La journée fut très longue aujourd’hui: je suis partie à l’aube rejoindre la petite ville de Los Toldos, à 400 kilomètres au nord de Buenos Aires. Une association locale avait beaucoup insisté pour que je vienne soutenir leur combat. Située au coeur de l’empire transgénique, la ville est cernée par le soja pesticide de Monsanto et subit , plusieurs fois par an, les épandages de roundup largué par avion.
Résultat: la population est régulièrement intoxiquée et présente tous les signes bien connus d’un empoisonnement au roundup, à savoir irruptions cutanées, dermitis, vomissements, nausées, maux de tête et troubles de la vue.
En fin d’après-midi, le film « Le monde selon Monsanto » a été présenté devant une centaine de personnes. À la fin du débat, les habitants ont décidé de se regrouper pour porter plainte pour empoisonnement. Je vais transmettre leur calvaire , demain, à Graciela Ocaña, la ministre de la Santé qui me reçoit entre deux projections.
La rencontre avec les habitants de Los Toldos fut d’autant plus étonnante qu’ils avaient tous vu mon film « Escadrons de la mort: l’école française », rediffusé sur Canal 7, le 24 mars dernier, pour l’anniversaire du coup d’Etat, conduit en 1976 par le général Videla et consorts. Je rappelle que dans ce film et livre, j’avais révélé comment les militaires français avaient exporté les méthodes dites de la « guerre antisubversive » développées pendant la guerre d’Algérie, vers l’Amérique latine, et notamment en Argentine. J’avais réussi à interviewer trois généraux de la Junte sur leurs liens avec les Français, et ces interviews avaient provoqué un cataclysme en Argentine, au point de conduire à la réouverture des procès contre les chefs de la dictature, dont les trois que j’avais interviewés.
Mardi, avant de m’envoler pour le Chili, je dois rencontrer le procureur de Buenos Aires qui m’a demandé de témoigner, pour la deuxième fois, dans un procès.
Certains habitants de Los Toldos m’ont demandé s’il y avait un rapport entre » Escadrons de la mort: l’école française » et « Le monde selon Monsanto ». J’ai répondu que oui. D’abord, ces deux films (et livres) traitent de questions de droits de l’homme; et puis, si Monsanto a pu s’implanter si facilement en Argentine c’est grâce au « travail » des dictateurs qui ont démantelé les systèmes de protection de l’agriculture argentine, les services publics, et ouvert l’économie du pays aux multinationales. La privatisation de l’économie argentine a ensuite été poursuivie par le président Ménem, hautement corrompu.
Photos:
– Déjeuner avec l’association de Los Toldos qui mène la résistance contre le soja de Monsanto
– Le soja pousse jusqu’aux portes des écoles et maisons, qui sont littéralement inondées de roundup lors des épandages par avion. Les habitants décrivent un « nuage blanc » qui s’abat sur leurs maisons.
– Florencia, mère d’un enfant d’un an, a été plusieurs fois intoxiquée par les épandages. Un mois après la dernière « fumigación », elle porte encore les traces d’une dermitite, ainsi que son petit garçon.