Le ministre Stéphane Le Foll veut que la France devienne le leader européen de l’agroécologie

Les commentaires sont unanimes: le colloque « Agroéologie, une pratique d’avenir: comment réussir la transition? » organisé au sénat par Joël Labbé (EELV)  fut un franc succès.

Comme le sénateur du Morbihan l’a rappelé dans son introduction, l’idée de ce colloque est venue après notre rencontre en septembre 2012, à Muzillac, où nous avions participé à un débat à la suite de la projection de Notre poison quotidien. L’élu sénatorial faisait partie de la commission sur les pesticides pour laquelle j’avais été auditionnée en juin 2012 (voir sur ce blog). Je dois dire que j’ai été impressionnée par la capacité de travail et l’engagement de celui qui est aussi maire de la petite commune de Saint Nolff dont l’arrivée au Palais du Luxembourg avait été très remarquée.

Plus de 200 personnes ont participé au colloque que j’ai eu l’honneur d’animer. Dès huit heures j’étais sur place, pour réaliser les essais vidéos, car les interventions de la matinée ont été ponctuées par des extraits de mon film les moissons du futur.

Très attendu, Olivier de Schutter , le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, est arrivé par le premier train en provenance de Bruxelles.

Il s’est entretenu avec Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la forêt qui avait organisé, le 18 décembre 2012, une conférence nationale sur l’agriculture, intitulée « Faire de l’agro-écologie une force pour la France« . Lors de cette journée très prometteuse, le ministre avait annoncé une feuille de route pour « promouvoir une agriculture plus respectueuse de l’environnement et plus en phase avec les attentes de la société »:

http://agriculture.gouv.fr/Produisons-autrement

Dans son introduction, le sénateur Labbé a rappelé l’espoir suscité par les promesses du ministre en soulignant, à juste titre, la nécessité de « prendre des mesures » pour « réussir la transition« .

 

Puis,  Stéphane Le Foll a ouvert le colloque avec un discours qui a fait l’unanimité dans la salle qui s’était progressivement remplie.

Je retranscris ici le contenu de cette allocution qui confirme les annonces faites pas le ministre lors de la journée du 18 décembre. Pour commencer, le  ministre a évoqué les « nombreuses contraintes » qui sont liées au modèle agro-industriel, comme les « sols dégradés en Europe« , ou le  » coût de l’énergie« . Ces « contraintes » a-t-il dit, sont liées au « modèle de la révolution verte » et à des  « pratiques très grandes consommatrices d’intrants issus du pétrole et de la chimie« . Il a évoqué aussi les « externalités négatives qui ont pu être constatées partout et qui conduisent parfois à des catastrophes », comme l' »utilisation du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique qui fait que les sols sont condamnés pour cent ou deux cents ans aujourd’hui, ce qui est quand même un constat affligeant« .

« Cela  nous impose de réfléchir à un changement dans la manière de concevoir la production agricole et sa durabilité, a poursuivi le ministre.  A partir de là, il y a plusieurs pistes qui sont ouvertes et le choix doit se faire en ayant en tête ces contraintes et en même temps les besoins ». Soulignant  la nécessité de « profondes évolutions dans les modèles de consommation alimentaire », il a  évoqué aussi le « gaspillage » qui fait que 30% des aliments produits finissent à la poubelle:  « Il faut déjà commencer par éviter de perdre ce qui est produit! »

Puis le ministre Le Foll a expliqué pourquoi l’agro-écologie constituait une alternative au modèle agro-industriel:

 » Plutôt que sélectionner quelques espèces, ou variétés plus productives, de faire en sorte qu’on élimine autour tout ce qui pourrait les concurrencer et qu’on utilise pour ça beaucoup de chimie, en mettant aussi beaucoup de travail et beaucoup d’énergie, et bien est-ce qu’on ne pourrait pas regarder ce que nous permet de faire la nature tout simplement? « , s’est-il interrogé.  Au lieu d’utiliser des produits,  qui « sont hors des processus naturels« , « il y a l’agro-écologie qui consiste à utiliser au mieux la connaissances que nous avons sur les processus naturels pour les mettre au service de la production agricole. C’est ça le principe et c’est ça la mutation« .

Pour le ministre, les OGM sont  « l’envers du décor, c’est exactement le contraire qu’il faut faire« , à savoir « la concurrence que la nature organise elle même il faut savoir la mettre à notre propre profit. Cela veut dire que derrière les modèles de production il y a une conception et une science qu’il va falloir réinventer. C’est le rôle de l’agronomie. Qu’est ce qui va faire que demain cette agroécologie pourra être aussi compétitive en permettant d’atteindre des niveaux de production avec des coûts de production qui soient plus faibles? Elle le sera si l’intensification des connaissances que nous avons des processus naturels nous permet de faire des économies en termes de coûts de production. C’est ça l’enjeu! Et le jour où ,  les agriculteurs, en France en particulier,  auront intégré le fait que dans ce processus, il y a derrière  une dimension économique tout à fait positive, et bien je suis sûr que ce processus engagera une véritable dynamique ».

Le ministre a annoncé que « l’INRA organisera en septembre un grand colloque sur ce domaine conceptuel, parce que pour pouvoir avancer il faut qu’on imagine la structuration intellectuelle et scientifique nécessaire« .

 

Puis le ministre de l’agriculture a évoqué les « modèles pionniers » comme « l’agriculture biologique » qui n’a pas « attendu les scientifiques qui sont venus après« . On a des pionniers qui ont anticipé les évolutions sur lesquels on va s’appuyer« . Et d’enfoncer le clou:  « Il faut qu’on implique la science » . C’est pour ça que  « cela prendra un peu de temps et qu’il faut être capable d’ouvrir les possibles .L’enjeu étant de combiner la performance écologique dans le sens où il y a une mutation qui s’opère qu’il va falloir accompagner et structurer avec l’attente de nos sociétés développées (…) C’est dans un processus implicatif qu’on va créer nous mêmes les conditions de la mise en oeuvre. Il faut qu’on soit capable de créer et de mettre en oeuvre ce qui est nouveau, de créer les conditions de la réussite d ‘un concept comme l’agroécologie  « . Après avoir insisté sur la   » double performance écologique et économique, car la question économique elle sera posée, elle nous rattrapera si nous ne sommes pas capables de l’intégrer« , le ministre a martelé:   « L’implication de tous sera nécessaire pour la réalisation d’un grand projet (…)  La France a une responsabilité particulière, car elle est un grand pays agricole à l’échelle européenne, ayant été longtemps leader dans ce domaine, elle doit donc reprendre une mission , un leadership, car nous avons des capacités à faire valoir. (…) Sur cette question, on doit être moteur« .

 

Dans sa conclusion, Stéphane Le Foll m’a citée:  « Je voulais dire à Mme Robin que la France n’est pas du tout à côté de l’enjeu de l’agro-écologie, bien sûr on ne fera pas tout , tout de suite, on ne va pas tout révolutionner, il faut qu’on enclenche un vrai processus. C’est tout l’enjeu du plan sur l’agro-écologie qu’on a mis en oeuvre, avec trois volets: la définition des concepts, la diffusion des concepts et la mise en oeuvre des techniques. la diffusion des concepts, c’est ce qu’il y a de plus fort et de plus difficile, car il y a des intérêts aussi … »

Puis, Joël Labbé et moi-même avons gagné la tribune pour lancer les contributions, au premier rang desquelles celle d’Olivier de Schutter que Stéphane Le Foll a écoutée, avant de regagner son ministère.

 

Je rappelle qu’Olivier de Schutter a présenté un rapport sur l’agro-écologie, le 8 mars 2011 devant le Conseil permanent des droits de l’homme de l‘ONU, à Genève (voir Les moissons du futur). Dans ce texte, qui fut largement commenté, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation dressait un bilan sévère du modèle agro-industriel et appelait à « changer de cap » en promouvant « l’agro-écologie partout où cela est possible« .

Je retranscris ici l’intégralité du discours d’Olivier de Schutter au Sénat:

« Tous les indicateurs sont au rouge »

« Mon rapport sur l’agro-écologie a lancé un débat à l’échelle mondiale. Pourquoi cet engouement, pourquoi cette mode?Pourquoi cet intérêt renouvelé aujourd’hui pour l’agro-écologie? (…) L’agro-écologie répond à toute une série d’impératifs quii sont ceux que le ministre Le Foll a rappelés il y a quelques instants.D’abord, l’impératif de passer d’une agriculture intensive en intrants, accélérant par conséquent le réchauffement climatique, avec le dégagement de gaz à effet de serre, notamment de protoxyde d’azote, accélérant aussi la réduction de la biodiversité, à une agriculture intensive en connaissances, qui va utiliser au mieux les interactions écologiques. Deuxièmement, parce que l’agro-écologie permet de mieux conserver la santé des sols, rappelons qu’à l’échelle mondiale, 25% des sols sont dégradés, voire fortement dégradés, et ceci en raison de pratiques agricoles intensives qui ne sont pas soutenables. Troisièmement, parce que l’agro-écologie vise à économiser les ressources en eau douce (…)Quatrièmement, parce que l’agro-écologie permet de favoriser les systèmes agricoles fondés sur la diversité, et la diversité c’est une source de résilience, contre le changement climatique( …) Alors, aujourd’hui, je crois que la question n’est plus de savoir si l’agro-écologie est une voie d’avenir. Je pense qu’ il y a un large consensus là-dessus, parce que tous les indicateurs sont au rouge et que nous devons changer de cap, chacun le reconnaît.

« Il y aura des obstacles »

La difficulté, cependant, est comment devons-nous réaliser la transition? Quels instruments mobiliser? Parmi les différentes conceptions de l’agro-écologie, laquelle retenir? Je voudrais dire ici que la France, par la voix du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, Stéphane Le Foll, propose de miser sur l’agro-écologie, de la développer et même de devenir pionnier en Europe. Je m’en réjouis personnellement. Il y aura naturellement, nous lesavons tous, des résistances, il y aura des obstacles, car toute transition met en cause des habitudes des acteurs et des situations acquises. Le ministre Le Foll devra faire de la politique, au sens le plus noble du mot, il devra rencontrer ces résistances, il devra écouter ces acteurs et en même temps montrer le cap, et préparer le changement aujourd’hui plutôt que d’avoir à le subir demain, sous l’impact des crises énergétique, climatique, et écologique. Mais j’entends aussi par ailleurs des craintes, non pas que la transition écologique aille trop vite ou trop loin, mais qu’elle manque d’ambition, ou souffre d’un défaut de cohérence.   Plus précisément que l’agro-écologie telle qu’elle serait promue aujourd’hui dans certains États, dont la France, serait bienvenue mais insuffisamment radicale. Il ‘agirait simplement de verdir l’agriculture, sans lui faire changer véritablement de cap. Alors, pour ma part je considère que le débat qui est lancé aujourd’hui est une opportunité à saisir: dans le schéma qui est proposé, 2013 est le temps de la conception et de l’amplification.  La France dispose, le ministre Le Foll l’a rappelé,  d’atouts considérables, qui nous autorisent à penser qu’elle peut montrer la voie au sein de l’Union européenne , comme le Brésil l’a montré au sein de l’Amérique latine.

« Les conditions de la réussite »

Pour cela, il me semble qu’un certain nombre de conditions doivent être réalisées et je voudrais en énumérer quatre qui me paraissent importantes et recoupent, Monsieur le ministre, les quelques engagements que vous avez pris. D’abord, l’agro-écologie suppose une co-construction des solutions, ce que le ministre Le Foll a appelé le système « implicatif« ; co-construction des solutions au niveau, d’abord, de la recherche agronomique, comme par exemple par la sélection participative telle qu’elle est promue par le réseau »semences paysannes« ; mais surtout con-construction dans la définition des politiques publiques, qui peuvent soutenir et accompagner la transition agroécologique. La co-construction signifie la participation active des acteurs de terrain, à commencer par les agriculteurs et agricultrices, comme source de légitimité mais aussi de connaissances, parce que les savoirs traditionnels, les savoirs locaux, les pratiques, doivent se combiner au savoir des experts, pour produire des pratiques agro-écologiques qui sont appropriées aux contextes spécifiques dans lesquels ces pratiques vont s’ancrer. La co-construction ça suppose un État qui n’est pas seulement un grand ordonnateur, qui est aussi à l’écoute, qui est modeste, qui est facilitateur et qui accompagne la recherche de solutions locales (…) La deuxième condition c’est le renforcement des capacités des acteurs collectifs et la mise sur pied de réseaux associant producteurs, consommateurs, et pouvoirs publics, avec le soutien des experts scientifiques. Avec l’agro-écologie, en effet, il ne s’agit pas seulement de production agricole, car après tout à quoi sert-il de produire mieux si on n’a pas de débouchés, si les intermédiaires, les transformateurs, les distributeurs, rejettent nos produits ou si les consommateurs ne suivent pas le mouvement? Ce qu’il faut c’est donc une transition qui concerne toute la filière, plus précisément tout le système agroalimentaire, au-delà de la production , incluant la transformation et la distribution et la consommation. Troisièmement, l’agro-écologie vise à réduire la dépendance vis à vis des intrants et à mieux inscrire l’agriculture dans les écosystèmes dont elle dépend, dont elle va entretenir ensuite les capacités en retour. C’est au fond une quête d’autonomie qui caractérise largement l’agro-écologie, et cette autonomie doit pouvoir s’exprimer aussi sur d’autres plans. Notamment, l’agriculteur et l’agricultrice doivent être mieux protégés contre la volatilité des prix du marché, l’agriculteur et l’agricultrice doivent être mieux protégés contre les abus de pouvoirs économiques des chaînes alimentaires, dans une gouvernance alimentaire qui doit être attentive aux déséquilibres et aux rapports de force qui sont noués entre les différents acteurs. Pourquoi faut-il que l’agro-écologie s’accompagne de réformes sur ce plan? Et bien d ‘abord parce que l’autonomie que cela permettre aux producteurs est source de résilience par rapport aux cours chahutés des hydrocarbures ou des matières premières agricoles, résilience aussi par rapport aux pratiques des grands acteurs de l’agroalimentaire, qui parfois rendent extrêmement difficile la capacité des plus petits agriculteurs simplement de subsister grâce à leur travail. Deuxièmement c’est en renforçant l’autonomie qu’on préservera le tissu rural de manière dynamique et que pourra émerger une nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices, bref que l’histoire de  la paysannerie pourra continuer d’être écrite.   Quatrième condition, pour que l’agroécologie puisse émerger véritablement comme une nouvelle manière de produire et de consommer qui soit à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui suppose, il faut une approche pluri-sectorielle. Par exemple, les règles concernant l’aménagement du territoire doivent favoriser l’accès à la terre d’une nouvelle génération d’agriculteurs; les régimes qui régissent les écoles, l’éducation  doivent favoriser la fourniture  de cantines scolaires en aliments produits de manière responsable et qui respectent les conditions de durabilité; les subsides qui vont aux agriculteurs, mais aussi les régimes de la fiscalité doivent encourager les pratiques agro-écologiques, cela correspond au troisième axe « inciter » du projet proposé par le ministre Stéphane Le Foll. Cela suppose évidemment que le ministre de l’agriculture travaille avec le ministère des finances et avec la ministre de l’écologie pour que ces réformes pluri-sectorielles puissent avoir des chances de réussir.

« Les atouts de la France »

Et la France, je crois, a des atouts considérables pour réussir cette transition. D’abord, il y a en France une conception territoriale de l’action publique, ce qui permet de rechercher la cohérence au niveau local, au niveau régional, comme le promeuvent, par exemple, les CIVAM, les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, en prêchant par l’exemple. Ces centres ont 10 000 adhérents aujourd’hui, et ils veulent territorialiser les solutions qui visent à aller vers des pratiques agricoles plus durables et à revitaliser le tissu rural.Cette conception territoriale de l’action publique permet de favoriser la réelle participation de l’ensemble des acteurs intéressés à la définition des politiques au plan local, ce qui garantit que les décisions soient prises dans l’intérêt général plutôt que dans l’intérêt de quelques uns. Deuxièmement , la France, comme l’a rappelé le ministre Le Foll, est un terrain fertile en expériences : il y a bien sûr l’agriculture de conservation, sans labour, qui doit s’orienter vers une agriculture de semis sous couvert sans herbicides, il y a aussi des expériences nombreuses de sélection participative associant chercheurs et cultivateurs pour le développement de nouvelles variétés, pour préserver et miser sur le patrimoine génétique local, comme certaines expériences en Bretagne ou le travail du réseau semences paysannes, il y a , en France, un grand nombre d’initiatives qui visent à favoriser l’accès au foncier, en lien avec le projet d’insertion d’agriculteurs dans l’économie locale, c’est par exemple à quoi vise le travail de l’association Terre de Liens, qui vise à favoriser l’accès à la terre pour une nouvelle génération d’agriculteurs. Il y a,enfin, des tentatives de groupes agroalimentaires comme Terrena, un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’Euros, 22000 agriculteurs qui sont associés, 11000 salariés, et Terrena veut s’orienter aujourd’hui vers l’agro-écologie, c’est un signe extrêmement significatif. On a donc des expériences nombreuses et diverses qui émanent des paysans, des consommateurs, du monde de l’agroalimentaire industriel  qui ressentent tous à leur niveau les besoins de cette conversion. Troisième atout de la France: la France a une très forte tradition en matière d’économie sociale et solidaire, avec un ministre délégué chargé de ces questions qui est, aujourd’hui Benoît Hamon. L’économie sociale et solidaire a de fortes affinités avec l’agro-écologie, d’abord parce qu’elle vise la gestion démocratique et participative associant une pluralité avec des sensibilités différentes, ensuite parce qu’elle vise le développement d’un tissu économique au service de la collectivité, et non seulement au service d’une maximisation des profits, troisièmement parce qu’elle mise sur la mixité des ressources publiques et privées, et quatrièmement parce que l’économie sociale et solidaire veut un ancrage territorial dans l’économie locale. Malgré ces atouts qui sont réels et nombreux, la transition sera difficile. Elle exigera de la volonté politique et un pilotage très adroit. De nombreux instruments devront être mobilisés et je voudrais en mentionner quatre qui me paraissent prioritaires pour opérer cette transition. Le premier ce sont des lignes de crédit spécifiques en soutien de l’agriculture paysanne, développant des pratiques agro-écologiques. Le deuxième c’est la formation de conseillers techniques du ministère de l’agriculture déployés sur le terrain pour favoriser la diffusion des pratiques agro-écologiques, alors que généralement ces conseillers sont formés sur la base du paradigme dominant  et reposant sur l’utilisation massive d’intrants chimiques. Troisièmement, il faut je crois utiliser l’outil des marchés publics, pour créer des débouchés pour les produits issus de pratiques agricoles suivant les bonnes pratiques agro-écologiques et maximisant les interactions écologiques: par exemple, ce qu’a fait le Brésil avec une loi de juin 2009 qui prévoit que 30% des aliments des cantines scolaires qui fournissent aujourd’hui des repas à 49 millions d’enfants  proviendront de l’agriculture familiale et agro-écologique, c’est un levier extrêmement puissant pour favoriser l’agriculture familiale des petites exploitations. Quatrièmement, il faut peut être s’engager dans la certification de bonnes pratiques écologiques, mais ceci de manière participative, et en reconnaissant la diversité et  l’évolution permanente des pratiques.

 « La France a le devoir de réussir »

Je voudrais conclure en trois points en disant que la transition agro-écologique est nécessaire et que la proposition du ministre Stéphane Le Foll peut être vue comme une opportunité à saisir pour s’engager dans ce mouvement. Deuxièmement, la transition agro-écologique supposera des réformes et des mesures d’accompagnement de ces réformes qui vont bien au-delà des bureaux du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. D’abord, parce que les collectivités locales doivent s’engager: le rôle des conseils généraux, au plan régional, est tout à fait essentiel, il faut un ancrage de la transition dans les politiques territoriales au niveau local et régional. Troisièmement parce que la transition doit engager plusieurs secteurs l’éducation, l’emploi, l’écologie, l’économie sociale et solidaire, il faut donc un effort qui aille au-delà d’un seul ministère qui soit un effort trans-sectoriel. Enfin, comme je l’ai dit, la France est bien située pour montrer la voie, avec d’autres pays comme l’Autriche, le Danemark, je souhaite donc bonne chance à la France et au ministre de l’agriculture pour réussir et je dirais même: vous avez le devoir de réussir, parce que les attentes qui sont placées dans la France sont importantes, parce que la France pionnière de cette transition ne doit pas décevoir ces  attentes considérables qui sont placées en elle, et parmi elles il y a les miennes!

 

 

Puis, ce fut mon tour! Avant de dresser le bilan des pratiques agro-industrielles, j’ai présenté l’extrait de mon film Les moissons du futur, opposant Eleazar, le paysan mexicain pratiquant l’agorécologie, et Dale, le grand céréalier du Midwest au bout du rouleau:

Voici le texte de mon allocution:

« Si j’ai choisi cet extrait de mon film Les moissons du futur, qui est sorti sur ARTE en octobre 2012 en même temps que mon livre éponyme, c’est parce qu’il résume parfaitement l’opposition entre deux modèles agricoles : d’un côté, le modèle agro-industriel, promu sans relâche depuis la seconde guerre mondiale, basé sur l’utilisation d’intrants chimiques; de l’autre, le modèle agro-écologique fondé sur l’équilibre des écosystèmes et la complémentarité des cultures, insectes, arbres et animaux.

Or, tout indique que l’agriculture se trouve, aujourd’hui, à la « croisée des chemins », pour reprendre le titre d’un document de près de six cents pages, publié en 2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD. Cet acronyme désigne une expertise collective, conduite à la demande de la Banque mondiale par quatre cents scientifiques internationaux, dont les conclusions ont  finalement été approuvées par cinquante-huit pays, lors d’une conférence intergouvernementale qui s’est tenue à Johannesburg, du 7 au 12 avril 2008[1]. J’ai moi même interviewé Hans Herren, l’auteur principal du rapport, qui a souligné l’urgence de « changer de paradigme agricole », pour pouvoir faire face aux multiples crises qui menacent la stabilité du monde et la souveraineté alimentaire des peuples : la crise du climat, de la biodiversité, de l’eau, la crise financière, sociale, économique, sanitaire, énergétique et alimentaire. Or, l’agriculture constitue un puissant levier pour agir sur toutes ces crises, à condition bien sûr que l’on  change de paradigme, car le système agro-industriel, loin de les atténuer, au contraire les accélère. Avant de laisser la parole aux intervenants qui vont nous montrer comment on pourrait faire autrement, je voudrais rappeler les effets néfastes du modèle de la fameuse « révolution verte ». La liste n’est pas exhaustive, mais elle rassemble les critiques principales et récurrentes que fait un nombre croissant d’experts au modèle agro-chimique :

– d’abord, l’agriculture industrielle est responsable de 14% des émissions de gaz à effet de serre, car elle  repose sur l’usage de pesticides et d’engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; elle repose aussi sur la mécanisation et le transport des denrées agroalimentaires, très gourmands en énergies fossiles. A ces 14%, s’ajoutent les 19% dus à la déforestation, pratiquée majoritairement pour développer des monocultures comme le soja transgénique, qui nourrissent les animaux des élevages industriels, ou pour produire des agrocarburants.  Le modèle agrochimique contribue donc largement à l’accélération du réchauffement climatique, alors que l’agriculture devrait être captatrice de carbone ! Faut-il rappeler que les émissions de CO2 n’ont jamais augmenté aussi vite qu’au cours de la dernière décennie : 3 % par an en moyenne, soit trois fois plus que lors de la décennie précédente. Nous sommes sur la trajectoire des pires scénarios imaginés par le  GIEC, le groupement interministériel sur l’évolution du climat.

Le réchauffement climatique affecte déjà les rendements des grandes cultures européennes, ainsi que l’ont confirmé plusieurs études[i]. D’après l’une d’entre elles, publiée par Science en 2011, l’augmentation des températures, mais aussi des précipitations, entre 1980 et 2008 a fait chuter les rendements moyens mondiaux des cultures de blé et de maïs respectivement de 5,5 % et 3,8 % (en France, la baisse des rendements du blé est estimée à 5 %)[ii].

– Deuxièmement,  la part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau atteint aujourd’hui 70%, en raison notamment des techniques d’irrigation que nécessite l’agriculture industrielle. Un peu partout dans le monde on assiste au développement de conflits autour de la gestion des ressources aquifères. Au problème de la raréfaction s’ajoute celui de la pollution, particulièrement en France : C’est ainsi qu’en cinquante ans, la nappe phréatique de la Beauce, la plus étendue d’Europe, – 9 500 km2 entre la Seine et la Loire, 20 milliards de m3 d’eau, utilisés pour la production de l’eau potable, l’irrigation et l’industrie- , regorge de nitrates et autres polluants. Intensément exploitée, la réserve a connu des baisses de niveau inquiétantes, notamment dans les années 1990. Les rivières ont également souffert. En 2005, sur les dix-sept sources de rivières exutoires de la nappe, quatorze présentaient des teneurs en nitrates supérieures à 50 mg/l, la norme de concentration maximale admissible pour la consommation humaine[iii] . Aux nitrates s’ajoutent les  pesticides et en particulier l’atrazine (désormais interdite, mais qui persiste longtemps dans l’environnement), qui sont responsables de 60 % des cas de pollution d’origine agricole. Près de 700 000 personnes sont concernées, essentiellement dans le Bassin parisien, le Nord, la vallée du Rhône et le Sud-Ouest , a relevé  une étude publiée par l’UFC-Que choisir[iv]. De son côté, Martin Guespereau, le directeur de l’agence de bassin Rhône-Méditerranée-Corse, dénonçait le mauvais état général du « paysage aquatique français » : « Les trois quarts des eaux de nos bassins sont chargées en glyphosate [le principe actif du désherbant Roundup de l’agrochimiste Monsanto]. On a aussi identifié dans 60 % des rivières et 45 % des nappes phréatiques destinées à l’alimentation en eau potable six pesticides interdits depuis 2003, dont l’atrazine[v].

– Troisièmement, 25% des sols où ont été développées les monocultures de la « révolution verte » sont complètement érodés, voire morts. Or ces monocultures qui caractérisent de vastes territoires français sont finalement peu productives, au regard des ressources consommées pour les développer .Car, contrairement à ce qu’on affirme généralement, les petites fermes sont  beaucoup plus productives que les grandes[vi], ainsi que me l’a expliqué un chercheur de l’université californienne de Berkeley. Si l’on mesure ce qu’on appelle le total output, c’est-à-dire la production alimentaire totale qui sort d’une unité d’exploitation, le ratio est beaucoup plus élevé dans les petites fermes que dans les grandes. Par exemple, des études montrent qu’un hectare planté avec le système de la milpa où l’on associe la culture de maïs, haricots et courges, produit autant de calories alimentaires que 1,7 ha de monocultures de maïs. Si l’on mesure seulement le rendement du maïs, il est certes plus élevé sur la grande exploitation (5 tonnes contre 7 tonnes à l’hectare), mais sur la petite on produit aussi des haricots, des citrouilles, des tomates et des dindes. De plus, le système de la milpa produit quatre tonnes de matières organiques par hectare qui peuvent être réinjectées dans le sol, contre deux seulement dans les monocultures. De plus, les petites fermes sont beaucoup plus efficaces dans l’usage des ressources naturelles. Par exemple, quand on mesure l’efficacité énergétique des grandes exploitations industrielles, on obtient un rapport de deux ou trois, maximum. Ça veut dire qu’en injectant une kilocalorie d’énergie, on obtient trois kilocalories d’énergie en terme de nourriture. Pour une petite exploitation, le rapport est de quinze à trente. La conversion énergétique est très élevée. C’est la même chose pour l’eau, les nutriments, l’énergie solaire ou les ressources génétiques. On estime que les petits paysans ont développé environ un million de variétés végétales au cours de l’histoire, tandis que les sélectionneurs de la révolution verte n’en ont créé que 7 000. Donc, le service rendu par les petits paysans pour conserver la biodiversité dont l’humanité aura besoin pour se nourrir dans le futur est énorme.

– Quatrièmement, comme nous allons le voir, le prix des aliments issus de l’agriculture dite « conventionnelle » est faussé par le jeu pervers des subventions accordées aux producteurs des pays du nord, et la non prise en compte des externalités, c’est à dire des coûts indirects induits par le modèle agroindustriel, comme la facture environnementale (contamination de l’eau, de l’air, érosion des sols, destruction de la biodiversité) et sanitaire (paysans malades ou morts, maladies des consommateurs et riverains). Une étude publiée en 2009 par le parlement européen a révélé que si on interdisait en Europe les seuls pesticides cancérigènes, on économiserait 26 milliards d’Euros par an. De son côté, David Pimentel de l’Université Cornell a estimé, en 1992, que le coût environnemental et sanitaire de l’usage des pesticides aux Etats Unis s’élevait à dix milliards de dollars. De nombreuses études montrent aussi que l’exposition aux pesticides peut provoquer des effets négatifs sur le système de la reproduction, sur le système hormonal et endocrinien ou sur le système neurologique, conduisant aux maladies de Parkinson ou d’Alzheimer, ou encore sur le système immunitaire. D’ailleurs, la maladie de Parkinson a récemment été intégrée au tableau des maladies professionnelles de la Sécurité Sociale.

– Cinquièmement, le développement du modèle agro-industriel a provoqué un exode rural massif au nord comme au sud de la planète : depuis 2008, un habitant sur deux habite dans les villes. Des villes qui ont au mieux deux jours d’autonomie alimentaire. La  France n’est bien sûr pas épargnée :  En 1960, on comptait 1,8 million d’exploitations agricoles ; en 1990, on n’en comptait plus qu’un million, et aujourd’hui moins de la moitié. Chaque semaine,  200 fermes disparaissent du territoire français, tandis que la superficie moyenne des exploitations ne cesse d’augmenter.

– Enfin, le modèle agricole productiviste, relayé par de puissants lobbies, a conduit à la consommation accrue de viande depuis le début du xxe siècle, notamment dans les pays du Nord, où elle est passée de vingt kilos par personne et par an à quatre-vingts aujourd’hui. Avec le changement des habitudes alimentaires, on observe la même tendance dans les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde. Selon les projections de la FAO, pour répondre à la demande, la production mondiale de viande devra doubler d’ici à 2050, passant de 229 à 465 millions de tonnes. Or, on estime qu’il faut quatre calories végétales pour produire une calorie de viande de poulet ou de porc, et onze pour produire une calorie de bœuf élevé de manière intensive. Aujourd’hui, 40 % des céréales cultivées dans le monde sont destinés à alimenter les animaux  des élevages industriels. Comme la production de viande est beaucoup plus gourmande en eau que celle de légumes, on estime que les mangeurs de viande consomment 4 000 litres d’eau par jour, alors que les végétariens n’en consomment que 1 500. Enfin, l’élevage est l’une des principales causes du réchauffement climatique, puisqu’il totalise 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Un repas avec viande et produits laitiers équivaut, en émissions de gaz à effet de serre, à 4 758 km parcourus en voiture, contre 629 km pour un repas végétarien.

Encore une fois, cette liste d’effets pervers est loin d’être exhaustive, mais les contributions que nous allons entendre tout au long de cette journée devraient apporter un éclairage documenté et fructueux sur un autre modèle agricole permettant à la France et à  l’Europe de relever les défis qui l’attendent dans un avenir proche : réduction des émissions des gaz à effets de serre (agroforesterie), fin de la dépendance de l’agriculture européenne par rapport aux énergies fossiles, baisse du coût des externalités que génère le modèle agroindustriel (pollution de l’eau, de l’air, épuisement des ressources aquifères, facture sanitaire), création d’emplois, restauration des sols érodés et des écosystèmes, souveraineté alimentaire (substitution des tourteaux de soja importés des Amériques par une production locale de protéines végétales). C’est de tout cela que nous allons parler aujourd’hui !

 Photos: Marc Duployer

 


[1] Le rapport est parrainé par sept organisations onusiennes, dont la FAO, l’Unesco, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

 


[i] Voir notamment : Nadine Brisson et alii, « Why are wheat yields stagnating in Europe ? A comprehensive data analysis for France », Field Crops Research, vol. 119, 2010, p. 201-212.

[ii] Stéphane Foucart, « Une étude estime que le réchauffement a réduit de 5,5 % et 3,8 % les rendements du blé et du maïs », Le Monde, 7 mai 2011 ; David Lobell, « Climate trends and global crop production since 1980 », Science, vol. 333, n° 6042, 29 juillet 2011, p. 616-620.

 

 

[iii] Sophie Landrin, « Dans la Beauce, cinquante ans de pollution agricole », Le Monde, 13 mars 2012.

[iv] Citée par Gilles van Kote, « L’agriculture à l’origine des deux tiers de la pollution de l’eau potable en France », Le Monde, 21 mars 2012.

[v] Cité par Éliane Patriarca, « Il faut impérativement économiser l’eau », Libération, 19 mars 2012.

[vi] Andrew Dorward, « Farm size and productivity in Malawian smallholder agriculture », Journal of Development Studies, vol. 35, n° 5, 1999, p. 141-161 ; Graham Dyer, « Farm size farm productivity re-examined : evidence from rural Egypt », Journal of Peasant Studies, vol. 19, n° 1, 1991, p. 59-92.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *