Je vous écris d’Allemagne où je suis en « tournée » depuis lundi 9 février pour le lancement de mon livre, paru chez DVA.
Cinq villes en cinq jours : Hambourg, Nuremberg, Heidelberg, Fribourg, et Romrod (Hesse) . À Hambourg, ma visite à été coordonnée avec le Festival « Über Macht », qui a sélectionné mon film pour le diffuser dans 120 villes d’Allemagne entre janvier et septembre 2009. D’après les organisateurs du festival, partout où il est présenté, les cinémas affichent complet !
Pour les internautes germanophones , voici quelques liens rendant compte de ma visite, dont une excellente critique de mon livre réalisée par la radio allemande :
www.hr-online.de/website/radio/hr-info
www.randomhouse.de/webarticle/webarticle.jsp
Dans ce pays que je connais bien – j’y ai étudié quatre ans à la fin des années 1970, au moment où naissait le parti des Grünen (Verts) – les OGM ont bien du mal à s’imposer.
D’après un article paru vendredi dans le Frankfurter Rundschau, les cultures du maïs MON 810 sont en nette régression, soit 3644 hectares annoncés pour l’année 2009, contre 4500 hectares, un an plus tôt.
Le rejet est tel que Gerd Sonnleitner, le président du principal syndicat agricole (l’équivalent de la FNSEA Outre Rhin) vient d’écrire un courrier au ministre de l’agriculture de Bavière (où sont concentrées les cultures transgéniques) demandant l’interdiction pure et simple du maïs MON 810, en raison des « incertitudes » qu’implique sa culture…
La situation est si tendue, que Monsanto a dû recourir aux services d’une agence de sécurité privée… russe pour protéger ses essais en plein champ à une vingtaine de kilomètres de Heidelberg, ainsi que me l’a expliqué Christian Altmeier, journaliste du Rhein-Neckar Zeitung , qui a enquêté sur les « gros bras » recrutés par la multinationale américaine .
Entre mes déplacements, conférences, et interviews à la presse allemande, j’ai été contactée par plusieurs médias français concernant l’article paru, le 12 février, dans Le Figaro, et intitulé « Le maïs OGM est sans danger pour l’homme, selon l’Afssa ».
L’article du Figaro est surprenant à bien des égards, tant il s’apparente à une opération de communication , d’aucuns diront à une « manœuvre » – destinée à forcer la main du gouvernement pour qu’il autorise les producteurs du sud-ouest à semer du maïs transgénique d’ici quelques semaines, et à savonner la planche de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, « qui doit défendre, le 16 février prochain devant la Commission européenne, la clause de sauvegarde activée par la France début 2008 », comme l’écrit très justement mon confrère.
Il est étonnant de voir un journal réputé « sérieux » défendre avec aussi peu de distance « le rapport tenu secret » de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), concluant « à l’innocuité pour la santé de ce maïs OGM dont la culture est interdite en France », faisant par là même le jeu de Monsanto, qui n’a cessé de clamer justement que son maïs insecticide était inoffensif, sans jamais en apporter la preuve…
Rappelons les faits : il y a tout juste un an, le gouvernement français décidait d’interdire provisoirement la culture du maïs BT de Monsanto, qui couvrait alors 20 000 hectares en France, essentiellement dans le Sud Ouest. Ce faisant, il invoquait la « clause de sauvegarde » permettant à un pays européen d’interdire la culture d’un OGM, si celui-ci estime qu’il existe des doutes sur son innocuité, à charge pour lui d’apporter des éléments scientifiques justifiant cette interdiction.
C’est ainsi que le ministère de l’Écologie avait demandé au professeur Yvon le Maho d’examiner le dossier transmis par Monsanto à la communauté européenne pour obtenir l’homologation de son maïs transgénique.
Comme pour son maïs BT 863, la firme de Saint Louis avait communiqué un résumé des données de l’étude de trois mois réalisée par ses soins sur des rats nourris au maïs insecticide.
Dans son rapport, le Professeur le Maho avait confirmé les « doutes sérieux » sur l’innocuité de la molécule insecticide, déjà évoqués par le sénateur UMP Jean-François Legrand, alors président du comité de la préfiguration de la Haute autorité sur les OGM.
Je rappelle que c’est le sénateur Legrand, qui lors de l’examen de la loi sur les OGM au parlement, avait dénoncé dans Le Monde les « pressions » « exercées par Monsanto sur les élus de la nation (lire sur mon Blog).
Dans son rapport, le professeur Maho souligne notamment l’insuffisance des données fournies par Monsanto sur les conséquences éventuelles de la toxicité de la protéine insecticide (CRY1Ab) qui permettrait à ce maïs OGM de se protéger contre ses principaux ravageurs (la pyrale et la sésamie), sur un lien éventuel avec des maladies à prion (vache folle) ou un possible effet cancérigène.
D’où la surprise, jeudi, provoquée par l’article du Figaro , quatre jours avant l’intervention de Jean-Louis Borloo devant la Communauté européenne pour justifier la clause de sauvegarde en vigueur en France depuis un an.
Curieusement, l’AFSSA, dont le rapport « secret » aurait fort opportunément fuité, ne dit pas sur quelles données elle se base pour décider de l’innocuité du MON 810. L’affaire étant suffisamment sérieuse, il serait légitime qu’elle rassure le peuple ignare que nous sommes, en communiquant les données BRUTES de l’étude conduite par Monsanto, à condition, bien sûr, qu’elle y ait eu accès ! Ce qui n’est pas sûr, tant la firme de Saint Louis protège jalousement ses données, en invoquant systématiquement le « secret commercial ».
L’affaire du maïs MON 863 (lire sur ce Blog ou dans mon livre) montre malheureusement que l’AFSSA n’hésite pas à couvrir ce « secret commercial ». Je rappelle que pour le MON 863, il a fallu que Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement et alors présidente du CRIIGEN, entame une procédure devant la CADA – la Commission d’accès aux données administratives – pour que l’AFSSA accepte de fournir les données brutes de l’étude. Cette démarche a coïncidé avec une action en justice conduite par le gouvernement allemand et Greenpeace devant un tribunal de Munich qui, finalement, a contraint Monsanto à livrer ses données brutes.
Résultat : la Commission européenne a discrètement mis le MON 863 sous le tapis, quand une analyse des données conduite par le Professeur Séralini a révélé que les rats nourris au maïs transgénique présentaient des dysfonctionnements biologiques (différents selon les sexes) méritant au minimum que les études soient approfondies (voir mon Blog et livre).
Il convient donc de demander officiellement à l’AFSSA – et invite tous les lecteurs de ce Blog à lui écrire dans ce sens : quand va-t-elle fournir l’ensemble des données brutes de l’étude conduite par Monsanto sur le MON 810 ?
J’expliquerai, demain, comment ce maïs fut d’abord interdit en Allemagne, puis miraculeusement autorisé, grâce à une excellente enquête de la télévision allemande qui a révélé la puissance du lobbying de Monsanto au sein du gouvernement allemand et que j’ai eu le plaisir de voir hier….
Quant à l’éditorial d’Yves Thréard qui accompagne le « scoop » du Figaro, il laisse tout simplement pantois, par sa virulence contre ceux qui osent poser des questions et ses affirmations à l’emporte-pièce :
« Depuis de nombreuses années, les scientifiques les plus avertis de notre pays affirment que les organismes génétiquement modifiés sont «bénéfiques pour la santé humaine». En vain, car la démocratie d’opinion, la vox populi, a décidé du contraire ».
Et d’avancer l’argument censé faire taire définitivement les ténors de la « vox populi »:
« Les conclusions du nouveau rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments confirment ce que (…) l’Académie des sciences ne cesse de répéter à longueur de colloques : rien ne s’oppose aux OGM. »
C’est vrai que l’avis des académies des sciences ou de médecine ne peut que nous rassurer, tant ces institutions sont connues pour le soutien inconditionnel pour ce qui est censé incarner le « progrès ». Dans son livre La société cancérigène (coécrit avec Armand Farrachi et publié aux Editions Points en 2007)) le docteur Geneviève Barbier rappelle qu’en 1996, l’Académie nationale de médecine avait publié un « rapport minimisant les dangers de l’amiante » qui « fut adopté à l’unanimité par les académiciens » (p.170), un an avant que le gouvernement français interdise définitivement les fibres meurtrières, déjà interdites en Europe par une Directive (91632) datant de … 1992 !
La lucidité courageuse des dignes académiciens aura été d’un grand secours aux milliers de malades de l’amiante victimes du silence complice des médecins et scientifiques (j’ai déjà parlé dans mon Blog du Comité permanent de l’amiante, où des scientifiques étaient payés par l’industrie pour … mentir au public).
Sans oublier les autres scandales sanitaires qui ont secoué la France de ces vingt dernières années : sang contaminé, vache folle, hormone de croissance.
Va-t-on ajouter à cette liste funeste les OGM ? C’est aussi la question que pose François Grosdidier, député UMP, dans son livre , Tuons-nous les uns les autres. Qu’avons-nous retenu des grandes catastrophes sanitaires ? ( Le Rocher, Paris, 2008).
Et une fois de plus , les membres de l’Académie de médecine sont là pour nous rassurer qui , à propos des OGM, déclaraient dans un séance du 26 novembre 2002 :
« L’exigence de l’étiquetage totale et de la traçabilité peut très bien se traduire par des conséquences commerciales désastreuses » .
L’argument favori de Monsanto qui bataille si dur contre l’étiquetage des OGM en Amérique du Nord…
Quant au « principe de précaution », les mêmes académiciens estiment qu’il constitue une « pression dangereuse sur la décision politique » , un « obstacle à la démarche scientifique et aux innovations technologiques » , bref, « une porte ouverte à la manipulation » (Bulletin national de l’Académie de médecine, Tome 180, avril 1996)…
Photos : conférence à Nuremberg, avec Sepp Daxenberg , président du groupe « Grüne » au parlement de Bavière.