Alors que je me rendais à une interview à Angers Télé, j’ai été contactée par un confrère de la Charentes Libre à propos d’une affaire dont j’avais été informée lors d’une projection de mon film à Ruffec, au printemps dernier: celle de Paul François, un producteur de maïs victime d’une grave intoxication après avoir épandu du Lasso (en 2004), un pesticide produit par Monsanto, aujourd’hui interdit.
Il est malheureux de voir que c’est toujours la même histoire qui se répète…
Je copie ici l’article publié par mon confrère régional.
Les faits du jour en région
L’INTOXICATION AUX PESTICIDES AVÉRÉE
Le tribunal des affaires de Sécurité sociale établit un lien entre pesticides et la maladie d’un agriculteur du Ruffécois. Une première étape importante
04.11.2008
Jean-François BARRÉ
Paul François, agriculteur à Bernac, vient de gagner une manche judiciaire. Il a aussi intenté une action contre Monsanto, le fabriquant du pesticide Lasso
Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) «dit que la rechute déclarée le 29 novembre 2004 par Monsieur Paul François est directement liée à l’accident du travail dont il a été victime le 27 avril 2004 et qu’elle doit être prise en charge au titre de la législation professionnelle». Paul François, agriculteur près de Ruffec, vient de marquer un point décisif. En rendant sa décision hier matin, le tribunal a considéré qu’il avait bien été victime d’un «accident du travail» sur sa ferme de Bernac, en cet après-midi d’avril 2004. Ce que lui contestait jusqu’alors Aaexa, l’assurance des accidents du travail pour les agriculteurs.
Paul François avait été victime d’une intoxication massive alors qu’il nettoyait sa cuve d’épandage de pesticides. Quasiment un gazage. A l’époque, il utilisait dans ses maïs du Lasso, produit par le géant américain de la chimie Monsanto.
Des comas à répétition, des hospitalisations à la chaîne, des malaises à suivre, un système immunitaire aujourd’hui défaillant…, pendant près de quatre ans, Paul François a mobilisé la communauté scientifique, d’expertise en contre-expertise, des urgences de Ruffec à l’hôpital Lariboisière à Paris. Tout le monde s’est arraché les cheveux pour tenter de comprendre pourquoi, plus d’un an après son intoxication initiale, l’agriculteur rejetait encore des doses de toxines, à des taux plus ou moins variables, alors que son organisme aurait dû éliminer le produit en quelques jours, voire en quelques semaines.
C’est cette interrogation qui avait incité Aaexa a lui refuser la qualification d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Le tribunal des affaires de Sécurité sociale a fondé sa décision sur la base de deux rapports d’experts, celui du docteur Ta Minh, et surtout celui du professeur Jean-François Narbonne, chercheur à l’université de Bordeaux, qui a apporté des éléments d’explication du phénomène.
«Monsanto n’est pas le seul
petit vilain»
Pour Paul François, c’est un soulagement. «J’avais peur que l’on reparte avec un énième expert. Mais le tribunal s’est donné les moyens de juger avec les avis de plusieurs d’entre eux, et non des moindres», estime-t-il. Son dernier souci, c’est que Aaexa fasse appel. Mais «moralement, c’est réconfortant. On m’avait même accusé d’avoir inhalé volontairement le produit. C’est aussi une reconnaissance. Ma maladie, je ne l’ai pas inventée.»
Hier soir, Patrick Blanchon, le représentant régional d’Aaexa à Poitiers, indiquait seulement que le dossier allait vraisemblablement être soumis aux médecins conseils de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour qu’ils se prononcent sur l’opportunité d’un appel.
Ce jugement, c’est surtout un élément de plus apporté au dossier que l’agriculteur compte opposer, vraisemblablement à l’été, à Monsanto, le fabriquant du Lasso aujourd’hui interdit à la vente en France. Une procédure en responsabilité a été engagée devant le tribunal de grande instance (TGI) de Lyon où est implanté le siège français de Monsanto. «Ce qui est fondamental dans ce jugement du Tass, commente François Lafforgue, l’avocat parisien de l’agriculteur, c’est qu’il reconnaît qu’il y a bien un lien de cause à effet entre le produit utilisé par Paul François et l’affection contractée depuis lors. C’est l’une des premières fois que ce lien est reconnu, après expertises, par le Tass.»
Dès lors, le dossier prend une autre dimension. C’est Paul François contre Monsanto. Une première, là aussi, de la part d’un particulier contre la firme. «On sait que ça va être le pot de terre contre le pot de fer», envisage l’agriculteur qui a choisi d’aller au bout de sa démarche. «Je le fais pour moi. Je le fais aussi pour les autres agriculteurs. Pour déculpabiliser ceux qui ont été montrés du doigt alors qu’ils n’ont utilisé en pleine confiance que des produits homologués.» L’affaire risque de faire du bruit. «Mais si cela permet à des agriculteurs de prendre conscience…, espère Paul François. Mais Monsanto n’est pas le seul petit vilain. D’autres firmes sont dans la même logique. Elles ne valent pas mieux.»
Pendant ses quatre années de maladie, Paul François s’est beaucoup intéressé à la question. «Pourquoi, dans certains services de néphrologie, huit patients sur dix sont des agriculteurs chez qui il y a davantage de cancers de la prostate, du pancréas, des problèmes de fécondité», s’interroge-t-il.
S’arranger ou le procès
Hier encore, il avait le soutient de Marie-Monique Robin, l’auteur du livre et du documentaire «Le monde selon Monsanto». «Je suis ravie. Et la question, maintenant, c’est celle de tous ces agriculteurs qui ont Parkinson, Alzheimer. Et l’épidémie ne fait que commencer. Aujourd’hui, c’est un premier pas . Pour ceux qui ont été exposés aux produits aujourd’hui interdits mais utilisés depuis vingt ans, de manière chronique tout au long d’une carrière, ce sera peut-être plus difficile.»
Pourtant, Paul François dit qu’il commence à prendre la mesure du phénomène. «J’ai reçu des mails, des courriers, des coups de fil. Des gens qui s’interrogent sur les produits. L’un m’a dit que son médecin pensait que c’était la cause de sa maladie. Mais que les revendeurs lui avaient laissé entendre qu’il vaudrait mieux s’arranger que d’aller au procès. Un agriculteur aujourd’hui retraité, dans le centre de la France, m’a raconté comment on lui avait proposé tout un lot de produits gratuits pour arranger les choses. Il y a aussi cette femme qui regrette de ne pas s’être battue avant le décès de son mari. La maladie a été reconnue par voie de justice. Après sa mort.»
Pour toutes ces raisons, Paul François a décidé de ne pas baisser les bras. Ne serait-ce que pour les chercheurs, comme Henri Pézerat, 78 ans, chercheur honoraire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui a contribué à lancer la machine. «Hier, c’est premier que j’ai appelé», indique Paul François. Les travaux de ses confrères ont ensuite donné corps au dossier que François Lafforgue s’apprête à aller défendre devant le TGI.