Découvrant avec étonnement que « Anton » qui n’arrête pas de faire de la pub pour son site Web, sur mon blog (!) n’arrive pas à ouvrir les films que j’ai mis en ligne (!), j’ai donc décidé de répondre au commentaire qu’il a posté le 29/12 concernant le brevetage du vivant:
« Si vous nous expliquiez en quoi les brevets sur le vivant violent le régime général des brevets ? Eclairez-nous de vos compétences juridiques, MM Robin. J’ai bien dit juridiques, ce ne sont pas vos jugements de valeur qui nous intéressent ici ».
Comme manifestement, Anton n’a pas trouvé non plus mon livre dans les librairies ni dans les bibliothèques (!) , je copie ici la partie de mon livre qui explique pourquoi effectivement les brevets sur les OGM constituent une violation du régime général des brevets, qui n’a pas changé, y compris aux Etats Unis où la loi de 1951 continue d’interdire les brevets sur le vivant. C’est précisément en vertu de cette loi de 1951 que l’office des brevets américains avait refusé d’accorder un brevet à Chakrabarty sur sa bactérie manipulée génétiquement.
DÉBUT DE L’EXTRAIT
L’arme des brevets
« L’un de mes plus grands soucis, c’est ce que réserve la biotechnologie à l’agriculture familiale, déclarait Dan Glickman, le secrétaire à l’Agricultyure de Bill Clinton, le 13 juillet 1999, lors de ce fameux discours qui irrita tant ses collègues du Commerce extérieur américain. La question de savoir qui possède quoi alimente déjà des débats très épineux. On voit des firmes poursuivre en justice d’autres firmes pour des problèmes de brevet, même quand elles fusionnent. Les agriculteurs sont dressés contre leurs voisins dans le but de protéger les droits de propriété intellectuelle des multinationales. […] Les contrats passés avec les agriculteurs doivent être justes et ne pas les transformer en de simples serfs sur leurs terres. »
En prononçant ces mots très iconoclastes, le secrétaire à l’Agriculture américain touchait à l’un des sujets qui sont au cœur de l’opposition aux OGM : celui des brevets.
« Nous avons toujours dénoncé le double langage des firmes de la biotechnologie, m’explique Michael Hansen, l’expert de l’Union des consommateurs. D’un côté, elles disent qu’il n’y a pas besoin de tester les plantes transgéniques, parce qu’elles sont strictement similaires à leurs homologues conventionnels ; de l’autre, elles demandent des brevets, au motif que les OGM représentent une création unique. Il faut savoir : soit le soja Roundup ready est identique au soja conventionnel, soit il ne l’est pas ! Il ne peut pas être les deux à la fois au gré des intérêts de Monsanto ! »
En fait, jusqu’à la fin des années 1970, il eût été inconcevable de déposer une demande de brevet sur une variété végétale. Y compris aux États-Unis où la loi sur les brevets de 1951 stipulait clairement que ceux-ci concernaient exclusivement les machines et les procédés industriels, mais en aucun cas les organismes vivants, et donc les plantes.
À l’origine, en effet, le brevet représente un outil de politique publique qui vise à stimuler les innovations techniques en accordant à l’inventeur un monopole de fabrication et de vente de son produit, pour une durée de vingt ans.
« Les critères d’attribution des brevets sont normalement très stricts, commente Paul Gepts, un chercheur du département de biologie moléculaire qui me reçoit dans son bureau de l’université Davis (Californie), en juillet 2004. Ils sont au nombre de trois : la nouveauté du produit — c’est-à-dire le fait que le produit n’existait pas avant sa création par l’inventeur —, l’inventivité dans sa conception et le potentiel industriel de son utilisation. Jusqu’en 1980, le législateur avait exclu les organismes vivants du champ des brevets, parce qu’il estimait qu’en aucun cas ils ne pouvaient satisfaire le premier critère : même si l’homme intervient sur leur développement, les organismes vivants existent avant son action et, de plus, ils peuvent se reproduire tout seuls. »
Avec l’avènement des sélectionneurs, s’était posée la question des variétés végétales « améliorées » par la technique que j’ai déjà décrite de la « sélection généalogique » (voir supra, chapitre 7). Soucieuses de récupérer leurs investissements, les entreprises semencières avaient obtenu que soit attribué à « leurs variétés » ce qu’on appelle un « certificat d’obtention végétale », leur permettant de vendre des licences d’exploitation aux négociants ou d’inclure une sorte de « taxe » dans le prix de leurs semences. Mais ce « certificat d’obtention végétale » (appelé « Plant Variety Protection » aux États-Unis) n’était qu’un cousin très éloigné du brevet, puisqu’il n’interdisait pas aux paysans de garder une partie de leur récolte pour ensemencer leurs champs l’année d’après, ni aux chercheurs, comme Paul Gepts, ou aux sélectionneurs d’utiliser la variété concernée pour en créer de nouvelles. C’est ce qu’on appelle l’« exception du fermier et du chercheur ».
Tout a changé en 1980. Cette année-là, la Cour suprême des États-Unis a rendu un jugement lourd de conséquences, en déclarant brevetable un microorganisme transgénique. L’histoire avait débuté huit ans plus tôt, lorsqu’Ananda Mohan Chakrabarty, un généticien travaillant pour General Electric, avait déposé une demande de brevet pour une bactérie qu’il avait manipulée pour qu’elle puisse dévorer les résidus d’hydrocarbures. L’Office des brevets de Washington avait logiquement rejeté la demande, conformément à la loi de 1951. Chakrabarty avait fait appel et obtenu gain de cause auprès de la Cour suprême, qui avait déclaré : « Tout ce qui sous le soleil a été touché par l’homme, peut être breveté. »
Cette étonnante décision avait ouvert la voie à ce que d’aucuns appellent la « privatisation du vivant » : en effet, dès 1982, s’appuyant sur la jurisprudence américaine, l’Office européen des brevets de Munich accordait des brevets sur des microorganismes, puis sur des plantes (1985), des animaux (1988) et des embryons humains (2000). Théoriquement, ces brevets ne sont accordés que si l’organisme vivant a été manipulé par les techniques du génie génétique ; mais, dans les faits, cette évolution va bien au-delà des seuls OGM. Actuellement, des brevets sont accordés pour des plantes non transgéniques, notamment celles qui présentent des vertus médicinales, en violation totale des lois existantes :
« Depuis l’avènement de la biotechnologie, on assiste à une dérive du système du droit commun des brevets, m’a expliqué ainsi en février 2005 Christoph Then, le représentant de Greenpeace à Munich. Pour obtenir un brevet, il n’est plus nécessaire de présenter une véritable invention, mais bien souvent il suffit d’une simple découverte : on découvre la fonction thérapeutique d’une plante, comme par exemple le margousier indien, on la décrit et on l’isole de son contexte naturel, et on demande à la breveter. Ce qui est déterminant, c’est que la description soit effectuée dans un laboratoire, et on ne tient pas compte du fait que la plante et ses vertus soient connues depuis des milliers d’années ailleurs . »
Aujourd’hui, l’Office des brevets de Washington accorde chaque année plus de 70 000 brevets, dont environ 20 % concernent des organismes vivants. J’ai dû batailler longtemps avant d’obtenir un rendez-vous avec un représentant de cette énorme institution, qui dépend du secrétariat au Commerce américain et emploie 7 000 agents. Véritable citadelle installée dans la banlieue de Washington, l’Office des brevets est un lieu stratégique pour une firme comme Monsanto qui, entre 1983 et 2005, y a décroché 647 brevets liés à des plantes.
« L’affaire de Chakrabarty a ouvert la porte à une période très excitante, s’enthousiasme John Doll, qui travaille au département biotechnologie de l’Office et m’y reçoit en septembre 2004. Désormais, nous octroyons des brevets sur les gènes, les séquences de gènes, les plantes ou les animaux transgéniques, bref sur tous les produits issus du génie génétique.
– Mais un gène n’est pas un produit…, dis-je, un peu interloquée par le ton conquérant de mon interlocuteur.
– Certes, admet John Doll, mais dans la mesure où la firme a pu isoler le gène et en décrire la fonction, elle peut obtenir un brevet… »
FIN DE L’EXTRAIT