Vendredi s’est tenu au sénat un colloque international sur l’Opération Condor, organisé par le Collectif argentin pour la mémoire. Pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de la sinistre « Opération », je rappelle qu’elle désigne un programme d’assassinats conduit, dans les années 1970, par les dictatures d’Amérique latine, qui ont coordonné leurs « efforts » pour éliminer leurs opposants dans tous les pays de la zone. Mise en place par le général Pinochet et son bras droit Manuel Contreras (Chili), l’Opération Condor a entraîné la mort de centaines de personnes au Chili, Argentine, Brésil, Bolivie, Paraguay et Uruguay.
Pour mener leur entreprise criminelle, les gouvernements militaires collaboraient dans le domaine du renseignement et constituaient des escadrons de la mort communs, chargés de kidnapper les victimes et de les transférer par avion dans le pays les « réclamant », où ils étaient torturés, avant de rejoindre la longue liste des disparus.
J’ai raconté dans Escadrons de la mort: l’école française comment la matrice de l‘Opération Condor s’inspirait des techniques de la Bataille d’Alger. C’est ce que j’ai expliqué, hier, après la projection de mon film à l’ambassade d’Argentine, qui constituait la clôture du colloque.
Plusieurs intervenants du colloque ont participé au débat qui a suivi, dont le juge espagnol Baltazar Garzón, l’avocat paraguayen Martín Almada, le journaliste américain John Dinges, l’avocat chilien Eduardo Contreras, le procureur argentin Miguel Angel Osorio (qui utilise mon film comme pièce à conviction dans les procès liés à l’Opération Condor), le ministre argentin, chargé des droits de l’homme, Federico Villegas Beltrán.
Au cours de ce débat, a été évoquée le rôle du général Aussaresses et des militaires français, en Amérique du Nord et du Sud. J’ai notamment expliqué que Paul Aussaresses avait été « sélectionné » avec d’autres gradés, qui avaient participé à la guerre sale algérienne, par Pierre Messmer, alors ministre des Armées, pour former les militaires des Etats Unis aux techniques de la « guerre antisubversive ».
Pour mon film, j’avais retrouvé deux anciens « élèves » d’Aussaresses au centre d’entraînement des forces spéciales de Fort Bragg: le colonel Carl Bernard et le général John Johns, deux vétérans de la guerre du Vietnam, qui m’ont raconté que les « bérets verts » s’étaient inspirés de la Bataille d’Alger pour organiser l’Opération Phénix à Saïgon pendant la guerre du Vietnam, qui « a coûté la vie à 20 000 innocents« . Quand je les ai rencontrés en Virginie, le 27 avril 2003, c’était moins d’un mois après le déclenchement de la guerre d’Irak par le président Georges Bush et ses alliés occidentaux. Entre-temps, les deux officiers américains étaient très actifs dans un think tank, militant contre l’usage de la torture, qui s’est aussi opposé à la guerre en Irak.
Je mets en ligne un extrait de l’interview qu’ils m’ont accordée où ils disent clairement que l’utilisation de la torture ne sert à rien, y compris d’un point de vue strictement militaire, mais qu’elle conduit à générer de la haine et donc à encourager le « terrorisme » qu’elle est censée combattre…