Appel à la vigilance

J’appelle tous les lecteurs volontaires de ce blog à exercer leur vigilance en me signalant tout papier sur Internet qui pourrait s’apparenter à du « marketing viral » destiné à jeter le trouble sur la validité de mon enquête.

Photo:Avec Jonathan Matthew dans son bureau à Norwich (Royaume Uni).

À dire vrai, je m’attends à ce que soit lancée sur Internet une campagne de diffamation pour me discréditer ainsi que mon enquête.

Ainsi que je le raconte dans Le Monde selon Monsanto ce ne serait pas la première fois que la multinationale aurait recours à ce qu’on appelle le « marketing viral ». Pour preuve, l’histoire incroyable du Professeur Ignacio Chapela, qui a publié dans la revue Nature une étude sur la contamination du maïs mexicain par les OGM.

Je livre ici en exclusivité la partie de mon livre où je relate la « guerre sale » (dirty tricks) qu’a menée la firme de Saint Louis contre le chercheur de Berkeley.

DÉBUT EXTRAIT:

Le jour même de la publication de l’article de Chapela et Quist dans Nature, le 29 novembre 2001, une certaine Mary Murphy, manifestement bien informée, poste un courriel sur le site scientifique pro-OGM AgBioWorld, où elle écrit :

« Les activistes vont certainement faire courir le bruit que le maïs mexicain a été contaminé par des gènes de maïs OGM. […] On doit noter que l’auteur de l’article de Nature, Ignacio H. Chapela, fait partie du directoire du Pesticide Action Network North America (PANNA), un groupe d’activistes. […] Ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler un auteur impartial . »

Et le même jour, une certaine Andura Smetacek poste sur le même site un courriel intitulé :

« Ignatio (sic) Chapela : un activiste avant d’être un scientifique », où elle n’est pas à un mensonge près : « Malheureusement, la publication récente par le magazine Nature d’une lettre (et non pas un article de recherche soumis à l’analyse de scientifiques indépendants) de l’écologiste de Berkeley Ignatio (sic) Chapela a été manipulée par des activistes antitechnologie (comme Greenpeace, les Amis de la terre et la Organic Consumers Association) et les médias dominants pour alléguer faussement l’existence de maladies associées à la biotechnologie agricole. […] Une simple recherche dans l’histoire des relations de Chapela avec ces groupes [écolo-radicaux] montre sa collusion avec eux pour attaquer la biotechnologie, le libre échange, les droits de propriété intellectuelle et d’autres sujets politiques . »

Au moment où s’amorce la « campagne de diffamation » qui brisera la carrière d’Ignacio Chapela, un homme « tombe par hasard » sur ces étranges courriels. Il s’appelle Jonathan Matthews et il dirige GMwatch, un service d’information sur les OGM basé à Norwich, dans le sud de l’Angleterre.

« À l’époque, je faisais une enquête sur AgBioWorld, m’explique-t-il lorsque je le rencontre en novembre 2006, installé comme il se doit devant son ordinateur. C’était vertigineux : les deux courriels postés par Mary Murphy et Andura Smetacek ont été distribués aux 3 400 scientifiques enregistrés sur la liste de diffusion d’AgBioWorld. À partir de là, la campagne a enflé, certains scientifiques, comme le professeur Anthony Trewavas, de l’université d’Édimbourg, appelant au désaveu de l’étude par Nature ou au licenciement d’Ignacio Chapela.

– Qui est derrière AgBioWorld ?

– Officiellement, c’est une fondation à but non lucratif, qui affirme “fournir de l’information scientifique sur l’agriculture biologique aux décideurs à travers le monde”, comme le proclame son site, me répond Jonathan Matthews, démonstration à l’appui . Elle est dirigée par le professeur Channapatna S. Prakash, le directeur du centre de recherche sur la biotechnologie végétale de l’université Tuskegee, dans l’Alabama. D’origine indienne, il est conseiller de l’USAID, l’agence des États-Unis pour le développement international ; à ce titre, il intervient régulièrement en Inde et en Afrique pour promouvoir la biotechnologie. Il s’est rendu célèbre en lançant en 2000 la “Déclaration de soutien à la biotechnologie agricole”, qu’il a fait signer par 3 400 scientifiques, dont vingt-cinq Prix Nobel . Sur son site, il n’hésite pas à accuser les défenseurs de l’environnement de “fascisme, communisme, terrorisme, y compris de génocide”. Un jour, alors que je consultais les archives d’AgBioWorld, j’ai reçu un message d’erreur m’indiquant le nom du serveur qui héberge le site : appollo.bivings.com. Or, le Groupe Bivings, basé à Washington, est une entreprise de communication qui compte parmi ses clients… Monsanto et qui s’est spécialisée dans le lobbying sur Internet. »

Et Jonathan Matthews d’exhiber un article, publié en 2002 par le journaliste George Monbiot dans The Guardian, où l’on découvre que la firme a présenté son « savoir-faire » dans un document mis en ligne, intitulé : « Marketing viral : comment infecter le monde. »

« Pour certaines campagnes, il n’est pas souhaitable et il est même désastreux que le public sache que votre entreprise y est directement impliquée, explique-t-elle à ses clients. En termes de relations publiques, ce n’est tout simplement pas une bonne chose. Dans ces cas-là, il est d’abord important de bien “écouter” ce qui se dit en ligne. […] Une fois que vous vous en êtes bien imprégné, il est possible de vous brancher sur ces sites pour présenter votre position en faisant croire qu’elle vient d’une tierce personne. […] Le grand avantage du marketing viral, c’est que votre message a plus de chance d’être pris au sérieux.

« Dans son document, note le journaliste du Guardian, Bivings cite un « dirigeant de Monsanto » qui « félicite la firme » pour son « excellent travail » .

« Savez-vous qui sont Mary Murphy et Andura Smetacek, ai-je demandé à Jonathan Matthews, avec l’impression de nager en plein polar…

– Ah !, me répond le directeur de GmWatch, avec un sourire. Comme l’a bien résumé The Guardian , à qui j’ai transmis mes découvertes, ce sont des “fantômes”, ou des “citoyens factices” ! J’ai passé beaucoup de temps à chercher qui étaient ces deux “scientifiques” qui avaient déclenché la campagne contre Ignacio Chapela. Pour ce qui est de Mary Murphy, elle a posté au moins un millier de courriels sur le site d’AgBioWorld. Elle a notamment mis en ligne un faux article de l’agence Associated Press qui critique les “activistes anti-OGM”. Quand on remonte à l’adresse du serveur dont dépend son adresse électronique, on obtient : Bw6.Bivwood.com ! “Mary Murphy” est donc une salariée de l’agence Binvings ! Quant à “Andura Smetacek”, je me suis dit qu’il devrait être facile de retrouver une scientifique avec un nom si peu commun, d’autant plus qu’elle prétendait écrire depuis Londres. C’est elle qui a notamment initié une pétition demandant l’incarcération de José Bové. J’ai épluché l’annuaire électronique, le registre des électeurs et des cartes bancaires, mais impossible de retrouver sa trace… J’ai engagé un détective privé aux États-Unis, mais il n’a rien trouvé non plus. Finalement, j’ai épluché les détails techniques en bas de ses courriels qui indique l’adresse de protocole Internet : 199.89.234.124. Quand on la copie sur un annuaire des sites Internet, on tombe sur “gatekeeper2.monsanto.com”, avec le nom du propriétaire, “compagnie Monsanto de Saint-Louis” !

– Qui se cacherait, d’après vous, derrière “Mary Murphy” ?

– Avec George Monbiot, du Guardian, nous pensons qu’il s’agit de Jay Byrne, qui fut responsable de la stratégie Internet chez Monsanto. Lors d’une réunion avec des industriels, qui s’est tenue à la fin de 2001, il a notamment déclaré : “Il faut considérer Internet comme une arme sur la table : soit c’est vous qui vous en emparez, soit c’est votre concurrent, mais dans tous les cas, l’un de vous deux sera tué .”

– De faux scientifiques et de faux articles, c’est incroyable !
– Oui, me répond Jonathan Matthew, ce sont vraiment des coups tordus, qui représentent l’exact opposé des qualités que Monsanto prétend incarner dans son Pledge : “Dialogue, transparence, partage ”… Ces méthodes révèlent une firme qui n’a aucune envie de convaincre avec des arguments et qui est prête à tout pour imposer ses produits partout dans le monde, y compris à détruire la réputation de tous ceux qui peuvent lui faire obstacle… »

FIN DE L’EXTRAIT

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