Je constate que « Capitaine Poltron » et ses compères, spécialistes de la manipulation, sont tombés dans le piège que je leur avais tendu… En révélant « le drôle d’acharnement » sur ma fiche Wikipedia, je voulais vérifier si mes « détracteurs personnels » , qui se présentent comme des défenseurs invétérés des OGM de Monsanto, étaient aussi des spécialistes (!) du trafic d’organes, de la rumeur, et de l’USIA. Et bien oui!
Ils ont enfourché ce nouveau cheval avec la même virulence qu’ils épiaient jusque là le moindre de mes écrits sur les plantes transgéniques pesticides. Le problème c’est que leurs arguments – et là la médaille revient à « Capitaine Poltron » – viennent tout droit du dossier établi, il y a… quinze ans- par Todd Leventhal de l’USIA! Tout y est, y compris la référence à Véronique Campion-Vincent, une ingénieure au service informatique du CNRS, qui a un « dada »: les « légendes urbaines ».
J’ai rencontré cette femme (au demeurant fort sympathique) au moment de mon enquête, qui n’ a jamais fait aucun travail de terrain et se contente pour ses (rares) écrits de consulter des documents établis par d’autres! Dans mon livre Voleurs d’organes. Enquête sur un trafic, je raconte notamment qu’elle a publié un article en 1992 dans Les cahiers internationaux de sociologie, intitulé « Bébés en pièces détachées. une nouvelle légende latino-américaine », où ses seules sources sont l’USIA, la CIA et le FBI!
De son côté, Todd Leventhal, dans le rapport qu’il avait rédigé sur le vol d’organes, qu’il présentait comme une invention des services de propagande du KGB, destinée à discréditer les Etats Unis (!), cite Véronique Campion-Vincent comme une « spécialiste française » du vol d’organes! La boucle est bouclée!
Par delà l’anecdote, il convient de rappeler ce qu’est l’USIA et dans quelles conditions, cette agence gouvernementale américaine est née.
Voici ce que j’écrivais dans mon livre Voleurs d’organes. Enquête sur un trafic, paru aux Editions Bayard en 1996, où je racontais tous les dessous de cette incroyable affaire.
EXTRAIT
« Les armes de combat sont désormais les mots plus que les bombes ». Ainsi s’exprime Ronald I. Rubin dans son livre Les objectifs de l’Agence d’Information des Etats Unis. À la même époque, Richard Helms, directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) a coutume de dire:
« La guerre se mène dans les coins sombres, et pas avec des ranks, des fusils ou des armes nucléaires ».
Le rapprochement n’est pas fortuit, ainsi que l’illustre l’histoire des deux agences américaines, dont l’origine commune atteste qu’elles constituent les deux faces d’une même monnaie: le renseignement au service de la sécurité des Etats Unis d’Amérique, l’une (l’USIA) étant considérée comme une « agence ouverte » (open agency), l’autre (la CIA) comme une « agence secrète » (covert agency).
Les spécialistes du renseignement précisent aussi que l’USIA est chargée de la « propagande blanche » et la CIA de la « propagande noire », des notions que John W. Henderson résume de la manière suivante:
« On appelle propagande noire toute information faussement attribuée à une source; la propagande grise est livrée sans source, quant à la propagande blanche, sa source est clairement attribuée, au moins par induction ».
Ainsi que le souligne Roland Jacquard dans son livre La guerre du mensonge : histoire secrète de la désinformation , il faut attendre 1908 pour que le président Théodore Roosevelt autorise la création d’un Bureau d’investigation américain, qui deviendra le Federal Bureau of Investigation, le FBI, en 1935. Ce service de police judiciaire devient l’instrument de contre-espionnage officiel, son domaine s’ étendant à la répression de la subversion interne, mais aussi externe, en 1939. Mais ce n’est pas à proprement parler un service de renseignement même si, seul sur la place, il a tendance – notamment en Amérique latine – à en remplir la fonction.
À la veille de la seconde guerre mondiale, le président Franklin D. Roosevelt commande un rapport sur la situation du renseignement américain. Son objectif : créer un service « capable non seulement de centraliser et d’analyser les informations éparses parvenant aux différentes administrations, mais également de se livrer à un travail de recherches clandestines et surtout de lutter contre la propagande et l’intoxe allemande ».
C’est ainsi qu’est créé l’Office of War Information (OWI) – le B ureau d’information de la guerre – qui regroupe sous le même toit les services d’information et de renseignement : il comprend notamment la radio Voice of America , qui commence à émettre en allemand le 24 février 1942, et le United States Information Service, le service d’information d’Outre-mer. Au lendemain de la guerre, les agents de l’OWI rejoignent deux structures nouvelles : la CIA, créé en 1947, et l’USIA, en 1953.
Définie comme un « Programme officiel américain d’information étrangère », l’USIA affiche clairement ses objectifs, ainsi que le souligne Elmer David, l’ancien directeur de l’OWI :
« Abolir toutes les barrières qui empêchent la liberté internationale de la presse et de la communication en général. Fournir une image correcte des Etats Unis et de la politique américaine. Contrer la propagande communiste et montrer la vraie nature du communisme totalitaire. Soutenir la politique étrangère des Etats Unis en persuadant les peuples de son mérite. Promouvoir l’entente et la compréhension mutuelle entre les Etats Unis et les autres pays ».
Le moteur de l’agence ? La guerre froide , qui bat alors son plein, comme l’explique Théodor Stribert, son directeur en 1953 :
» À l’étranger, on connaît mal les Etats Unis. Les communistes en profitent pour nous calomnier. Aujourd’hui les Etats Unis sont garants de la paix. Nos responsabilités sont immenses. Si nous voulons les assumer, nous devons expliquer au monde entier notre nature, nos convictions, nos aspirations comme nation, pour contrer la propagande communiste. C’est la tâche de l’USIA. C’est notre affaire à tous, car notre sécurité en dépend ».
D’après la charte qui entérine sa naissance, l’USIA entretient des relations très étroites avec le Département d’Etat et est tenue d’en référer au président à travers le Conseil national de sécurité, qui représente le plus haut comité dans la branche exécutive de l’Etat américain. Créé en 1947, pour définir et veiller à la sécurité nationale, cet organisme est constitué de membres statutaires et d’observateurs , dont le directeur de la CIA.
La naissance du Conseil national de sécurité est concomitante à celle de la CIA, qui voit le jour, le 18 septembre 1947, au terme d’un vote unanime du Congrès en faveur du National security Act, considéré comme la charte de la « compagnie ». Un vote unanime des sénateurs et représentants américains est suffisamment rare pour être souligné : il est emblématique d’une époque où l’éclatement de la sainte alliance contre le nazisme génère un nouveau front commun : la lutte contre le communisme. L’objectif de la CIA est donc de développer , par tous les moyens, un cordon sanitaire qui protège « le monde libre » du « péril rouge ».
C’est dans ce contexte que s’inscrit la première action illégale de la CIA : le contrôle du courrier échangé entre les citoyens américains et soviétiques. Bien d ‘autres suivront, qui jetteront , à terme, un discrédit indélébile sur la « compagnie » : propagande noire, actions clandestines allant jusqu’à l’assassinat, renversements de gouvernements, le tout au nom de la lutte contre le communisme et son puissant rival, le KGB, qui, dans le domaine de la désinformation, jouit indéniablement d’une bonne longueur d’avance…
C’est en effet aux bolcheviks de la première heure que l’on doit la notion de « désinformation », en russe desinformatsia : le terme apparaît, pour la première fois, en Occident, dans la bouche des Russes blancs qui fuient la révolution d’Octobre. Selon eux, c’est une invention de la police politique du nouveau régime, qui désigne ainsi « les actions menées à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour entraver l’installation du pouvoir bolchevique ». Le mot apparaît dans le dictionnaire de la langue russe de S. Ojegov, dès 1949 : « Action d’induire en erreur, au moyen d’informations mensongères ».
Pour Roland Jacquard, la desinformatsia représente l’ « ensemble des techniques utilisées pour manipuler l’information, tout en lui conservant un caractère de crédibilité , afin d’exercer une influence sur le jugement et les réactions d ‘autrui ». Souvent traduite par « intoxe » en français ou « deception » an anglais, c’est une manière de « mentir vrai » en empruntant les canaux traditionnels de l’information : presse écrite, orale ou audiovisuelle .
Très vite, le puissant KGB – qui est chargé des opérations de renseignement à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ex-Union soviétique, mais aussi de la propagande du régime – devient l’un des maîtres incontestées de la désinformation, en s’appuyant notamment sur la diffusion de fausses rumeurs ou la mise en circulation de documents falsifiés pour discréditer l’Occident, et tout particulièrement les Etats Unis.
De son côté, la CIA invente son propre terme pour désigner ses campagnes d’intoxication ou de désinformation contre l’ennemi communiste : forgery (falsification). Décrit par ses ex consorts comme un « professionnel de la falsification », Richard Helms, ex-patron de la CIA, est ainsi l’auteur de la plus grande forgery de l’histoire de la « compagnie » : la version made in CIA du discours prononcé, le 24 février 1956, devant le XXème Congrès du parti communiste de l’Union soviétique, et entré dans l’histoire sous le nom de « rapport Khrouchtchev ». Les hommes de Richard Helms parvinrent à réaliser un total de trente-deux ajouts insérés dans le texte original, et publiés dans The New York Times !
Autre exemple plus récent , de forgery : l’attribution de la responsabilité de la tentative d’assassinat du pape Jean-Paul II, le 13 mai 1981, au KGB, via une « filière bulgare », qui n’a existé que dans l’imagination des agents de la « compagnie ».
« La CIA, de façon générale, a été l’inspiratrice d’une longue série de campagnes de diffamation et d’intoxe sur tous les terrains de confrontation du monde, écrit Andreas Freund, ex-chef des informations du bureau parisien du New York Times, dans son livre Journalisme et mésinformation . Ses campagnes sont servies par un dispositif médiatique impressionnant : l’agence dispose de l’accès au réseau de diffusion officiel des Etats Unis, dont les mégaphones les plus importants sont Voice of America, sur les ondes, qui dépend de l’USIA, et à terre, des 202 succursales de cette agence d’information installée dans 124 pays du monde ».
L’USIA, dont la collaboration étroite avec la CIA est un secret de polichinelle.
Première obsession commune : la presse que les deux agences analysent, épluchent, pour mieux l’infiltrer et l’influencer, ainsi que l’explique Harry Rositzke, vétéran de la « compagnie » dans son livre CIA, 25 ans au sein de l’agence américaine d’espionnage :
« À Washington, la communauté du renseignement est devenue surabondante et tentaculaire. Vingt-quatre heures par jour, et sept jours par semaine, le cerveau du policier universel contrôle les paroles du monde entier, sonde et photographie chaque parcelle du globe. La communauté du renseignement enregistre et traduit des milliers d’émissions de radios étrangères, lit quelque dix mille journaux et périodiques, sélectionne et commente des milliers de noms et de lieux ».
Sur le terrain même des médias officiels, la concurrence entre les deux agences est parfois très rude : à l’Est, Voice of America la radio de l’USIA, rivalise avec Radio Free Europe, implantée dans les pays européens satellites de l’URSS, et Radio Liberty, qui émet à Moscou, deux puissantes stations créées par Allen Dulles, le premier patron de la CIA. La concurrence est telle que Leo Boggart, un spécialiste de l’USIA, soucieux de résoudre le conflit, suggère d’octroyer la zone communiste aux émetteurs de la CIA et la zone non communiste à celui de l’USIA !
Si, en théorie, l’USIA est censée ne faire que de la « propagande blanche et légitime », selon le mot d’Allen C. Hansen, il n’en reste pas moins vrai que son champ d’action est délimité en concertation avec la « compagnie » :
« La tâche de l’USIA peut être distinguée de la propagande pure, note Leo Boggart. Elle joue un rôle limité comme une agence officielle gouvernementale, tandis que certaines des rough things (mot à mot « affaires corsées ») peuvent être faites par d’autres agences, comme la CIA ».
Dans ses mémoires The Night Watch : 25 years inside the CIA, , David Atlee Phillips, ex-officier de la CIA où il travailla un quart de siècle, note à propos de Howard Hunt, un autre vétéran, réputé pour son anticommunisme viscéral :
« Pour ce qui est de la propagande, on considère généralement qu’il ne faut la faire clandestinement que quand on ne peut la faire ouvertement ; mais Howard lui, avait tendance à considérer que l’éventualité de passer par le département d’Etat ou l’USIA ne devait être envisagée que si l’affaire s’avérait impossible par les moyens détournés de la CIA ».
Considérée comme une « agence ouverte », l’USIA n’en cultive pas moins le secret, comme sa consoeur de la famille du renseignement : « Bien sûr, certaines catégories limitées d’informations sont cachées pour des raisons de sécurité », avoue John W. Henderson, ce que confirme Ronald I. Rubin : « Certains objectifs de l’agence sont classés secrets ».
Le penchant naturel de l’USIA pour la désinformation est si fermement ancré qu’à peine arrivé au pouvoir, le président Jimmy Carter décide de taper dans la fourmilière du renseignement.
« L’USIA n’entretiendra pas d’activités secrètes, manipulatrices ou propagandistes », déclare-t-il, tandis qu’au même moment il demande une enquête sur la CIA, pour en restreindre les possibilités d’action. Le 1er avril 1978, il va même jusqu’à changer le nom de l’agence d’information, rebaptisée International Communication Agency (ICA), dont le sigle ne fait que renforcer la confusion avec la CIA ! D’où un retour à la case départ, décidé par le président Ronald Reagan, qui, en 1982, nomme son vieil ami Charles Z. Wick à la tête de l’USIA. Comme aux temps forts de la guerre froide, le directeur lance un programme, le « Projet vérité », dont le but est de contrer la propagande soviétique…
C’est dans ce contexte qu’intervient la publication d’un premier document de l’USIA sur « l’histoire des bébés en pièces détachées », dans un rapport intitulé Soviet Active Measures in the Era of Glasnost, dont le rédacteur est un certain Todd Leventhal…
FIN DE L’EXTRAIT
Dans un prochain post, je raconterai ma visite à Washington dans le bureau de Todd Leventhal, qui a essayé de me convaincre que le trafic d’organes est une « légende urbaine » inventée par le KGB pour discréditer les Etats Unis ! Je rappelle que cette interview a eu lieu en 1993 et que l’Union soviétique n’existait plus!! Plus tard, dérangé par le succès international de mon film « Voleurs d’organes », l’agent secret insinuera qu’en tant que journaliste spécialiste de Cuba, je travaillais très certainement pour ledit KGB! Devant l’incrédulité de ses interlocuteurs, il changera de « forgery » (intoxe), en insinuant que j’avais payé la mère du petit Jaison pour obtenir un faux témoignage, provoquant la même incrédulité, comme je le raconte en détails dans mon livre.
Il est amusant de constater que « Capitaine Poltron » ressort les mêmes arguments que Todd Leventhal il y a presque quinze ans!
En fait, tout indique que Me William Bourdon , mon avocat dans les trois procès que j’ai gagnés à la suite de la polémique qui a suivi la diffusion de mon enquête sur le vol d’organes, avait vu juste. Peu de temps avant la sortie de mon film et livre sur Monsanto, il m’avait prévenue: » Attends-toi à ce que les services de communication de Monsanto ou à ce que des défenseurs inconditionnels des OGM, proches de la firme, ressortent le dossier « Voleurs d’organes » pour te discréditer et jeter le trouble sur ton enquête ».
Cet avertissement n’était pas dû à un excès de paranoïa, étant données les pratiques de manipulation de l’information auxquelles a déjà eu recours la multinationale de Saint Louis, ainsi que le prouve notamment l’affaire d’Ignacio Chapela (voir mon film, livre et sur ce Blog).
Voilà pourquoi, Me Bourdon avait rédigé un communiqué mettant en garde tous ceux qui essaieraient de me diffamer en présentant une version tronquée de l’affaire « Voleurs d’organes » (voir sur ce Blog), basée sur le dossier réalisé par Todd Leventhal, qui est un spécialiste de la désinformation et de la propagande .
Manifestement c’est sur ce « dossier » que se base « Capitaine Poltron » pour rédiger ses « commentaires ». Comment l’a-t-il récupéré? Mystère. Ce qui est sûr c’est qu’il est impossible d’avoir accès à ce dossier, en plein mois d’août, sans avoir été sérieusement « briefé »…
En attendant, « Capitaine Poltron » n’a pas peur du ridicule, puisqu’il continue de nier , aujourd’hui, l’existence du trafic d’organes, qui a été maintes fois prouvée, depuis mon enquête pionnière, comme le montre, par exemple, ce document de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de juin 2003: