Ah le cher « Anton » ! Sa naïveté prêterait à sourire si elle n’était feinte pour mieux servir son objectif : me discréditer, afin de discréditer mon film et livre « Le monde selon Monsanto » et ceux qui suivront . Je note que ce défenseur invétéré des OGM est aussi un spécialiste du trafic d’organes ( !) et que curieusement il a accès au dossier confectionné sur mon film « Voleurs d’organes » par un certain Todd Leventhal, qui officiait alors à l’USIA, une agence de propagande américaine, considérée comme la « face propre » de la CIA.
Le problème c’est que ce dossier, qui date de 1995, n’est pas disponible sur Internet. Comment se l’est-il procuré ? Mystère. J’invite les internautes à lire mon post sur l’histoire trouble de l’UISA sur mon ancien Blog, consacré au « Monde selon Monsanto » (rubrique « réponse à la désinformation »), ou, mieux, à lire le livre que j’ai rédigé sur cette affaire digne d’un vrai polar.
« Anton » croit-il vraiment que par deux fois, les juges de la 17 ème chambre de Paris, et ceux du tribunal de Versailles auraient condamné ceux qui prétendaient que l’affaire du petit Jaison était un « mensonge », s’ils n’estimaient pas, au contraire, qu’elle était malheureusement vraie ? Franchement, soyons sérieux !
Je rappelle que dans mon film « Voleurs d’organes » ou sa version raccourcie « Voleurs d’yeux », je présente l’histoire du petit Jaison que j’ai rencontré dans un institut pour enfants aveugles (et pauvres) de Bogota. Alertée par le récit incohérent de la directrice de l’institution sur les origines de sa cécité (elle n’a pas voulu me montrer le dossier et a affirmé qu’il « était né aveugle »), j’ai retrouvé la mère de l’enfant, qui m’a expliqué que son fils avait été hospitalisé tout petit pour une diarrhée aigue, et qu’elle l’avait récupéré , les yeux bandés. Lors d’une consultation dans un autre hôpital, un médecin lui avait dit que « l’enfant allant mourir, les cornées lui avaient été prélevées ».
D’abord diffusé sur Planète, le film n’avait provoqué aucune réaction, jusqu’à ce qu’il fasse le tour du monde, soit présenté aux Nations Unis, et remporte sept prix internationaux, dont le Prix Albert Londres.
C’est là qu’est intervenu Todd Leventhal , que j’avais interviewé dans son bureau de l’USIA, lors de mon tournage. Il avait essayé de me convaincre que le trafic d’organes est une « légende urbaine » inventée par le KGB pour discréditer les Etats Unis ! Je rappelle que cette interview avait eu lieu en 1993 et que l’Union soviétique n’existait plus!! Plus tard, dérangé par le succès international de mon film « Voleurs d’organes », l’agent secret insinuera qu’en tant que journaliste spécialiste de Cuba, je travaillais très certainement pour ledit KGB! Devant l’incrédulité de ses interlocuteurs, il changera de « forgery » (intoxe), en insinuant que j’avais payé la mère du petit Jaison pour obtenir un faux témoignage, provoquant la même incrédulité, comme je le raconte en détails dans mon livre.
N’hésitant pas à se déplacer à Paris, pour rencontrer Henri Amouroux, alors président du jury Albert Londres, à Strasbourg et à Genève, pour me dénigrer, il avait provoqué la suspension de mon prix,
Après une enquête de six mois, le prix me fut maintenu, le 20 mars 1996, le jury soulignant qu’il « n’avait décelé aucune intention frauduleuse chez la réalisatrice, même si son reportage n’apporte pas les preuves irréfutables de ce qu’elle avance dans le cas précis de l’enfant Jaison Cruz Vargas ».
Le jury, qui me lavait du soupçon infâmant de bidonnage, ne pouvait, cependant, pas écrire autre chose : dans l’affaire du petit Jaison ( qui ne représente que cinq minutes sur un documentaire de 57 minutes), j’ai toujours su qu’il n’y aurait jamais de preuves irréfutables du crime que dénonçait sa mère, tout simplement parce que cette femme démunie d’un bidonville n’avait pas eu les moyens d’intenter un procès au moment des faits (dix ans plus tôt) et que sa parole ne faisait pas le poids face au puissant lobby des mandarins etau service de propagande des Etats Unis.
De fait, elle subit des pressions monstrueuses, d’abord pour se rétracter, puis pour accepter que son fils soit examiné par des médecins à Paris.
Le voyage fut organisé, en août 1995, par la clinique du Pr. José Barraquer, haut lieu des greffes de cornées internationales à Bogota, et le gouvernement colombien, alors dénoncé par Amnesty International pour son inertie face aux nombreuses violations de droits de l’homme commises dans le pays.
Le 18 septembre 1995, Me Pernet, l’avocat de l’ambassade de Colombie, rendait public le rapport du trio de médecins censé avoir examiné Jaison. Mais comme le révèle ledit rapport, il n’y eut jamais d’ « examen », mais la seule interprétation d’un dossier médical fourni par la clinique Barraquer…
En fait, l’examen était impossible, car, comme le souligneront des médecins courageux qui ont publié un contre-rapport, il avait été posé des prothèses oculaires à Jaison, peu avant son voyage à Paris, ce qui avait nécessité de « nettoyer ses cavités oculaires » rendant impossible tout examen…
En attendant, j’ai attaqué en diffamation Me Pernet ainsi que José Mackenzie, un journaliste colombien, qui m’avaient accusé de « bidonnage ».
Pour leur défense, ils ont produit le fameux rapport, qui ne leur fut pas d’un grand secours, puisqu’ils ont été tous les deux condamnés pour diffamation. Au même moment, le Pr. Barraquer était débouté de l’action qu’il avait intentée contre moi et mon producteur, l’agence CAPA, pour « préjudice commercial » (sic) , il a poursuivi jusqu’en cassation, mais en vain…
Dans son jugement du 11 janvier 1996, publié dans trois journaux dont Le Monde, le tribunal d’instance de Versailles condamne Me Pernet à me verser un franc symbolique pour diffamation, en constatant la « mauvaise foi » de l’avocat (qui m’avait diffamée dans une réunion publique à Versailles à laquelle était présent le Pr. Barraquer, venu spécialement de Bogota!) et le déclare « irrecevable à rapporter la preuve de la vérité des faits », alors même que l’avocat a produit , pour sa défense, la pseudo expertise réalisée sur l’enfant par trois médecins français, à la demande de l’ambassade de Colombie et du Pr. Barraquer. Cette « expertise », dont l’opacité n’a pas échappé au tribunal, a été contestée par un groupe de huit médecins, dont le Dr. Pham Chau, un chirurgien, expert auprès des tribunaux, ayant fait une spécialisation en « ophtalmologie médico-légale », et le Dr. Georges lagier, professeur à l’Université de Paris-VII, qui, dans leur rapport, concluent:
« Le rapport du professeur G. Renard est critiquable dans la forme comme dans le fond. Douze ans après les événements, il est hasardeux d’avancer une conclusion ophtalmologique définitive et tranchée, lors même que différentes hypothèses restent recevables. Si la vérité peut éclater au travers d’une expertise officielle, encore faudrait-il que cette dernière soit conduite sous conditions parfaitement contradictoires par désignation des représentants médicaux respectifs des parties en cause et sous vérification préalable de l’authenticité des éléments du dossier médical fourni« .
Dans son jugement de janvier 1996, le tribunal de grande instance de Paris déboute Barraquer de son action en diffamation en disant dans ses attendus:
« le trafic d’organes est une réalité reconnue par les instances internationales et le milieu médical français »… « Mme Robin disposait d’éléments sérieux pour suspecter la régularité des pratiques en Colombie » … « en refusant de recevoir les reporters, les responsables de la clinique ont favorisé des soupçons qu’ils auraient pu lever en faisant connaître leurs activités » .
J’ajoute qu’après cette affaire qui a bouleversé ma vie, je n’ai pas pu retourner en Colombie pendant dix ans, car , comme l’a expliqué un représentant du Quai d’Orsay à Hervé Chabalier, le patron de l’agence CAPA, des « contrats » avaient été placés sur ma tête, ce qui prouve que j’avais mis le doigt sur un sujet hautement dérangeant…
Faire de l’investigation c’est révéler des choses que certains aimeraient maintenir cachées, et c’est donc forcément déranger. On risque des coups, et dans certains pays, on risque même la mort , – comme en Colombie où en 1988 j’avais réalisé un reportage pour le magazine Résistances sur les 26 journalistes assassinés au cours des trois années précédentes. Au printemps 1994, au moment où Voleurs d’organes était diffusé dans le monde entier et y compris aux Nations Unies, Amnesty International publiait un rapport spécial sur les violations des droits de l’homme en Colombie , où les responsabilités gouvernementales étaient clairement stigmatisées : pendant les quatre ans de la présidence de César Gaviria (1990-1994), 14 856 personnes avaient été assassinées, torturées ou portées disparues, et 5034 arrêtées pour des raisons politiques. Relayées par les médias nationaux, les autorités de Bogota menaient une véritable campagne contre l’organisation des droits de l’homme , qui, de guerre lasse, avait publié un sévère rappel à l’ordre, le 28 mai 1994 : « Exhortation au gouvernement colombien pour qu’il fasse passer le respect des droits de l’homme avant son image internationale ».
Voleurs d’organes dérangeait aussi l’USIA, dont la mission est de défendre l’image des Etats Unis, par ce que les statuts de l’agence appelle la « white propaganda » , la « propagande blanche » (censée être plus propre que la « black propaganda », la « propagande noire » – de la CIA) car je révélais les trafics d’êtres humains à la frontière mexicaine, et notamment à Tijuana, où les cliniques illégales spécialisées dans la greffe de reins pullulaient, avec la complicité tacite des pouvoirs publics .
Voleurs d’organes dérangeait, enfin, les mandarins, plus prompts à défendre leur image, coûte que coûte, plutôt que de dénoncer les brebis galeuses en leur sein. Avec en tête, le Pr. Barraquer, le « pape de l’ophtalmologie » qui avait reconnu devant la 17 ème chambre de Paris, que 30 % de l’activité de sa clinique concernait le « tourisme médical », à savoir des clients étrangers qui venaient notamment se faire greffer des cornées à Bogota.
À noter que, dans cette coalition du silence, l’Argentine faisait exception puisque que c’était le ministre de la santé qui avait confié à un juge, Victor Heredia, une instruction sur un vaste trafic d’organes opéré sur des malades mentaux d’un hôpital psychiatrique public, où j’avais pu filmer.
Je me souviens qu’au plus fort de la tourmente, j’avais relu le livre de Pierre Assouline Albert Londres, Vie et mort d’un grand reporter, où il citait ce mot de l’homme au chapeau noir, qui s’est attaqué à tous les tabous de son temps – le bagne de Cayenne, la traite des blanches, des noirs, les hôpitaux psychiatriques, les trafics de drogues et d’armes :
« J’ai voulu descendre dans les fosses où la société se débarrasse de ce qui la menace ou ce qu’elle ne peut nourrir. Regarder ce que personne ne veut plus regarder. Juger la chose jugée ».
Et Assouline d’ajouter :
« Persuadé que ses reportages sont un coup de pouce donné aux événements afin que les hommes souffrent moins, Albert Londres prête sa voix à ceux qui n’en ont pas (…) Il se sent plus proche, solidaire et complice, des héros et marginaux que des pouvoirs et notables. Les officiels, il les expédie en quelques paragraphes sur un air d’enterrement »….
Albert Londres qui définissait ainsi le métier de journaliste:
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, c’est de mettre la plume dans la plaie ».
S’il avait vécu aujourd’hui, Albert Londres aurait très certainement porté sa plume dans l’univers des marchands de corps humains mais aussi dans celui des manipulateurs du génie génétique, ou les empoisonneur industriel, considérant que les citoyens ont le droit d’être informés sur la manière dont les produits issus de l’activité scientifique sont mis sur le marché, surtout lorsqu’ils engagent la société tout entière, au risque de se faire quelques nouveaux ennemis acharnés…