OGm, conflits d’intérêt et instances européennes

2) les conflits d’intérêts à l’EFSA et la pomme de terre AMFLORA

Pour commencer, j’informe les internautes que mon film « Le monde selon Monsanto » sera diffusé sur Planète, le lundi 4 octobre, à 20 heures 40.

Dans mon livre  Le monde selon Monsanto, je racontais les  liens étroits qui unissent  certains membres  du comité OGM de l’EFSA – l’Autorité européenne pour la sécurité des aliments –  avec les géants des biotechnologies , avec en tête, son président , le professeur Harry Kuiper. Celui-ci est, en effet, le coordinateur de Entransgood, un projet, soutenu par l’Union européenne, pour « favoriser l’introduction des OGM sur le marché européen, et rendre l’industrie européenne compétitive », et à ce titre, fait partie d’un groupe de travail comprenant Monsanto et Syngenta.

De même, Mike Gasson travaille pour Danisco, un partenaire de Monsanto ; Pere Puigdomenech est le co-président du septième congrès international sur la biologie moléculaire végétale, sponsorisé par Monsanto, Bayer et Dupont ; Hans-Yorg   Buhk et Detlef Bartsch sont « connus pour leur engagement en faveur des OGM , au point d’apparaître sur des vidéos promotionnelles, financées par l’industrie des biotechnologies » ;  parmi les (rares) experts extérieurs sollicités par le comité, il y a notamment le docteur Richard Philipps qui a signé une pétition en faveur des biotechnologies pour Agbioworld  et apparaît sur le site de Monsanto pour soutenir la très controversée hormone de croissance laitière…

Hier, Libération rapportait le « beau lièvre », levé par José Bové, eurodéputé vert et vice-président de la commission agriculture du parlement européen. Celui-ci a , en effet, découvert que «  la présidente du conseil d’administration de l’Agence européenne de sécurité alimentaire, la Hongroise Diána Bánáti, a dissimulé qu’elle avait été membre du comité des directeurs de la branche européenne de l’International Life Science Institute (Ilsi), le «lobby de l’agrobusiness», comme le qualifie Bové » .

http://www.liberation.fr/economie/01012293046-europe-le-lobby-ogm-infiltre-a-la-tete-de-la-securite-alimentaire

Pour mon prochain livre et film  Notre poison quotidien , je me suis intéressée de près à l’ILSI, qui est effectivement une création des géants de l’industrie chimique et agroalimentaire, comme le confirme la liste des « membres » affichée sur son site :

http://www.ilsi.org/Europe/Pages/currentmembers.aspx

Au printemps dernier, l’ observatoire européen des multinationales révélait  que la coordinatrice scientifique du groupe d’experts sur les OGM de l’EFSA  , Suzy Renkens avait été embauchée en 2008 par Syngenta, l’un des concurrents de Monsanto. Docteur en biologie moléculaire, la scientifique belge a été la coordinatrice scientifique du Panel OGM de l’EFSA d’avril 2003 à mars 2008 , avant d’occuper  un poste clé au sein de la multinationale  agro-semencière suisse dès mai 2008, soit quelques semaines à peine après avoir quitté son poste de fonctionnaire de l’Union européenne ! Son parcours, qui constitue un cas de « porte tournante » flagrant et jette un nouveau trouble sur l’indépendance des décisions prises par l’agence européenne,  a été décrit très précisément sur Mediapart :

http://www.mediapart.fr/club/blog/sebastien-portal/250110/ue-un-cas-de-portes-tournantes-entraine-m-barroso-dans-une-polemiq

On comprend mieux, dès lors, pourquoi la « Commission européenne a toujours été l’amie des OGM », pour reprendre les termes de Libération, accordant sans sourciller les 125 autorisations d’importation sollicitées par les firmes  de la biotechnologie depuis 1998.

Pour les autorisations de mise en culture, c’est plus compliqué. Malgré les avis systématiquement favorables rendus par l ‘EFSA, le seul OGM autorisé à la culture en Europe est le maïs transgénique de Monsanto, le MON 810,  pour lequel six Etats européens, dont la France, ont prononcé des interdictions provisoires, en raison des doutes qui planent sur son innocuité, tant environnementales que sanitaires.

http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-03-03/la-pomme-de-terre-ogm-de-la-peur/920/0/429856

Coup de tonnerre, le 3 mars 2010 :  on apprend que la Commission a accordé l’autorisation de mise en culture d’une pomme de terre transgénique, AMFLORA, produite par BASF. Enrichie en amidon, par manipulation génétique, la patate OGM de la firme chimique allemande a été mise au point pour fabriquer du papier, de la colle ou des adhésifs. Toutefois, « les co-produits de la transformation industrielle de l’amidon (pulpes) pourraient être utilisés dans l’alimentation animale«.

C’est ce qu’a souligné le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), dans son avis rendu le 12 juillet 2010. Dans ce même avis, le HCB fait une remarque fort intéressante : « Dans la situation actuelle, la pomme de terre Amflora, dont les débouchés sont en tout premier lieu papetiers, ne constituera pas une réponse aux difficultés économiques traversées par la filière féculière (…)  ni la filière féculière ni l’industrie papetière, qui paraissent se satisfaire des amidons actuellement disponibles, n’envisagent d’utiliser Amflora » .

En clair : l’industrie papetière, qui pourrait être la seule intéressée par la patate magique ( super-productrice d’amidon) ne veut pas d’AMFLORA !

Alors pourquoi l’Union européenne l’a-t-elle autorisée, alors que son innocuité, revendiquée haut et fort par BASF, fait l’objet de controverses scientifiques, auxquelles un certain nombre de gouvernements européens ont été sensibles. L’avis du HCB rappelle, en effet, que le 16 juillet 2007, puis le 18 février 2008, le Conseil des ministres européens n’a pas pu statuer sur l’autorisation de mise en culture de Amflora, « aucune majorité qualifiée n’ayant été réunie entre les Etats membres ».

L’inquiétude concerne le gène nptII, un gène marqueur de la patate OGM, qui confère une résistance à un antibiotique largement utilisé,   la kanamycine. Dans mon livre Le monde selon Monsanto, j’ai longuement expliqué à quoi servent les gènes de résistance aux antibiotiques dans les OGM. Je rappelle , en quelques mots, que la majorité des OGM sont « fabriqués » grâce à un canon à gènes, qui bombarde de petites boules d’or , sur lesquelles a été accroché le gène dit « d’intérêt », sur des cellules de la plante que l’on cherche à modifier génétiquement. Le problème, c’est que, complètement aléatoire,  le processus se fait à l’aveugle et qu’en moyenne une cellule sur mille « attrape » le fameux gène. Comment savoir quelles sont les cellules qui ont « attrapé » le gène ?

La seule solution qu’ont trouvée les apprentis sorciers, c’est d’adjoindre à la construction génétique ce qu’ils appellent un « marqueur de sélection », en l’occurrence un gène de résistance aux antibiotiques (généralement la kanamycine) .  Pour déterminer quelles cellules ont « attrapé » le gène (pour pouvoir ensuiteles multiplier) , on arrose les cellules d’une solution antibiotique, les « élues » étant celles qui survivent à ce traitement de choc, ce qui  suscite de nombreuses  inquiétudes sanitaires : à l’heure où la résistance aux antibiotiques est en passe de devenir un grave problème de santé publique, certains « Cassandre » craignent que le « marqueur de sélection » soit absorbé par les bactéries qui peuplent la flore intestinale des humains réduisant la capacité de lutter contre les agents infectieux.

Le plus curieux dans l’affaire d’AMFLORA c’est que l’EFSA, elle-même, partageait cette inquiétude, puisque dans un texte de 2001, elle recommandait de ne pas accorder d’ autorisations européenne aux OGM contenant les fameux marqueurs. Malgré tout, par trois fois, comme le souligne le  HCB, l’Autorité européenne a rendu un avis favorable à AMFLORA…

Notons, au passage, les conclusions peu convaincantes du Haut Conseil des Biotechnologies qui, commentant les études toxicologiques fournies par BASF ,  écrit dans son avis :

« Aucun effet négatif sur la santé humaine et animale n’a été détecté dans les études de toxicité et d’allergénicité de la protéine NPTII isolée, ni dans les études de toxicité, d’allergénicité et d’alimentarité de la pomme de terre entière EH92-527-1 ou d’un produit dérivé (pulpe).

Toutefois, ces études ne comportent pas de données sur la puissance des tests mis en œuvre, si bien qu’il est impossible d’évaluer le risque qu’un effet biologiquement significatif ne soit pas détecté avec les protocoles adoptés ».

Pas vraiment rassurant…

En attendant, ainsi que le rappelle Le Monde, dans un article intitulé « OGM : le Gers dépose un recours contre Bruxelles », paru le 20 septembre :

« En mai, la Hongrie a attaqué la décision de la Commission, au mois de mars, d’autoriser la pomme de terre transgénique Amflora, développée par la firme BASF. Début septembre, l’Autriche a notifié à la CJUE qu’elle se joignait à la plainte hongroise, et le Luxembourg a fait de même le 15 septembre. Un épisode de contamination d’une culture de cet OGM par une autre pomme de terre transgénique, non autorisée celle-là, révélé en Suède le 4 septembre, a sans doute encouragé cette démarche ».

Tout indique que la pomme de terre transgénique n’aurait jamais été autorisée si le « lobby OGM » n’était pas « infiltré à la tête de la sécurité alimentaire » (EFSA), pour reprendre le titre de l’article de Libération, paru hier.

Devant ces dysfonctionnements manifestes des institutions européennes, j’appelle les internautes à signer la pétition mise en ligne par Greenpeace. et le réseau Internet Avaaz.org « dans le but de réunir un million de signatures en faveur d’un moratoire sur les OGM en Europe, ce qui obligerait la Commission, selon un article du traité de Lisbonne, à lancer une initiative législative sur le sujet. Les associations affirment avoir déjà réuni 869 000 signatures » (Le Monde du 20/9/2010).

http://greenpeace.fr/ogmjenveuxpas/zappons-les-ogm/

OGM, conflits d’intérêts et instances européennes

1) le pantouflage des dirigeants européens

Au moment où j’écris mon chapitre sur les « conflits d’intérêts » dans mon  nouveau livre  Notre poison quotidien , qui sortira avec mon film éponyme, en février prochain sur ARTE, je tombe sur cet article très bien documenté de L’observatoire de l’Europe. Il concerne le « pantouflage » , largement répandu, des Commissaires de l’Union européenne, qui n’hésitent pas à monnayer leur expérience au sein des institution européennes, en rejoignant les entreprises du secteur privé dont ils étaient censés réguler les activités, au service du bien public et des citoyens européens.

Pour que les choses soient bien claires , je rappelle ce qu’est un « conflit d’intérêts », qui rime bien souvent avec « corruption » et « prise illégale d’intérêts » – activités délictueuses sanctionnées par le code pénal – en donnant deux définitions officielles, l’une émanant du Conseil de l’Europe, l’autre du Service central de prévention de la corruption :

« Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. L’intérêt personnel de l’agent public englobe tout avantage pour lui-même ou elle-même ou en faveur de sa famille, de parents, d’amis ou de personnes proches, ou de personnes ou organisations avec lesquelles il ou elle a ou a eu des relations d’affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l’agent public est assujetti. »
(Conseil de l’Europe, Recommandation n° R (2000)10 du Comité des ministres sur les codes de conduite pour les agents publics, 11 mai 2000)

« Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle une personne employée par un organisme public ou privé possède, à titre privé, des intérêts qui pourraient influer ou paraître influer sur la manière dont elle s’acquitte de ses fonctions et des responsabilités qui lui ont été confiées par cet organisme ».
(Service central de prévention de la corruption, Rapport 2004).

Les conflits d’intérêts sont un enjeu majeur de nos démocraties, car il gangrène les institutions dont la mission est de protéger les intérêts des citoyens contre les intérêts privés, mais aussi la recherche scientifique, en polluant la littérature scientifique avec des études manipulées et biaisées ( je reviendrai longuement sur ce point dans mon livre et film Le poison quotidien, avec nombre d’exemples à la clé).

Je commence, aujourd’hui, une série d’articles, intitulée « OGM, conflits d’intérêts et instances européennes », dont le premier est basé sur l’article de l’Observatoire de  l’Europe que je mets en ligne  (ci dessous).

Les articles suivants concerneront la pomme de terre transgénique AMFLORA de BASF et les drôles de décision prises par le commissaire européen  John Dalli, en charge de la santé et de la protection des consommateurs, qui a annoncé une « réforme du processus d’autorisation des organismes génétiquement modifiés », laquelle fait l’affaire de Monsanto et Consorts, mais pas celle des consommateurs qu’il est pourtant censé protéger.

http://www.observatoiredeleurope.com/Conflit-d-interets-le-pantouflage-massif-des-anciens-commissaires_a1459.html

Bruxelles, ce n’est pas nouveau, est la capitale mondiale du lobbying : la Commission européenne estime à 15.000 le nombre de lobbyistes qui arpentent la ville, au service des 2.800 grandes entreprises, agences spécialisées ou autres cabinets de « consulting » (à Washington, ils ne sont « que » 12.000). Plus grave : les anciens dirigeants européens sont de plus en plus nombreux, une fois leur mandat terminé, à se faire embaucher en tant que conseillers pour des intérêts privés. Une façon très lucrative de monnayer son réseau et son expérience. Ce qui demeurait une pratique encore exceptionnelle il y a quelques années, semble devenir la règle.

Des treize commissaires européens qui ont quitté la Commission en février 2010, six ont déjà rejoint le secteur privé ! Un « pantouflage » massif… L’Irlandais Charlie McCreevy, ex-commissaire au Marché intérieur et Services, pointe désormais chez la compagnie aérienne Ryanair. Celle-ci le considère probablement comme le conseiller idéal pour contrer les plaintes des autres compagnies aériennes européennes, échaudées par les financements publics dont profite leur concurrent low-cost [1]. Charlie McCreevy, qui a décidément du temps à revendre, aurait également rejoint le Conseil d’administration de la banque londonienne NBNK Investments PLC [2] alors qu’il était l’un des principaux responsables… de la régulation bancaire au sein de la première Commission Barroso (2004-2009). Régulation bancaire qui a été – comme chacun sait – d’une redoutable efficacité.

Conseiller les banquiers plutôt que les consommateurs


La Bulgare Meglena Kouneva, ex-commissaire à la protection des consommateurs et ex-députée centriste, a rejoint BNP Paribas. Vu les pratiques des banques à l’égard de ces mêmes consommateurs (entente illégale, absence de transparence sur la nature des frais payés par les clients…), l’ancienne commissaire devrait très vite se rendre indispensable. D’autant qu’à Bruxelles, elle a élaboré la « directive Crédit » sur les prêts à la consommation, supprimant plusieurs protections pour les emprunteurs. BNP-Paribas justifie son choix par la récente « campagne de féminisation du personnel dirigeant de la banque et son orientation de plus en plus internationale ». Le CV de commissaire européen de Meglena Kouneva n’est bien sûr pas entré en ligne de compte.

L’ancienne commissaire autrichienne Benita Ferrero-Waldner (conservatrice) vient d’emménager au Conseil de surveillance du champion allemand de la réassurance, Munich Re. Coïncidence : en tant que commissaire, elle s’était impliquée en faveur du projet « Desertec », un plan d’approvisionnement électrique de l’Europe par un réseau de centrales solaires en Afrique du Nord… dont Munich Re est l’un des acteurs principaux.

Un pantoufleur de première classe : Günter Verheugen


Mais le cas le plus emblématique est celui du social-démocrate allemand Günter Verheugen. Il est l’un des commissaires européens les plus puissants de ces dix dernières années. En tant que vice-président et commissaire aux entreprises et à l’industrie (de 2004 à 2010), Günter Verheugen est critiqué pour son favoritisme à l’égard des intérêts des grandes entreprises, aux dépens des préoccupations sociales et environnementales. Il vient de franchir une étape supplémentaire en créant, seulement deux mois après la fin de son mandat, sa propre entreprise de relations publiques. Avec son ancienne collaboratrice et directrice de cabinet, Petra Erler, il fonde en avril un cabinet de conseil en lobbying, « European Experience Company ».

La lecture du catalogue de l’agence de Verheugen laisse songeur. Officiellement, ses activités n’ont rien à voir avec le lobbying, comme l’indique le site de sa société. Pourtant, l’agence propose d’aider « les hauts dirigeants des institutions publiques et privées et des entreprises » dans leurs actions de lobbying à destination de l’Union européenne, via des « séminaires intensifs de management pour les institutions et les entreprises en coopération avec des experts des institutions européennes ». La « company » facture également ses « recommandations stratégiques dans le domaine de la politique de l’Union européenne et d’autres questions politiques » et vend un « soutien aux efforts de relations publiques dans les affaires européennes (discours, événements médiatiques, publications) ». Une belle brochette de services qu’une députée européenne allemande, Inge Gräßle (CDU), résume ainsi : « Toute personne ayant de l’argent peut acheter l’accès de Verheugen aux institutions européenne ». On nomme cela un mercenaire, non ?

Mensonge par omission


Comment expliquer que les institutions européennes n’encadrent pas ce genre de transferts ? Normalement, les anciens commissaires sont censés informer Bruxelles de leurs activités futures, afin de s’assurer que celles-ci ne soient pas source de conflit d’intérêt. Verheugen a omis de le faire. En avril, la Commission lui demande explicitement de la mettre au courant des « différentes activités qu’[il pouvait] envisager dans l’année ». Il y répond en envoyant des informations sur ses quatre nouveaux employeurs. À savoir : la Banque Royale d’Écosse (Royal Bank of Scotland), l’agence de lobbying Fleischman-Hillard, l’organisation bancaire allemande BVR, et l’Union turque des chambres de commerce et des bourses (Turkish Union of Chambers and Commodity Exchanges).

Le comité d’éthique de la Commission européenne [3] s’est donc penché sur le cas Verheugen. Sans surprise, il n’y trouve rien à redire. Précisons que ce comité n’a jamais fait preuve d’un grand zèle. Il accorde systématiquement des exemptions aux anciens commissaires qui, officiellement, doivent pourtant observer une période d’un an avant de revêtir leur costume de lobbyistes. Les trois ex-collègues de Verheugen ont d’ailleurs obtenu le feu vert du comité pour aller conseiller les secteurs qu’ils étaient censés encadrer à la Commission. Le fonctionnaire allemand est donc autorisé à exercer ses quelques « extras »… Sans aucune mention de son « European Experience Compagny » d’où provient pourtant son fax de réponse à la Commission.

Cyber action contre la corruption


Le « code de conduite des commissaires » ne mentionne même pas la notion de conflit d’intérêt. Le comité d’éthique est seulement chargé d’évaluer si la nouvelle activité est bien « compatible avec le Traité de l’Union européenne ». Reste que Günter Verheugen a menti par omission en ne transmettant pas au comité d’éthique sa véritable nouvelle fonction [4]. Il ne risque cependant pas grand chose : aucune sanction n’est prévue contre celles et ceux qui dérogent à la règle.

Le réseau associatif Alter-EU et l’ONG Transparency International demandent une révision de ce « code de conduite » pour préciser ce que l’on attend des commissaires et rendre plus transparent le travail du comité d’éthique. Et proposent d’interdire pendant trois ans toute reconversion d’anciens commissaires dans le lobbying (aux États-Unis, cette interdiction est de deux ans pour les anciens sénateurs et d’un an pour les membres du Congrès). Cette recommandation figure également dans une étude diligentée par le Parlement européen en 2008. C’est l’un des engagements pris par José Manuel Barroso au début de son second mandat. « Le Président et l’ensemble de la Commission sont parfaitement conscients de leurs responsabilités et promeuvent l’intérêt général au sein de l’Union européenne sans n’autoriser aucune pression extérieure ou intérêt personnel afin d’exercer une influence indue sur le processus de prise de décision », assurait la Commission, en février 2010.

Le réseau Alter EU vient de lancer, ce 22 septembre, une cyber action contre le laxisme de la Commission face à l’affaire Verheugen.

Gildas Jossec (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs)
Frédéric Lemaire (Commission Europe d’Attac)

[1] Les autres compagnies européennes, Air France notamment, dénoncent les subventions régionales perçues par Ryanair qui s’installe sur les petits aéroports en périphérie des grandes villes.
[2] Selon les informations du Sunday Independent du 19 septembre
[3] La Commission ad hoc du Comité d’éthique est présidée par un ancien haut fonctionnaire européen, le français Michel Petite, qui pantoufla lui-même en 2008.
[4] L’entreprise le présente comme « non-executive managing director », sa collaboratrice Petra Erler étant « executive managing director », ce qui leur permet de déclarer tranquillement que Günter Verheugen n’est pas salarié de l’entreprise qu’il a fondée. Il n’y aurait donc pas de conflit d’intérêt… ça c’est de la dialectique !!!

Agenda septembre 2010

En pleine écriture de mon prochain livre « Notre poison quotidien« , j’ai dû refuser  les nombreuses sollicitations pour participer à des projections ou débats en France, mais aussi au Brésil et en Espagne.

J’informe, cependant, les internautes vivant en Poitou Charentes que le « collectif Marie-Monique Robin » organise un festival, ce week end, à Parthenay, dans les Deux Sèvres, à quelques kilomètres de la ferme de mes parents:

http://www.eco-festival-ca-marche.fr

Je ne pourrai malheureusement pas y participer, car je dois encore rester rivée à mon ordinateur pendant quatre mois, date de la remise de mon manuscrit.

En revanche, je ferai deux courtes escapades à la Fête de l’Humanité où je serai au village du livre, samedi et dimanche après-midi.

Par , ailleurs je participerai au colloque « Une autre agriculture pour la biodiversité« , organisé à l’Assemblée nationale, par l’association Agir pour l’environnement et le Réseau semences paysannes, le 23 septembre 2010. Il est toute fois possible qu’en raison de la grève nationale contre la réforme des retraites, annoncée ce jour-là, le colloque soit repoussé à une date ultérieure. Je vous tiendrai informés, car le colloque est ouvert au public.

(Pour lire les textes, il suffit de cliquer dans les images)

Enfin, en avant première (!), je mets en ligne le making off de l’un de mes tournages pour mon prochain film « Notre poison quotidien« .

La séquence a été tournée par Marc Duployer, l’ingénieur du son, qui travaille avec moi depuis de nombreuses années, dans un studio de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), qui a produit mon documentaire.

Le matin de ce tournage, j’étais allée dans un supermarché tout proche faire mes emplettes! J’avais rempli mon chariot de fruits et légumes, plats préparés, boissons gazeuses, produits d’épicerie, et autres conserves. Minutieusement, ensuite, j’ai traqué pendant plusieurs mois les différents produits chimiques qui les contaminent, en vérifiant comment ils avaient été évalués et quels risques ils pouvaient comporter pour la santé…


Les 100 photos du 21ème siècle bientôt en librairie

Je suis heureuse de vous informer que mon livre « Les 100 photos du XXIème siècle« , édité par les Editions de La Martinière,  sortira en librairie fin octobre. Réalisé avec le sociologue David Charrasse, ce livre raconte l’histoire des cent photos qui ont marqué la première décennie du début de siècle.

Il s’inscrit dans la continuité de la série télévisée que j’avais dirigée pour ARTE, avec l’agence CAPA, et du livre éponyme qui fut un  succès de librairie international et constitue un ouvrage de référence pour l’histoire de la photographie, et notamment du photojournalisme:

Je copie ici le texte de l’avant-propos:

Quel chambardement ! Depuis la diffusion de ma série « Les 100 photos du siècle » sur ARTE et la publication du livre éponyme, il y a un peu plus de dix ans, le monde de la photographie a connu de profonds bouleversements. Au point qu’au moment de prolonger l’essai, ma première difficulté fut de déterminer ce qu’est, aujourd’hui, une « photographie ». Jusqu’à la fin des années 1990, la réponse était simple : il s’agissait d’une image, captée à partir d’un appareil photographique et reproduite sur un support papier.  Pour choisir les cent photos qui avaient marqué le XXème siècle, j’avais donc consulté les journaux et les magazines internationaux, les livres d’histoire, ainsi que les collections d’affiches et de cartes postales. Au final, l’écrasante majorité des images que j’avais retenues  étaient signées par des professionnels dûment identifiés, des « photojournalistes », dont le métier faisait rêver, car il était synonyme de voyage et de  courage.

Mais l’avènement du numérique a changé la donne. D’abord, parce que les images qui incarnent la première décennie du XXIème siècle ne sont pas toutes – loin s’en faut – des « photographies ». Nombre d’entre elles n’ont pas été prises sur des appareils photographiques, mais sur des téléphones portables ou sur des caméscopes, par des amateurs, dont on ignore bien souvent l’identité. Les écarter était impossible : qui niera que le cliché de Saddam Hussein, la corde autour du cou, marque à jamais notre mémoire collective ? D’autre part, si certaines ont fini par être publiées sur papier, ces images doivent leur célébrité à leur diffusion sur Internet, qui est devenu le support privilégié, y compris pour les photographies professionnelles. En l’absence de recul, que seul le temps peut donner, la difficulté consistait à faire un choix dans cette profusion.  Deux critères ont guidé ma sélection : l’importance de l’événement représenté et la qualité du cliché. Et clairement les images de qualité sont celles prises par les professionnels.

« Aujourd’hui n’importe qui peut prendre des images, mais n’importe qui n’est pas photoreporter », souligne à juste titre John Moore, photographe à l’agence Getty. Et c’est là mon deuxième constat : si le numérique a entraîné une indéniable démocratisation de la production des images, il s’est aussi accompagné d’un affaiblissement de leur statut. Autrefois considérée comme une preuve, voire une pièce à conviction, garantie par l’éthique du photojournaliste, l’image suscite aujourd’hui le doute. Soit parce qu’elle peut être manipulée par l’outil de photoshop, le pendant indissociable du numérique. Soit parce que, n’ayant pas d’auteur revendiqué, bien souvent  elle sert la propagande, extrêmement présente dans ce livre.

Dernier constat, et c’est une bonne nouvelle : si les grandes photos du XXème siècle avaient été produites (presque) exclusivement par des photographes occidentaux, à l’aube du troisième millénaire ce n’est plus le cas. Les nouvelles technologies ont sorti de l’anonymat des professionnels talentueux d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud. Comme Naaman Omar, en Palestine, ou Luiz Vasconcelos, en Amazonie, ils se sont fait leur place dans le monde très compétitif du photojournalisme.

« L’arrivée du numérique constitue un changement aussi  important que la révolution industrielle. Si on arrive à s’adapter, cela ouvre beaucoup d’opportunités », résume Marcus Bleasdale, photographe depuis douze ans. Raconter l’histoire des cent photos qui incarnent la première décennie du XXIème siècle, c’est aussi raconter celle de ce grand chambardement, en donnant la parole à tous ceux et celles qui défendent leur métier bec et ongles. Pour réaliser ce livre, je les ai tous contactés aux quatre coins de la planète. Et je leur rends résolument hommage, car plus que jamais le photojournalisme est indispensable. À l’heure de la surabondance d’images, il reste l’un des garants de la vitalité de nos démocraties.

Marie-Monique Robin

L’omelette, les oeufs et Albert Londres (2)

Ah le cher « Anton » ! Sa naïveté prêterait à sourire si elle n’était feinte pour mieux servir son objectif : me discréditer, afin de discréditer mon film et livre « Le monde selon Monsanto » et ceux qui suivront . Je note que ce défenseur invétéré des OGM est aussi un spécialiste du trafic d’organes ( !) et que curieusement il a accès au dossier confectionné sur mon film « Voleurs d’organes » par un certain Todd Leventhal, qui officiait alors à l’USIA, une agence de propagande américaine, considérée comme la « face propre » de la CIA.

Le problème c’est que ce dossier, qui date de 1995, n’est pas disponible sur Internet. Comment se l’est-il procuré ? Mystère. J’invite les internautes à lire mon post sur l’histoire trouble de l’UISA sur mon ancien Blog, consacré au « Monde selon Monsanto » (rubrique « réponse à la désinformation »), ou, mieux, à lire le livre que j’ai rédigé sur cette affaire digne d’un vrai polar.

« Anton » croit-il vraiment que  par deux fois, les juges de la 17 ème chambre de Paris, et ceux du tribunal de Versailles auraient condamné ceux qui prétendaient que l’affaire du petit Jaison était un « mensonge », s’ils n’estimaient  pas, au contraire,   qu’elle était malheureusement vraie ? Franchement, soyons sérieux !

Je rappelle que dans mon film « Voleurs d’organes » ou sa version raccourcie « Voleurs d’yeux », je présente  l’histoire du petit Jaison que j’ai rencontré dans un institut pour enfants aveugles (et pauvres) de Bogota. Alertée par le récit incohérent de la directrice de l’institution sur les origines de sa cécité (elle n’a pas voulu me montrer le dossier et a affirmé qu’il « était né aveugle »), j’ai retrouvé la mère de l’enfant, qui m’a expliqué que son fils avait été hospitalisé tout petit pour une diarrhée aigue, et qu’elle l’avait récupéré , les yeux bandés. Lors d’une consultation dans un autre hôpital, un médecin lui avait dit que « l’enfant allant mourir, les cornées lui avaient été prélevées ».

D’abord diffusé sur Planète, le film n’avait provoqué aucune réaction, jusqu’à ce qu’il fasse le tour du monde, soit présenté aux Nations Unis, et remporte sept prix internationaux, dont le Prix Albert Londres.

C’est là qu’est intervenu Todd Leventhal , que j’avais interviewé dans son bureau de l’USIA, lors de mon tournage. Il avait essayé de me convaincre que le trafic d’organes est une « légende urbaine » inventée par le KGB pour discréditer les Etats Unis ! Je rappelle que cette interview avait eu lieu en 1993 et que l’Union soviétique n’existait plus!! Plus tard, dérangé par le succès international de mon film « Voleurs d’organes », l’agent secret insinuera qu’en tant que journaliste spécialiste de Cuba, je travaillais très certainement pour ledit KGB!  Devant l’incrédulité de ses interlocuteurs, il changera de « forgery » (intoxe), en insinuant que j’avais payé la mère du petit Jaison pour obtenir un faux témoignage, provoquant la même incrédulité, comme je le raconte en détails dans mon livre.

N’hésitant pas à se déplacer à Paris, pour rencontrer Henri Amouroux, alors président du jury Albert Londres, à Strasbourg et à Genève, pour me dénigrer, il avait provoqué la suspension de mon prix,

Après une enquête de six mois, le prix me fut maintenu, le 20 mars 1996,  le jury soulignant qu’il « n’avait décelé aucune intention frauduleuse chez la réalisatrice, même si son reportage n’apporte pas les preuves irréfutables de ce qu’elle avance dans le cas précis de l’enfant Jaison Cruz Vargas ».

Le jury, qui me lavait du soupçon infâmant de bidonnage, ne pouvait, cependant, pas écrire autre chose : dans l’affaire du petit Jaison ( qui ne représente que cinq minutes sur un documentaire de 57 minutes), j’ai toujours su qu’il n’y aurait jamais de preuves irréfutables du crime que dénonçait sa mère, tout simplement parce que cette femme démunie d’un bidonville n’avait pas eu les moyens d’intenter un procès au moment des faits (dix ans plus tôt) et que sa parole ne faisait pas le poids face au puissant lobby des mandarins etau service de propagande des Etats Unis.

De fait, elle subit des pressions monstrueuses, d’abord pour se rétracter, puis pour accepter que son fils soit examiné par des médecins à Paris.

Le voyage fut organisé, en août 1995, par la clinique du Pr. José Barraquer, haut lieu des greffes de cornées internationales à Bogota, et le gouvernement colombien, alors dénoncé par Amnesty International pour son inertie face aux nombreuses violations de droits de l’homme commises dans le pays.

Le 18 septembre 1995, Me Pernet, l’avocat de l’ambassade de Colombie, rendait public le rapport du trio de médecins censé avoir examiné Jaison. Mais comme le révèle ledit rapport, il n’y eut jamais d’ « examen », mais la seule interprétation d’un dossier médical fourni par la clinique Barraquer…

En fait, l’examen était impossible, car, comme le souligneront des médecins courageux qui ont publié un contre-rapport, il avait été posé des prothèses oculaires à Jaison, peu avant son voyage à Paris, ce qui avait nécessité de « nettoyer ses cavités oculaires » rendant impossible tout examen…

En attendant, j’ai attaqué en diffamation Me Pernet ainsi que José Mackenzie, un journaliste colombien, qui m’avaient accusé de « bidonnage ».
Pour leur défense, ils ont produit le fameux rapport, qui ne leur fut pas d’un grand secours, puisqu’ils ont été  tous les deux condamnés pour diffamation. Au même moment, le Pr. Barraquer était débouté de l’action qu’il avait intentée contre moi et mon producteur, l’agence CAPA,  pour « préjudice commercial » (sic) , il a poursuivi jusqu’en cassation, mais en vain…

Dans son jugement du 11 janvier 1996, publié dans trois journaux dont Le Monde, le tribunal d’instance de Versailles condamne Me Pernet à me verser un franc symbolique pour diffamation, en constatant la « mauvaise foi » de l’avocat (qui m’avait diffamée dans une réunion publique à Versailles à laquelle était présent le Pr. Barraquer, venu spécialement de Bogota!) et le déclare « irrecevable à rapporter la preuve de la vérité des faits », alors même que l’avocat a produit , pour sa défense, la pseudo expertise réalisée sur l’enfant par trois médecins français, à la demande de l’ambassade de Colombie et du Pr. Barraquer. Cette « expertise », dont l’opacité n’a pas échappé au tribunal, a été contestée par un groupe de huit médecins, dont le Dr. Pham Chau, un chirurgien, expert auprès des tribunaux, ayant fait une spécialisation en « ophtalmologie médico-légale », et le Dr. Georges lagier, professeur à l’Université de Paris-VII, qui, dans leur rapport, concluent:

« Le rapport du professeur G. Renard est critiquable dans la forme comme dans le fond. Douze ans après les événements, il est hasardeux d’avancer une conclusion ophtalmologique définitive et tranchée, lors même que différentes hypothèses restent recevables. Si la vérité peut éclater au travers d’une expertise officielle, encore faudrait-il que cette dernière soit conduite sous conditions parfaitement contradictoires par désignation des représentants médicaux respectifs des parties en cause et sous vérification préalable de l’authenticité des éléments du dossier médical fourni« .

Dans son jugement de janvier 1996, le tribunal de grande instance de Paris déboute Barraquer de son action en diffamation en disant dans ses attendus:

« le trafic d’organes est une réalité reconnue par les instances internationales et le milieu médical français »… « Mme Robin disposait d’éléments sérieux pour suspecter la régularité des pratiques en Colombie » … « en refusant de recevoir les reporters, les responsables de la clinique ont favorisé des soupçons qu’ils auraient pu lever en faisant connaître leurs activités » .

J’ajoute qu’après cette affaire qui a bouleversé ma vie, je n’ai pas pu retourner en Colombie pendant dix ans, car , comme l’a expliqué un représentant du Quai d’Orsay  à Hervé Chabalier, le patron de l’agence CAPA, des « contrats » avaient été placés sur ma tête, ce qui prouve que j’avais mis le doigt sur un sujet hautement dérangeant…

Faire de l’investigation c’est révéler des choses que certains aimeraient maintenir cachées, et c’est donc forcément déranger. On risque des coups, et dans certains pays, on risque même la mort , – comme en Colombie où en 1988 j’avais réalisé un reportage pour le magazine Résistances sur les 26 journalistes assassinés au cours des trois années précédentes. Au printemps 1994, au moment où Voleurs d’organes était diffusé dans le monde entier et y compris aux Nations Unies, Amnesty International publiait un rapport spécial sur les violations des droits de l’homme en Colombie , où les responsabilités gouvernementales étaient clairement stigmatisées : pendant les quatre ans de la présidence de César Gaviria (1990-1994), 14 856 personnes avaient été assassinées, torturées ou portées disparues, et 5034 arrêtées pour des raisons politiques. Relayées par les médias nationaux, les autorités de Bogota menaient une véritable campagne contre l’organisation des droits de l’homme , qui, de guerre lasse, avait publié un sévère rappel à l’ordre, le 28 mai 1994 : « Exhortation au gouvernement colombien pour qu’il fasse passer le respect des droits de l’homme avant son image internationale ».

Voleurs d’organes
dérangeait aussi l’USIA, dont la mission est de défendre l’image des Etats Unis, par ce que les statuts de l’agence appelle la « white propaganda » , la « propagande blanche » (censée être plus propre que la « black propaganda », la « propagande noire » – de la CIA) car je révélais les trafics d’êtres humains à la frontière mexicaine, et notamment à Tijuana, où les cliniques illégales spécialisées dans la greffe de reins pullulaient, avec la complicité tacite des pouvoirs publics .

Voleurs d’organes dérangeait, enfin, les mandarins, plus prompts à défendre leur image, coûte que coûte, plutôt que de dénoncer les brebis galeuses en leur sein. Avec en tête, le Pr. Barraquer, le « pape de l’ophtalmologie » qui avait reconnu devant la 17 ème chambre de Paris, que 30 % de l’activité de sa clinique concernait le « tourisme médical », à savoir des clients étrangers qui venaient notamment se faire greffer des cornées à Bogota.

À noter que, dans cette coalition du silence, l’Argentine faisait exception puisque que c’était le ministre de la santé qui avait confié à un juge, Victor Heredia, une instruction sur un vaste trafic d’organes opéré sur des malades mentaux d’un hôpital psychiatrique public, où j’avais pu filmer.

Je me souviens qu’au plus fort de la tourmente, j’avais relu le livre de Pierre Assouline Albert Londres, Vie et mort d’un grand reporter, où il citait ce mot de l’homme au chapeau noir, qui s’est attaqué à tous les tabous de son temps – le bagne de Cayenne, la traite des blanches, des noirs, les hôpitaux psychiatriques, les trafics de drogues et d’armes :
« J’ai voulu descendre dans les fosses où la société se débarrasse de ce qui la menace ou ce qu’elle ne peut nourrir. Regarder ce que personne ne veut plus regarder. Juger la chose jugée ».

Et Assouline d’ajouter :

« Persuadé que ses reportages sont un coup de pouce donné aux événements afin que les hommes souffrent moins, Albert Londres prête sa voix à ceux qui n’en ont pas (…) Il se sent plus proche, solidaire et complice, des héros et marginaux que des pouvoirs et notables. Les officiels, il les expédie en quelques paragraphes sur un air d’enterrement »….

Albert Londres qui définissait ainsi le métier de journaliste:

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, c’est de mettre la plume dans la plaie ».

S’il avait vécu aujourd’hui, Albert Londres aurait très certainement porté sa plume dans l’univers des marchands de corps humains mais aussi dans celui des manipulateurs du génie génétique, ou les empoisonneur industriel, considérant que les citoyens ont le droit d’être informés sur la manière dont les produits issus de l’activité scientifique sont mis sur le marché, surtout lorsqu’ils engagent la société tout entière, au risque de se faire quelques nouveaux ennemis acharnés…

L’omelette, les oeufs et Albert Londres

Il est intéressant de noter la fureur que déclenche mon post sur la « tarte aux cerises industrielle » ! J’ai obtenu ainsi la vérification que je cherchais : quelle que soit la teneur de ce que j’écris, mes détracteurs personnels (quel honneur !) comme « La coupe est pleine », qui manifestement complète ses revenus de céréalier par une activité de lobbyste au moins à mi temps (il intervient sur ce Blog à n’importe quelle heure du jour et de la nuit depuis sa ferme du sud-ouest !) et autres « Anton » et « Aatea » se ruent sur mes textes, pour les détourner, ridiculiser, en ressassant toujours les mêmes arguments.

Les internautes ne s’y sont pas trompés qui m’ont adressé de nombreux messages de soutien, écoeurés par les propos injurieux systématiques de ces pollueurs de Blog qui se cachent derrière un bien confortable pseudo.Cela donne une bien mauvaise image de ceux qui prétendent précisément redorer le blason de l’industrie chimique, preuve s’il en était besoin qu’ils se bien mal équipés, dès qu’il s’agit de participer à un débat sérieux et serein.

En attendant, alors que je suis concentrée sur l’écriture de mon prochain livre, je prends quelque plaisir à les voir se démener sur l’origine de la recette de la tarte à la cerise ( !) , en brandissant tour à tour, des arguments chocs, du genre :

– vous ne savez même pas ce que sont les composés chimiques dont vous parlez, car vous n’avez même pas de bac scientifique. Na ! On se croirait sur une cour de récréation ! Et pas de chance : j’ai obtenu un Bac C, à dix-sept ans, et avec mention de surcroît ! Quelle mention ? Allez-y cherchez !

– vous utilisez le « recours forcé à l’émotion ». Mieux, face aux tirades sèches et déshumanisées des donneurs de leçon patentés, qui ne voient le monde qu’à travers l’ écran de leur ordinateur et les documents fournis par leurs commanditaires, je revendique l’émotion face à l’injustice et la misère qui déchire le monde que j’ai le privilège d’avoir parcouru du nord au sud.

Lorsque Albert Londres dénonçait les conditions de vie infrahumaines dans le bagne de Cayenne, il alpaguait les députés au Palais Bourbon, avec sa tête et son cœur. Si la « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (suivez mon regard), le journalisme sans cœur s’appelle de la communication ou de la propagande (suivez encore mon regard).

– vous bidonnez et mentez, comme dans « Voleurs d’organes ». C’est l’argument qu’a essayé de vendre à la planète l’agence américaine, United States Information Agency (USIA), comme je l’ai expliqué dans mon livre « Voleurs d’organes. Enquête sur un trafic » et sur le Blog de « Le monde selon Monsanto » (rubrique « réponse à la désinformation »).

Tous ceux qui ont proféré ce mensonge publiquement, comme Me Pernet, l’avocat de l’ambassade de Colombie, ou Eduardo Mackenzie, journaliste colombien, ont été condamnés pour diffamation, la justice m’ayant par trois fois donné raison.  Feu le Professeur Barraquer, qui m’avait poursuivie pour « préjudice commercial » – reconnaissant ainsi qu’il vivait largement des nombreuses greffes de cornées pratiquées sur des patients étrangers – est allé jusqu’en cour de cassation, où il a été débouté.

Voilà pourquoi je suis très heureuse que « Voleurs d’yeux », la version raccourcie de « Voleurs d’organes » ( la partie sur le vol de reins au Mexique a été coupée pour que le film puisse passer sur Zone interdite) soit enfin visible sur un DVD.

Cela fera aussi plaisir à Eric Sottas, président de l’Organisation mondiale contre la torture, (qui dispose d’un statut consultatif permanent à l’ONU), lequel a écrit à propos de Voleurs d’organes :

« Le film de Marie-Monique Robin qui a été présenté dans l’enceinte des Nations Unies (…) a permis aux délégués souhaitant se faire une opinion équilibrée de la question, de disposer d’informations solides démontrant que les inquiétudes des rapporteurs prennent leurs sources dans une série d’événements identifiables et non pas de simples rumeurs, et que les enquêtes et mécanismes de contrôle, qui permettent d’exclure tout trafic en ce domaine, sont des plus fragiles, et sont controversés par des témoignages vérifiables. (…) En conclusion, le film doit être considéré comme un élément important dans la recherche de la vérité et sa diffusion, non seulement comme opportune, mais nécessaire pour éviter que ne soit classé un dossier difficile et très grave, d’une importance fondamentale dans le domaine de la défense des droits de l’homme.»

Voilà ! Je retourne à mes (chères écritures) et dorénavant j’ignorerai les idées fixes de ces non moins chers détracteurs professionnels, car à dire vrai, j’ai mieux à faire !

Fidèle à Albert Londres, qui voulait « mettre la plume dans la plaie« , je sais aussi que quand il est pratiqué comme il devrait l’être, le beau métier de journaliste dérange et provoque quelques fortes inimitiés… Normal: on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs!