En réponse à la question que m’a posée « Pat », je reproduis ici un extrait du chapitre de mon livre consacré au roundup.
Les références des documents cités sont toutes disponibles dans les vingt pages de notes de mon livre.
DÉBUT EXTRAIT
« Messages publicitaires trompeurs »
Pourtant, en 1996, des plaintes déposées auprès du Bureau de la répression des fraudes et de la protection du consommateur de New York avaient contraint la firme à négocier un arrangement à l’amiable avec le ministère de la Justice de l’État, qui avait ouvert une enquête pour « publicité mensongère concernant la sécurité de l’herbicide Roundup (glyphosate) ».
Dans un jugement très détaillé , le ministère, sous la plume de Dennis C. Vacco, passait en revue les nombreuses publicités payées par Monsanto dans les journaux ou à la télévision.
Certaines sont édifiantes : « Le glyphosate est moins toxique pour les rats que du sel de table ingéré en grande quantité » ; « Le Roundup peut être utilisé dans des endroits où jouent des enfants et des animaux de compagnie, car il se décompose en matières naturelles.»
Ce sont des « messages trompeurs », tranche Dennis Vacco, qui interdit à Monsanto, sous peine d’amende, de proclamer que son herbicide est « biodégradable, bon pour l’environnement, non toxique, inoffensif et connu pour ses caractéristiques environnementales».
Deux ans plus tard, la firme est condamnée à payer
75 000 dollars pour avoir suggéré dans une nouvelle publicité mettant en scène un horticulteur californien que l’herbicide pouvait être pulvérisé près des ressources en eau .
Curieusement, ces décisions judiciaires américaines n’ont jamais inquiété la Commission européenne et encore moins les autorités françaises, lesquelles ont toléré sans broncher la campagne publicitaire lancée au printemps 2000 par Monsanto. Mais l’image du sympathique Rex, prêt à déguster un os imbibé de Roundup, a fait bondir l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui a assigné en janvier 2001 la filiale française du géant américain pour publicité mensongère.
« Des études scientifiques ont montré qu’on retrouvait dans les eaux des rivières bretonnes une présence massive de glyphosate », m’explique Gilles Huet, le délégué de l’association bretonne, lors d’une conversation téléphonique au printemps 2006, en citant un rapport publié en janvier 2001 par l’Observatoire régional de santé de Bretagne .
De fait, des prélèvements effectués en 1998 dans les eaux bretonnes ont révélé que 95 % des échantillons présentaient un taux de glyphosate supérieur au seuil légal de 0,1 microgramme/litre, avec des pointes à 3,4 microgramme/litre dans la Seiche, un affluent de la Vilaine.
« Or, précise Gilles Huet, en 2001, la Commission européenne, qui a rehomologué le glyphosate, l’a classé “toxique pour les organismes aquatiques” et “pouvant entraîner des effets néfastes à long terme pour l’environnement”. Nous demandons un minimum de cohérence : un produit “biodégradable” et “respectueux de l’environnement” ne peut pas finir “toxique et néfaste” dans les eaux bretonnes ! »
En effet… Le 4 novembre 2004, le tribunal correctionnel de Lyon, où siège la filiale française de Monsanto, ouvre le procès pour « publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ».
Jusqu’en 2003, profitant de la lenteur de l’instruction de la plainte de l’association bretonne, l’entreprise agrochimique avait pu continuer à diffuser sa campagne publicitaire. Et à l’occasion du procès de Lyon, elle va même gagner deux ans de sursis, en optant tout simplement pour la politique de la chaise vide… À l’audience, en effet, les représentants de l’entreprise brillent par leur absence : ils prétendront n’avoir jamais reçu le courrier « faute d’une adresse dans l’Hexagone», pour reprendre les termes du parquet, qui décide de repousser le procès à juin 2005.
« Erreur administrative ou manœuvre de la firme pour échapper à une condamnation infamante en termes d’image de marque ? », s’interroge alors l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, qui s’était jointe en 2001 à la plainte d’Eau et Rivières de Bretagne.
Les mauvaises langues susurrent que le renvoi permettait à l’entreprise de sauver la campagne de désherbage de printemps, capitale pour son chiffre d’affaires : en 2004, Monsanto France détenait 60 % du marché du glyphosate, ce qui représentait une vente annuelle de 3 200 tonnes de Roundup, la consommation de l’herbicide ayant été multipliée par deux entre 1997 et 2002.
Finalement, l’audience du tribunal correctionnel de Lyon s’est tenue le 26 janvier 2007, exactement six ans après le dépôt des plaintes… Les dirigeants des sociétés Scotts France et de Monsanto ont été condamnés à 15 000 euros d’amende, ce qui somme toute valait bien quelques manœuvres dilatoires.
Dans son jugement, le tribunal a estimé que « l’utilisation combinée sur les étiquettes et emballages [des herbicides de la gamme Roundup] des termes et expressions “biodégradable” et “laisse le sol propre” […] pouvait laisser faussement croire au consommateur à l’innocuité totale et immédiate desdits produits par suite d’une dégradation biologique rapide après usage, […] alors qu’ils peuvent au contraire demeurer durablement dans le sol, voire se répandre dans les eaux souterraines ».
Plus gênant encore pour Monsanto, qui a fait appel, la justice française a considéré que l’industriel savait, « préalablement à la diffusion des messages publicitaires litigieux, que les produits visés présentaient un caractère écotoxique », puisque « selon les études effectuées par le groupe Monsanto lui-même, un niveau de dégradation bio-logique de 2 % seulement peut être obtenu après vingt-huit jours ».
Une fois de plus, la firme disposait de données contraires à ce qu’elle affirmait publiquement, mais elle s’est bien gardée de les communiquer. Pourquoi l’aurait-elle fait, d’ailleurs ? Comme me l’a dit Ken Cook, le directeur de l’Environmental Working Group de Washington, à propos des PCB (voir supra, chapitre 1), « c’est donc rentable de garder le secret, puisqu’au bout du compte les sanctions sont très légères »…
FIN DE L’EXTRAIT