J’ai vu que mes détracteurs attitrés, qui manifestement n’ont rien d’autre à faire que de s’acharner sur mon Blog (!), continuent de parler de ce qu’ils ne connaissent pas.
Avant l’arrivée du soja transgénique au Paraguay, les petits paysans n’avaient pas de problèmes avec les épandages d' »herbicides sélectifs », puisqu’ils n’en utilisaient pas eux-mêmes.
C’est précisément la caractéristique de l’agriculture vivrière que de n’avoir que très peu recours aux fameux « intrants » si chers aux agro-industriels, comme Monsanto (normal: c’est de cela qu’ils vivent).
Au Paraguay, l’avènement des cultures transgéniques a exacerbé les conflits agraires, car, appuyés par les multinationales de l’agro-business, avec lesquelles ils marchent main dans la main, les grands producteurs de soja ne reculent devant rien pour étendre leur empire.
Je retranscris ici une partie du chapitre 14 de mon livre, intitulé « Paraguay, Brésil, Argentine: la « république unie du soja ».
Les gros bras du soja et la répression
Contrairement à l’Argentine où l’expansion transgénique rencontre peu de résistance organisée, au Paraguay, les actions collectives contre le soja RR se sont multipliées à partir de 2002.
Regroupées au sein du Front national pour la souveraineté et la vie, les organisations paysannes comme le MAS de Jorge Galeano ou le MCP (Movimiento campesino paraguayo) et les associations de la société civile comme la CONAMURI, à laquelle appartient Petrona Talavera, mènent campagne contre la sojisation (transgénique) du pays.
Il ne se passe pas une semaine sans que soit organisée une manifestation, un blocage de route ou une occupation de terres pour freiner l’« avancée » des OGM de Monsanto.
Face à cette situation, le gouvernement du président Nicanor Duarte a choisi de répondre par la répression et la criminalisation du mouvement anti-soja.
Depuis 2002, des centaines de paysans ont été incarcérés, et une dizaine assassinés. Dans certains cas, la police locale se comporte ouvertement comme une milice armée à la solde des sojeros, n’hésitant pas à tirer à vue sur les opposants.
Comme ce jour de février 2004, où un camion transportant une cinquantaine de paysans venus bloquer la mise en route de mosquitos ( machines d’épandage) dans le département de Caaguazú, fut mitraillé par des fusils M16, provoquant deux morts et dix blessés graves.
Un peu partout dans le pays, avec l’aval du président Duarte, de gros bras armés ont été recrutés pour protéger les engins d’épandage et les grandes propriétés de soja.
Persuadés de leur impunité, certains sojeros renouent avec les techniques éprouvées par la longue dictature de Stroessner, en faisant purement et simplement éliminer les leaders paysans trop encombrants.
C’est ainsi que le 19 septembre 2005, deux policiers ont tenté d’abattre Benito Gavilán, à Mbuyapey, dans le département de Paraguari, en lui tirant une balle dans la tête. Celui-ci a miraculeusement survécu, mais a perdu un œil.
Un peu partout, dans les secteurs qui bordent la « frontière du soja » que les producteurs essayent de déplacer toujours plus vers l’intérieur du pays, sont menées des opérations musclées, visant à déloger par la force les petits producteurs récalcitrants.
Le 3 novembre 2004, dans le département de l’Alto Paraná, 700 policiers ont ainsi été mobilisés pour expulser 2 000 paysans sans terre qui campaient avec leurs familles face aux 65 000 hectares de soja RR récemment acquis par Agropeco, entreprise appartenant à un Paraguayen d’origine allemande et à un investisseur italien.
Le duo avait racheté l’immense domaine au fils du dictateur Stroessner, qui l’avait obtenu grâce à un détournement de la réforme agraire ! Les familles cultivaient une bande de terre longeant la Ruta 6. Lors de l’opération où treize paysans furent incarcérés, les cultures et le campement furent détruits.
Mais le symbole des méthodes dictatoriales qu’entraîne le modèle transgénique, c’est la communauté rurale de Tekojoja, située à soixante-dix kilomètres de Caaguazú, à quelques kilomètres de la « frontière du soja ». Cinquante-six familles y mènent un combat désespéré contre les appétits de deux puissants sojeros d’origine brésilienne, Ademir Opperman, un potentat local, et Adelmar Arcario, qui possède 50 000 hectares au Paraguay et cinq importants silos dans la région.
Le 3 décembre 2004, les deux complices organisent une première tentative d’éviction des familles par la force, en faisant brûler des maisons et détruire vingt hectares de récoltes. Mais, soutenues par le MAS, les familles résistent et réoccupent leurs terres.
Le 24 juin 2005, à cinq heures du matin, cent vingt policiers, appuyés par des miliciens privés recrutés par Opperman, prennent d’assaut la communauté, en présence de deux avocats qui exhibent un ordre d’expulsion signé par un juge.
« C’était de faux titres de propriété acquis illégalement auprès de l’INDERT (Instituto nacional de desarrollo rural y de la tierra), m’explique Jorge Galeano, accouru sur les lieux dès qu’il fut informé de l’opération. La Cour suprême d’Asunción a reconnu l’irrégularité de l’acquisition, en septembre 2006, mais depuis les familles vivent dans une très grande précarité. »
En ce jour de janvier 2007, celles-ci ont quitté leurs tentes en plastique pour se réunir sur le lieu du drame qui a bouleversé leur vie, espérant que mon reportage les protégera d’une nouvelle action violente.
« Ce fut terrible, raconte une vieille dame édentée. Les policiers ont arrêté cent soixante personnes, dont quarante enfants. Nous avons passé plusieurs jours en prison. Quand nous avons été relâchés, nos maisons avaient été brûlées, nos récoltes détruites et nos animaux tués. Et puis, nous avions perdu deux compagnons… »
En silence, les familles se sont rapprochées de deux mausolées fleuris qui s’élèvent au milieu d’une clairière.
« C’est ici qu’ont été assassinés Angel Cristaldo, qui avait tout juste vingt ans, et Leoncio Torres, un père de famille de quarante-neuf ans, qui essayaient de barrer la route aux bulldozers, explique Jorge Galeano. La police a d’abord voulu faire croire qu’ils étaient morts lors d’un affrontement entre forces de l’ordre et paysans armés, mais nous avons la preuve qu’il s’agit bien de meurtres. »
De fait, le jour de l’assaut, un anthropologue canadien, Kregg Hetherington, qui enquêtait dans la communauté de Tekojoja, a été témoin de toute l’opération et pris des photos.
Sur les clichés, dont Jorge m’a remis une copie, on voit les policiers en uniforme qui encadrent les camions, chargés du mobilier que les hommes d’Opperman ont pillé dans les modestes baraques en planches, avant que celles-ci ne soient la proie des flammes. Des hommes en armes s’affairent autour des tracteurs qui ravagent les cultures, tandis que des paysans aux mains nues essayent de freiner leur progression. Un homme en T-shirt bleu gît sur le sol, la poitrine ensanglantée. Un autre, également en T-shirt bleu, a le bras explosé. Visages ravagés par la douleur.
« Je portais aussi un T-shirt bleu, murmure Jorge Galeano, les hommes d’Opperman se sont trompés de personne… » Grâce au témoignage de Kregg Hetherington, un mandat d’arrêt a été lancé contre le sojero qui, au moment de ma visite à Tekojoja, était en fuite…
Mais, déjà, il faut repartir, car à une dizaine de kilomètres de là, une autre communauté nous attend qui veut témoigner aussi de son désarroi : celle de Pariri, où survivent tant bien que mal plusieurs centaines de familles, encerclées par les champs d’OGM. Moi qui ai voyagé du nord au sud des Amériques, où les cultures transgéniques prolifèrent, je n’avais jamais vu autant de soja. C’est un océan vert qui occupe le moindre espace jusqu’au parvis en terre battue de la petite église où se sont réunis les habitants de Pariri. Un homme s’approche de Jorge avec son fils d’une dizaine d’années, dont les jambes sont couvertes de brûlures. Pour se rendre à l’école, le petit doit traverser un champ de soja qui vient d’être arrosé de Roundup. Une femme se plaint de migraines persistantes, une autre de vomissements, un homme dit qu’il n’a plus la force de travailler depuis que les épandages ont repris.
« Que pouvons-nous faire ?, interroge un vieil homme. Partir, comme l’ont déjà fait une quarantaine de familles ? Pour faire les poubelles dans un bidonville ? Aidez-nous ! »
Jorge est ému. Je suis en colère. J’allume une cigarette et j’écoute le discours qu’il improvise devant ces hommes et ces femmes qui crèvent pour que les cochons et les poulets de la grande Europe puissent manger du soja, parce que nous ne sommes plus fichus de les nourrir avec des aliments produits localement.
« Ne partez pas !, s’écrie Jorge. Il faut résister au modèle de production transgénique que veulent nous imposer les multinationales comme Monsanto et qui conduit à une agriculture sans agriculteurs. L’agriculture familiale telle que nous la pratiquons fait travailler cinq personnes sur chaque hectare cultivé, tandis que le soja RR n’emploie qu’un ouvrier à temps plein sur vingt-cinq hectares . À terme, l’objectif de Monsanto est de contrôler la production de la nourriture du monde, et c’est pour cela qu’elle veut nous empêcher de pratiquer notre métier. Nous ne voulons pas du modèle transgénique, parce qu’il est criminel : il pollue l’environnement, détruit les ressources naturelles, crée le chômage, la misère, l’insécurité et la violence. Il nous rend dépendants de l’extérieur pour quelque chose d’aussi fondamental que la nourriture : il tue la vie, mais une fois qu’il s’est installé, il est très difficile de revenir en arrière, c’est pourquoi nous devons lutter, pour nous et surtout pour l’avenir de nos enfants… »
Photos: celles prises par Kregg Hetherington lors de l’assaut à Tekojoja.