Chapela avait raison!

Me voici de retour du Brésil où mon programme fut si chargé (quatre villes en quatre jours!) que je n’ai pas pu écrire, tant j’étais épuisée, en rentrant, le soir, à ma chambre d’hôtel.

Je me contente ce soir (décalage horaire oblige…) de mettre deux photos de ma conférence à l’Université de Sao Paulo (lundi 8 décembre), je reviendrai plus en détails sur ce séjour passionnant.

Je mets en ligne le lien vers l’article du Monde qui confirme en tout point ce que j’écrivais dans mon livre sur la contamination au Mexique. Une fois de plus, mes détracteurs patentés se mêlent les pieds dans le tapis, en disant tout et le contraire de tout. Et pour que ce soit bien clair, je copie aussi ce que j’ai écrit sur l’affaire Chapela:

EXTRAIT

Le lynchage médiatique du biologiste Ignacio Chapela

« Les petits paysans mexicains sont très conscients des enjeux que représente la contamination transgénique, car pour eux, le maïs est non seulement leur nourriture de base, c’est aussi un symbole culturel », m’explique Ignacio Chapela, l’auteur de l’étude publiée par Nature, qui m’a donné rendez-vous sur le fameux parvis de l’université de Berkeley, à San Francisco.

C’est d’ici que partît, en 1964, le mouvement contre la guerre du Viêt-nam, qui dénonçait notamment les épandages de l’agent orange et les « marchands de la mort », au nombre desquels Monsanto.

En ce dimanche d’octobre 2006, l’immense campus, où s’affairent normalement plus de 30 000 étudiants et près de 2 000 enseignants, est désertique. Seule une voiture de police erre comme une âme en peine. « C’est pour moi, me dit Ignacio Chapela, depuis cette affaire, je suis étroitement surveillé, surtout quand je suis accompagné d’une caméra… » Devant mon air incrédule, il ajoute : « Vous en voulez la preuve ? Venez ! »

Nous partons en voiture pour rejoindre une colline qui domine la baie de San Francisco. Alors que nous nous dirigeons vers le point de vue panoramique, nous apercevons la même voiture de police qui se gare ostensiblement au bord de la route et qui restera là pendant tout notre entretien…
« Comment avez-vous découvert que le maïs mexicain était contaminé ?, lui ai-je demandé, passablement troublée.

– J’ai travaillé pendant quinze ans avec des communautés indiennes d’Oaxaca, à qui j’apprenais à analyser leur environnement, me répond le biologiste, lui-même d’origine mexicaine et qui travailla plusieurs années pour la firme suisse Sandoz (devenue Novartis, puis Syngenta). David Quist, l’un de mes étudiants, est parti y animer un atelier sur les OGM. Afin de leur expliquer les principes de la biotechnologie, il leur a proposé de comparer l’ADN d’un maïs transgénique, issu d’une boîte de conserve apportée des États-Unis, avec celui d’un maïs criollo qui était censé servir de contrôle, car nous pensions qu’il n’existait pas de maïs plus pur au monde. Quelle ne fut pas notre surprise quand nous avons découvert que les échantillons de maïs traditionnel contenaient de l’ADN transgénique ! Nous avons alors décidé de mener une étude, qui a confirmé la contamination du maïs criollo. »
Pour conduire leur recherche, les deux scientifiques ont prélevé des épis de maïs dans deux localités de la Sierra Norte de Oaxaca. Ils ont constaté que quatre échantillons présentaient des traces du « promoteur 35S », issu comme on l’a vu (voir supra, chapitres 7 et 9) du virus de la mosaïque du chou-fleur ; deux échantillons révélaient la présence d’un fragment provenant de la bactérie Agrobacterium tumefaciens et un autre celle d’un gène Bt .

« Dès que nous avons eu nos résultats, commente Ignacio Chapela, nous avons alerté le gouvernement mexicain, qui a conduit sa propre étude, laquelle a confirmé la contamination. »
Le 18 septembre 2001, le ministre de l’Environnement mexicain annonce en effet que ses experts ont fait des tests dans vingt-deux communautés paysannes, et qu’ils ont trouvé du maïs contaminé dans treize d’entre elles, avec un niveau de contamination compris entre 3 % et 10 % . Curieusement, ce communiqué passe alors quasiment inaperçu, alors que, moins de trois mois plus tard, la foudre s’abattra sur Ignacio Chapela et David Quist, sans doute à cause de la renommée de Nature, qui publie leur article fin novembre. Pourtant, lorsqu’ils le proposent au magazine britannique, les deux scientifiques sont félicités pour la qualité de leur étude, et le processus suit son cours normal : l’article est soumis à quatre relecteurs, qui donnent leur feu vert au bout de huit mois. Comme le soulignera en mai 2002 le journal East Bay Express : « Personne ne pouvait prévoir l’ampleur de la controverse à venir . » Elle sera d’une violence inouïe, à travers un véritable lynchage médiatique organisé en grande partie depuis… Saint-Louis.
« D’abord, me raconte Ignacio Chapela, il faut bien comprendre pourquoi cette étude a déclenché les foudres des promoteurs inconditionnels de la biotechnologie. En effet, elle comprenait deux révélations : la première concernait la contamination génétique, qui n’a en fait surpris personne, parce que tout le monde savait que cela finirait par arriver, y compris Monsanto qui s’est toujours contenté d’en minimiser l’impact. »

De fait, dans son Pledge, la firme aborde l’épineux sujet avec une infinie délicatesse, puisqu’elle ne parle pas de « contamination », mais de « présence accidentelle qui fait partie de l’ordre naturel ». « En revanche, poursuit le chercheur de Berkeley, le second point de notre étude était beaucoup plus sérieux pour Monsanto et consorts. En effet, en cherchant où étaient localisés les fragments d’ADN transgénique, nous avons constaté qu’ils s’étaient insérés à différents endroits du génome de la plante, de manière complètement aléatoire. Cela signifie que, contrairement à ce qu’affirment les fabricants d’OGM, la technique de manipulation génétique n’est pas stable, puisqu’une fois que l’OGM se croise avec une autre plante, le transgène éclate et s’insère de manière incontrôlée. Les critiques les plus virulentes se sont surtout concentrées sur cette partie de l’étude, en dénonçant notre incompétence technique et notre manque d’expertise pour pouvoir évaluer ce genre de phénomène. »

Le fait que les « transgènes soient instables » a des « implications graves », commente Science en mars 2002 : « Étant donné que le comportement d’un gène dépend de sa place dans le génome, l’ADN déplacé pourrait créer des effets absolument imprévisibles . »

« Cela sape la prémisse fondamentale selon laquelle la manipulation génétique est une science sûre et exacte », renchérit trois mois plus tard une journaliste du East Bay Express . « Cette étude est du pur mysticisme déguisé en science », rétorque Matthew Metz, un ancien étudiant de Chapela à Berkeley, devenu microbiologiste à l’université de Washington, qui dénigrera Ignacio Chapela et David Quist, au point de prétendre qu’ils avaient été piégés par des « faux positifs » dus à la « contamination de leur laboratoire »…

« D’où est venue l’offensive ?, ai-je demandé à Ignacio Chapela.

– De deux endroits, murmure-t-il. D’abord de collègues de Berkeley à qui je m’étais affronté dans le passé, à propos d’un contrat de 25 millions de dollars que mon département de biologie avait passé en 1998 avec Novartis-Syngenta, mon ancien employeur. Ce contrat de cinq ans donnait droit à la firme de déposer des brevets sur un tiers de nos découvertes. Cette histoire avait créé deux clans à Berkeley, où s’opposaient deux conceptions antagonistes de la science : d’un côté, ceux qui, comme moi, veulent qu’elle reste indépendante ; et, de l’autre, ceux qui sont prêts à vendre leur âme pour obtenir des financements… »

En juin 2002, le magazine New Scientist a identifié ces « collègues », qui, dès décembre 2001, écrivaient une lettre incendiaire à Nature, demandant au magazine de désavouer l’article. Du jamais vu. Ils ont pour nom Matthew Metz, déjà cité, Nick Kaplinsky, Mike Freeling et Johannes Futterer, un chercheur suisse dont le « boss » était Wilhelm Gruissem, qui travailla à Berkeley, où il était « unanimement considéré comme l’homme qui apporta Novartis à Berkeley ».

« Mais la pire campagne est venue de Monsanto, lâche Ignacio Chapela, qui, de toute évidence, a reçu une copie de notre étude avant sa parution. »

Les « coups tordus de Monsanto »

Il faut dire que là, la firme de Saint-Louis a fait très fort et qu’il faut se pincer pour croire l’histoire que je vais raconter. En effet, le jour même de la publication de l’article de Chapela et Quist dans Nature, le 29 novembre 2001, une certaine Mary Murphy, manifestement bien informée, poste un courriel sur le site scientifique pro-OGM AgBioWorld, où elle écrit : « Les activistes vont certainement faire courir le bruit que le maïs mexicain a été contaminé par des gènes de maïs OGM. […] On doit noter que l’auteur de l’article de Nature, Ignacio H. Chapela, fait partie du directoire du Pesticide Action Network North America (PANNA), un groupe d’activistes. […] Ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler un auteur impartial . »

Et le même jour, une certaine Andura Smetacek poste sur le même site un courriel intitulé : « Ignatio (sic) Chapela : un activiste avant d’être un scientifique », où elle n’est pas à un mensonge près : « Malheureusement, la publication récente par le magazine Nature d’une lettre (et non pas un article de recherche soumis à l’analyse de scientifiques indépendants) de l’écologiste de Berkeley Ignatio (sic) Chapela a été manipulée par des activistes anti-technologie (comme Greenpeace, les Amis de la terre et la Organic Consumers Association) et les médias dominants pour alléguer faussement l’existence de maladies associées à la biotechnologie agricole. […] Une simple recherche dans l’histoire des relations de Chapela avec ces groupes [écolo-radicaux] montre sa collusion avec eux pour attaquer la biotechnologie, le libre échange, les droits de propriété intellectuelle et d’autres sujets politiques . »

Au moment où s’amorce la « campagne de diffamation » qui brisera la carrière d’Ignacio Chapela, un homme « tombe par hasard » sur ces étranges courriels. Il s’appelle Jonathan Matthews et il dirige GMwatch, un service d’information sur les OGM basé à Norwich, dans le sud de l’Angleterre. « À l’époque, je faisais une enquête sur AgBioWorld, m’explique-t-il lorsque je le rencontre en novembre 2006, installé comme il se doit devant son ordinateur. C’était vertigineux : les deux courriels postés par Mary Murphy et Andura Smetacek ont été distribués aux 3 400 scientifiques enregistrés sur la liste de diffusion d’AgBioWorld. À partir de là, la campagne a enflé, certains scientifiques, comme le professeur Anthony Trewavas, de l’université d’Édimbourg, appelant au désaveu de l’étude par Nature ou au licenciement d’Ignacio Chapela.

– Qui est derrière AgBioWorld ?

– Officiellement, c’est une fondation à but non lucratif, qui affirme “fournir de l’information scientifique sur l’agriculture biologique aux décideurs à travers le monde”, comme le proclame son site, me répond Jonathan Matthews, démonstration à l’appui . Elle est dirigée par le professeur Channapatna S. Prakash, le directeur du centre de recherche sur la biotechnologie végétale de l’université Tuskegee, dans l’Alabama. D’origine indienne, il est conseiller de l’USAID, l’agence des États-Unis pour le développement international ; à ce titre, il intervient régulièrement en Inde et en Afrique pour promouvoir la biotechnologie. Il s’est rendu célèbre en lançant en 2000 la “Déclaration de soutien à la biotechnologie agricole”, qu’il a fait signer par 3 400 scientifiques, dont vingt-cinq Prix Nobel . Sur son site, il n’hésite pas à accuser les défenseurs de l’environnement de “fascisme, communisme, terrorisme, y compris de génocide”. Un jour, alors que je consultais les archives d’AgBioWorld, j’ai reçu un message d’erreur m’indiquant le nom du serveur qui héberge le site : appollo.bivings.com. Or, le Groupe Bivings, basé à Washington, est une entreprise de communication qui compte parmi ses clients… Monsanto et qui s’est spécialisée dans le lobbying sur Internet. »

Et Jonathan Matthews d’exhiber un article, publié en 2002 par le journaliste George Monbiot dans The Guardian, où l’on découvre que la firme a présenté son « savoir-faire » dans un document mis en ligne, intitulé : « Marketing viral : comment infecter le monde. »

« Pour certaines campagnes, il n’est pas souhaitable et il est même désastreux que le public sache que votre entreprise y est directement impliquée, explique-t-elle à ses clients. En termes de relations publiques, ce n’est tout simplement pas une bonne chose. Dans ces cas-là, il est d’abord important de bien “écouter” ce qui se dit en ligne. […] Une fois que vous vous en êtes bien imprégné, il est possible de vous brancher sur ces sites pour présenter votre position en faisant croire qu’elle vient d’une tierce personne. […] Le grand avantage du marketing viral, c’est que votre message a plus de chance d’être pris au sérieux. » Dans son document, note le journaliste du Guardian, Bivings cite un « dirigeant de Monsanto » qui « félicite la firme » pour son « excellent travail » .

« Savez-vous qui sont Mary Murphy et Andura Smetacek, ai-je demandé à Jonathan Matthews, avec l’impression de nager en plein polar…

– Ah !, me répond le directeur de GmWatch, avec un sourire. Comme l’a bien résumé The Guardian , à qui j’ai transmis mes découvertes, ce sont des “fantômes”, ou des “citoyens factices” ! J’ai passé beaucoup de temps à chercher qui étaient ces deux “scientifiques” qui avaient déclenché la campagne contre Ignacio Chapela. Pour ce qui est de Mary Murphy, elle a posté au moins un millier de courriels sur le site d’AgBioWorld. Elle a notamment mis en ligne un faux article de l’agence Associated Press qui critique les “activistes anti-OGM”. Quand on remonte à l’adresse du serveur dont dépend son adresse électronique, on obtient : Bw6.Bivwood.com ! “Mary Murphy” est donc une salariée de l’agence Binvings ! Quant à “Andura Smetacek”, je me suis dit qu’il devrait être facile de retrouver une scientifique avec un nom si peu commun, d’autant plus qu’elle prétendait écrire depuis Londres. C’est elle qui a notamment initié une pétition demandant l’incarcération de José Bové. J’ai épluché l’annuaire électronique, le registre des électeurs et des cartes bancaires, mais impossible de retrouver sa trace… J’ai engagé un détective privé aux États-Unis, mais il n’a rien trouvé non plus. Finalement, j’ai épluché les détails techniques en bas de ses courriels qui indique l’adresse de protocole Internet : 199.89.234.124. Quand on la copie sur un annuaire des sites Internet, on tombe sur “gatekeeper2.monsanto.com”, avec le nom du propriétaire, “compagnie Monsanto de Saint-Louis” !

– Qui se cacherait, d’après vous, derrière “Mary Murphy” ?

– Avec George Monbiot, du Guardian, nous pensons qu’il s’agit de Jay Byrne, qui fut responsable de la stratégie Internet chez Monsanto. Lors d’une réunion avec des industriels, qui s’est tenue à la fin de 2001, il a notamment déclaré : “Il faut considérer Internet comme une arme sur la table : soit c’est vous qui vous en emparez, soit c’est votre concurrent, mais dans tous les cas, l’un de vous deux sera tué .”

– De faux scientifiques et de faux articles, c’est incroyable !

– Oui, me répond Jonathan Matthew, ce sont vraiment des coups tordus, qui représentent l’exact opposé des qualités que Monsanto prétend incarner dans son Pledge : “Dialogue, transparence, partage ”… Ces méthodes révèlent une firme qui n’a aucune envie de convaincre avec des arguments et qui est prête à tout pour imposer ses produits partout dans le monde, y compris à détruire la réputation de tous ceux qui peuvent lui faire obstacle… »

Un « pouvoir absolu »

En attendant, la « conspiration », pour reprendre les mots du magazine The Ecologist, a porté ses fruits : le 4 avril 2002, après avoir exigé, en vain, que les auteurs se rétractent, Nature publiait une « note éditoriale inhabituelle » qui constitue un « désaveu sans précédent » dans les cent trente-trois ans d’existence du respectable magazine :« Les preuves disponibles ne sont pas suffisantes pour justifier la publication de l’article original », écrit-il en effet. « Unique dans l’histoire de l’édition technique », cette rebuffade crée quelques remous dans le microcosme scientifique international :

« Cela donne une bien piètre image de la ligne éditoriale et du processus de relecture de Nature, s’étonne Andrew Suarez, de l’université de Berkeley, dans une lettre au journal. Dans ce cas, pourquoi Nature s’est-il interdit de procéder à des rétractations similaires pour des publications antérieures qui se sont révélées incorrectes ou susceptibles d’être interprétées différemment ? » La réponse à cette question est suggérée par Miguel Altieri, un autre chercheur de Berkeley : « Le financement de Nature dépend des grandes firmes, assure-t-il. Regardez la dernière page du magazine et vous verrez qui paie les annonces de recrutement : 80 % sont des entreprises technologiques qui payent de 2 000 à 10 000 dollars par annonce … »

Le « rétropédalage » de Nature est d’autant plus étonnant que, un mois plus tôt, Science révélait que « deux équipes de chercheurs mexicains » avaient annoncé qu’ils confirmaient les « résultats explosifs du biologiste Ignacio Chapela ». Dirigée par Exequiel Ezcurra, le très respecté président de l’Institut mexicain de l’écologie, l’une d’elles avait analysé des échantillons de maïs prélevés dans vingt-deux communautés de Oaxaca et Puebla. Une contamination génétique de 3 % à 13 % avait été constatée dans onze d’entre elles, et de 20 % à 60 % dans quatre autres. Le docteur Ezcurra avait soumis un article à Nature, qui l’a refusé, en octobre 2002. « Ce rejet est dû à des raisons idéologiques », a-t-il dénoncé, en soulignant les « explications contradictoires » des relecteurs, dont l’un aurait dit que les résultats étaient « évidents », et l’autre « difficiles à croire »…

En attendant, Ignacio Chapela a payé le prix fort : en décembre 2003, la direction de Berkeley l’informe qu’elle est revenue sur sa décision (pourtant votée à trente-deux voix contre une) de le nommer professeur titulaire, et qu’il devra quitter l’université à la fin de son contrat, six mois plus tard. En clair : l’enseignant est licencié. Il porte plainte et obtient gain de cause en mai 2005.

« Depuis, m’a-t-il expliqué, je traîne mon boulet de lanceur d’alerte. Je n’ai pas de budget pour conduire les recherches qui m’intéressent, car désormais, aux États-Unis, on ne peut plus travailler en biologie si on refuse le soutien financier des firmes de la biotechnologie. Il fut un temps où la science et l’université revendiquaient haut et fort leur indépendance par rapport aux instances gouvernementales, militaires ou industrielles. C’est fini, non seulement parce que les scientifiques dépendent de l’industrie pour vivre, mais parce qu’ils font partie eux-mêmes de l’industrie… C’est pourquoi je dis que nous vivons dans un monde totalitaire, gouverné par les intérêts des multinationales qui ne se sentent responsables que devant leurs seuls actionnaires. Face à ce pouvoir absolu, il est difficile de résister. Regardez ce qui est arrivé à Exequiel Ezcurra… »

Malheureusement, je n’ai pas pu rencontrer l’ancien directeur de l’Institut mexicain de l’écologie qui, peu après s’être insurgé contre le refus de Nature de publier son étude sur la contamination du maïs criollo, a été nommé en 2004 directeur de la recherche scientifique du Musée d’histoire naturelle de San Diego (Californie), où il avait dirigé un Centre de recherche sur la biodiversité de 1988 à 2001. J’avais été surprise de voir qu’il avait cosigné en août 2005 une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), qui, comme son nom l’indique, dépend de l’Académie des sciences des États-Unis. Éditée par l’université Washington de Saint-Louis , celle-ci concluait à « l’absence de transgènes détectables dans les variétés locales de maïs à Oaxaca ». En revanche, en octobre 2006, j’ai rencontré l’une de ses collaboratrices, le docteur Elena Alvarez-Buylla, dans son laboratoire de l’Institut mexicain d’écologie.

« Comment expliquez-vous que le docteur Ezcurra ait signé une étude qui contredise à ce point ses travaux précédents ?

– Lui seul le sait, me répond prudemment la biologiste. Ce que je peux dire, c’est que nous avons commencé ces travaux ensemble et que j’en ai été écartée. J’ai été remplacée par une Américaine, Allison Snow, de l’université de l’Ohio, qui a pris l’étude en cours… Ils ont décidé de publier des résultats préliminaires, que j’estime peu rigoureux d’un point de vue scientifique. » Elle n’est pas la seule à le penser : cinq chercheurs internationaux — dont Paul Gepts, que j’avais rencontré en juillet 2004 à l’université Davis à propos des brevets sur le vivant (voir supra, chapitre 10) — ont estimé aussi que les « conclusions [de l’étude] n’étaient pas scientifiquement justifiées ». Pourtant, cette publication a été présentée par de nombreux journaux internationaux, comme Le Monde …

« Depuis, me dit Elena Alvarez-Buylla, mon laboratoire a conduit une nouvelle étude dans tout le pays, qui a établi que le taux national de contamination est, en moyenne, de 2 % à 3 % selon le type de transgène, avec des pointes beaucoup plus élevées.

– Que pensez-vous de cette polémique ?

– Je pense qu’elle n’a rien à voir avec la rigueur scientifique, me répond la biologiste, et qu’elle cache d’autres intérêts… Désormais, ce qui m’importe, c’est de savoir quelles peuvent être, à moyen terme, les conséquences de la contamination sur le maïs criollo. C’est pourquoi j’ai mené, avec mon équipe, une expérience sur une fleur toute simple, Arabidopsis thaliana, qui possède le plus petit génome du monde végétal, dans laquelle nous avons introduit un gène par manipulation génétique . Puis nous avons semé les graines transgéniques et observé leur croissance. Nous avons constaté que deux plantes strictement identiques du point de vue génétique — elles ont le même génome, les mêmes chromosomes et le même transgène — peuvent présenter des phénotypes (c’est-à-dire des formes florales) très différents : certaines ont des fleurs qui sont identiques au modèle naturel, avec quatre pétales et quatre cépales ; mais d’autres ont des fleurs aberrantes, avec des poils anormaux ou des pétales bizarres. Et certaines sont carrément monstrueuses… En fait, la seule différence entre toutes ces plantes, c’est la localisation du transgène qui s’est inséré complètement à l’aveugle, en modifiant le métabolisme végétal.

– En quoi cela peut-il servir pour le maïs ?, demandé-je, en contemplant une fleur absolument monstrueuse que la scientifique a affichée sur son ordinateur.

– Ce modèle expérimental permet d’extrapoler ce qui risque de se passer quand le maïs transgénique se croisera par pollinisation avec les variétés locales. C’est très préoccupant, parce qu’on peut craindre que l’insertion aléatoire du transgène affecte le fonds génétiques du maïs criollo de manière totalement incontrôlée… »

FIN DE L’EXTRAIT

Photos:

– Projection/débat à l’Université de Sau Paulo

Michael Taylor dans l’équipe de Barak Obama!

J’allais me coucher, quand m’est arrivée cette nouvelle incroyable: Michael Taylor, l’ancien avocat de Monsanto, recruté par la FDA pour écrire la non-réglementation des OGM, avant de devenir vice-président de Monsanto, a rejoint l’équipe de transition de Barak Obama, pour le conseiller dans les domaines de l’agriculture et de l’énergie! Vive les portes tournantes!

Quand j’avais interviewé Michael Taylor, il travaillait alors pour « Ressources for the Future », une organisation censée oeuvrer pour un développement équilibré de la planète…

Certes, il m’avait fait un aveu fort intéressant, puisqu’il avait reconnu que la « réglementation des OGM aux Etats Unis n’était pas satisfaisante » et que chaque OGM devrait être testé par la FDA avant d’être mis sur le marché… Je rappelle que c’est lui qui avait scellé dans le marbre le « principe d’équivalence en substance » qui a justement permis de mettre les OGM sur le marché sans qu’ils soient testés…

Quel va être son rôle dans la nouvelle administraion américaine? A suivre…

kevinpmiller.blogspot.com/2008/11/return-performance-for-michael-r-taylor.html

Je vous écris du Brésil (2)

J’ai appris aujourd’hui que Monsanto Brésil m’a fait l’honneur de consacrer une page à ma visite sur son site web.

Rien de nouveau sous le soleil brésilien: pas de problème avec le roundup, les PCB et l’agent orange c’est du passé, l’hormone de croissance est formidable et les OGM vont sauver le monde, etc,

C’est un signe que le Brésil représente un pays stratégique pour Monsanto. C’est, en effet, la première fois qu’une filiale de Monsanto « dénigre » (pour reprendre les termes de la firme) publiquement mon « documentaire-livre ». Jusqu’à présent Monsanto France et Monsanto Canada s’était contentées d’un « no comment », tandis que Monsanto Japon faisait pression sur la NHK , la télévision publique, quik a battu des records d’audience avec mon film, pour empêcher sa rediffusion. En vain…

Voici ce que j’ai écrit sur la situation brésilienne dans mon livre:

DEBUT EXTRAIT

Cela fait longtemps, en effet, que la compagnie de Saint-Louis est dans les starting-blocks. Toute sa stratégie au Brésil prouve qu’elle avait largement anticipé la « sojisation » — et, au-delà, la « transgénisation » — du pays.

Présente depuis les années 1950 au Brésil, où elle commercialisait ses herbicides, elle avait ouvert sa première usine de production de glyphosate en 1976, à São Paulo. Mais, dans les années 1990, alors que son soja RR se répand illégalement, elle se lance dans la construction d’un nouveau site de production que sa page Web brésilienne présente avec toute l’emphase requise :

« En décembre 2001, Monsanto a inauguré, dans le pôle pétrochi-mique de Camaçari (Bahia), la première unité de la compagnie conçue pour produire les matériaux bruts pour l’herbicide Roundup en Amérique latine. L’usine de Camaçari, qui correspond à un investissement de 500 millions de dollars, […] est la plus grande jamais installée par Monsanto à l’extérieur des États-Unis. […] C’est aussi la seule produisant les éléments constitutifs du Roundup. La production alimentera les usines de São José dos Campos, Zarate (Argentine) et Anvers (Belgique). Auparavant, ces usines recevaient les produits de base des États-Unis . »

Tandis qu’elle adaptait sa capacité de production de Roundup à l’énorme marché qu’elle cherchait à développer, la multinationale mettait la main sur les semences brésiliennes, en achetant, dès 1997, Agroceres, la plus grande entreprise semencière du Brésil, ou à travers les filiales brésiliennes des semenciers américains qui étaient tombés dans son escarcelle aux États-Unis, comme Cargill Seeds, DeKalb et Asgrow. En 2007, Monsanto était le premier fournisseur de semences de maïs au Brésil et le se-cond pour le soja, juste après l’EMBRAPA, l’Institut national de la recherche agricole, qui se battait âprement pour sa survie…

FIN DE L’EXTRAIT

Je viens d’apprendre, aujourd’hui, que Monsanto est en train de mettre la main sur une partie de l’EMBRAPA…

Hier soir à l’Université de Sao Paulo où quelque 2OO personnes ont assisté à une projection de mon film, suivie d’un débat. Puis, aujourd’hui, à l’Ecole supérieure d’Agronomie Luis de Queiroz (ESALQ) de Piracicaba, à deux heures de Sao Paulo.

Ce fut très instructif: l’école étant largement financée par … Monsanto, le directeur a tout fait pour empêcher ma visite. Mais grâce à quelques professeurs courageux et au ministère du développement agraire qui m’a personnellement invitée, la projection- débat a finalement eu lieu devant quelque 150 étudiants qui ont posé des questions pendant deux heures.Et sont repartis avec mon livre…

A la tribune, il y avait une chaise vide:celle de la professeure chargée de défendre les plantes pesticides qui a fait faux bond au dernier moment!

Flavio, le professeur d’agronomie, qui coordonnait le débat, et Gilles , le représentant du ministère , ont confirmé un phénomène que j’avais constaté en Argentine, au Canada et aux Etats Unis (cf:mon livre): la consommation de roundup a explosé au Brésil, en raison de la résistance développées par les mauvaises herbes. Quatre biotypes sont déjà résistants à l’herbicide toxique de Monsanto…

Je m’envole, demain, pour Brasilia où je présenterai le film devant le Congrès.

J’ai compris, en tout cas, que le gouvernement de Lula était complètement « hybride » : d’un côté, le ministère de l’agriculture tenu par les promoteurs de l’agro-business et pro-OGM, de l’autre le ministère de l’environnement et du développement agraire, qui font ce qu’ils peuvent pour limiter les dégâts…

L’EFSA roule pour les fabricants d’OGM

Depuis Sao Paulo, je réagis au commentaire d’Anita qui nous signale que l’EFSA (European Food Safety Authority) a autorisé la mise sur le marché d’un nouveau soja roundup ready de Monsanto. Rien d’étonnant à cela: j’invite mes lecteurs à consulter l’étude réalisée par les Amis de la Terre sur la composition de ce comité scientifique chargé de conseiller la Communauté européenne pour la mise sur le marché de nouveaux OGM.

Comme d’habitude, dans le dossier des OGM, on retrouve un conflit d’intérêt permanent et un manque d’indépendance de l’expertise et donc de sérieux de l’évaluation.

Voici ce que j’ai écrit dans mon livre:

DEBUT EXTRAIT

Créée en 2002, dans le cadre de la directive européenne 178/2002 sur la sécurité des produits alimentaires, cette institution compte huit comités scientifiques, dont un est chargé exclusivement de l’évaluation des OGM. C’est précisément ce dernier, que nous appellerons « comité OGM », qui est l’objet du rapport.
Premier constat des Amis de la terre :

« Après un an d’activité, le comité a émis dix avis scientifiques, tous favorables à l’industrie des biotechnologies. Ces avis ont été utilisés par la Commission européenne, qui subit une pression croissante de la part des industriels et des États-Unis, pour pousser les nouveaux produits transgéniques sur le marché. Ils ont aussi servi à créer la fausse impression qu’il y avait un consensus scientifique, alors que la réalité est qu’il existe [au sein du Comité] un débat intense et continu et beaucoup d’incertitudes. Des inquiétudes quant à l’utilisation politique de leurs avis ont été exprimées par des membres de l’EFSA eux-mêmes. »

D’après le rapport, cette situation serait due aux liens étroits qui unissent « certains membres » du comité OGM avec les géants des biotechnologies, avec en tête son président, le professeur Harry Kuiper. Celui-ci est en effet le coordinateur d’Entransfood, un projet soutenu par l’Union européenne pour « favoriser l’introduction des OGM sur le marché européen et rendre l’industrie européenne compétitive » ; à ce titre, il fait partie d’un groupe de travail comprenant Monsanto et Syngenta.

De même, Mike Gasson travaille pour Danisco, un partenaire de Monsanto ; Pere Puigdomenech est le co-président du septième congrès international sur la biologie moléculaire végétale, sponsorisé par Monsanto, Bayer et Dupont ; Hans-Yorg Buhk et Detlef Bartsch sont « connus pour leur engagement en faveur des OGM, au point d’apparaître sur des vidéos promotionnelles, financées par l’industrie des biotechnologies » ; parmi les (rares) experts extérieurs sollicités par le comité, il y a notamment le docteur Richard Phipps, qui a signé une pétition en faveur des biotechnologies pour AgBioWorld (voir supra, chapitre 12) et apparaît sur le site de Monsanto pour soutenir l’hormone de croissance laitière …

Les Amis de la terre examinent alors plusieurs cas, dont celui du MON 863. Il apparaît que les réticences émises par le gouvernement allemand sur la présence d’un marqueur de résistance à un antibiotique ont été évacuées d’un revers de main par le comité OGM, qui s’est fondé sur un avis qu’il a publié, le 19 avril 2004, dans un communiqué de presse :

« Le comité confirme que les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont, dans la majeure partie des cas, nécessaires pour permettre une sélection efficace des OGM », y déclarait son président, Harry Kuiper.

Commentaire des Amis de la terre : « La directive européenne ne demande pas de confirmer si les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont un outil efficace pour l’industrie de la biotechnologie, mais s’ils peuvent avoir des effets nocifs sur l’environnement et la santé humaine. »

FIN EXTRAIT

Je vous écris du Brésil / « Les pirates du vivant 1 »

Je suis arrivée, ce matin, au Brésil où je resterai cinq jours pour la présentation de mon livre (et film) publié par un éditeur brésilien courageux. La préface de mon livre a été rédigée par Marina Silva, l’ancienne ministre de l’environnement de Lula, qui a fini par jeter l’éponge face au lobby de l’agrobusiness, qui encourage la déforestation de l’Amazonie.

www.radicallivros.com.br/loja/products/view/7

Je rappelle que les OGM sont arrivés au Brésil de manière illégale, depuis l’Argentine (voir mon film et livre), avec la complicité de Monsanto et des grands producteurs liés à l’agrobusiness, plaçant le gouvernement brésilien devant le fait accompli et contraignant celui-ci à légaliser les cultures clandestines, pour sauver ses exportations, l’Europe exigeant l’étiquetage des OGM.

Au cours de ce séjour marathon,je me rendrai à Sao Paolo, Brasilia, Rio de Janeiro et au Parana, où je rencontrerai des journalistes, des parlementaires, universitaires, associations comme le Mouvement des paysans sans terre, et des responsables politiques comme le gouverneur du Parana, qui est le seul gouverneur à s’opposer à l’implantation d’OGM dans son Etat. Marina Silva, qui est aujourd’hui sénatrice, sera présente à une projection/débat.

J’ai trouvé mon programme sur Internet !

J’ai rencontré Marina Silva en 2005 , lorsqu’elle était encore ministre de l’environnement, pour mon film « Les pirates du vivant », qui a notamment remporté un prix au Festival international du film scientifique de Paris (Paris Science).

Ce film raconte l’enjeu du brevetage du vivant et des brevets déposés et obtenus par les multinationales comme Monsanto sur des plantes, semences ou savoir-faire ancestraux, de façon indue puisque les lois n’ont pas changé: la loi américaine de 1951 continue d’interdire le brevetage d’organismes vivants, et on assiste depuis près de trente ans à une violation pure et simple des textes en vigueur.

Voici donc la première partie de mon film.

« Agentine: le soja de la faim »

Je mets en ligne mon reportage « Argentine : le soja de la faim », que j’ai réalisé en 2005 pour ARTE.

Pour ceux qui désirent en savoir plus, je les invite à lire les deux chapitres de mon livre que j’ai consacré à la dramatique situation argentine, ainsi que les différents commentaires que j’ai mis sur mon Blog: notamment sur le développement de mauvaises herbes résistantes au roundup.

Trois ans après le tournage de ce reportage, la situation argentine s’est encore détériorée, puisque ce sont aujourd’hui 18 millions d’hectares qui sont plantés en soja roundup ready, soit plus de 5O% des terres cultivées.

Comme je le raconte dans mon reportage, les bénéficiaires de ce modèle agricole, qui conduit l’Argentine tout droit vers la famine, sont des agro-industriels liés aux multinationales comme Monsanto et Cargill, qui ne visent que des profits immédiats et non que faire des conséquences environnementales de leur activité (ils ne vivent pas sur place) et se moquent de la sécurité alimentaire: le soja arrosé de roundup est exportée principalement vers l’Europe où il servira à engraisser nos poules, nos vaches et nos cochons. D’où l’urgence de manger de la viande bio!

En attendant, au « pays de la vache et du lait » la production vivrière (lait, riz, lentilles, blé, etc) s’est effondrée et le taux de malnutrition atteint des records jamais enregistrés.

Pour ceux qui ont vu sur mon Blog mon film « Blé: chronique d’une mort annoncée », « il sera clair que le modèle transgénique – la « deuxième révolution verte » – constitue le prolongement de la première révolution verte, avec les mêmes maux, et en plus le brevetage des semences (voir bientôt sur mon Blog mon film »Les pirates du vivant »).