J’ai assisté jeudi à l’audition des 41 prévenus, surnommés « José et les 40 faucheurs ». Le président du tribunal a patiemment essayé de comprendre quelle avait été la motivation ou le « déclic » qui avait poussé ces hommes et femmes à entrer dans l’illégalité en « neutralisant » une parcelle de maïs MON 810 (celui qui a été provisoirement interdit par le gouvernement en février, en attendant de nouvelles données scientifiques sur son innocuité), ainsi qu’un essai de maïs BT appartenant à Pionner. Pour ceux qui n’ont pas lu mon livre, je rappelle que Monsanto a vendu la « technologie BT » à Pionner en 1993 pour 38 millions de dollars.
Parmi les prévenus on trouvait des citoyens et citoyennes provenant d’horizons très différents: agriculteurs bio, qui craignent de perdre leur outil de travail en raison de la contamination de leurs champs, des chefs d’entreprise, des ouvriers, enseignants, infirmières ou des adeptes de la désobéissance civile ou de l’action non violente, etc.
Tous ont mûrement réfléchi leur décision de rejoindre le mouvement des « faucheurs volontaires » qu’ils ont justifiée au nom de « l’état de nécessité », étant donnée la surdité des autorités face à un « danger » qu’ils considèrent comme irrémédiable.
Les questions du président du tribunal visaient précisément à comprendre si la contamination des OGM constituait un « simple risque » ou un « danger avéré » et si cet « état de nécessité » était fondé.
C’est pourquoi, vendredi matin, il a auditionné les « sachants », terme qu’il a semblé préférer à celui d' »expert ».
Parmi les « sachants » cités par les parties, il y avait notamment l’inoxydable Claude Menara, l’agriculteur du Lot et Garonne, qu’exhibent régulièrement Monsanto et, ici, Pioneer pour vanter les mérites du maïs BT.
Je rappelle que lors d’une projection de mon film « Argentine:le soja de la faim », à Sceaux, en février dernier, Menara était dans la salle aux côtés d’une représentante de Monsanto…
Menara a assuré que la contamination n’était pas un problème puisque, a-t-il dit, « la coexistence on sait faire »! D’ailleurs, a-t-il précisé, il n’utilise pas le mot de « contamination » mais préfère celui de « présence fortuite », qui est le terme employé par Monsanto (« adventitious presence »)!
Un autre « sachant » cité par l’accusation était un certain Philippe Joudrier, de l’INRA et président du comité d’experts spécialisés à l’AFSA (l’agence française pour la sécurité alimentaire) qui nous a fait un cours sur la différence entre le « flux pollinique » et le « flux génétique » et qui a expliqué que le pollen de maïs montait haut dans les airs et était littéralement congelé avant de retomber « stérile »!! D’où un risque de contamination réduit ! Curieux tout de même : le maïs est pourtant une plante dite allogame, c’est à dire qu’elle se reproduit par pollinisation croisée. Sauf peut être pour le maïs OGM !!
Je fus la dernière « sachante » à être auditionnée. La bonne nouvelle c’est que le président a dit publiquement qu’il avait lu mon livre…
J’ai centré ma contribution sur le fait que les OGM constituaient dors et déjà un « danger » avéré
ainsi que j’ai pu le constater en tirant le bilan de dix années de cultures dans ce grand laboratoire à ciel ouvert que constituent l’Amérique du nord et du sud.
J’ai distingué trois sortes de dangers:
1) la mise sous tutelle des instances réglementaires et scientifiques
J’ai rappelé que grâce à son lobbying et au système des « portes tournantes » Monsanto a pu imposer le « principe d’équivalence en substance », qui ne repose sur aucune base scientifique mais sur une décision politique de la Maison Blanche, ainsi que l’a expliqué James Maryanski , le chef du département des biotechnologies à la Food and Drug Administration. D’ailleurs, Philippe Joudrier a reconnu que ce principe était utilisé en France comme base à l’évaluation des OGM.
Ce « principe » a été rédigé sous la houlette de Michael Taylor, ancien avocat de Monsanto, recruté N°2 de la FDA, avant de devenir le vice-président de Monsanto. Aujourd’hui, celui-ci regrette que les OGM ne soient pas soumis à des tests préalables rigoureux avant d’être mis sur le marché.
Le « principe d’équivalence en substance » a été vivement critiqué par les scientifiques de la FDA , ainsi que le révèlent les documents internes de l’agence aujourd’hui déclassifiés.
Ainsi, le Dr. Linda Kahl, chargée de synthétiser leurs avis, a-t-elle rédigé un mémorandum à James Maryanski, où elle écrit que selon « les experts de l’agence, les processus de manipulation génétique et de croisement génétique sont différents et peuvent conduire à des risques différents ». (voir document dans mon Blog)
Malgré l’opposition de ses scientifiques, la FDA a adopté le principe d’équivalence en substance, ce qui a permis de mettre les OGM sur le marché – dont le premier d’entre eux le soja roundup ready -, sans étude toxicologique ni envrionnementale sérieuse ni étiquetage.
Comme l’écrit le Pr. Erik Millstone (Angleterre) , « la dépendance des décideurs vis à vis du concept d’équivalence en substance agit comme une barrière qui rend impossible toute recherche sur les risques possibles de la consommation d’aliments transgéniques » (référence dans mon livre).
Pourtant, ainsi que je le raconte dans mon livre et mon Blog, l’affaire du maïs BT Starlink d’Aventis ou du maïs BT MON 823 de Monsanto prouvent qu’il est important de réaliser ces tests toxicologiques pour vérifier l’innocuité des aliments issus des plantes pesticides.
Comble de l’ironie, d’aucuns diront de la « manipulation », le « principe d’équivalence en substance » a été « adopté » par l’OMS (organisation mondiale de la santé ) et la FAO dès le début des années 1990, alors qu’aucun OGM n’était encore disponible, et bien sûr, hors de toutes données scientifiques!
Parmi les rédacteurs de ces textes, qui ont servi de couverture aux fabricants d’OGM, on retrouvait James Maryanski et le Dr. Roy Fuchs de … Monsanto!
La collusion permanente entre les représentants de l’industrie et les agences de réglementation se retrouve dans les instances européennes.
Ainsi, le président de l’EFSA (Europen Food Safety Authority), chargé de conseiller la commission européenne avant la mise sur le marché d’un OGM, Harry Kuiper a des liens très étroits avec l’industrie des biotechnologies, de même que certains des membres de l’EFSA comme Mike Gasson, Hans-York Buhk ou Detlef Bartsch.
Le conflit d’intérêt et l’absence d’indépendance de l’expertise constituent un problème récurrent dans le dossier des OGM.
Tous les scientifiques indépendants qui essaient de vérifier la validité du principe d’équivalence en substance ou de mener des études toxicologiques dignes de ce nom(deux ans) sont écartés, licenciés, salis ou victimes de campagnes de diffamation (Arpad Pusztai, Manuela Malatesta ).
2) La création d’un monopole
Le deuxième danger avéré que constituent les OGM qui existent dans les champs (plantes roundup ready ou BT) c’est le monopole qu’a réussi à constituer Monsanto en tout juste dix ans.
Ce monopole a été construit à travers plusieurs mécanismes ou stratégies dûment planifiées :
– le rachat des compagnies semencières un peu partout dans le monde, en Amérique du nord, du sud, en Asie, Europe ou Afrique qui permet à la firme de Saint Louis d’imposer ses OGM, en faisant disparaître les semences non transgéniques.
Ce monopole est actuellement l’objet de plusieurs class actions menées par des paysans américains qui soupçonnent Monsanto de violer la loi antitrust américaine. Il n’est pas exclu, ainsi que l’ont souligné des avocats ou analystes financiers que j’ai interviewés aux Etats Unis, qu’il arrive à Monsanto la même chose qu’à Microsoft. Rien d’étonnant à cela : la firme de Saint Louis a toujours clamé qu’elle voulait être le « Microsoft de l’alimentaire ».
Les class actions en cours dénoncent aussi la « conspiration » entre Monsanto et Pioneer , accusés d’avoir « conspiré » pour fixer le prix des semences transgéniques à un niveau très élevé.
– les brevets
Le deuxième outil de Monsanto pour constituer son monopole sur les semences (et donc à terme sur la chaîne alimentaire) ce sont bien sûr les brevets. Comme je l’explique dans mon film et livre, les paysans qui sèment du soja roundup ready ou tout autre OGM sont tenus de signer un contrat dans lequel ils s’engagent à ne pas conserver une partie de leur récolte pour emblaver leurs champs l’année suivante. S’ils le font, ils risquent d’être poursuivis par la « police des gènes « (voir mon Blog).
Quand on épluche la stratégie de Monsanto depuis une dizaine d’années, il ressort clairement que la firme ne se serait jamais lancée dans les plantes transgéniques, si celles-ci n’étaient pas brevetées.
C’est tellement vrai que mon enquête a révélé que l’accord ADPIC (Aspects sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) qui constitue le cauchemar de l’OMC depuis sa création en 1995, et tout particulièrement l’article 27.3.B qui porte sur le brevetage du vivant a été largement inspiré par …Monsanto, ainsi que l’a reconnu James Enyart, le directeur des affaires internationales de la firme.
– la contamination
Il est intéressant de noter que dans des pays comme le Brésil ou le Paraguay, le moratoire ou l’interdiction de cultiver des OGM a été « contournée » par la contamination transgénique organisée grâce à des réseaux puissants qui sont liés directement à Monsanto, comme l’APRESID (Argentine) ou la CAPECO (Paraguay).
Une fois les cultures transgéniques généralisées, les gouvernements ont dû les légaliser, pour pouvoir exporter notamment vers l’Europe qui exige l’étiquetage des produits OGM. Et Monsanto a pu ramasser des royalties…
3) La monoculture et la menace pour la sécurité alimentaire
Le troisième danger avéré ce sont les monocultures que provoquent immanquablement les OGM qui sont le dernier avatar de la « révolution verte », bénéficiant à une poignée de gros producteurs.
– un danger pour la biodiversité
Cette monoculture, qui se traduit par un « désert vert », comme j’ai pu le constater en Amérique du sud ou du nord, s’accompagne d’une destruction de la biodiversité et de la filière bio.
Je rentre du Canada où j’ai obtenu la confirmation de ce que j’avais déjà constaté dans mon film « Blé : chronique d’une mort annoncée », depuis l’introduction du colza roundup ready au Canada, la filière bio du colza a totalement disparu. Le dernier certificat de colza bio a été accordé en 2003. Quant à la filière de colza conventionnel, elle a pratiquement disparu, tant les champs sont contaminés.
-un danger pour l’environnement
Cette monoculture transgénique constitue également un danger avéré pour l’environnement.
Contrairement à ce qu’a toujours affirmé Monsanto, les plantes roundup ready n’entraînent pas une réduction de la consommation d’herbicides, mais à terme une augmentation, due au phénomène de résistance développée par les mauvaises herbes que le roundup est censé combattre .
Ainsi que l’a démontré Charles Benbrook, l’ex directeur de la division agricole de l’académie nationale des sciences, de 1996 à 2004 la quantité d’herbicides épandus sur les trois principales cultures des Etats Unis (soja, maïs et coton) a augmenté de 5%, soit 138 millions de litres.
Depuis, ce phénomène s’est encore accentué du fait de la résistance développée par les mauvaises herbes et du problème des « volontaires » (les repousses résistantes au roundup qui compromettent la rotation des cultures).
En ce qui concerne les cultures BT, deux études publiées récemment (l’une par l’université Cornell, l’autre par l’Université de l’Arizona) confirment ce que les entomologistes avaient prévu : certains insectes sont devenus résistants aux plantes BT.
– un désastre économique
D’abord, ainsi que me l’a expliqué l’agronome Roger Elmore, le rendement des plantes transgéniques est inférieur de 5 à 12% au rendement des plantes conventionnelles dont elles sont issues. Les scientifiques américains ont même trouvé un nom pour ce phénomène incontournable « the yield drag » (mot à mot le « boulet du rendement »).
D’après les études qu’ils ont menées, cette baisse de rendement serait due à la manipulation génétique qui force la plante à faire quelque chose (comme résister à un herbicide puissant comme le roundup) pour laquelle elle n’est pas faite, et ce au détriment d’autres fonctions (comme le rendement).
D’autre part, tous les agronomes s’accordent à reconnaître que les plantes transgéniques sont beaucoup plus fragiles que leurs homologues conventionnelles, et résistent beaucoup moins bien aux stress agronomiques (sécheresse, coup de froid, ou pluies intenses).
De plus, d’un point de vue économique, les plantes OGM représentent un véritable « miroir aux alouettes ».
C’est ce que prouve l’étude menée par Michael Dufly, un économiste de l’université de l’Iowa (référence dans mon livre !).
Il a épluché poste par poste la comptabilité d’agriculteurs de l’Etat en comparant les coûts de production et les revenus associés au soja roundup ready et au soja conventionnel.
Si l’on tient compte de tous les postes (coût des semences, consommation d ‘herbicides, rendement, dépenses en fuel, engrais) , les résultats sont sans appel : les producteurs de soja transgénique ont perdu, en moyenne, 8,87 $ par acre, contre 0,02 $ pour les producteurs de soja conventionnel.
De même si l’on compare les résultats des cultures de maïs BT à ceux du maïs conventionnel, les producteurs d’OGM ont perdu 28,28 $ par acre contre 25,02 $ par acre pour les producteurs de maïs conventionnel.
En d’autres termes, sans subventions agricoles, l’agriculture américaine aurait déjà disparu ( à moins de revoir de fond en comble le système des prix).
Et comme le souligne Michael Dufly et d’autres commentateurs, l’échec économique des OGM est masqué par l’explosion des subventions agricoles : 12 milliards de dollars entre 1999 et 2002 auxquels s’ajoutent 180 milliards débloqués en 2002 et pour dix ans.
Dès lors, il apparaît que les OGM de Monsanto sont aussi un outil de conquête des Etats Unis du marché de l’alimentation.
-un danger pour la sécurité alimentaire
Enfin, alors que les émeutes de la faim ont été utilisées par les promoteurs des OGM pour présenter ceux-ci comme la solution miracle au problème de la sécurité alimentaire, j’affirme, avec de nombreuses ONG et organisations paysannes, que c’est tout le contraire.
Les monocultures transgéniques entraînent la disparition progressive des cultures vivrières et de la biodiversité, qui seules garantissent la sécurité alimentaire des peuples.
Ce sont les petits paysans, dont la survie est menacée par l’extension des plantes pesticides, qui nourrissent leurs concitoyens, et non les grands producteurs industriels qui s’allient avec les multinationales et les investisseurs étrangers pour transformer les ressources de la terre en un produit spéculatif dans le seul but de faire du profit.