Nouvelles du Canada et d’ailleurs !

Je craignais le pire, mais finalement j’ai de la chance : alors que la température affichait -20° la semaine dernière à Montréal, le thermomètre oscille autour de zéro depuis que je suis arrivée dans la ville enneigée il y a tout juste cinq jours. Je suis invitée par Stanké, mon éditeur canadien, qui après Le monde selon Monsanto et Notre poison quotidien, publie Les moissons du futur.  La sortie en librairie coïncide avec la diffusion du film sur Télé Québec, qui a décidé de le passer en deux parties. J’avoue que cette décision ne m’a pas réjouie, car le documentaire constitue un tout et je ne l’ai pas conçu pour qu’il soit coupé en deux épisodes. « Nous voulons que le film passe en prime time et nous n’avons pas de case de 90 minutes à cette heure là », m’ont expliqué les représentants de Télé Québec, qui l’ont effectivement programmé à 20 heures, dans la case « Planète Science », les lundi 11 et 18 février.

En attendant, l’avant-première organisée, lundi 11 février, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a fait salle comble : 400 personnes, et des dizaines qui n’ont pas pu réserver !

Pendant quatre jours, j’ai enchaîné les interviews avec les principaux médias de Montréal et de Québec.

Ici avec Catherine Perrin , sur la première chaîne de Radio Canada

Ou encore avec Isabelle Maréchal, sur 98,5 FM

Ou encore avec Claude Bernatchez sur Radio Canada (à Québec):

http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2013/CBV/Premiereheure201302130644.asx

 

Ou encore avec Isabelle Maher, du Journal de Montréal :

Ou encore avec Benoît Perron, dans son émission « Zone de résistance » du 12 février :

http://www.cism.umontreal.ca/show_details.php?sID=335

Comme il se doit, mon livre suscite des réactions parfois contrastées, notamment chez les climato-sceptiques, tel Rémy Charest, blogueur au Journal de Québec, qui a manifestement été « gêné » par mon premier chapitre, où je fais le point – publications scientifiques à l’appui- sur les effets – déjà à l’œuvre et annoncés- du réchauffement climatique, ce qu’il appelle du « catastrophisme ».

http://blogues.journaldequebec.com/remycharest/actualites/la-catastrophe-lespoir-et-les-moissons-du-futur/

Quant à l’argument selon lequel « aujourd’hui beaucoup plus de gens mangent à leur faim qu’il y a vingt ans », il repose sur des chiffres fluctuants et difficilement vérifiables : au moment où j’écrivais mon livre, la FAO affirmait que 925 millions de personnes souffraient de la faim dans le monde (chiffres de 2010) ; un an plus tard, ils n’étaient plus « que » 868 millions.  Quoiqu’il en soit, et n’en déplaise au sieur Charest, l’ « épicurien » qui « mange et boit » – je m’en réjouis pour lui- le fait qu’aujourd’hui une personne sur huit ne mange pas à sa faim, alors que la production alimentaire permettrait de nourrir « douze à quatorze milliards d’êtres humains», ainsi que me l’a dit Ulrich Hoffmann (ONU) prouve s’il en était besoin que le modèle agroalimentaire actuel ne fonctionne pas … Pourquoi ? C’est précisément ce que j’essaie de comprendre dans mon livre où j’épingle effectivement l’échec patent de la « révolution verte », qui malgré les sommes colossales englouties pour promouvoir ses techniques n’est pas parvenue à nourrir le monde, loin s’en faut… Mon enquête montre, au contraire, que si nous ne sommes pas parvenus à réduire de manière significative le nombre d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim, c’est précisément à cause du modèle agronomique et économique qu’incarnent les pesticides.

Du papier de mon confrère québécois, je retiens surtout qu’il a été convaincu par les expériences agroécologiques que j’ai découvertes sur les quatre continents. Son enthousiasme pour cette « agriculture autrement » qui dessine un « monde meilleur », en « agissant champ par champ, culture par culture » fait écho à celui que je rencontre après la projection de mon film.

Un exemple : Château-Gontier (Mayenne) où j’étais le 16 janvier. La soirée a failli tourné à l’émeute, car une centaine de personnes n’ont pas pu pénétrer dans le cinéma, faute de place : la jauge était de 200 ! « La dernière fois que j’ai vu autant de monde, c’était pour Les intouchables ! » m’a dit la responsable du cinéma ! Ce soir là, l’organisateur de la soirée a posé une question au public : « Si vous deviez résumer le film en un mot, quel serait-il ? »

Les réponses ont tout de suite fusé, mais prise par surprise, je n’ai pu filmer que la fin avec mon I Phone:

Le lendemain, la même question fut posée au public de Beaumont sur Sarthe qui s’est aussi prêté au petit jeu :

Pour finir, je voudrais rendre hommage à Eric Dauzon, un professeur de français qui était présent à la projection des Moissons du futur à Château Gontier. Ce fut une rencontre très émouvante… Il m’a raconté, en effet, qu’il avait vu et lu Notre poison quotidien et cela l’avait aidé à affronter la maladie de son épouse, atteinte d’un cancer du sein. Poète et écrivain, Eric Dauzon a conçu de cette expérience un magnifique livre illustré pour enfants qu’il a réalisé avec l’illustratrice Anne Claire Macé.

Baptisé La princesse est malade!, l’ouvrage raconte l’histoire d’une princesse empoisonnée par une … pomme que ses proches vont sauver avec beaucoup d’amour et de produits naturels. Un magnifique conte qui permet de sensibiliser les enfants aux dangers des produits chimiques mais aussi d’aborder le douloureux sujet de la maladie d’une maman ou d’un papa, avec un message d’espoir: La princesse, bien sûr, sera guérie…

Sacrée Légion!

La nouvelle est arrivée sous forme d’un SCUD électronique. J’étais dans le métro, en train de lire Adieu à la croissance de l’économiste Jean Gadrey. Mon I Phone me signale l’arrivée d’un SMS. « Félicitations pour cette légion d’honneur. Bises », m’écrit Frédérique, ma cousine, assistante sociale dans les Deux Sèvres. La veille, j’étais encore dans ce département, où j’avais rendu visite à mes parents. Je rétorque illico : « ??? ». Réponse de Frédérique : « Il y a un article dans Le Courrier de l’Ouest qui dit que tu es promue au grade de chevalier de la légion d’honneur. Je t’ai scanné et envoyé l’article ».

Voici le fameux article :

Après quelques vérifications, il m’a fallu me rendre à l’évidence : l’info du Courrier de l’Ouest n’était pas un poisson d’Avril. C’était dans le Journal Officiel, qui n’a pas l’habitude de faire des blagues.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026871328

De fait, parmi les 691 décorés par décret présidentiel du 1e janvier 2013, figure « Mme Robin (Marie-Monique, Jeanne, Geneviève), journaliste, réalisatrice de films, écrivaine ».

Je veux donc solennellement mettre en garde tous ceux qui ne l’ont pas encore eue : la Légion d’Honneur peut vous arriver sans crier gare. C’est la surprise du Chef  (de l’État) ! J’attends toujours le courrier qui me l’annoncerait personnellement, et m’expliquerait qui m’a préparé cette décoration pour les Fêtes, bien que j’aie ma petite idée là-dessus.

Et maintenant que dire et que faire ?

Car ça n’a échappé à personne : honorée sur le contingent du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie  pour mes « 28 ans de service », je pourrais être la tête de gondole idéale d’un gouvernement qui se manifeste davantage par son respect des logiques industrielles et financières, que par un quelconque volontarisme écologiste. Dans les grands domaines qui me tiennent particulièrement à cœur, je trouve l’inertie affichée par l’équipe de François Hollande proprement affligeante, alors que la campagne du nouveau locataire de l’Elysée avait promis d’amorcer la nécessaire « transition écologique ». L’agriculture ? Malgré un titre pompeux « Faire de l’agro-écologie une force pour la France », la conférence nationale du 18 décembre a été conclue par Stéphane le Foll sur une vague promesse qu’une « autre voie est possible pour l’agriculture française », sans que ne soit annoncée aucune mesure. Pourtant, j’en vois deux urgentes : soutenir la conversion biologique des agriculteurs qui sont prêts à franchir le pas et encourager le développement de l’agro-foresterie. L’économie ? Comme beaucoup de Français(e)s, je n’ai pas digéré le Pacte de compétitivité et les vingt milliards accordés aux (grandes) entreprises, alors qu’aucune réflexion sérieuse n’a (encore) été menée sur les centaines de milliers d’emplois que pourraient générer le développement de l’agriculture biologique et du commerce de proximité, la réhabilitation du bâtiment, ou la multiplication des sources d’énergies renouvelables et locales. L’énergie ? Je n’ai pas oublié les déclarations de Delphine Batho, la ministre de l’Écologie et de l’Énergie, qui, lors de l’Université d’été du MEDEF (le 30 août) a déclaré : « La France a durablement besoin du nucléaire pour satisfaire ses besoins énergétiques, maintenir la compétitivité de ses entreprises et soutenir ses exportations ». Ce même jour, elle affirmait, à l’unisson du gouvernement  que l’aéroport de Notre Dame des Landes était « une infrastructure dont nous avons besoin ».  J’ai publiquement dit sur ce Blog et lors de la cinquantaine de projections publiques de mon film Les moissons du futur, auxquelles j’ai participé au cours des trois derniers mois, que le projet d’extension de l’aéroport de Nantes constituait un non sens environnemental et économique, et incarnait un anachronisme à l’heure des pics pétroliers et gaziers et des grands bouleversements que nous imposera inéluctablement la crise du climat.

Dois-je admettre d’être un argument de greenwashing ? La question se pose à moi, à mon entourage, à ceux qui se reconnaissent dans ce que j’accomplis. Recevoir la médaille, serait-ce accepter que le pouvoir  qui dirige aujourd’hui la politique de la France m’enrôle dans sa Légion sans me demander mon avis, me pince la joue et me réduise au silence des honneurs, comme un signe à sa boutonnière… ? J’ai hésité, c’est vrai. Mais je crois qu’accepter l’honneur, ce n’est pas reconnaître que l’action de ce gouvernement m’honore, mais assumer que je suis une fille de la République attachée à la promotion d’une valeur que ladite République est censée incarner: le bien commun.

Pour tous ceux qui partagent la conviction que les mots « liberté, égalité, fraternité » devraient constituer le moteur de l’indispensable changement , cet insigne qui me sera remis, doit être un nouveau signe de la progression de nos idéaux. Souvent nous nous indignons que ceux que le peuple a portés au pouvoir se laissent convaincre par les lobbies ; en m’accordant les honneurs que je n’ai pas sollicités, nos élus montrent au contraire qu’ils doivent tenir compte d’autres forces. Ils admettent la nécessité des lanceurs d’alerte et des empêcheurs-d’agir-en-rond qui dénoncent les tromperies admises comme des vérités, et démasquent les conflits d’intérêts et les arbitrages en faveur des puissants. Derrière la main qui me flatte, je vois les enfants victimes du trafic d’organes, les agriculteurs suicidés par l’industrie, je vois Paul Jacquin, l’instituteur tué par la rumeur, et Paul François, le paysan malade de Monsanto ; je vois aussi les disparus d’Argentine, les femmes battues, et tous ceux et celles  qui oeuvrent aux quatre coins du monde pour qu’enfin triomphent les moissons du futur.  C’est à tous ces gens-là que je dois ma récompense. Et ceux qui pensent que je ferai allégeance se trompent. Fidèle à Albert Londres, je garderai ma liberté de parole en continuant de « porter la plume dans la plaie »…

Pour finir sur un clin d’oeil, j’invite les lecteurs à méditer ce clip de Tryo qui tombe à point nommé…
TRYO – GREENWASHING par Tryo-Official

Bonnes et mauvaise nouvelles

Commençons par les nouvelles réjouissantes…

Le 26 octobre dernier, j’ai rencontré Gaby Vienot, alias Kolibri, qui avait organisé avec l’association Starting Block, une projection de mon film Les moissons du futur, dans le XXème arrondissement de Paris. Il m’avait demandé l’autorisation d’utiliser les images de mon documentaire Le monde selon Monsanto pour faire un rap décapant sur cette multinationale, considérée comme l’une des entreprises les plus polluantes de l’ère industrielle.

Et bien c’est fait !

À faire circuler sans compter !

http://www.youtube.com/watch?v=kUNxxXBAAQU

Par ailleurs, j’invite ceux qui connaissent mon livre Le monde selon Monsanto par cœur, à rédiger la dissertation proposée ci-dessous !

http://www.dissertationsgratuites.com/dissertations/Analyse-Du-Livre-Le-Monde/477572.html

En ce qui concerne l’étude de Gilles-Eric Séralini, je recommande cette émission proposée par France 3 Normandie qui a dédié une heure très documentée à l’affaire, avec des invités très intéressants, comme le sénateur Jean-François Le Grand (et président du conseil général de la manche), qui a raconté les pressions qu’il a subies lorsqu’il étaitprésident de la haute Autorité provisoire des OGM.  Pour ma part, j’ai été interviewée pour cette émission, lors de mon récent passage à Caen, pour une projection débat.

http://basse-normandie.france3.fr/emissions/pomme-gratter

Je viens de passer deux mois sur les routes de France et de Navarre, et partout Les moissons du futur ont fait salle comble. Comme ici à Auch (Gers), où j’étais invitée par la librairie des Petits Papiers.

La mauvaise nouvelle, c’est bien sûr l’étude publiée par la revue Human reproduction, qui révèle que les hommes ont perdu un tiers de leurs spermatozoïdes entre 1989 et 2005. Portant sur 26 000 hommes français, qui ont participé à un Programme d’assistance à la procréation (AMP), cette étude exceptionnelle confirme ce que je disais dans mon enquête Notre poison quotidien: cette inquiétante évolution, qui est souvent liée à des problèmes d’infertilité, est due à l’action des perturbateurs endocriniens, comme le Bisphénol A, les phtalates, les PCB (merci Monsanto!), le PFOA des récipients en téflon, ou de nombreux pesticides (comme le roundup de … Monsanto).

http://www.amazon.fr/Notre-poison-quotidien-Marie-Monique-Robin/dp/2707157708

http://www.mariemoniquerobin.com/crbst_81.html

C’est en 1992 que Niels Skakkebaek constata, pour la première fois, que la concentration des spermatozoïdes avait diminué de 50% entre 1938 et 1990.

Voici le compte rendu que je faisais de ma rencontre avec le chercheur danois dans mon livre Notre poison quotidien :

EXTRAIT

Chute de la fertilité des hommes et inquiétantes anomalies reproductives

Au moment où les pionniers de Wingspread forgeaient le terme « perturbateurs endocriniens », un scientifique danois, Niels Skakkebaek, préparait la publication d’une étude qui allait faire l’« effet d’un coup de tonnerre ». Avec ses collègues de l’hôpital universitaire de Copenhague, il a « analysé soixante et un articles publiés de 1938 à 1990, concernant un total de 14 947 hommes fertiles ou en bonne santé, issus de tous les continents, et a mis en évidence une décroissance régulière de la production spermatique au cours du temps. En effet, alors que les premières études datant de 1938 rapportaient une concentration moyenne de 113 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme, les dernières publications de 1990 faisaient état d’une concentration moyenne de 66 millions par millilitre[i] ». En clair : la quantité de spermatozoïdes contenue dans un éjaculat a baissé de moitié en moins de cinquante ans !

Publiés en septembre 1992 dans le très sérieux British Medical Journal[ii], les résultats de l’étude paraissaient tellement incroyables qu’ils suscitèrent le doute de Jacques Auger et Pierre Jouannet, deux spécialistes français de la santé reproductive et fondateurs des CECOS (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme), organismes essentiels pour permettre le développement des fécondations in vitro (FIV). Ceux-ci décidèrent d’analyser et de comparer les éjaculats des 1 750 donateurs de spermes parisiens entre 1973 (date de la création du CECOS de l’hôpital Kremlin-Bicêtre) et 1992. Les résultats confirmèrent ceux de l’étude danoise : en deux décennies, la quantité de spermatozoïdes avait chuté d’un quart, soit une baisse de la concentration d’environ 2 % par an. Les hommes nés en 1945 et mesurés en 1975 avaient une moyenne de 102 millions de spermes par millilitre, contre 51 millions pour ceux nés en 1962 (et mesurés trente ans plus tard). De plus, la chute quantitative s’accompagnait d’une baisse de la qualité des spermatozoïdes, qui présentaient une mobilité réduite et des anomalies de forme, entraînant une réduction de la fertilité[iii]. Dans le livre qu’il a cosigné avec Bernard Jégou et Alfred Spina, Pierre Jouannet souligne le doute qu’a suscité de nouveau cette étude décidément fort dérangeante : « Ces résultats semblaient aller tellement à l’encontre d’une donnée communément admise – la stabilité de la production spermatique – que le prestigieux journal qui publia cet article (le New England Journal of Medicine) le fit spécialement évaluer par un statisticien externe[iv]. »

Les préjugés ayant la peau dure, Shanna Swan, une épidémiologiste américaine, entreprit en 2000 de reprendre la méta-analyse de Niels Skakkebaek, en y ajoutant quarante publications supplémentaires. Et elle confirma – définitivement et à la hausse – les conclusions de l’équipe danoise, puisqu’elle constata une baisse annuelle moyenne de la densité spermatique de 1,5 % aux États-Unis et de 3 % en Europe et en Australie sur la période 1934-1996[v].

Les remous suscités par sa publication font encore sourire Niels Skakkebaek, dont l’histoire a été racontée par Theo Colborn dans Our Stolen Future. « Quand mon étude est sortie, tout le monde s’est focalisé sur la baisse très spectaculaire des spermatozoïdes, a-t-il commenté lorsque je l’ai rencontré, le 21 janvier 2010, dans son laboratoire du Rigshospitalet, à Copenhague. Mais pour moi, elle comprenait une autre information tout aussi inquiétante, à savoir l’augmentation constante du taux de cancer des testicules, notamment au Danemark où il avait été multiplié par trois entre 1940 et 1980. C’était d’autant plus troublant que cette hausse n’était pas observée dans la Finlande voisine, un pays essentiellement forestier et très peu industrialisé. De plus, j’avais constaté la même différence pour deux anomalies de l’appareil génital masculin, quatre fois plus fréquente au Danemark qu’en Finlande : la cryptorchidie et l’hypospadias. »

Pour bien comprendre l’importance de la découverte réalisée par le chercheur danois, il faut savoir que « la descente des testicules dans les bourses est contrôlée par des hormones : l’insuline-like factor 3 et la testostérone. Quand les testicules ne sont pas descendus dans le scrotum avant trois mois, on parle de cryptorchidie », ainsi que l’expliquent les auteurs de La Fertilité est-elle en danger ? De même, concernant l’hypospadias, ils précisent : « La formation de l’urètre dans le pénis est contrôlée par la testostérone. Ce développement peut être perturbé. Au lieu de s’ouvrir au niveau du gland, l’urètre se termine alors par une ouverture plus ou moins large sous le pénis ou même au niveau des bourses[vi]. »

Perturbé par les résultats de son étude, Niels Skakkebaek se met en rapport avec son collègue écossais Richard Sharpe, qui a constaté les mêmes anomalies reproductives au Royaume-Uni. Ensemble, ils épluchent la littérature scientifique et découvrent que des expériences menées sur des rats exposés à du distilbène, un œstrogène de synthèse (voir infra, chapitre 17), ont révélé le même type de malformations congénitales. « C’est ainsi que, pour la première fois, nous avons émis l’hypothèse que la multiplication des anomalies reproductives pouvait être due à une exposition accrue à des œstrogènes pendant la vie prénatale[vii], m’a expliqué l’endocrinologue et pédiatre danois.

– Vous avez mené un vrai travail de détective ?

– Oui, je crois qu’on peut le dire, car à l’époque, ce champ d’investigation était complètement nouveau. La chance que j’ai eue, si je puis dire, c’est que ma recherche fondamentale était nourrie par ma pratique médicale, ici, au Rigshospitalet, où de nombreux hommes présentant des problèmes d’infertilité sont venus me consulter. En examinant les biopsies de leurs testicules, j’ai découvert que ceux-ci contenaient des cellules précancéreuses. Or, il s’est avéré que plusieurs de ces hommes que j’ai suivis pendant plusieurs années ont effectivement développé un cancer des testicules. L’autre fait troublant était que les cellules précancéreuses présentes dans les testicules de ces hommes infertiles étaient similaires aux cellules germinales que l’on trouve chez un fœtus. Ces cellules ne devraient pas être dans les testicules d’un homme adulte. Tout indique que quelque chose a bloqué le développement des cellules fœtales qui auraient dû mûrir et évoluer vers la production de sperme, mais elles se sont maintenues au stade de cellules germinales dans les testicules, ce qui fait que l’homme est né avec ces cellules immatures. Pendant l’enfance, elles sont restées dormantes, mais à la puberté elles ont commencé à se multiplier pour finalement développer un cancer.

– Comment expliquez-vous ce phénomène ?

– L’hypothèse la plus probable, c’est que les mères ont été exposées à des perturbateurs endocriniens pendant leur grossesse, à un moment crucial pour le développement de l’appareil génital de leur bébé. Cette contamination prénatale a entraîné une série de dysfonctionnements qui sont tous liés : les problèmes de fertilité, les malformations congénitales comme la cryptorchidie ou l’hypospadias et le cancer des testicules. Avec des collègues, j’ai baptisé ce phénomène le “syndrome de dysgénésie testiculaire”, car on est en face de plusieurs symptômes qui ont la même origine fœtale et environnementale. Cela veut dire aussi que les hommes qui ont des difficultés à faire un enfant doivent se faire régulièrement suivre, car le risque qu’ils développent un cancer des testicules avant quarante ans est considérablement accru[viii].

– Que répondez-vous à ceux qui disent que le cancer n’a rien à voir avec la pollution environnementale, mais qu’il est dû à une augmentation de la population âgée ?

– Pour le cancer du testicule, ce n’est pas vrai, car il est caractéristique des hommes jeunes, âgés de vingt à quarante ans, m’a répondu le docteur Skakkebaek. Les hommes de plus de cinquante-cinq ans ont un risque presque nul de développer une tumeur des testicules. Il se trouve aussi que le cancer des testicules est l’un des cancers qui a le plus progressé au cours des trente dernières années et la seule explication possible, c’est la contamination environnementale.

– Et comment peut-on protéger les hommes de ces troubles graves ?

– Le seul moyen de les protéger, c’est de protéger leurs mères ! Le problème c’est que les perturbateurs endocriniens sont partout. Mais il y a des produits que les femmes enceintes devraient absolument éviter comme les phtalates, que l’on trouve dans de nombreux emballages plastiques et films de protection alimentaires, des objets en PVC, mais aussi dans des produits de soin corporel comme les shampoings. J’ai récemment publié une étude qui montre qu’il y a une corrélation entre le taux de phtalates présent dans le lait maternel et celui des malformations congénitales, comme la cryptorchidie, chez les petits garçons[ix]. Il faut aussi éviter les produits qui contiennent du bisphénol A, comme les récipients en plastique dur ou certaines boîtes de conserve [voir infra, chapitre 18], mais aussi les poêles et casseroles antiadhésives qui contiennent de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA)[x]. Je viens de publier une étude qui montre que les hommes fortement imprégnés de résidus de PFOA ont en moyenne 6,2 millions de spermes dans un éjaculat, ce qui est proche du seuil de la stérilité[xi]. Et puis, il est préférable de manger des fruits et légumes issus de l’agriculture biologique, car de nombreux pesticides sont des perturbateurs endocriniens.

– Mais concernant le bisphénol A ou le PFOA, les agences de réglementation ne cessent de répéter que les résidus que l’on trouve dans nos organismes sont négligeables, car ils sont bien en dessous de la dose journalière acceptable de ces produits : est-ce qu’elles se trompent ?

– Je ne suis pas toxicologue, mais en tant qu’endocrinologue, je peux vous dire que ces substances agissent à des doses infinitésimales qui sont bien inférieures à la DJA qui leur a été assignée. Tout indique que le système de réglementation n’est pas adapté aux perturbateurs endocriniens.

– Pensez-vous que l’espèce humaine est en danger ?

– Je pense que la situation est sérieuse. Au Danemark, aujourd’hui, 8 % des enfants sont conçus par des techniques de procréation médicale assistée comme la fécondationin vitro (FIV), c’est déjà beaucoup et les couples qui présentent un problème de fertilité sont de plus en plus nombreux. Il est urgent d’agir… »

FIN DE L’EXTRAIT


[i] Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira, La Fertilité est-elle en danger ?, op. cit., p. 60.

 

[ii] Elisabeth Carlsen, Niels Skakkebaek et alii, « Evidence for decreasing quality of semen during past 50 years », British Medical Journal, vol. 305, n° 6854, 12 septembre 1992, p. 609-613.

[iii] Jacques Auger, Pierre Jouannet et alii, « Decline in semen quality among fertile men in Paris during the last 20 years », New England Journal of Medicine, vol. 332, 1995, p. 281-285.

[iv] Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira, La Fertilité est-elle en danger ?, op. cit., p. 61.

[v] Shanna Swan, « The question of declining sperm density revisited : an analysis of 101 studies published 1934-1996 », Environmental Health Perspectives, vol. 108, n° 10, octobre 2000, p. 961-966.

[vi] Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira, La Fertilité est-elle en danger ?, op. cit., p. 71-74.

[vii] Richard Sharpe et Niels Skakkebaek, « Are oestrogens involved in falling sperm counts and disorders of the male reproductive tract ? », The Lancet, vol. 29, n° 341, 29 mai 1993, p. 1392-1395.

[viii] Niels Skakkebaek et alii, « Testicular dysgenesis syndrome : an increasingly common developmental disorder with environmental aspects », Human Reproduction, vol. 16, n° 5, mai 2001, p. 972-978.

[ix] Katharina Main, Niels Skakkebaek et alii, « Human breast milk contamination with phthalates and alterations of endogenous reproductive hormones in infants three months of age », Environmental Health Perspectives, vol. 114, n° 2, février 2006, p. 270-276. De nombreuses études ont montré ce lien, comme : Shanna Swan et alii, « Decrease in anogenital distance among male infants with prenatal phthalate exposure », Environmental Health Perspectives, vol. 113, n° 8, août 2005, p. 1056-1061.

[x] « Alerte aux poêles à frire », <Libération.fr>, 30 septembre 2009. Dupont de Nemours, détenteur de la marque Téflon depuis 1954, a annoncé qu’il cesserait d’utiliser le PFOA d’ici… 2015.

[xi] Ulla Nordström, Niels Skakkebaek et alii, « Do perfluoroalkyl compounds impair human semen quality ? », Environmental Health Perspectives, vol. 117, n° 6, juin 2009, p. 923-927.

Voici, enfin, un montage que j’avais réalisé sur la baisse de fertilité des hommes mais que j’avais dû couper du montage, pour cause de longueur…

 

L’irrésistible succès des Moissons du futur

Je continue ma tournée française qui confirme ce que j’ai déjà écrit sur ce Blog : partout les salles sont pleines, et régulièrement les organisateurs sont obligés de refuser du monde, pour des questions de sécurité ! Partout, aussi, Les moissons du futur soulèvent l’enthousiasme pour des raisons similaires que je résume ici, en me basant sur ce que j’ai entendu à de nombreuses reprises :

Je continue ma tournée française qui confirme ce que j’ai déjà écrit sur ce Blog : partout les salles sont pleines, et régulièrement les organisateurs sont obligés de refuser du monde, pour des questions de sécurité ! Partout, aussi, Les moissons du futur soulèvent l’enthousiasme pour des raisons similaires que je résume ici, en me basant sur ce que j’ai entendu à de nombreuses reprises :

–       Ce film « fait du bien », car on voit qu’il y a des alternatives qui marchent au modèle dominant de l’agrobusiness ;

–       Les paysans ont l’air heureux et sont fiers de leur travail ;

–       On comprend que tout est imbriqué : le Nord et le Sud, le global et le local ; les producteurs et les consommateurs ;

–       Grâce à l’exemple de l’ALENA (Mexique/Etats Unis) et l’histoire du Sénégal (protection de la filière oignons), on comprend que le « libre échange » est une « farce » (comme le dit Ulrich Hoffmann, l’expert des Nations Unies) et que le protectionnisme n’est pas un gros mot…

–       Les images sont magnifiques et l’astuce du globe qui circule de main en main, et de continent en continent, nous rappelle que nous sommes tous des « terriens », reliés par un destin commun.

–       Ce film donne envie d’agir là où nous sommes.

Je constate avec plaisir, que contrairement à certains journaux réputés « sérieux » (comme Libération ou Le Monde), qui ont complètement « zappé » ce sujet lors de la présentation de mon film, le public est particulièrement sensible à la question des « externalités », c’est-à-dire des coûts induits par l’agriculture industrielle (pollution de l’eau, maladies provoquées par les pesticides, etc), qui ne sont pas pris en compte pour fixer le prix des aliments issus de l’agriculture « conventionnelle » ou chimique.

Cela conforte mon intuition qu’il faut continuer ce travail de pédagogie, en déconstruisant la machine économique, dont les indicateurs sont faussés par toute une série de mécanismes pervers qui occultent les processus de destruction des ressources de la planète. Il est urgent de tout remettre à plat, et notamment de questionner le mythe de la croissance qui est au cœur de l’idéologie productiviste et consumiériste, dont tout indique qu’elle nous mène droit dans le mur. C’est le but de ma prochaine enquête, intitulée provisoirement « Sacrée croissance ! »

Vous pouvez soutenir la production de ce nouveau film, en pré-achetant le DVD, ainsi que l’ont fait quelque 2000 souscripteurs pour Les moissons du futur.

J’en profite pour vous informer que ARTE Reportage diffusera, samedi 1er décembre, vers 18 heures 20, un documentaire de 26 minutes sur le drame des paysans de Fukushima, intitulé « Terre souillée »,  que j’ai tourné lors de mon voyage au Japon, en juin dernier.

Faites circuler ces informations pour lesquelles vous trouverez plus de détails sur le site de m2rfilms :

http://www.m2rfilms.com/crbst_19.html

Pour finir, je mets en ligne quelques images qui rendent compte du succès des Moissons du futur dans toutes les salles de France et de Navarre :

– Je remercie Audrey Hoc, qui a réalisé un joli reportage sur la projection qui s’est tenue à Bayonne, la semaine dernière :

http://lautretv.fr/actualites/video/regards-croises-sur-film-engage_140#

– 300 personnes à Lorient, le 5 novembre, où je ne suis jamais arrivée, en raison d’un retard (cinq heures!) de mon TGV.

– 250 personnes à Pessac, le 14 novembre

– 260 personnes à Arbois, pour Notre poison quotidien (le 23 novembre)

Lors de mon court séjour à Arbois, j’ai rencontré Pierre Overnoy (photo ci-dessous), un viticulteur de renommée internationale qui pratique l’agriculture biologique, sans aucun produit chimique (y compris le soufre) depuis … 1964. Installé à Pupillin, il a été chaleureusement applaudi lors du débat qui a suivi la projection de Notre poison quotidien, auquel participait le docteur Jean-Jacques Laplante, un médecin de la Mutualité sociale agricole (MSA), auteur d’un ouvrage intitulé Les maux de la terre, où il aborde les dégâts sanitaires causés par les pesticides chez les paysans.

– 400 personnes (auxquelles s’ajoute une centaine de « refoulés »)  à Lons le Saunier pour Les moissons du futur (le 24 novembre):

– 350 personnes à Chadrac près du Puy en Velay (le 25 novembre)

Photo: Vincent Pradier

Sans oublier Caen (200 personnes), Dijon (130 personnes), etc

Je renvoie aussi vers quelques liens glanés sur la toile:

http://www.sudouest.fr/2012/11/19/les-moissons-du-futur-ou-le-bon-grain-qui-dit-vrai-882817-706.php

http://www.starting-block.org/actus/focus/277-marie-monique-robin-il-faut-se-desintoxiquer-de-la-consommation

http://collectif-personnels.bergerie-nationale-rambouillet.over-blog.com/article-les-moissons-du-futur-a-la-bn-112411169.html

http://www.macommune.info/evenement/film-debat-notre-poison-quotidien-76038

http://www.msafranchecomte.fr/lfr/-notre-poison-quotidien-

http://www.lalsace.fr/loisirs/2012/11/16/du-reve-au-reveil-le-film-engage

http://www.ecolo-pratique.com/index.php/2012/11/12/les-moissons-du-futur-choisir-son-avenir/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=les-moissons-du-futur-choisir-son-avenir

Sans oublier ce quiz proposé par Babelio sur Le monde selon Monsanto! A vous de jouer!

http://www.babelio.com/quiz/2853/Le-Monde-selon-Monsanto?qq=1

salle comble à Oloron Sainte Marie

Le propriétaire du cinéma Le Luxor à Oloron Sainte Marie, une petite ville magnifique de 12 000 habitants, située à une quarantaine de kilomètres de Pau, n’en est pas revenu. Ni d’ailleurs Martin Rieussec, le fondateur de l’Appel de la Jeunesse (voir sur ce blog), qui y exerce le métier d’ostéopathe, et avait organisé cette projection, avec une dizaine de partenaires: 250 personnes sont venues, hier, voir Les moissons du futur, et une cinquantaine n’ont pas pu entrer, faute de place!

Le propriétaire du cinéma Le Luxor à Oloron Sainte Marie, une petite ville magnifique de 12 000 habitants, située à une quarantaine de kilomètres de Pau, n’en est pas revenu. Ni d’ailleurs Martin Rieussec, le fondateur de l’Appel de la Jeunesse (voir sur ce blog), qui y exerce le métier d’ostéopathe, et avait organisé cette projection, avec une dizaine de partenaires: 250 personnes sont venues, hier, voir Les moissons du futur, et une cinquantaine n’ont pas pu entrer, faute de place!

Je remercie Pierre-Emmanuel Michel qui m’a envoyé les deux photos ci-dessous.

Je remercie aussi les paysans conventionnels qui ont largement participé au débat, en expliquant la difficulté de « sortir du système« . Publiquement, et en présence de Bernard Uthurry, le maire (PS) de Oloron, j’ai relancé un appel au gouvernement pour qu’il soutienne, par des mesures concrètes, la transition vers l’agriculture biologique et l’agroéécologie. Comme l’a dit, hier, un agriculteur conventionnel, « beaucoup sont prêts, mais il faut les aider« .

Dont acte?!

J’écris ces lignes de Pessac (Gironde) où je vais participer, ce soir, à une nouvelle projection des Moissons du futur, avant de me rendre, demain, à Bayonne.

http://www.sudouest.fr/2012/11/13/une-graine-d-espoir-876621-4720.php

De Chapela à Séralini: comment AgBioWorld détruit la réputation de scientifiques indépendants

J’invite les internautes à lire l’article publié par Rue 89 qui a enquêté sur AgBioWorld, un puissant lobbyiste pro-OGM, qui a orchestré la campagne de diffamation contre Gilles-Eric Séralini. Dans cet article, Benjamin Sourice confirme que ce que j’ai montré dans Le Monde selon Monsanto, où j’avais rencontré Ignacio Chapela, le scientifique de l’Université de Berkeley, victime d’une  incroyable machine de guerre, qui ressemble étrangement à celle déployée pour anéantir la réputation de Gilles-Eric Séralini, et Jonathan Matthews, qui avait révélé le pot aux roses. Si l’on compare l’affaire de Ignacio Chapela et de Séralini, on retrouve les mêmes ingrédients: lettres « indignées » de « scientifiques » commandités qui dénoncent le caractère « militant » des scientifiques, en mettant en cause leur intégrité professionnelle, critiques débridées de leurs études, et demande du retrait de leurs études des journaux qui les ont publiées.

Lisez l’article de Rue 89 et comparez avec ce que j’ai écrit dans Le monde selon Monsanto.

http://blogs.rue89.com/de-interet-conflit/2012/11/12/ogm-la-guerre-secrete-pour-decredibiliser-letude-seralini-228894

EXTRAIT DU MONDE SELON MONSANTO

Le lynchage médiatique du biologiste Ignacio Chapela

« Les petits paysans mexicains sont très conscients des enjeux que représente la contamination transgénique, car pour eux, le maïs est non seulement leur nourriture de base, c’est aussi un symbole culturel », m’explique Ignacio Chapela, l’auteur de l’étude publiée par Nature, qui m’a donné rendez-vous sur le fameux parvis de l’université de Berkeley, à San Francisco. C’est d’ici que partît, en 1964, le mouvement contre la guerre du Viêt-nam, qui dénonçait notamment les épandages de l’agent orange et les « marchands de la mort », au nombre desquels Monsanto.
En ce dimanche d’octobre 2006, l’immense campus, où s’affairent normalement plus de 30 000 étudiants et près de 2 000 enseignants, est désertique. Seule une voiture de police erre comme une âme en peine. « C’est pour moi, me dit Ignacio Chapela, depuis cette affaire, je suis étroitement surveillé, surtout quand je suis accompagné d’une caméra… » Devant mon air incrédule, il ajoute : « Vous en voulez la preuve ? Venez ! » Nous partons en voiture pour rejoindre une colline qui domine la baie de San Francisco. Alors que nous nous dirigeons vers le point de vue panoramique, nous apercevons la même voiture de police qui se gare ostensiblement au bord de la route et qui restera là pendant tout notre entretien…
« Comment avez-vous découvert que le maïs mexicain était contaminé ?, lui ai-je demandé, passablement troublée.
– J’ai travaillé pendant quinze ans avec des communautés indiennes d’Oaxaca, à qui j’apprenais à analyser leur environnement, me répond le biologiste, lui-même d’origine mexicaine et qui travailla plusieurs années pour la firme suisse Sandoz (devenue Novartis, puis Syngenta). David Quist, l’un de mes étudiants, est parti y animer un atelier sur les OGM. Afin de leur expliquer les principes de la biotechnologie, il leur a proposé de comparer l’ADN d’un maïs transgénique, issu d’une boîte de conserve apportée des États-Unis, avec celui d’un maïs criollo qui était censé servir de contrôle, car nous pensions qu’il n’existait pas de maïs plus pur au monde. Quelle ne fut pas notre surprise quand nous avons découvert que les échantillons de maïs traditionnel contenaient de l’ADN transgénique ! Nous avons alors décidé de mener une étude, qui a confirmé la contamination du maïs criollo. »
Pour conduire leur recherche, les deux scientifiques ont prélevé des épis de maïs dans deux localités de la Sierra Norte de Oaxaca. Ils ont constaté que quatre échantillons présentaient des traces du « promoteur 35S », issu comme on l’a vu (voir supra, chapitres 7 et 9) du virus de la mosaïque du chou-fleur ; deux échantillons révélaient la présence d’un fragment provenant de la bactérie Agrobacterium tumefaciens et un autre celle d’un gène Bt . « Dès que nous avons eu nos résultats, commente Ignacio Chapela, nous avons alerté le gouvernement mexicain, qui a conduit sa propre étude, laquelle a confirmé la contamination. »
Le 18 septembre 2001, le ministre de l’Environnement mexicain annonce en effet que ses experts ont fait des tests dans vingt-deux communautés paysannes, et qu’ils ont trouvé du maïs contaminé dans treize d’entre elles, avec un niveau de contamination compris entre 3 % et 10 % . Curieusement, ce communiqué passe alors quasiment inaperçu, alors que, moins de trois mois plus tard, la foudre s’abattra sur Ignacio Chapela et David Quist, sans doute à cause de la renommée de Nature, qui publie leur article fin novembre. Pourtant, lorsqu’ils le proposent au magazine britannique, les deux scientifiques sont félicités pour la qualité de leur étude, et le processus suit son cours normal : l’article est soumis à quatre relecteurs, qui donnent leur feu vert au bout de huit mois. Comme le soulignera en mai 2002 le journal East Bay Express : « Personne ne pouvait prévoir l’ampleur de la controverse à venir . » Elle sera d’une violence inouïe, à travers un véritable lynchage médiatique organisé en grande partie depuis… Saint-Louis.
« D’abord, me raconte Ignacio Chapela, il faut bien comprendre pourquoi cette étude a déclenché les foudres des promoteurs inconditionnels de la biotechnologie. En effet, elle comprenait deux révélations : la première concernait la contamination génétique, qui n’a en fait surpris personne, parce que tout le monde savait que cela finirait par arriver, y compris Monsanto qui s’est toujours contenté d’en minimiser l’impact. » De fait, dans son Pledge, la firme aborde l’épineux sujet avec une infinie délicatesse, puisqu’elle ne parle pas de « contamination », mais de « présence accidentelle qui fait partie de l’ordre naturel  ». « En revanche, poursuit le chercheur de Berkeley, le second point de notre étude était beaucoup plus sérieux pour Monsanto et consorts. En effet, en cherchant où étaient localisés les fragments d’ADN transgénique, nous avons constaté qu’ils s’étaient insérés à différents endroits du génome de la plante, de manière complètement aléatoire. Cela signifie que, contrairement à ce qu’affirment les fabricants d’OGM, la technique de manipulation génétique n’est pas stable, puisqu’une fois que l’OGM se croise avec une autre plante, le transgène éclate et s’insère de manière incontrôlée. Les critiques les plus virulentes se sont surtout concentrées sur cette partie de l’étude, en dénonçant notre incompétence technique et notre manque d’expertise pour pouvoir évaluer ce genre de phénomène. »
Le fait que les « transgènes soient instables » a des « implications graves », commente Science en mars 2002 : « Étant donné que le comportement d’un gène dépend de sa place dans le génome, l’ADN déplacé pourrait créer des effets absolument imprévisibles . » « Cela sape la prémisse fondamentale selon laquelle la manipulation génétique est une science sûre et exacte », renchérit trois mois plus tard une journaliste du East Bay Express . « Cette étude est du pur mysticisme déguisé en science  », rétorque Matthew Metz, un ancien étudiant de Chapela à Berkeley, devenu microbiologiste à l’université de Washington, qui dénigrera Ignacio Chapela et David Quist, au point de prétendre qu’ils avaient été piégés par des « faux positifs » dus à la « contamination de leur laboratoire  »…
« D’où est venue l’offensive ?, ai-je demandé à Ignacio Chapela.
– De deux endroits, murmure-t-il. D’abord de collègues de Berkeley à qui je m’étais affronté dans le passé, à propos d’un contrat de 25 millions de dollars que mon département de biologie avait passé en 1998 avec Novartis-Syngenta, mon ancien employeur. Ce contrat de cinq ans donnait droit à la firme de déposer des brevets sur un tiers de nos découvertes. Cette histoire avait créé deux clans à Berkeley, où s’opposaient deux conceptions antagonistes de la science : d’un côté, ceux qui, comme moi, veulent qu’elle reste indépendante ; et, de l’autre, ceux qui sont prêts à vendre leur âme pour obtenir des financements… »
En juin 2002, le magazine New Scientist a identifié ces « collègues », qui, dès décembre 2001, écrivaient une lettre incendiaire à Nature, demandant au magazine de désavouer l’article. Du jamais vu. Ils ont pour nom Matthew Metz, déjà cité, Nick Kaplinsky, Mike Freeling et Johannes Futterer, un chercheur suisse dont le « boss » était Wilhelm Gruissem, qui travailla à Berkeley, où il était « unanimement considéré comme l’homme qui apporta Novartis à Berkeley  ».
« Mais la pire campagne est venue de Monsanto, lâche Ignacio Chapela, qui, de toute évidence, a reçu une copie de notre étude avant sa parution. »

Les « coups tordus de Monsanto »

Il faut dire que là, la firme de Saint-Louis a fait très fort et qu’il faut se pincer pour croire l’histoire que je vais raconter. En effet, le jour même de la publication de l’article de Chapela et Quist dans Nature, le 29 novembre 2001, une certaine Mary Murphy, manifestement bien informée, poste un courriel sur le site scientifique pro-OGM AgBioWorld, où elle écrit : « Les activistes vont certainement faire courir le bruit que le maïs mexicain a été contaminé par des gènes de maïs OGM. […] On doit noter que l’auteur de l’article de Nature, Ignacio H. Chapela, fait partie du directoire du Pesticide Action Network North America (PANNA), un groupe d’activistes. […] Ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler un auteur impartial . »
Et le même jour, une certaine Andura Smetacek poste sur le même site un courriel intitulé : « Ignatio (sic) Chapela : un activiste avant d’être un scientifique », où elle n’est pas à un mensonge près : « Malheureusement, la publication récente par le magazine Nature d’une lettre (et non pas un article de recherche soumis à l’analyse de scientifiques indépendants) de l’écologiste de Berkeley Ignatio (sic) Chapela a été manipulée par des activistes anti-technologie (comme Greenpeace, les Amis de la terre et la Organic Consumers Association) et les médias dominants pour alléguer faussement l’existence de maladies associées à la biotechnologie agricole. […] Une simple recherche dans l’histoire des relations de Chapela avec ces groupes [écolo-radicaux] montre sa collusion avec eux pour attaquer la biotechnologie, le libre échange, les droits de propriété intellectuelle et d’autres sujets politiques . »
Au moment où s’amorce la « campagne de diffamation  » qui brisera la carrière d’Ignacio Chapela, un homme « tombe par hasard » sur ces étranges courriels. Il s’appelle Jonathan Matthews et il dirige GMwatch, un service d’information sur les OGM basé à Norwich, dans le sud de l’Angleterre. « À l’époque, je faisais une enquête sur AgBioWorld, m’explique-t-il lorsque je le rencontre en novembre 2006, installé comme il se doit devant son ordinateur. C’était vertigineux : les deux courriels postés par Mary Murphy et Andura Smetacek ont été distribués aux 3 400 scientifiques enregistrés sur la liste de diffusion d’AgBioWorld. À partir de là, la campagne a enflé, certains scientifiques, comme le professeur Anthony Trewavas, de l’université d’Édimbourg, appelant au désaveu de l’étude par Nature ou au licenciement d’Ignacio Chapela.
– Qui est derrière AgBioWorld ?
– Officiellement, c’est une fondation à but non lucratif, qui affirme “fournir de l’information scientifique sur l’agriculture biologique aux décideurs à travers le monde”, comme le proclame son site, me répond Jonathan Matthews, démonstration à l’appui . Elle est dirigée par le professeur Channapatna S. Prakash, le directeur du centre de recherche sur la biotechnologie végétale de l’université Tuskegee, dans l’Alabama. D’origine indienne, il est conseiller de l’USAID, l’agence des États-Unis pour le développement international ; à ce titre, il intervient régulièrement en Inde et en Afrique pour promouvoir la biotechnologie. Il s’est rendu célèbre en lançant en 2000 la “Déclaration de soutien à la biotechnologie agricole”, qu’il a fait signer par 3 400 scientifiques, dont vingt-cinq Prix Nobel . Sur son site, il n’hésite pas à accuser les défenseurs de l’environnement de “fascisme, communisme, terrorisme, y compris de génocide”. Un jour, alors que je consultais les archives d’AgBioWorld, j’ai reçu un message d’erreur m’indiquant le nom du serveur qui héberge le site : appollo.bivings.com. Or, le Groupe Bivings, basé à Washington, est une entreprise de communication qui compte parmi ses clients… Monsanto  et qui s’est spécialisée dans le lobbying sur Internet. »
Et Jonathan Matthews d’exhiber un article, publié en 2002 par le journaliste George Monbiot dans The Guardian, où l’on découvre que la firme a présenté son « savoir-faire » dans un document mis en ligne, intitulé : « Marketing viral : comment infecter le monde. » « Pour certaines campagnes, il n’est pas souhaitable et il est même désastreux que le public sache que votre entreprise y est directement impliquée, explique-t-elle à ses clients. En termes de relations publiques, ce n’est tout simplement pas une bonne chose. Dans ces cas-là, il est d’abord important de bien “écouter” ce qui se dit en ligne. […] Une fois que vous vous en êtes bien imprégné, il est possible de vous brancher sur ces sites pour présenter votre position en faisant croire qu’elle vient d’une tierce personne. […] Le grand avantage du marketing viral, c’est que votre message a plus de chance d’être pris au sérieux. » Dans son document, note le journaliste du Guardian, Bivings cite un « dirigeant de Monsanto » qui « félicite la firme » pour son « excellent travail » .
« Savez-vous qui sont Mary Murphy et Andura Smetacek, ai-je demandé à Jonathan Matthews, avec l’impression de nager en plein polar…
– Ah !, me répond le directeur de GmWatch, avec un sourire. Comme l’a bien résumé The Guardian , à qui j’ai transmis mes découvertes, ce sont des “fantômes”, ou des “citoyens factices” ! J’ai passé beaucoup de temps à chercher qui étaient ces deux “scientifiques” qui avaient déclenché la campagne contre Ignacio Chapela. Pour ce qui est de Mary Murphy, elle a posté au moins un millier de courriels sur le site d’AgBioWorld. Elle a notamment mis en ligne un faux article de l’agence Associated Press qui critique les “activistes anti-OGM”. Quand on remonte à l’adresse du serveur dont dépend son adresse électronique, on obtient : Bw6.Bivwood.com ! “Mary Murphy” est donc une salariée de l’agence Binvings ! Quant à “Andura Smetacek”, je me suis dit qu’il devrait être facile de retrouver une scientifique avec un nom si peu commun, d’autant plus qu’elle prétendait écrire depuis Londres. C’est elle qui a notamment initié une pétition demandant l’incarcération de José Bové. J’ai épluché l’annuaire électronique, le registre des électeurs et des cartes bancaires, mais impossible de retrouver sa trace… J’ai engagé un détective privé aux États-Unis, mais il n’a rien trouvé non plus. Finalement, j’ai épluché les détails techniques en bas de ses courriels qui indique l’adresse de protocole Internet : 199.89.234.124. Quand on la copie sur un annuaire des sites Internet, on tombe sur “gatekeeper2.monsanto.com”, avec le nom du propriétaire, “compagnie Monsanto de Saint-Louis” !
– Qui se cacherait, d’après vous, derrière “Mary Murphy” ?
– Avec George Monbiot, du Guardian, nous pensons qu’il s’agit de Jay Byrne, qui fut responsable de la stratégie Internet chez Monsanto. Lors d’une réunion avec des industriels, qui s’est tenue à la fin de 2001, il a notamment déclaré : “Il faut considérer Internet comme une arme sur la table : soit c’est vous qui vous en emparez, soit c’est votre concurrent, mais dans tous les cas, l’un de vous deux sera tué .”
– De faux scientifiques et de faux articles, c’est incroyable !
– Oui, me répond Jonathan Matthew, ce sont vraiment des coups tordus, qui représentent l’exact opposé des qualités que Monsanto prétend incarner dans son Pledge : “Dialogue, transparence, partage ”… Ces méthodes révèlent une firme qui n’a aucune envie de convaincre avec des arguments et qui est prête à tout pour imposer ses produits partout dans le monde, y compris à détruire la réputation de tous ceux qui peuvent lui faire obstacle… »

Un « pouvoir absolu »

En attendant, la « conspiration  », pour reprendre les mots du magazine The Ecologist, a porté ses fruits : le 4 avril 2002, après avoir exigé, en vain, que les auteurs se rétractent, Nature publiait une « note éditoriale inhabituelle  » qui constitue un « désaveu sans précédent  » dans les cent trente-trois ans d’existence du respectable magazine : « Les preuves disponibles ne sont pas suffisantes pour justifier la publication de l’article original », écrit-il en effet. « Unique dans l’histoire de l’édition technique  », cette rebuffade crée quelques remous dans le microcosme scientifique international : « Cela donne une bien piètre image de la ligne éditoriale et du processus de relecture de Nature, s’étonne Andrew Suarez, de l’université de Berkeley, dans une lettre au journal. Dans ce cas, pourquoi Nature s’est-il interdit de procéder à des rétractations similaires pour des publications antérieures qui se sont révélées incorrectes ou susceptibles d’être interprétées différemment  ? » La réponse à cette question est suggérée par Miguel Altieri, un autre chercheur de Berkeley : « Le financement de Nature dépend des grandes firmes, assure-t-il. Regardez la dernière page du magazine et vous verrez qui paie les annonces de recrutement : 80 % sont des entreprises technologiques qui payent de 2 000 à 10 000 dollars par annonce … »
Le « rétropédalage  » de Nature est d’autant plus étonnant que, un mois plus tôt, Science révélait que « deux équipes de chercheurs mexicains » avaient annoncé qu’ils confirmaient les « résultats explosifs du biologiste Ignacio Chapela  ». Dirigée par Exequiel Ezcurra, le très respecté président de l’Institut mexicain de l’écologie, l’une d’elles avait analysé des échantillons de maïs prélevés dans vingt-deux communautés de Oaxaca et Puebla. Une contamination génétique de 3 % à 13 % avait été constatée dans onze d’entre elles, et de 20 % à 60 % dans quatre autres. Le docteur Ezcurra avait soumis un article à Nature, qui l’a refusé, en octobre 2002. « Ce rejet est dû à des raisons idéologiques », a-t-il dénoncé, en soulignant les « explications contradictoires » des relecteurs, dont l’un aurait dit que les résultats étaient « évidents », et l’autre « difficiles à croire  »…
En attendant, Ignacio Chapela a payé le prix fort : en décembre 2003, la direction de Berkeley l’informe qu’elle est revenue sur sa décision (pourtant votée à trente-deux voix contre une) de le nommer professeur titulaire, et qu’il devra quitter l’université à la fin de son contrat, six mois plus tard. En clair : l’enseignant est licencié. Il porte plainte et obtient gain de cause en mai 2005. « Depuis, m’a-t-il expliqué, je traîne mon boulet de lanceur d’alerte. Je n’ai pas de budget pour conduire les recherches qui m’intéressent, car désormais, aux États-Unis, on ne peut plus travailler en biologie si on refuse le soutien financier des firmes de la biotechnologie. Il fut un temps où la science et l’université revendiquaient haut et fort leur indépendance par rapport aux instances gouvernementales, militaires ou industrielles. C’est fini, non seulement parce que les scientifiques dépendent de l’industrie pour vivre, mais parce qu’ils font partie eux-mêmes de l’industrie… C’est pourquoi je dis que nous vivons dans un monde totalitaire, gouverné par les intérêts des multinationales qui ne se sentent responsables que devant leurs seuls actionnaires. Face à ce pouvoir absolu, il est difficile de résister. Regardez ce qui est arrivé à Exequiel Ezcurra… »
Malheureusement, je n’ai pas pu rencontrer l’ancien directeur de l’Institut mexicain de l’écologie qui, peu après s’être insurgé contre le refus de Nature de publier son étude sur la contamination du maïs criollo, a été nommé en 2004 directeur de la recherche scientifique du Musée d’histoire naturelle de San Diego (Californie), où il avait dirigé un Centre de recherche sur la biodiversité de 1988 à 2001. J’avais été surprise de voir qu’il avait cosigné en août 2005 une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), qui, comme son nom l’indique, dépend de l’Académie des sciences des États-Unis. Éditée par l’université Washington de Saint-Louis , celle-ci concluait à « l’absence de transgènes détectables dans les variétés locales de maïs à Oaxaca  ». En revanche, en octobre 2006, j’ai rencontré l’une de ses collaboratrices, le docteur Elena Alvarez-Buylla, dans son laboratoire de l’Institut mexicain d’écologie.
« Comment expliquez-vous que le docteur Ezcurra ait signé une étude qui contredise à ce point ses travaux précédents ?
– Lui seul le sait, me répond prudemment la biologiste. Ce que je peux dire, c’est que nous avons commencé ces travaux ensemble et que j’en ai été écartée. J’ai été remplacée par une Américaine, Allison Snow, de l’université de l’Ohio, qui a pris l’étude en cours… Ils ont décidé de publier des résultats préliminaires, que j’estime peu rigoureux d’un point de vue scientifique. » Elle n’est pas la seule à le penser : cinq chercheurs internationaux — dont Paul Gepts, que j’avais rencontré en juillet 2004 à l’université Davis à propos des brevets sur le vivant (voir supra, chapitre 10) — ont estimé aussi que les « conclusions [de l’étude] n’étaient pas scientifiquement justifiées  ». Pourtant, cette publication a été présentée par de nombreux journaux internationaux, comme Le Monde …
« Depuis, me dit Elena Alvarez-Buylla, mon laboratoire a conduit une nouvelle étude dans tout le pays, qui a établi que le taux national de contamination est, en moyenne, de 2 % à 3 % selon le type de transgène, avec des pointes beaucoup plus élevées.
– Que pensez-vous de cette polémique ?
– Je pense qu’elle n’a rien à voir avec la rigueur scientifique, me répond la biologiste, et qu’elle cache d’autres intérêts… Désormais, ce qui m’importe, c’est de savoir quelles peuvent être, à moyen terme, les conséquences de la contamination sur le maïs criollo. C’est pourquoi j’ai mené, avec mon équipe, une expérience sur une fleur toute simple, Arabidopsis thaliana, qui possède le plus petit génome du monde végétal, dans laquelle nous avons introduit un gène par manipulation génétique . Puis nous avons semé les graines transgéniques et observé leur croissance. Nous avons constaté que deux plantes strictement identiques du point de vue génétique — elles ont le même génome, les mêmes chromosomes et le même transgène — peuvent présenter des phénotypes (c’est-à-dire des formes florales) très différents : certaines ont des fleurs qui sont identiques au modèle naturel, avec quatre pétales et quatre cépales ; mais d’autres ont des fleurs aberrantes, avec des poils anormaux ou des pétales bizarres. Et certaines sont carrément monstrueuses… En fait, la seule différence entre toutes ces plantes, c’est la localisation du transgène qui s’est inséré complètement à l’aveugle, en modifiant le métabolisme végétal.
– En quoi cela peut-il servir pour le maïs ?, demandé-je, en contemplant une fleur absolument monstrueuse que la scientifique a affichée sur son ordinateur.
– Ce modèle expérimental permet d’extrapoler ce qui risque de se passer quand le maïs transgénique se croisera par pollinisation avec les variétés locales. C’est très préoccupant, parce qu’on peut craindre que l’insertion aléatoire du transgène affecte le fonds génétiques du maïs criollo de manière totalement incontrôlée… »

FIN DE L’EXTRAIT

Notes et références:

[1] University of California, Berkeley press release, 28 novembre 2001.

[1] The New York Times, 2 octobre 2001 ; The Guardian, 29 et 30 novembre 2001.

[1] Kara Platoni, « Kernels of truth », East Bay Express, 29 mai 2002.

[1] Monsanto, The Pledge Report 2001-2002, p. 13. C’est aussi le terme que Monsanto emploiera dans son 10K Form de 2006, op. cit., p. 47.

[1] Robert Mann, « Has GM corn “invaded” Mexico ? », Science, vol. 295, n° 5560, 1er mars 2002, p. 1617-1619.

[1] Kara Platoni, « Kernels of truth », loc. cit.

[1] Marc Kaufman, « The biotech corn debate grows hot in Mexico », The Washington Post, 25 mars 2002.

[1] Robert Mann, « Has GM corn “invaded” Mexico ? », loc. cit.

[1] Fred Pearce, « Special investigation : the great Mexican maize scandal », New Scientist, 15 juin 2002.

[1] Ce courriel peut être consulté dans les archives du site Web d’AgBioWorld : <www.agbioworld.org/newsletter_wm/index.php?caseid=archive&newsid=1267>.

[1] <www.agbioworld.org/newsletter_wm/index.php?caseid=archive&newsid=1268>.

[1] George Monbiot, « Corporate ghosts », The Guardian, 29 mai 2002.

[1] <www.agbioworld.org/about/index.html>.

[1] « Scientists in Support of agricultural biotechnology », <www.agbioworld.org/declaration/petition/petition.php>.

[1] <www.bivings.com/client/index.html>.

[1] George Monbiot, « The fake persuaders. Corporations are inventing people to rubbish their opponents on the Internet », The Guardian, 14 mai 2002.

[1] George Monbiot, « Corporate ghost », The Guardian, loc. cit.

[1] Cité par George Monbiot, « The battle to put a corporate GM padlock on our food chain is being fought on the net », The Guardian, 19 novembre 2002.

[1] Monsanto, The Pledge Report 2001-2002, p. 1.

[1] « Amazing disgrace », The Ecologist, vol. 32, n° 4, mai 2002.

[1] « Journal editors disavow article on biotech corn », The Washington Post, 4 avril 2002.

[1] « Special investigation : the great Mexican maize scandal », New Scientist, op. cit.

[1] Wil Lepkowski, « Maize, genes, and peer review », Center for Science, Policy and Outcomes, n° 14, 31 octobre 2002.

[1] Andrew Suarez, « Conflict around a study of mexican crops », Nature, 27 juin 2002.

[1] Kara Platoni, « Kernels of truth », loc. cit.

[1] Ibid.

[1] Robert Mann, « Has GM corn “invaded” Mexico ? », loc. cit.

[1] « Corn row », Science, 6 novembre 2002.

[1] Sol Ortiz-García, Exequiel Ezcurra, Bernd Schoel, Francisca Acevedo, Jorge Soberón et Allison A. Snow, « Absence of detectable transgenes in local landraces of maize in Oaxaca, Mexico, 2003-2004 », Proceedings of the National Academy of Sciences, 30 août 2005, vol. 102, n° 35, p. 12338-12343.

[1] David A. Cleveland, Daniela Soleri, Flavio Aragon Cuevas, José Crossa et Paul Gepts, « Detecting (trans)gene flow to landraces in centers of crop origin : lessons from the case of maize in Mexico », Environmental Biosafety Research, vol. 4, n° 4, 2005, p. 197-208.

[1] Hervé Morin, « La contamination du maïs par les OGM en question », Le Monde, 7 septembre 2005.

[1] Voir Elena R. Alvarez-Buylla et Berenice García-Ponce, « Unique and redundant functional domains of APETALA1 and CAULIFLOWER, two recently duplicated Arabidopsis thaliana floral MADS-box genes », The Journal of Experimental Botany, vol. 57, n° 12, 7 août 2006, p. 3099-3107.

Photo (Marc Duployer): Jonathan Matthews m’expliquant comment il est remonté à l’agence Bivings et Monsanto, qui ont orchestré la campagne de diffamation contre Ignacio Chapela.