Un article de The Independant on Sunday, publié le 26 octobre 2008, et intitulé « Europe’s secret plan to boost GM plant production » , révèle que Jose Manuel Barroso, le président de la commission européenne a réuni un groupe de travail secret pour accélérer le développement des cultures transgéniques en Europe.
Ce groupe, dont le journal s’est procuré les minutes de deux réunions secrètes, comprenait un représentant des vingt-sept pays de l’Union, dont , pour la France, François Pérol, secrétaire adjoint de l’Élysée.
Les anglophones peuvent consulter l’article à cette adresse:
http://www.independent.co.uk/environment/green-living/europes-secret-plan-to-boost-gm-crop-production-973834.html
Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, le site de l’Observatoire de l’Europe propose une traduction de l’article de The Independant on Sunday:
http://www.observatoiredeleurope.com/Un-plan-secret-europeen-pour-activer-la-production-d-OGM_a1024.html?preaction=nl&id=10084311&idnl=41004&
Par ailleurs, le site des Amis de la terre a mis en ligne les documents obtenus par the Independant on Sunday :
http://www.amisdelaterre.org/-Actualite-.html
L’un des documents concerne la liste des représentants envoyés par les différents gouvernements, et fournit l’adresse électronique de François Pérol, à qui il serait bien d’envoyer un petit mot …
secretariat.ravignon@elysee.fr
Une fois de plus, le dossier OGM se caractérise par des pratiques et manoeuvres souterraines , ainsi que je l’ai longuement expliqué dans mon livre et film…
DÉBUT EXTRAIT
Dan Glickman : « J’ai subi beaucoup de pressions »
« Vous savez, le système des portes tournantes ne concerne pas que l’agriculture, il existe dans beaucoup d’autres domaines, comme la finance ou la santé… »
Ces mots ne sont pas ceux d’un militant anti-OGM radical, mais de Dan Glickman, qui fut secrétaire d’État à l’Agriculture de Bill Clinton de mars 1995 à janvier 2001, que j’interviewe le 17 juillet 2006 à Washington.
Connu pour avoir été un apôtre convaincu de la biotechnologie, l’homme est un vieil habitué de l’USDA, car avant d’en prendre la tête, il a représenté pendant dix-huit ans l’État rural du Kansas au Congrès, dont il a notamment dirigé la commission agricole.
Quand il arrive dans ce secrétariat stratégique, qui dispose alors d’un budget annuel de 70 milliards de dollars et emploie plus de 100 000 salariés dans tout le pays, la grande maison a beaucoup évolué depuis sa création en 1862 par le président Abraham Lincoln — lequel la surnommait le « département du peuple », parce qu’elle était censée être au service des agriculteurs et de leurs familles, soit 50 % de la population. Cent quarante ans plus tard, ses (nombreux) détracteurs la surnomment le « département de l’agrobusiness » ou « USDA Inc. », car on lui reproche de servir l’intérêt des industriels qui contrôlent la production, la transformation et la distribution des aliments.
« Les dirigeants liés à l’industrie ont aidé à développer des politiques qui minent la mission réglementaire de l’USDA, au profit de l’intérêt exclusif d’une poignée de firmes économiquement puissantes », a écrit ainsi en 2004 Philip Mattera, dans un article intitulé « USDA Inc.: comment l’agrobusiness a détourné la politique réglementaire de l’USDA ».
Pour illustrer sa démonstration, l’ancien journaliste économique, qui travaillait alors pour l’organisation Good Jobs First de Washington, prenait l’exemple de la biotechnologie, dont l’USDA, disait-il, était devenu l’un des plus ardents promoteurs. Inaugurée sous le règne du républicain George Bush (père), cette orientation a été poursuivie sous l’administration démocrate de Bill Clinton, dont le directeur de campagne était Michael Kantor — lequel deviendra en 1996 son secrétaire d’État au Commerce avant de siéger, comme on l’a vu, au conseil d’administration de Monsanto.
En 1999, l’intransigeant représentant du commerce américain se rendit célèbre par ses commentaires peu amènes et les menaces qu’il proféra contre ses partenaires européens, quand ceux-ci annoncèrent leur intention d’étiqueter les produits OGM.
Et sur ce terrain, son meilleur allié s’appelait… Dan Glickman.
Alors présenté par le St. Louis Post-Dispatch comme
l’« un des plus grands champions de la biotechnologie qui admonestent les Européens rétifs pour qu’ils ne bloquent pas la route du progrès », le secrétaire à l’Agriculture de Clinton croyait en effet dur comme fer aux bienfaits de la manipulation génétique :
« Je crois que la biotechnologie présente un énorme potentiel pour les consommateurs, les agriculteurs et pour les millions de personnes affamées et sous-alimentées des pays en voie de développement », déclarait-il encore en avril 2000 dans un discours devant le Council for the Biotechnology Information .
Son enthousiasme lui valut d’ailleurs de vivre une expérience qui l’a profondément traumatisé, lors du Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu en novembre 1996 à Rome, sous l’égide de la FAO. Alors que les gouvernements venaient de s’engager à réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées d’ici 2015, le représentant américain a donné une conférence de presse. Des militants de Greenpeace, qui s’étaient procurés de fausses accréditations de presse, se lèvent alors, se déshabillent et exhibent leurs corps nus recouverts de slogans anti-OGM, tout en le bombardant de grains de soja Roundup ready…
Arrivé au secrétariat à l’Agriculture juste après la mise sur le marché du soja transgénique de Monsanto, Dan Glickman fut celui qui autorisa la culture de tous les OGM qui suivirent. Quand je le rencontre en juillet 2006, il a complètement changé de casquette, puisqu’en septembre 2004, il a été nommé P-DG de la Motion Picture Association of America, qui regroupe les six majors du cinéma d’Hollywood, comme la Buena Vista Pictures Distribution (Walt Disney) ou la 20th Century Fox.
Si j’ai cherché à l’interviewer, c’est bien sûr en raison de la fonction qu’il occupa dans l’administration Clinton, mais aussi parce qu’il avait exprimé quelques regrets, dans un article du Los Angeles Times du 1er juillet 2001:
« Ceux qui étaient en charge de la réglementation se considéraient comme les défenseurs de la biotechnologie. Ils la considéraient comme la science qui allait de l’avant, et tous ceux qui n’allaient pas de l’avant étaient vus comme des luddites . »
« Pourquoi avez-vous dit cela ?, lui ai-je demandé après lui avoir lu cette citation.
– Quand je suis devenu secrétaire à l’Agriculture [en 1995], l’ambiance qui entourait la réglementation était fondamentalement orientée vers l’homologation des cultures transgéniques, dans le but de faciliter le transfert de technologie dans l’agriculture du pays, tout en poussant les exportations. Il régnait un consensus dans l’agroalimentaire et au sein du gouvernement des États-Unis : si on ne marchait pas tête baissée en faveur du développement rapide de la biotechnologie et des cultures OGM, alors on était considéré comme anti-science et anti-progrès.
– Pensez-vous que le soja de Monsanto aurait dû recevoir plus d’attention avant sa mise sur le marché ?
– Franchement, je pense qu’on aurait dû faire plus de tests, mais les entreprises agro-industrielles ne voulaient pas, parce qu’elles avaient fait d’énormes investissements pour développer ces produits. Et en tant que responsable du service qui réglementait l’agriculture, j’ai subi beaucoup de pressions, pour, disons, ne pas être trop exigeant… La seule fois où j’ai osé en parler pendant le mandat de Clinton, je me suis fait taper sur les doigts, non seulement par l’industrie, mais aussi par les gens du gouvernement. En fait, j’ai prononcé un discours où j’ai dit qu’il fallait qu’on étudie plus sérieusement la réglementation des OGM. Et il y avait des gens à l’intérieur du gouvernement Clinton, surtout dans le domaine du commerce extérieur, qui étaient fâchés contre moi. Ils m’ont dit : “Comment peux-tu, toi qui travailles dans l’agriculture, mettre en cause notre système de réglementation ?” »
Michael Kantor, le secrétaire d’État au Commerce et futur membre du conseil d’administration de Monsanto, n’était sans doute pas étranger à ces pressions.
Il est vrai que le discours dont parle Glickman avait de quoi surprendre, tant il rompait avec la ligne qu’il avait suivie jusque-là. S’exprimant devant le Club national de la presse de Washington, le 13 juillet 1999, le secrétaire à l’Agriculture avait commencé par un hommage vibrant aux « promesses de la biotechnologie », en parlant de « bananes » manipulées pour qu’elles « fournissent un jour des vaccins aux enfants des pays en voie de développement » — notons à ce propos que, huit ans plus tard, on attendait toujours la mise sur le marché de ces OGM magiques annoncés depuis les années 1980 (à part des plantes résistantes aux herbicides ou produisant des insecticides, on n’a rien vu venir)…
« Quoi que puisse nous promettre la biotechnologie, elle n’est rien si elle n’est pas acceptée », avait continué Dan Glickman, avant de prononcer les mots qui ont tant fait enrager ses collègues du Commerce extérieur, et très certainement Monsanto.
« C’est une question de confiance : confiance dans la science derrière le processus et tout particulièrement confiance dans le processus réglementaire qui doit […] être maintenu à distance de toute entité ayant un intérêt particulier dans son résultat. Au bout du compte, certains observateurs, dont je fais partie, pensent qu’on en viendra probablement à une forme d’étiquetage . »
Les termes sont prudents, mais ce sont ceux que la presse retiendra dans les journaux du lendemain, alors que la conclusion constitue un véritable pavé dans la mare de Monsanto :
« L’industrie a besoin d’être guidée par un projet plus large qui ne soit pas uniquement le profit. Les entreprises doivent continuer à suivre les produits après leur mise sur le marché pour mesurer le danger éventuel qu’ils représentent pour l’environnement et elles doivent aussi rendre public et compréhensible tout ce qu’elles découvriront. […] Nous ne savons pas ce que la biotechnologie a en magasin pour nous, si c’est bon ou mauvais, mais nous allons tout faire pour assurer qu’elle serve la société et pas le contraire. »
Aujourd’hui, Dan Glickman assure qu’il ne retirerait pas un mot de son discours de 1999 :
« Le problème, dit-il, c’est que le Congrès ne s’est jamais vraiment mêlé de ce sujet…
– Pourquoi ?
– D’abord parce que c’est un sujet difficile : tout sujet technique et compliqué est fui par le corps législatif, dont la plupart des représentants, en Europe comme aux États-Unis, ne sont pas des scientifiques… »
Scientifiques sous influence
L’argument peut paraître court. Mais je suis persuadée qu’il explique en partie le désintérêt des politiques pour les enjeux que représente la biotechnologie. Pour ma part, je dois dire qu’il m’a fallu des mois de travail intense avant que je puisse prétendre m’être fait une opinion raisonnée et raisonnable sur la manipulation génétique.
Je dirais même que si Monsanto a pu imposer ses produits avec tant de facilité, c’est précisément parce qu’elle a su tirer profit du fait que c’était un « sujet compliqué », que seuls les scientifiques semblaient pouvoir dominer. Pour assurer son emprise, la firme a compris qu’il lui fallait contrôler les scientifiques s’exprimant sur la question et faire en sorte qu’ils s’expriment aux bons endroits, comme par exemple dans le cadre de forums internationaux parrainés par les organisations onusiennes, ou dans les revues et universités de renom. Et je dois admettre qu’elle a très efficacement atteint son but.
Pour preuve : un document interne de Monsanto classé « confidentiel », parvenu mystérieusement (très certainement par la grâce d’un lanceur d’alerte) au bureau de GeneWatch, une association britannique qui, comme son nom l’indique, suit de très près le dossier OGM .
Ce « rapport mensuel » de dix pages, rendu public le 6 septembre 2000, égrène l’activité de la cellule « Affaires réglementaires et enjeux scientifiques » (Regulatory Affairs and Scientific Outreach) de la firme pendant les seuls mois de mai et juin de la même année.
« Ce document montre comment Monsanto tente de manipuler la réglementation des aliments transgéniques à travers le monde pour favoriser ses intérêts, explique le docteur Sue Mayer, la directrice de GeneWatch, dans un communiqué de presse. Apparemment, ils essaient d’acheter l’influence d’individus clés, de noyauter les comités avec des experts qui les soutiennent et de subvertir l’agenda scientifique. »
On y découvre, en effet, que la « cellule » est félicitée pour son « efficacité à assurer que des experts scientifiques clés reconnus au niveau international ont été nommés pour la consultation organisée par la FAO et l’OMS à Genève le mois dernier. Le rapport final a été très favorable à la biotechnologie végétale, en donnant son soutien y compris au rôle crucial de l’équivalence en substance dans les évaluations de la sécurité alimentaire. […] Des informations sur les avantages et la sécurité de la biotechnologie végétale ont été fournies à des experts médicaux clés et des étudiants de Havard. […] Un éditorial a été rédigé par le docteur John Thomas (professeur émérite de l’école médicale de l’université du Texas à San Antonio), qui sera placé dans un journal médical comme le premier d’une série planifiée pour toucher les médecins. […] Une réunion s’est tenue avec le professeur David Khayat, un spécialiste du cancer de renommée internationale pour qu’il collabore à un article qui démontre l’absence de liens entre les aliments transgéniques et le cancer. […] Les représentants de Monsanto ont obtenu que l’examen de deux propositions d’étiquetage soit repoussé par le comité du Codex [alimentarius]. Etc. »
Parmi les scientifiques qui ont généreusement prêté leur concours aux initiatives de la cellule, le rapport cite aussi l’Espagnol Domingo Chamorro, les Français Gérard Pascal (INRA), Claudine Junien (INSERM) ou le prix Nobel Jean Dausset, qui ont participé au « Forum des biotechnologies » (en français dans le texte) « organisé » par la « cellule ».
À lire ce document, on comprend mieux comment, dès 1990, l’OMS et la FAO ont organisé une « consultation » (similaire à celle décrite dans le rapport) à Genève, du 5 au 10 novembre. Intitulée « Stratégies pour évaluer la sécurité des aliments produits par la biotechnologie », elle a réuni des représentants des autorités sanitaires internationales ainsi que des « experts », dont James Maryanski, qui en a assuré le secrétariat .
Et curieusement, alors qu’aucun OGM n’avait encore vu le jour, cette « consultation » a débouché sur ce diagnostic péremptoire : « L’ADN de tous les organismes vivants est structurellement similaire. C’est pourquoi, la présence d’ADN transféré dans un produit ne pose en soi aucun risque pour les consommateurs. »
En annexe était cité comme « référence » l’article publié peu de temps avant dans Nature par des scientifiques de Monsanto sur l’hormone de croissance transgénique, qui avait été, je le rappelle, très contesté …
Dès lors, il apparaît très clairement que la firme de Saint-Louis joue un rôle capital pour imposer au niveau international et hors de toute donnée scientifique le principe d’« équivalence en substance ».
Celui-ci apparaît ainsi dès 1993 dans un texte de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intitulé « Évaluation de la sécurité des aliments dérivés de la biotechnologie moderne : concepts et principes ».
Ce document de soixante et onze pages fait d’abord une longue démonstration pour établir que la « biotechnologie » existe depuis que l’homme a appris à sélectionner les plantes et, donc, que les techniques de manipulation génétique ne constituent que la prolongation « moderne » d’un savoir faire ancestral.
À partir de là, l’« approche la plus pratique » pour
« déterminer la sécurité des aliments développés par l’application de la biotechnologie moderne est d’évaluer s’ils sont équivalents en substance aux aliments conventionnels analogues, si ceux-ci existent».
Pour étayer ce nouveau concept tombé du ciel, le rapport se fonde sur l’exemple d’OGM comme la tomate au mûrissement ralenti de Calgene (qui sera, comme on l’a vu, retirée du marché) ou la tomate résistante au Roundup de Monsanto (qui est restée au stade expérimental)…
Parmi les auteurs de ce texte fondateur, on trouve l’éternel James Maryanski, ainsi qu’un représentant du Conseil de la compétitivité créé par George Bush. Enfin, le document fournit en annexe une liste de dix publications à consulter, dont une de l’International Life Science Institute (ILSI) (créé je le rappelle par des industriels de l’agroalimentaire), le fameux document de l’International Food Biotechnology Council (IFBC), rédigé notamment par Michael Taylor, et le rapport de la « consultation » organisée en 1990 par l’OMS et la FAO…
À l’instar des autres documents cités comme « références », aucune de ces « publications » ne concerne des études scientifiques menées pour évaluer l’innocuité des OGM, pour une raison bien simple : à l’époque, il n’en existe aucune…
Un an plus tard, c’est à l’OMS de reprendre le flambeau de cette opération de propagande rondement menée : du 31 octobre au 4 novembre 1994, l’organisation onusienne parraine un « workshop » au titre sans ambiguïtés : « Application du principe d’équivalence en substance pour l’évaluation de la sécurité des aliments ou composants alimentaires issus de plantes dérivées de la nouvelle biotechnologie. »
Cette fois-ci, le fameux « principe d’équivalence en substance » est bel et bien inscrit dans le marbre, même s’il n’y a toujours rien de nouveau sous le soleil de la science. Et pour prouver que tout cela est bien sérieux, les participants au workshop, dont un certain docteur Roy Fuchs de… « Monsanto Company », rappellent que « l’approche comparative a été d’abord proposée par l’OMS et la FAO, puis développée par l’OCDE »…
La boucle est définitivement bouclée, deux ans plus tard, lorsque la FAO et l’OMS enfoncent le clou — deux organismes onusiens, ce n’est pas rien — en organisant une deuxième consultation conjointe, du 30 septembre au 4 octobre 1996 (où l’on retrouve James Maryanski et Roy Fuchs).
Il faut dire que le moment est crucial : les premières cargaisons de soja Roundup ready sont déjà en marche vers l’Europe. Le rapport final, qui curieusement n’est pas disponible en ligne, mais dont j’ai réussi à me procurer une copie, est régulièrement cité comme le texte international de référence du principe d’équivalence en substance.
On peut notamment y lire cette information hautement scientifique : « Quand l’équivalence en substance est établie pour un organisme ou un produit alimentaire, l’aliment est considéré comme aussi sûr que son homologue conventionnel et aucune autre évaluation n’est nécessaire. […] Quand l’équivalence en substance n’est pas établie, cela ne signifie pas obligatoirement que le produit alimentaire n’est pas sûr et il n’est pas forcément nécessaire d’exiger des tests sanitaires poussés… »
FIN DE L’EXTRAIT