Monsanto c’est une question de droits de l’homme
(desolee, mais je tape sur un clavier espagnol et je n’ai pas d’accent…)
Me voici donc a Buenos Aires, ou je suis arrivee tard dans la nuit. M ‘attendaient un representant du secretariat des droits de l’homme et le chef de police charge de ma securite.
Curieux telescopage: la derniere fois que je suis venue en Argentine c’etait en avril 2005, lors du tournage de mon reportage (pour Arte Reportage) « Argentine: le soja de la faim » (disponible en DVD notamment sur Amazon). Je raconte cette enquete dans mon livre « Le monde selon Monsanto » ou j’expose la catastrophe sanitaire, environnementale et sociale que represente l’introduction du soja roundup ready au pays de la vache et du lait, en 1997.
A peine arrivee a l’aeroport d’Ezeiza, j’ai ete conduite chez mon ami Horacio Verbitsky, un journaliste et ecrivain tres renomme qui travaille pour le journal Pagina 12, et qui m’offre l’hospitalite jusqu’a mon depart, ce soir, pour Corrientes. Un peu perturbe par les trois voitures de police qui faisaient le planton devant son appartement, conformement aux instructions donnees par le ministere de la justice, il a appele le ministre de l’interieur pour demander que mes gardes du corps soient plus discrets¡¡
Horacio etait deja au courant du buzz qu’a provoque mon enquete sur Monsanto, et je lui ai remis un DVD et un exemplaire de mon livre, ainsi qu’une copie du reportage que j’avais fait il y a trois ans.
» A l’epoque, m’a-t-il dit, je n’avais pas compris l’enjeu que representait le soja de Monsanto pour mon pays, car comme le gouvernement j’etais anesthesie par les consequences de la crise economique de 2000 et la necessite de se procurer des devises. Mais nous commencons a nous reveiller. L’expansion du soja roundup ready est telle qu’elle menace la securite alimentaire du pays: si nous n’y prenons garde, les cultures vivrieres vont disparaitre et nous allons devoir importer des aliments, ce qui est un comble dans un pays qui fut toujours autosuffisant… »
Ce que me decrit Horacio est la confirmation de ce que j’avais decouvert en 2005: encourages par le cours du soja sur le marche international ( que doppe l’engouement pour les biocarburants) des investisseurs etrangers ( dont Monsanto, qui investit dqns ce qu’on appelle des « pools de semis ») proposent des prix exorbitants pour racheter les terres du pays: extenues par les epandages de roundup ( par avion) qui rendent les cultures traditionnelles tres difficiles ( riz, lentilles, ble, etc) ainsi que l’elevage et la production de lait, de nombreux paysans cedent leurs exploitations , contribuant ainsi a l’expansion du « desert vert ».
Parallellement, dans le nord du pays, les memes « investisseurs » acquierent des millions d’hectares, avant d’arracher cette vegetation d’une grande biodiversite, pour semer le soja de Monsanto.
« C’est une catastrophe, m’explique Horacio. Le gouvernement vient de le comprendre. C’est pourquoi, il vient de decider d’augmenter l’impôt preleve sur chaque tonne de soja exporte, pour freiner le processus, provoquant la colere des producteurs de soja. J’ai donc decide de me meler de ce sujet et vais faire un papier sur ton film et livre dans Pagine 12 ».
« Tu sais, dit-je a mon ami, tu presides le CELS, le plus important organisme des droits de l’homme d’Argentine, et Monsanto c’est une question de droits de l’homme… »
Nous parlons alors de ma comparution au tribunal de Corrientes ou sont juges les hommes du general Diaz Bessone que j’avais interviewe pour mon film et livre » Escadrons de la mort: l’ecole francaise » ( tous les deux disponibles sur Amazon).
Horacio me rappelle que c’est precisement l’interview de Diaz Bessone qui a permis l’annulation par la cour suprême des lois d’amnestie et donc la reouverture des proces contre les militaires tortionnaires de la dictature argentine ( 1976-1982).
Dans cette interview, le general Diaz Bessone, qui etait alors libre, en vertu de la grâce qu’avait accordee le president Menem ( qui autorisera les yeux fermes les cultures transgeniques de Monsanto, avant d’etre poursuivi pour corruption) aux chefs et ministres de la junte, expliquait le rôle qu’avait joue l’ « enseignement des militaires francais » dans le deroulement de la guerre sale en Argentine.
Ce faisant, pour la premiere fois , il avait justifie la disparition forcee comme une technique planifiee de la « guerre antisubversive », alors que jusqu’a cette date, les generaux de la junte militaire niait l’existence de disparus dans le pays ( estimes a 30 000).
Cette interview etait passee en boucle sur toutes les radios et televisions argentines, provoquant une » commotion nationale » qui a donc conduit a l’abrogation des gràces presidentielles et des lois d’amnestie.
Aujourdh’ui, le general Diaz Bessone, ainsi que son collegue le general Harguindeguy ( qui lui m’avait explique que la technique des escadrons de la mort initiee en Algerie par le general Aussaresses avait ete reprise par toute l’armee argentine) et le general Bignone ( qui m’avait explique que le modele des putchistes etait la » bataille d’Alger ») sont aux arrêts domiciliaires dans l’attente de leur proces…
Voila pourquoi , en tout cas, je suis actuellement en Argentine…