L’affaire Arpad Pusztai (1)

L’étude à l’origine de l’affaire

J’invite les internautes à consulter un site qui a recensé TOUS les articles parus sur l’affaire Pusztai:

Pour ma part, j’ai passé des jours et des nuits à tout lire, recouper, synthétiser, et je transcris ici ce que j’écris dans mon livre:

EXTRAIT:

« En tant que scientifique qui travaille activement dans ce domaine, je considère qu’il n’est pas juste de prendre les citoyens britanniques pour des cobayes. »

Diffusés le 10 août 1998 dans le magazine World in action de la BBC, ces quelques mots relatifs aux OGM ont ruiné la carrière d’Arpad Pusztai, un biochimiste de renommée internationale qui travailla pendant trente ans (de 1968 à 1998) au Rowett Research Institute d’Aberdeen (Écosse).

« Je crois qu’ils ne me pardonneront jamais d’avoir dit cela, m’explique-t-il quand je le rencontre à son domicile le 21 novembre 2006, avec un sourire malicieux qui illumine son visage de (presque) octogénaire.

« C’est qui “ils” ?, lui demandé-je, en subodorant la réponse.

– Monsanto et tous ceux qui, en Grande-Bretagne, soutiennent les yeux fermés la biotechnologie, me répond le docteur Pusztai. Jamais je n’aurais pensé que je puisse être victime de pratiques qui rappellent celles utilisées par les régimes communistes contre leurs dissidents. »

Les pommes de terre maudites

Fils d’un résistant hongrois à l’occupation nazie, Arpad Pusztai est né à Budapest en 1930. En 1956, alors que les chars soviétiques marchent sur la capitale hongroise, il s’enfuit en Autriche où on lui accorde le statut de réfugié politique. Diplômé de chimie, il obtient une bourse de la Fondation Ford, qui lui propose d’étudier dans le pays de son choix. Il choisit la Grande-Bretagne, qui représente pour lui le « pays de la liberté et de la tolérance ».

Après avoir décroché un doctorat de biochimie à l’université de Londres, il est recruté par le prestigieux Institut Rowett, considéré comme le meilleur laboratoire européen de nutrition.
Le chercheur se spécialise sur les lectines, ces protéines présentes naturellement dans certaines plantes qui ont une fonction insecticide et protègent ces dernières contre les attaques des pucerons.
Si certaines lectines sont toxiques, d’autres sont inoffensives pour l’homme et les mammifères, comme la lectine issue du perce-neige appelée « GNA », à laquelle Arpad Pusztai consacra six ans de sa vie .
L’expertise du biochimiste est si réputée qu’en 1995, l’Institut Rowett lui propose de prolonger son contrat, alors qu’il a atteint l’âge de la retraite, pour qu’il puisse prendre la tête d’un programme de recherche financé par le ministère écossais de l’Agriculture, l’Environnement et la Pêche.
Doté de 1,6 million de livres (plus de 2 millions d’euros), ce contrat substantiel, qui mobilise une trentaine de chercheurs, a pour but d’évaluer l’impact des OGM sur la santé humaine.

« Nous étions tous très enthousiastes, m’explique Arpad Pusztai, car à l’époque, alors que la première culture de soja transgénique venait d’être semée aux États-Unis, aucune étude scientifique n’avait été publiée sur le sujet. Le ministère pensait que notre recherche constituerait un soutien en faveur des OGM, au moment de leur arrivée sur le marché britannique et européen. Car, bien sûr, personne ne s’imaginait — moi le premier, qui étais un ardent supporter de la biotechnologie — que nous allions trouver des problèmes. »

L’enthousiasme du scientifique est tel que, lorsque paraît en 1996 l’étude toxicologique de Monsanto sur le soja Roundup ready dans The Journal of Nutrition, il juge certes que c’est de la « très mauvaise science », mais que justement, avec son équipe, il va faire mieux :
« Je me disais que si nous pouvions montrer, avec une étude scientifique digne de ce nom, que les OGM étaient réellement inoffensifs, alors nous serions des héros », raconte-t-il.
En accord avec le ministère, l’Institut Rowett décide de travailler sur des pommes de terre transgéniques que ses chercheurs ont déjà développées avec succès, en leur insérant le gène qui fabrique la lectine du perce-neige (GNA).

« Les études préliminaires avaient montré que les pommes de terre repoussaient effectivement les attaques des pucerons, m’explique Arpad Pusztai. Par ailleurs, nous savions qu’à l’état naturel la GNA n’était pas dangereuse pour des rats, même quand ils en absorbaient une dose huit cents fois supérieure à celle produite par les OGM. Il nous restait donc à évaluer les effets éventuels des pommes de terre transgéniques sur les rats. »

Le protocole de l’expérience prévoit de suivre quatre groupes de rats depuis le sevrage jusqu’à cent dix jours :

« Rapporté à l’homme, précise Arpad Pusztai, cela revient à suivre un enfant depuis l’âge d’un an à neuf ou dix ans, c’est-à-dire dans la période où son organisme est en pleine croissance. »
Dans le « groupe contrôle », les rats sont nourris avec des pommes de terre conventionnelles. Dans les deux groupes expérimentaux, les cobayes sont nourris avec des pommes de terre transgéniques issues de deux lignées différentes. Enfin, dans le quatrième groupe, le menu comprend des pommes de terre conventionnelles auxquelles est adjointe une quantité de lectine naturelle (extraite directement du perce-neige).

« Ma première surprise, se souvient le docteur Pusztai, fut quand nous avons analysé la composition chimique des pommes de terre transgéniques. D’abord, nous avons constaté qu’elles n’étaient pas équivalentes aux pommes de terre conventionnelles. Et puis, elles n’étaient pas équivalentes entre elles, parce que d’une lignée à l’autre, la quantité de lectine exprimée pouvait varier de 20 %. C’est la première fois où j’ai émis des doutes sur le fait que la manipulation génétique puisse être considérée comme une technologie, car pour un scientifique classique comme moi, le principe même de la technologie signifie que si un processus produit un effet, cet effet doit être strictement le même si on répète le même processus dans des conditions identiques. Là, apparemment, la technique était très imprécise, parce qu’elle n’engendrait pas le même effet.
– Comment l’expliquez-vous ?
– Malheureusement, je n’ai que des hypothèses que je n’ai jamais eu les moyens de vérifier… Pour bien comprendre l’imprécision de ce qu’on appelle de manière impropre la “biotechnologie”, qui s’effectue généralement avec un canon à gènes, il suffit de prendre l’image de Guillaume Tel à qui on banderait les yeux avant qu’il tire une flèche sur une cible : il est impossible de savoir où le gène bombardé va atterrir dans la cellule cible. Je pense que la localisation aléatoire du gène explique la variabilité dans l’expression de la protéine, en l’occurrence de la lectine. Une autre explication tient peut-être à la présence de ce qu’on appelle le « promoteur 35S », issu du gène du virus de la mosaïque du chou-fleur, destiné à promouvoir l’expression de la protéine, mais dont personne n’a vérifié quels effets connexes il pouvait engendrer. Toujours est-il que les pommes de terre transgéniques provoquaient des effets inattendus sur les organismes des rats.
– Quels effets avez-vous observé ?
– D’abord, les rats des groupes expérimentaux présentaient des cerveaux, des foies et des testicules moins développés que ceux du groupe contrôle, ainsi que des tissus atrophiés, notamment dans le pancréas et l’intestin. Par ailleurs, nous avons constaté une prolifération des cellules dans l’estomac et cela est inquiétant, parce que cela peut faciliter le développement de cancers causés par des produits chimiques. Enfin, le système immunitaire de l’estomac était en surchauffe, ce qui indiquait que les organismes des rats traitaient ces pommes de terre comme des corps étrangers. Nous étions convaincus que c’était le processus de manipulation génétique qui était à l’origine de ces dysfonctionnements et pas le gène de la lectine dont nous avions testé l’innocuité à l’état naturel. Apparemment, contrairement à ce qu’affirmait la FDA, la technique d’insertion n’était pas une technologie neutre, puisqu’elle produisait, à elle seule, des effets inexpliqués. »

Photo:

Arpad Pusztai à son domicile à Aberdeen (Écosse)

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