sur le principe qu’il était plus grave de se tromper en croyant à quelque chose qui n’existait pas qu’en ne croyant pas à quelque chose qui existait. Ils avaient baptisé ces erreurs respectivement “de type I” et “de type II” et avaient établi des protocoles pour éviter l’erreur de type I à tout prix[25]. » La conséquence de cette incroyable posture[26] fut que, très souvent, les scientifiques prenaient mille et une précautions quand on leur demandait d’interpréter les phénomènes qu’ils observaient, en insistant sur le fait qu’on ne pouvait pas toujours les attribuer avec certitude au réchauffement climatique. Ce faisant, ils encourageaient l’inertie des politiques, convaincus qu’ils « avaient plus de temps pour agir qu’ils n’en avaient en réalité [27] ».

 Une facture de plus en plus élevée

 « Les pays riches vont devoir oublier la croissance s’ils veulent stopper le changement climatique. » Ces mots ont été prononcés par Lord Nicholas Stern le 11 septembre 2009, lors d’une conférence en Chine, et ils ont fait l’effet d’une bombe dans le cercle très fermé des conseillers du prince. Le baron Stern of Brentford, en effet, n’était pas n’importe quel économiste : il avait été vice-président de la Banque mondiale, puis bras droit de Gordon Brown, le ministre des Finances de Tony Blair. En 2006, celui-ci lui avait commandé un rapport sur l’« économie du changement climatique » qui est resté dans l’histoire comme le « rapport Stern ». « Le changement climatique affectera l’accès à l’eau, la production de nourriture, la santé ainsi que l’environnement, y écrivait-il. Des centaines de millions de personnes pourraient souffrir de la faim, de la pénurie d’eau et d’inondations côtières au fur et à mesure que la planète se réchauffe. […] Les estimations des dommages pourraient s’élever à 20 % du PIB ou plus. » Et d’ajouter : « Les émissions ont été et continuent à être liées à la croissance économique, mais la stabilisation de la concentration des gaz est possible et cohérente avec une poursuite de la croissance. » Cette conclusion lui avait valu les foudres des économistes écologiques, tandis que la grande troupe des économistes orthodoxes lui reprochait de verser dans le catastrophisme. Trois ans plus tard, celui qu’on surnomma le « Lord vert » avait revu à la hausse ses prévisions : alors qu’en 2006, il avait estimé que les gouvernements devraient consacrer 1 % de leur PIB à la lutte contre le réchauffement climatique, il pensait désormais qu’il faudrait au minimum 2 % par an et que la poursuite du modèle fondé sur la croissance était incompatible avec cet objectif.

D’après les Nations unies, les coûts des désastres naturels (sécheresses, inondations et tempêtes) ne cessent d’augmenter et ont atteint 112 milliards d’euros en 2012. L’augmentation est telle que plusieurs compagnies d’assurance, en Australie et aux États-Unis, ont annoncé qu’elles ne couvriraient plus certains risques climatiques comme les inondations. C’est ce que m’a expliqué Andrew Dlugolecki, qui a travaillé pendant vingt-sept ans chez Aviva, l’un des principaux assureurs britanniques. Depuis 1995, il est l’un des experts du groupe chargé des services financiers au sein du GIEC. « Les montants des dégâts économiques dus au changement climatique ont été multipliés par quatre depuis les années 1980 et ont augmenté de 50 % au cours de la dernière décennie », a-t-il souligné, avant d’ajouter la voix voilée par l’émotion : « Si nous ne prenons pas des mesures draconiennes pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, nous allons vers un effondrement économique… Je suis très inquiet pour l’avenir de mes petits enfants… » [28]

 Plus on produit, plus on émet

 « Notre défi est de réduire nos émissions actuelles de carbone qui sont de cinquante gigatonnes à trente-cinq en 2030, puis à vingt en 2050, a déclaré Nicholas Stern devant l’université de Pékin. Cette année-là, chacune des 9 milliards de personnes que comptera le monde aura le droit à environ deux tonnes par an. Si la répartition est équitable, cela signifie que les États-Unis devront réduire leurs émissions de plus de 90 %, car actuellement chaque Américain émet vingt-cinq tonnes par an ». Or, cet objectif est strictement incompatible avec la poursuite d’un système économique fondé sur la croissance infinie du PIB. De nombreuses études montrent, en effet, que le lien entre la croissance du PIB et celle des émissions est très fort : les rares pays qui ont réussi à réduire leurs émissions de CO2 sont ceux qui ont eu une croissance négative ou très faible. Ce fut le cas des pays d’Europe de l’Est qui ont réduit considérablement leurs émissions de manière non intentionnelle, à cause de l’effondrement de l’Union soviétique. De même la récession qui a suivi la crise des subprimes de 2008 a entraîné une réduction de 50 % des émissions de CO2, y compris aux États-Unis. « Si nous voulons rapidement réduire nos émissions, il faut ralentir la production et aller vers une économie stationnaire » m’a expliqué l’économiste américaine Juliet Schor pour qui l’argument du « progrès technologique » brandi par les défenseurs du statu quo constitue un « mirage dangereux » : « Grâce au progrès technologique et notamment à l’amélioration de l’efficacité énergétique, les émissions par dollar de PIB ont diminué de 30 % depuis 1990, mais les émissions totales ont continué d’augmenter, parce que la production a continué d’augmenter ! a-t-elle souligné. Dans le scénario ‘business as usual’, défendu par les promoteurs de la “croissance verte”, le carbone émis pour chaque dollar de revenu diminue de 1,2 % par an. C’est tout juste suffisant pour compenser l’augmentation de la population, donc sans effet pour réduire les émissions ni pour contrebalancer la hausse du revenu. Selon les estimations, il nous faudrait des gains annuels de 5 % à 7 % dans la seule décarbonisation, soit un quadruplement de la productivité du carbone, pour tenir l’objectif fixé par le GIEC de deux degrés de réchauffement. C’est en dehors du champ de l’expérience, et de très loin. Cette arithmétique simple montre que nous n’avons pas d’autre choix que de produire moins et donc de renoncer au dogme de la croissance ».

Cet avis est partagé par tous les économistes qui ont cessé de considérer que l’économie était une entité autonome déconnectée des contingences environnementales et écologiques et estiment, au contraire, qu’elle constitue un sous-ensemble de l’éco-système dont elle totalement tributaire. « Quand le PIB annuel par habitant augmente de 2 300 euros, les émissions annuelles de CO2 progressent en gros d’une tonne, m’a ainsi expliqué Jean Gadrey, auteur de L’adieu à la croissance[29]. Si nous voulons diviser par cinq au moins nos émissions d’ici à 2050, en France, il faudrait les réduire de 4 % par an pendant quarante ans, soit autant chaque année que ce que nous avons réalisé au cours des dix dernières années. Ce sera déjà très difficile sans croissance. Si l’on vise une croissance de 2 % par an, cela veut dire qu’il faut réduire les émissions de 6 % par an par unité produite. Aucun scénario crédible ne permet de l’envisager. La seule option est donc de dire adieu à la croissance ».

 Source : Sacrée croissance ! Editions La Découverte/ ARTE Editions.

Prochain papier : la cage de fer de la consommation et de l’endettement

[1] Des manifestations similaires ont lieu actuellement dans toutes les grandes villes américaines à l’initiative des chaînes de magasins qui réclament une augmentation de salaire. Le mouvement a commencé chez McDonald.

[2] Publié en 2014, le dernier rapport du GIEC a été rédigé par huit cents chercheurs qui ont épluché 20 000 études et projections scientifiques.

[3] Une concentration de 400 ppm (parties par million) signifie que le CO2 représente 0,04 % des molécules d’air sec .

[4] Sur le phénomène d’acidification des océans , voir la fiche pédagogique que j’ai réalisée pour l’exposition Sacrée croissance ! et que j’ai mise en ligne sur mon Blog.

[5] « Lesson from 55 million years ago says climate change could be faster than expected », Daily Telegraph, 17 février 2006.

[6] Sylvestre Huet, « L’exception climatique sera bientôt la règle », Libération, 26 mars 2012 (article cité : Dim Coumou et Stefan Rahmstorf, « A decade of weather extreme », Nature Climate Change, n° 2, 25 mars 2012, p. 491-496).

[7] « Au Mexique, la faim gagne les campagnes », Le Monde, 27 janvier 2012.

[8] Colin Folliot, « L’Australie touchée par une canicule record due au dérèglement climatique », Le Monde, 17 janvier 2014.

[9] Claudine Mulard, « La Californie connaît la pire sécheresse depuis cent ans », Le Monde, 21 janvier 2014. La sécheresse californienne perdure toujours aujourd’hui au point que le gouverneur a dû prendre des mesures draconiennes de rationnement de l’eau.

[10] Voir notamment : Martin Beniston et Henry Diaz, « The 2003 heat wave as an example of summers in a greenhouse climate ? Observations and climate model simulations for Basel, Switzerland », Global and Planetary Change, n° 44, 2004, p. 73-81.

[11] Julien Bouisson, « Au Bangladesh, survivre avec le changement climatique », Le Monde, 12 février 2013.

[12] Isabelle Piquer, « Un an après l’ouragan Sandy, New York reste vulnérable », Le Monde, 27-28 octobre 2013.

[13] Comme : Thomas Knutson et Robert Tuleya, « Impact of CO2-induced warming on simulated hurricane intensity and precipitation : sensitivity to the choice of climate model and convective parameterization », Journal of Climate, n° 17, 2004, p. 3477-3495.

[14] Jason Lowe, « Changes in the occurrence of storm surges around the United Kingdom under a future climate scenario using a dynamic storm surge model driven by the Hadley Centre climate models », Climate Dynamics, vol. 18, 2001, p. 179-188.

[15] La banquise a perdu la moitié de sa surface de 1980 à 2010, soit une perte d’environ 4 millions de km².

[16] James Hansen, « Defusing the global warming time bomb », Scientific American, vol. 290, n° 3, 2004, p. 68-77 ; on estimait alors qu’à elle seule, la fonte du Groenland pourrait faire élever le niveau de la mer de sept mètres (en un millénaire).

[17] Stéphane Foucart, « Le pergélisol, bombe à retardement pour le climat », Le Monde, 17 février 2012.

[18] Peter Stott et al., « Human contribution to the European heatwave of 2003 », Nature, vol. 432, 2004, p. 610-614 ; Philippe Ciais et al., « Europe-wide reduction in primary productivity caused by the heat and drought in 2003 », Nature, vol. 437, septembre 2005.

[19] Brendon Choat et al., « Global convergence in the vulnerability of forests to drought », Nature, vol. 491, 2012, p. 752-755.

[20] David Larousserie, « Les deux tiers des arbres dans le monde sont menacés de dépérissement », Le Monde, 24 novembre 2012.

[21] Peter Cox, « Acceleration of global warming due to carbon-cycle feedbacks in a coupled climate model », Nature, n° 408, 2000, p. 184-187.

[22] Mark Lynas, Six Degrees, op. cit., p. 215.

[23] Erik Conway et Naomi Oreskes, The Collapse of Western Civilization. A View from the Future, Columbia University Press, New York, 2014 (trad. française : L’Effondrement de la civilisation occidentale, Les Liens qui libèrent, Paris, 2014).

[24] Ibid., p. 1.

[25] Erik Conway et Naomi Oreskes, L’Effondrement de la civilisation occidentale, op. cit., p. 17.

[26] Que l’on retrouvait alors – et de longue date – dans la gestion des risques sanitaires (voir Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien, op. cit.).

[27] Erik Conway et Naomi Oreskes, L’Effondrement de la civilisation occidentale, op. cit., p. xxx.

[28] Vous pouvez écouter l’interview d’Andrew Dlugolecki sur mon blog (colonne de droite).

[29] Jean Gadrey, Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Les Petits matins/Alternatives économiques, Paris, 2012.

D’un film à l’autre: nouvelles en vrac

Le problème avec les investigations au long cours c’est qu’elles ne vous lâchent pas ! Jamais !

 Escadrons de la mort : l’école française

 C’est ainsi que j’ai témoigné pour la septième fois dans un procès contre les généraux de la dictature argentine, car depuis la sortie de mon film et livre Escadrons de la mort : l’école française, en 2003 et 2004, je suis considérée comme « témoin clé » dans les multiples procédures que mon enquête a permis (en partie) de ré-ouvrir. Après m’être rendue deux fois physiquement dans les tribunaux argentins (voir les articles de Télérama), j’ai demandé à témoigner désormais par vidéo-conférence.

argentine 2Mardi 3 mars, j’ai donc rejoint l’ambassade d’Argentine à Paris pour être auditionnée pendant … cinq heures dans le grand procès qui se tient actuellement à Buenos Aires sur l’opération Condor. De nouveau j’ai expliqué le rôle de la « doctrine française », développée par les militaires français pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, dans la genèse de cette opération criminelle lancée dans les années 1970 par les dictatures du cône Sud (Chili, Argentine, Paraguay, Brésil, Uruguay, Bolivie). J’invite ceux qui ne connaissent pas cette « face cachée de la France » , pour reprendre les mots de Bernard Stasi, lorsqu’il m’a remis le prix du « meilleur documentaire politique » au sénat, à voir mon documentaire Escadrons de la mort : l’école française ou à lire mon livre éponyme.

 Les pirates du vivant

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Le 5 mars, j’animais un colloque sur la biopiraterie organisé par la Fondation France Libertés à l’Assemblée Nationale. En 2009, c’est Danièle Mitterrand qui avait présidé un premier colloque sur le même thème et au même endroit. Dans mon introduction, j’ai repris l’histoire du haricot jaune qui commençait mon film Les pirates du vivant (2005). Le Mexique est le centre d’origine du haricot : on y trouve des haricots noirs, blancs, rouges et … jaunes, une variété qui n’était pas cultivée aux Etats Unis. Dans les années 1990, un fermier américain, dénommé Larry Proctor, a acheté un sac d’haricots jaunes sur un marché de Mexico , puis les a semés dans sa ferme du Colorado. Après deux ans d’ « essais », il a déposé une demande de brevet auprès de l’office des brevets de Washington et l’a obtenu. Résultat :  les paysans mexicains ne pouvaient plus vendre leurs haricots jaunes aux Etats Unis sans payer de royalties à Proctor….Finalement, après une longue bataille judiciaire, le Mexique a obtenu l’annulation du brevet peu de temps après la diffusion de mon film. Le colloque organisé par la Fondation France Libertés intervenait quelques jour avant la présentation d’un projet de loi , concocté par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal, visant à protéger la biodiversité. C’est urgent, en effet ! D’après les scientifiques, la moitié des 1,8 million d’espèces animales et végétales identifiées pourraient disparaître avant la fin du XXIème siècle. L’hécatombe est telle qu’ils parlent de la « sixième extinction des espèces », la cinquième ayant eu lieu il y a 65 millions d’années avec la disparition des dinosaures. Le responsable ? L’homme ! Destruction d’habitats naturels, pollutions de toutes sortes, extermination physique (chasse, pêche, contrebande) et privatisation du vivant (à travers les brevets) font que nous sommes en train de « couper la branche sur laquelle nous sommes assis », comme l’a dit Hubert Reeves, le président de l’association Humanité et Biodiversité (Libération du 14 mars). En clair : nous sommes en train de créer les conditions de notre disparition, dans l’indifférence (quasi) générale…

Sacrée croissance !

Cela fait quelque temps que je n’ai pas donné de nouvelles de ma « tournée » pour Sacrée croissance ! Pour dire la vérité, il est impossible que je réponde à toutes les demandes qui continuent d’arriver au rythme de plusieurs par jour à l’adresse de m2rfilms. Il me faut donc choisir et c’est un vrai casse-tête !

La bonne nouvelle c’est que partout où je vais les salles sont pleines, preuve que le film remplit sa fonction : celle de susciter le débat, d’inspirer et de mobiliser citoyens et élus pour que soient lancées ou consolidées des initiatives de transition vers une société plus durable, décarbonée, plus juste et plus solidaire.

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A Pau, le 11 mars.

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A Die en Drôme, le 31 janvier et à Tours, le 12 février.

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A Lyon, le 20 février lors du Festival Primevère.

L’autre bonne nouvelle c’est que les monnaies locales ont le vent en poupe : Chambéry a lancé sa monnaie – l’Elef-, Strasbourg va lancer la sienne – le stück-, Angers a la « muse », Toulouse le « sol violette », le département d’Ile et Vilaine le « gallego », Montreuil la « pêche », le pays basque « l’eusko », etc.

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Actuellement une cinquantaine de monnaies locales ont été créées ou sont en cours de création en France ! Et partout où je vais on me remercie d’avoir présenté les exemples du Palmas et du Chiemgauer dans mon film, car, disent mes interlocuteurs, « cela nous a permis de comprendre l’intérêt et les vertus des monnaies locales ». C’est ainsi qu’après avoir somnolé pendant deux ans, la « muse » a subitement décollé à la suite de la projection de Sacrée croissance ! à Angers. Lorsqu’on me demande s’il y a un conseil que je peux donner pour préparer le lancement d’une monnaie locale, je réponds deux choses :

– La création d’une monnaie locale est un outil puissant pour rassembler les habitants d’un territoire autour d’un projet de transition écologique. En effet, ainsi que j’ai pu le constater, l’utilisation d’une monnaie complémentaire provoque le premier déclic indispensable à toute démarche de transition : s’interroger sur nos modes de consommation. Comme me l’a très bien expliqué l’économiste britannique Tim Jackson « la consommation est une véritable cage de fer » qui constitue le « moteur de la croissance ». Sans consommation, pas de croissance de la production et donc du PIB ! C’est tellement vrai qu’aujourd’hui la consommation représente en France près de 60% du PIB, et même 67% aux États Unis. C’est pour pousser à la consommation que les entreprises ont dépensé, en 2013, 400 milliards d’euros pour entretenir notre addiction à travers la publicité. C’est aussi pour pousser à la consommation que l’endettement des ménages a littéralement explosé (il représentait 61% du PIB en 2013 contre 38% en 2000).   C’est encore pour pousser à la consommation que le gouvernement « socialiste » de François Hollande vient d’autoriser l’ouverture des magasins douze dimanches par an. Gageons que cela ne suffira pas et que bientôt on ouvrira les magasins la nuit car la bête est insatiable ! C’est pourquoi l’adhésion à une monnaie locale permet de rompre avec cette course folle et destructrice en se posant les bonnes questions : de quoi ai-je vraiment besoin pour vivre ? Qu’est ce qui compte vraiment ?

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– Il est beaucoup plus facile de lancer une monnaie locale si on a le soutien des collectivités locales. C’est pourquoi je salue l’initiative du conseil général d’Ille et Vilaine qui a créé deux emplois pour accompagner le lancement du Gallego. Un soutien précieux qui permet de mener dans de bonnes conditions l’indispensable travail d’explication auprès des entreprises qui ne comprennent pas forcément l’intérêt d’avoir une « double comptabilité ». Ce fut le cas aussi à Toulouse où la précédente municipalité fut très active dans le lancement du Sol Violette.

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Femmes pour la planète

Le film sera rediffusé sur Ushuaïa TV demain, dimanche 15 mars, à 16 heures 5. Ne le ratez pas car c’est un bel hommage aux « lanceuses d’avenir » qui nous montrent la voie vers une société plus durable, plus juste et plus solidaire!

Pour ceux qui n’ont pas Canal Sat, il est possible de voir le film en clair à partir d’une box :

du 05 au 25 mars sur ORANGE (canal n°116)
du 10 au 20 mars sur SFR (canal 200)
du 2 au 31 mars sur FREE (canal 129)
du 3 au 31 mars sur NUMERICABLE (canal 131)