Comme je l’ai écrit dans mon précédent papier, j’ai ressenti un grand malaise devant la posture du gouvernement qui voudrait nous embarquer dans une « guerre des civilisations » qui risque fort de nous détourner d’un combat bien plus urgent et essentiel: celui contre le dérèglement climatique et ce que Fabrice Nicolino appelle, à juste titre, la « tragédie écologique« . Mon malaise venait aussi probablement du fait que dans mon livre Sacrée croissance! (que je suis censée écrire en … 2034), j’avais imaginé que, encouragé par les médias, François Hollande avait décidé de lancer la « guerre contre le climat« , provoquant d’immenses manifestations de liesse dans toute la France et le reste du monde…
Voici un extrait de l’introduction de mon livre:
Tout avait commencé quatre mois plus tôt, très exactement le 14 avril 2014. Ce matin-là, il s’était passé un événement incroyable, inespéré, tellement énorme que j’en frissonne encore en écrivant ces lignes. À 7 heures, alors que je commençais ma séance de rameur dans le sous-sol de ma maison de Seine-Saint-Denis, j’avais allumé la radio pour écouter le journal de France Inter. Et là, stupeur, j’avais entendu le journaliste Patrick Cohen[1] déclarer sur un ton solennel : « La situation est très grave. Le dernier rapport du GIEC – le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, publié hier, n’exclut pas un réchauffement climatique de 4,8° C d’ici 2100 si les émissions de gaz à effet de serre continuent de progresser au rythme de la dernière décennie, soit 2,2 % par an. Si c’est le cas, il n’est pas sûr que l’humanité puisse survivre à la fin de ce siècle. Les rédactions de Radio France ont donc décidé de consacrer tous leurs programmes de la journée à ce rapport, capital pour l’avenir de la planète. »
Les bras m’en étaient tombés et j’avais arrêté de ramer… J’avais foncé devant la télé et là, rebelote : toutes les chaînes, privées comme publiques, ne parlaient que de cela ! En France, mais aussi dans le reste du monde : BBC, ARD, ABC, RAI… Bref, on se serait cru le 11 septembre 2001, lorsque toutes les télévisions de la planète avaient repassé en boucle les images des avions percutant les tours jumelles du World Trade Center. Le « 14 Avril » – c’est ainsi qu’on a ensuite appelé cette journée mémorable, surnommée aussi le « Grand Chambardement » – et les jours qui suivirent, les Terriens ont enfin compris les enjeux inouïs et uniques du réchauffement climatique. Et, pour la première fois, les scientifiques ont dit sans détour ce qui nous attendait si nous ne changions pas rapidement de cap (voir infra, chapitre 3). « La science nous transmet un message clair : nous devons abandonner le statu quo pour éviter toute interférence dangereuse avec le système climatique[2] », a martelé l’Allemand Ottmar Edenhofer, l’un des trois co-présidents du groupe de travail III, qui rédigea le rapport. Partout dans le monde, les quelque huit cents chercheurs qui avaient contribué à sa rédaction, rassemblant près de 20 000 études et projections scientifiques, sont – enfin ! – sortis de leur réserve pour dire clairement les choses.
Le pire scénario du GIEC
On n’avait jamais vu cela : du Nord au Sud de la planète, dans les usines, les bureaux, les foyers, les cafés, les écoles ou les commerces, les citoyens et citoyennes se sont rassemblés devant les postes de télévision ou de radio pour écouter, tétanisés, les terribles nouvelles. Avec un remarquable effort de pédagogie, les experts ont expliqué qu’avant l’ère industrielle (au milieu du xixe siècle), la concentration moyenne de l’atmosphère en dioxyde de carbone (CO2) était de 278 ppm, mais que, le 9 mai 2013, elle avait franchi le seuil de 400 ppm[3], le niveau le plus élevé depuis 800 000 ans. D’après leurs calculs, en 2012, plus de 365 milliards de tonnes de carbone avaient été émises dans l’atmosphère provenant de la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et de la production de ciment. S’y ajoutaient 180 milliards de tonnes causées par le changement d’affectation des sols, comme la déforestation. Plus de la moitié de ces émissions avaient eu lieu après le milieu des années 1970, avec une accélération notable au cours des vingt dernières années, puisqu’entre 1992 et 2012, elles avaient augmenté de 38 %. Ces émissions anthropiques – c’est-à-dire issues de l’activité humaine – de gaz « à effet de serre » avaient entraîné un réchauffement de la Terre de 0,85 °C entre 1880 et 2012, les trois dernières décennies ayant été les plus chaudes qu’ait connues l’hémisphère Nord depuis au moins 1 400 ans.
Sur les plateaux de télévision, les climatologues ont commenté la carte du monde qui m’avait tant impressionnée quand j’avais lu un rapport intermédiaire du GIEC, publié deux semaines avant le 14 Avril et qui était passé inaperçu[4]. On y voyait les effets du changement climatique déjà constatés sur tous les continents : augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations, sécheresses, incendies, tempêtes et cyclones, provoquant des dégâts humains et matériels considérables et une baisse de la production alimentaire. Les experts ont aussi expliqué pourquoi le niveau de la mer augmentait inexorablement, pourquoi les océans s’acidifiaient, quelles étaient les conséquences de la fonte de la banquise, des glaciers et des calottes glaciaires, ou du dégel du permafrost de Sibérie. Et ils ont introduit une notion complètement inconnue du grand public, qui a provoqué quelques (rares) réactions d’hystérie collective : les « boucles de rétroaction positives ».
Les scientifiques ont expliqué que le processus du réchauffement climatique n’est pas linéaire, mais exponentiel. Et que certains facteurs agissent comme des turbocompresseurs qui accélèrent la tendance en cours dès que sont franchis des « seuils de basculement » (tipping points). On apprit ainsi que la fonte des glaces polaires, dont l’albédo (leur capacité à réfléchir une grande partie du rayonnement solaire) est très élevé, allait accélérer la désintégration du pergélisol des régions arctiques. Or, ces sols gelés couvrant un cinquième de la surface terrestre contiennent d’énormes quantités de carbone et de méthane (un gaz vingt-et-une fois plus réchauffant que le CO2) ; lesquelles, en se libérant, pourraient augmenter la température de la Terre d’un degré supplémentaire. Un réchauffement global de 3° provoquerait par ailleurs l’effondrement de l’Amazonie, dont les arbres et les sols cesseraient d’absorber du carbone, pour en libérer au contraire d’énormes quantités, ajoutant 250 ppm dans l’atmosphère. À ce stade de 4 ou 5 degrés de réchauffement, les humains pourraient assister impuissants au dégazage des hydrates de méthane[5], emprisonnés dans la glace des fonds marins polaires, comme cela s’est produit il y a 55 millions d’années lors du « maximum thermique » du passage paléocène-éocène (PETM), où la concentration de CO2 a atteint 1 000 ppm en 20 000 ans, provoquant un réchauffement de la planète de 6°. « La différence, expliqua Jim Zachos, un paléo-océanographe américain, c’est que le rythme des émissions actuelles de carbone est trente fois plus rapide qu’à l’époque du PETM[6]… »
Inutile de préciser que le « pire scénario du GIEC », comme nous continuons de l’appeler, aurait entraîné des conséquences funestes pour la vie sur Terre. À l’époque, les scientifiques évoquaient le commencement de la « sixième extinction des espèces » (voir infra, chapitre 6) et envisageaient des perspectives guère plus réjouissantes pour les humains : dans son rapport, le GIEC évoquait les centaines de millions de réfugiés climatiques, fuyant les zones rendues inhabitables par la désertification, la montée de la mer ou les ravages causés par les cyclones. Il mettait en garde contre le coût économique de l’inaction – lequel, d’après les Nations unies, pourrait s’élever à 300 milliards de dollars par an. Et il soulignait les risques de famines, de conflits autour des ressources devenues plus rares, comme l’eau, les énergies fossiles (voir infra, chapitre 4) ou les stocks de poissons. Mais aussi d’épidémies meurtrières (typhus, choléra, dengue, virus Ébola), sans parler de l’émergence de nouveaux agents pathogènes jusque-là inconnus.
Pour éviter ce scénario catastrophe, la conclusion des experts était sans appel : si l’on voulait limiter la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère à 450 ppm pour maintenir le réchauffement de la Terre au-dessous de 2°, il fallait impérativement réduire les émissions mondiales de 40 % à 70 % d’ici 2050 et les éliminer presque totalement d’ici la fin du siècle.
François Hollande monte au créneau
Ce n’était pas la première fois que le GIEC tirait la sonnette d’alarme, mais ses mises en garde n’avaient pas été suivies d’effet : en 2009, la conférence sur le climat de Copenhague s’était soldée par un échec lamentable, malgré l’importante mobilisation de milliers d’associations écologistes et humanitaires de par le monde. En juin 2012, le sommet « Rio + 20 » avait enterré l’immense espoir soulevé, vingt ans plus tôt, par le premier Sommet de la Terre. Enlisés dans la gestion de la crise économique et sociale qu’avaient aggravée, en 2008, les agissements criminels des grandes banques, les dirigeants avaient relégué la question du climat aux oubliettes.
Il a fallu le réveil courageux des journalistes qui, jusque-là, traitaient ce sujet plutôt mollement, comme une information parmi d’autres, pour que les politiques sortent de leur léthargie. Et le premier d’entre eux fut le président François Hollande, qui a surpris tout le monde, en convoquant dès le 15 avril 2014 le gouvernement sur le perron de l’Élysée pour annoncer que la « guerre contre le réchauffement climatique » était désormais l’objectif numéro un de sa politique. Retransmise en direct dans toute la France, sa déclaration a suscité de gigantesques manifestations de liesse populaire, similaires à celles qu’on avait connues, le 10 mai 1981, lors de l’élection du président François Mitterrand. Encore sous le choc des informations dramatiques que les médias leur avaient assénées depuis vingt-quatre heures, les Françaises et Français ont ressenti un énorme soulagement devant la fin du « Grand Déni » (voir infra, chapitre 5) qui obstruait insidieusement leur avenir, les angoissait et les empêchait d’agir.
Et puis les événements se sont enchaînés, avec une rapidité qu’aucun écologiste n’aurait pu imaginer, même dans ses rêves les plus fous. Faisant preuve d’un volontarisme insoupçonné, le président Hollande a contacté la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre britannique David Cameron – lesquels avoueront plus tard que l’initiative française les avait « libérés d’un poids insupportable ». Un conseil européen des chefs d’État et de gouvernement fut convoqué en toute urgence à Bruxelles, tandis qu’à New York, le président Barak Obama rencontrait le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon. Dès le lendemain, l’Assemblée générale de l’ONU votait à l’unanimité la création de la « convention-cadre pour la grande transition vers une société zéro carbone », tout simplement appelée « CGT ».
La première conférence de la CGT s’est ouverte à Thimphou, le 15 juin 2014…
(fin de l’extrait)
[1] Patrick Cohen est devenu ensuite le porte-parole de la commission sur la Grande Transition.
[2] Communiqué de presse du GIEC, 13 avril 2014, 2014/19/PR.
[3] Une concentration de 400 ppm (parties par million) signifie que le CO2 représente 0,04 % des molécules d’air sec ; la mesure a été relevée à l’observatoire de Mauna Loa (Hawaii).
[4] GIEC, Climate Change 2014. Impacts, Adaptation, and Vulnerability, Summary for Policymakers, 31 mars 2014, p. 7.
[5] Surnommés « glace qui brûle » ou « glace de méthane », les hydrates de méthane sont inflammables dès qu’ils fondent et entrent en contact avec l’oxygène.
[6] « Lesson from 55 million years ago says climate change could be faster than expected », Daily Telegraph, 17 février 2006.
Vous comprenez mon trouble?
Partout où je présente mon film Sacrée croissance!, comme la semaine dernière à Rennes, Redon et Fougères, devant des salles combles (voir photos), je rappelle qu’à la fin de l’année (décembre) la France recevra la COP 21, la grande conférence sur le climat et qu’il faut se mobiliser pour qu’elle ne soit pas un échec. C’est pourquoi je dis et je répète: Ne nous trompons pas d’ennemi!
A Rennes, le 21 janvier, où on a refusé une centaine de personnes.
A Redon, le 22 janvier où on a refusé quelque 150 personnes.
A Fougères, le 23 janvier, où le cinéma n’en est pas revenu: 300 personnes!
Cette semaine, je pars dans le Sud-est de la France, avec cinq projections débats: Salon de Provence, Correns, Toulon, Digne, Die en Drome. Pour les lieux et horaires, consultez ce lien.