Des nouvelles du Canada

Elections fédérales – Pour un moratoire sur les OGM OTTAWA, MONTREAL et QUEBEC, le 16 sept. /CNW Telbec/ –

Dans le cadre de l’élection fédérale, une large coalition d’organismes de la société civile coordonnée par le Réseau québécois contre les OGM (RQcOGM) et le Canadian Biotechnology Action Network (CBAN) demande à tous les candidats et partis politiques de s’engager à appuyer un moratoire sur toute nouvelle autorisation d’OGM au Canada, tant que les procédures d’évaluation des risques liés aux OGM n’auront pas été renforcées, de manière à les rendre conformes aux normes scientifiques internationales découlant du principe de précaution.

Cet appel survient le jour de la sortie de la version DVD du documentaire-choc intitulé Le monde selon Monsanto coproduit par l’ONF et réalisé par Marie-Monique Robin, qui signe également un livre au même titre.
L’auteur-documentariste sera de passage à l’Université d’Ottawa, mercredi enfin d’après-midi, et à l’Université du Québec à Montréal, jeudi soir, lors de soirées-débat où le public pourra voir gratuitement son
film.
Selon Eric Darier, directeur de Greenpeace au Québec, « personne ne peut rester indifférent après avoir vu le documentaire Le monde selon Monsanto ».

Le film documente l’histoire de Monsanto, le numéro un mondial des producteurs de semences OGM et l’une des multinationales les plus controversées. On y montre comment certains rapports falsifiés, la collusion et le lobbying mêlé de tentatives de corruption ont contribué à faire de Monsanto l’une des plus importantes firmes agrochimiques et semencières au monde.

« Après avoir vu ce documentaire, tout le monde comprendra comment Monsanto a réussi à convaincre les gouvernements d’autoriser les OGM sans avoir eu à fournir des preuves scientifiques crédibles et indépendantes », soutient Denis Farlardeau de l’ACEF de Québec.

« Ottawa a bien fait de refuser, en 1999, la commercialisation par Monsanto de l’hormone de croissance bovine recombinante. Le prochain gouvernement devrait avoir le même courage et mettre en place un moratoire sur l’autorisation de nouveaux OGM ».

D’après Benoit Girouard de l’Union paysanne, « les cultures OGM de Monsanto, celles du soja, du canola et du mais, ont pour effet de rendre les cultivateurs dépendants de son herbicide, le Roundup. Ce contrôle grandissant d’une poignée de multinationales comme Monsanto sur l’agriculture constitue une menace à la sécurité et à la souveraineté alimentaire ».

Le Canada et les Etats-Unis font partie des très rares pays qui persistent à refuser l’étiquetage obligatoire des aliments contenant des OGM.
Le gouvernement prive les consommateurs canadiens de leur droit le plus légitime de savoir ce qu’ils mangent.

« L’influence démesurée de l’industrie des biotechnologies sur Ottawa explique pourquoi le gouvernement Harper et une majorité de députés(*) ont voté, en mai dernier, contre le projet de loi C-517 qui aurait enfin permis aux consommateurs de savoir si leurs aliments contiennent des OGM » dénonce Charles Tanguay de l’Union des consommateurs.

Les groupes membres de la coalition pressent les citoyens du Canada de voir sans tarder le film Le monde selon Monsanto, puis de rencontrer leurs candidats locaux en prévision de l’élection fédérale du 14 octobre afin d’exiger d’eux qu’ils appuient l’imposition immédiate d’un moratoire sur tous les nouveaux OGM.

(*) Note: Une liste indiquant la manière dont les députés ont voté lors de la présentation du projet de loi C-517 est disponible à : http://www.greenpeace.org/canada/en/campaigns/ge/latest-developments/c-517-how-they-voted

Pour des entrevues médias avec Madame Robin, appeler au 514 605-6497 Renseignements: Eric Darier, Greenpeace, Cell. (514) 605-6497; Benoit Girouard, Union paysanne, Cell. (450) 495-1910; Denis Farlardeau, ACEF de Québec, Cell. (418) 999-0925; Charles Tanguay, Union des consommateurs, Cell. (514) 743-0419; Erick Lafleur, Les AmiEs de la terre, (418) 524-2744; Hélène Cornellier, AFEAS (Association féminine d’éducation et d’action sociale), Cell. (514) 791-9023; Priscilla Gareau, RQGE (Réseau québécois des groupes écologistes, (514) 392-0096

Je (re)pars au Canada

Je m’envole demain pour le Canada (Ottawa et Montréal) où je vais présenter mon film et livre devant divers auditoires – universitaires, parlementaires, chef d’entreprise, ONG- avec pour finir une participation à l’émission télévisée « Tout le monde en parle ».
Je donnerai des nouvelles dès que possible, mais mets déjà en ligne l’affiche que vient de m’adresser Louise Vandelac, professeur de sociologie à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec, qui a préfacé la version québécoise de mon livre, concernant l’une des manifestations à laquelle je vais participer.
Ma visite coïncide avec le lancement sur le marché de la version anglophone du DVD en Amérique du Nord.

L’affaire de Percy Schmeiser

Avant de poursuivre mon récit sur les « dessous » de la banque de Spitzberg, j’ai décidé de remettre en ligne l’extrait de mon livre concernant l’affaire de Percy Schmeiser, sur laquelle j’ai enquêté un mois, pour répondre aux commentaires erronés que j’ai lus sur mon Blog.

Pour écrire cette partie, j’ai lu tous les articles disponibles sur cette histoire emblématique, épluché les jugements de la justice canadienne et les pièces du dossier (y compris ceux fournis par Monsanto), et parlé longuement au téléphone avec Percy Schmeiser lui-même (que j’ai d’ailleurs rencontré récemment à Bonn).

Je précise que toutes les références des documents que je cite peuvent être consultées dans mon livre, et notamment par ceux qui colportent une vérité déformée par la propagande de Monsanto.

J’ajoute que le 19 mars 2008 Monsanto a accepté de signer un arrangement à l’amiable avec Percy Schmeiser, dont les champs avaient été une nouvelle fois contaminés par du colza roundup ready. Celui-ci contraint notamment Monsanto à payer les frais de décontamination du champ de l’agriculteur canadien.

DÉBUT DE L’EXTRAIT

Percy Schmeiser, un rebelle au « pays des ciels vivants »

Né en 1931 à Bruno, une bourgade de 700 âmes située au cœur de la province canadienne du Saskatchewan (le « pays des ciels vivants »), Percy Schmeiser représente la « bête noire de Monsanto, le caillou dans sa chaussure », pour reprendre les termes du journaliste du Monde Hervé Kempf .
Descendant de pionniers européens venus s’installer dans les prairies nord-américaines à la fin du XIXe siècle, l’homme est un battant, un « survivant » se plaît-il à dire, qui a l’énergie de celui que la vie a failli faucher précocement à plusieurs reprises. Il a survécu notamment à un grave accident du travail qui l’a laissé invalide pendant des années, ainsi qu’à une hépatite virulente contractée en Afrique. Car, en marge de ses activités de fermier, le rebelle des prairies est aussi un homme d’action et de convictions (catholiques) : il a été maire de sa commune pendant un quart de siècle, puis député à l’assemblée provinciale, et il a multiplié les voyages humanitaires, n’hésitant pas, avec sa femme, à confier leurs cinq enfants à leurs grands-parents, pour « aider les gens » en Afrique ou en Asie. Percy Schmeiser, enfin, est un sportif qui, pendant la longue froidure hivernale, partait gravir le Kilimandjaro ou tenter l’Everest (trois fois, sans succès).
Malheureusement, je n’ai pas pu le rencontrer, car lorsque je me suis rendue en Saskatchewan, en septembre 2004, il était, si je me souviens bien, à Bangkok, où il avait répondu à l’une des nombreuses invitations internationales qu’il reçoit depuis qu’il est devenu l’« homme qui s’est rebellé contre Monsanto ».

Pour cet agriculteur, qui cultive une exploitation familiale de 600 hectares depuis cinquante ans, l’affaire commence pendant l’été 1997. Alors qu’il vient de désherber avec du Roundup les fossés qui bordent ses champs de colza, il se rend compte que son travail ne sert pratiquement à rien : de nombreux plants qui avaient germé hors de son aire de culture résistent à l’épandage. Intrigué, il contacte un représentant de Monsanto, qui l’informe qu’il s’agit de colza Roundup ready, mis sur le marché deux ans plus tôt.

Les mois passent et au printemps 1998, Percy, qui est réputé dans toute la région pour être un sélectionneur chevronné des semences de colza, ressème les graines de sa récolte antérieure. Au mois d’août, alors qu’il s’apprête à moissonner, il est contacté par un représentant de Monsanto Canada, qui l’informe que des inspecteurs ont détecté du colza transgénique dans ses champs et lui propose un arrangement à l’amiable, sous peine de porter l’affaire en justice.

Mais Percy Schmeiser refuse de s’incliner. À son avocat, il transmet des documents prouvant qu’il a racheté, en 1997, un champ qui avait été cultivé avec du colza Roundup ready. Il explique aussi que l’oléagineuse a la vivacité d’une mauvaise herbe, capable d’envahir les prairies à la vitesse du vent et que ses graines, très légères, peuvent dormir dans le sol pendant plus de cinq ans, avant d’être transportées par un oiseau sur des kilomètres. Constatant que la présence du colza transgénique est surtout effective aux abords de ses champs, il en conclut que ceux-ci ont dû être contaminés par les cultures de ses voisins convertis aux OGM ou par des camions de grains qui sont pas-sés sur la route.
Il faut dire que la résistance de Schmeiser est encouragée par la révélation des pratiques musclées de la firme de Saint-Louis, qui n’hésiterait pas à répandre du Roundup par hélicoptère sur les champs des paysans soupçonnés de « piraterie », selon les dires, en août 1998, d’Edy et Elisabeth Kram, un couple d’agriculteurs de la province. Un acte pour le moins « étrange », relève Hervé Kempf, et que Monsanto n’a jamais démenti, « reconnaissant par ailleurs, dans une déclaration à la gendarmerie, que ses agents avaient prélevé des échantillons du colza d’Edy Kram pour l’analyser en laboratoire ».

Monsanto Canada, en tout cas, ne veut rien savoir. Brandissant devant la presse les analyses des échantillons qu’elle prétend avoir prélevés (à son insu, donc illégalement) sur la ferme de Percy Schmeiser, qui révèlent un taux de « contamination » de plus de 90 % , la multinationale décide d’engager une action en justice, tout en maintenant la pression sur lui pour qu’il accepte de transiger.

« 1999 a vraiment été l’année terrible, raconte Percy à Hervé Kempf. On était souvent surveillés par des hommes dans une voiture, qui ne disaient rien, ne faisaient rien, ils étaient là, à regarder. Une fois, ils sont restés trois jours d’affilée. Quand on allait vers eux, ils partaient en trombe. On recevait aussi des coups de fil anonymes, des gens qui disaient : “On va vous avoir.” On avait si peur que j’ai acheté une carabine, que je gardais dans le tracteur quand je travaillais au champ . »

Finalement, l’affaire est jugée à Saskatoon, la capitale de la province, en juin 2000. Le juge Andrew McKay rend sa décision, le 29 mars 2001, provoquant la stupéfaction chez tous ceux qui soutiennent l’agriculteur de Bruno. En effet, le magistrat estime qu’en emblavant ses champs avec des graines récoltées en 1997 « qu’il savait ou aurait dû savoir résistantes au Roundup », Percy Schmeiser a enfreint le brevet de Monsanto. Il précise que la « source du colza résistant au Roundup ne change rien au fond de l’affaire » et qu’« un fermier dont le champ contient des semences ou des plantes pro-venant de semences versées dedans, ou apportées par le vent du champ d’un voisin ou même germant par du pollen apporté par des insectes, des oiseaux ou par le vent, peut posséder ces semences ou plantes même s’il n’avait pas l’intention de les planter. Il ne possède pas, cependant, le droit d’utiliser le gène breveté, ou la semence ou la plante contenant ce gène ou cette cellule brevetée », car cela « revient à s’emparer de l’essence de l’invention des plaignants en l’utilisant sans sa permission ».

Le juge écarte ainsi d’un revers de main l’argument de la défense selon lequel l’intérêt d’utiliser l’« essence » des OGM de Monsanto est de pouvoir appliquer du Roundup sur les cultures, ce que Percy Schmeiser n’a pas fait, ainsi que le révèlent ses factures d’herbicides… Il ne tient pas compte non plus du fait que pour prélever ses échantillons, Monsanto a dû rentrer illégalement sur la propriété de l’agriculteur, ni que les tests effectués par les experts que ce dernier a consultés ont révélé une contamination nettement inférieure.
Comme le relève justement Hervé Kempf, « le jugement est extraordinaire : il signifie qu’un agriculteur enfreint le brevet de toute compagnie produisant des semences OGM dès lors que son champ est contaminé par des plantes transgéniques ».
La décision, on s’en doute, remplit d’aise Monsanto : « C’est une très bonne nouvelle pour nous, triomphe Trish Jordan, la représentante de la firme au Canada. Le juge a déclaré M. Schmeiser coupable d’avoir violé notre brevet et l’a condamné à nous verser des dommages et intérêts . »

Ceux-ci s’élèvent à 15 450 dollars canadiens, soit 15 dollars par acre récoltée en 1998, alors que seule une partie de la récolte était contaminée… S’y ajoutent les frais de justice engagés par Monsanto.

Percy Schmeiser fait appel, mais le 4 septembre 2002, la décision du juge McKay est confirmée. Pourtant, l’agriculteur, qui a déjà sacrifié son épargne-retraite et une partie de ses terres pour assurer sa défense (200 000 dollars canadiens), ne renonce pas :
« Ce n’est plus l’affaire Schmeiser, affirme-t-il, c’est l’affaire de tous les paysans à travers le monde . »

Il se tourne donc vers la Cour suprême du Canada, qui, le 21 mai 2004, rend un jugement très attendu par tous ceux qu’inquiète la progression des OGM : par cinq voix contre quatre, les juges confirment les deux décisions antérieures mais, curieusement, exemptent le fermier de payer des dommages et intérêts ainsi que les frais de justice engagés par le groupe américain.
Dramatique sur le fond, puisqu’il confirme que les paysans sont responsables de la contamination transgénique de leurs champs, le jugement prouve aussi que les magistrats sont gênés aux entournures :
« Ils donnent d’une main ce qu’ils enlèvent de l’autre », note Richard Gold, un spécialiste de la propriété intellectuelle de l’université McGill de Montréal.
Mais pour la firme de Saint-Louis, c’est une victoire dont elle ne manquera pas de se prévaloir à l’avenir : « La décision conforte notre manière de faire des affaires », commente Trish Jordan, sa représentante au Canada…

FIN DE L’EXTRAIT

Agenda septembre 2008

J’étais donc vendredi 29 août à Planchez en Morvan, pour une projection/ débat au Festival du film documentaire pour le développement durable, dont la marraine est Danielle Mitterrand. Malgré la longueur du voyage (!), j’ai passé un excellent moment aux côtés de cette grande dame, dont ARTE diffusera, le 3 octobre prochain, un portrait réalisé par Thierry Machado et très justement intitulé « l’insoumise ». C’est bon de rencontrer des personnes qui au fil des années n’ont cessé d’être à l’écoute du monde et d’affirmer leur solidarité avec les sans voix du nord au sud de la planète.
Sur la pochette du DVD dont Danielle m’a offert une copie, il y a une jolie phrase de Thierry Machado qui résume parfaitement cette femme hors du commun: « un être remarquable pour qui l’indignation est le moteur d’une vie »…

Merci à Marc Duployer, le complice d’innombrables voyages (c’est à lui que l’on doit notamment le son du Monde selon Monsanto) qui a filmé une partie du débat et pris des photos de cette soirée.

– Fête de l’Humanité: je ferai une dédicace à l’espace livres et sur le stand d’ARTE.
Le samedi 13 septembre, à 14 heures, à l’espace du marché solidaire, débat autour de mon enquête sur Monsanto.

Je présente mes excuses aux organisateurs de la foire bio de Crots( Hautes Alpes ) à qui je fais faux bond, car je pars dès le lendemain pour le Canada, où je vais présenter mon film et livre aux parlementaires d’Ottawa , aux Universités d’Ottawa et de Montréal, ainsi qu’à des chefs d’entreprise.

Un programme marathon de trois jours avant de reprendre le montage de mon nouveau film « Torture made in USA » pour lequel il me reste quelques jours de tournage aux Etats Unis à la fin du mois de septembre.

La banque de semences de Spitzberg (Norvège) (2)

Le bilan de la première « révolution verte »

Je suis heureuse de voir que le sujet de la banque de semences de Spitzberg soulève les passions… Plus de quarante commentaires en deux jours! Normal: dans un premier temps, on ne peut que se réjouir de cette magnifique initiative qui vise à mettre à l’abri les semences du monde… Et puis, on s’interroge: qui sont les parrains du joli bébé? On découvre alors qu’il y a la Fondation de Bill Gates, et la Fondation Rockefeller, aux côtés des principaux fabricants d’OGM, comme Syngenta et Monsanto. Tiens! Tiens!
Avant de s’interroger sur les raisons qui ont pu pousser les multinationales de l’agro-industrie à donner dans la philanthropie et les oeuvres caritatives à grande échelle, je voudrais rappeler qui est la Fondation Rockefeller.
Celle-ci a été créée en 1913 par le magnat du pétrole John Rockefeller pour « promouvoir le bien être de l’humanité dans le monde » et « le progrès scientifique ».
Au cours de son histoire, l’institution caritative s’est effectivement investie sur tous les continents, en particulier dans les domaines de la santé publique, de la recherche scientifique, et des arts.
Mais c’est surtout dans le domaine de l’agriculture qu’elle a joué un rôle éminemment important en lançant et parrainant la première « révolution verte » dans les pays du sud, aux côtés de sa fidèle alliée, la Fondation Ford (bien placée pour fournir tracteurs et machines agricoles).

C’est ce que je raconte dans mon film « Blé : Chronique d’une mort annoncée? « , diffusé sur ARTE, le 15 novembre 2005, dans une soirée Thema , intitulée « Main basse sur la nature » .

Je recopie ici la partie de mon livre que j’ai consacrée au bilan de la « révolution verte  » en Inde, l’un des pays qui fut longtemps cité comme l’emblème d’un modèle agro-industriel dont , aujourd’hui, même ses promoteurs reconnaissent les effets pervers, pour ne pas dire catastrophiques.
L’une des premières conséquences dramatiques , notamment pour la sécurité alimentaire, c’est la perte de biodiversité et la disparition de milliers de variétés locales (de blé ou de riz) que voudrait , aujourd’hui, mettre à l’abri les promoteurs de la banque de semences de Spitzberg…

DÉBUT EXTRAIT (chapitre 16)

S’il est quelqu’un en Inde qui connaît bien le sujet de la « révolution verte », c’est Vandana Shiva, physicienne, docteur en philosophie des sciences et lauréate du « prix Nobel alternatif », dont l’un des ouvrages, publié en 1989, est intitulé La Violence de la révolution verte. Dégradation écologique et conflit politique au Pendjab .

Dans ce livre fondamental, cette figure féminine et féministe de l’altermondialisme décortique les méfaits de cette « révolution » agricole lancée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui sera plus tard qualifiée de « verte », parce qu’elle était censée freiner l’expansion de la « révolution rouge » dans les pays « sous-développés », notamment en Asie, où l’arrivée au pouvoir de Mao Dzedong en Chine en 1949 risquait de faire des émules.

« Je ne dis pas que la révolution verte ne partait pas de bonnes intentions, à savoir augmenter la production alimentaire dans les pays du tiers monde, m’explique Vandana Shiva, mais les effets pervers du modèle agricole industriel qui la sous-tend ont eu des conséquences environnementales et sociales dramatiques, en particulier pour les petits paysans. »

Lors de cette deuxième rencontre, en décembre 2004, l’intellectuelle et militante indienne me reçoit dans la ferme de « Navdanya » (« les neuf graines »), association pour la conservation de la biodiversité et la protection des droits des agriculteurs qu’elle a créée en 1987, située dans l’État de l’Uttaranchal, dans le nord de l’Inde, aux confins du Tibet et du Népal.
C’est à quelques kilomètres de Dehradun, sur les contreforts de l’Himalaya où elle est née, qu’elle a ouvert un centre de formation agricole destiné à promouvoir la culture des semences traditionnelles de blé et de riz que la « révolution verte » a bien failli faire disparaître, au profit de variétés dites « à haut rendement » importées du… Mexique.

En effet, le concept agro-industriel qui sera appelé « révolution verte » en 1968 est né en 1943 dans la capitale mexicaine.
Cette année-là, Henry Wallace, vice-président des États-Unis (et patron, comme nous l’avons vu au chapitre 9, de Pioneer Hi-Bred, qui inventa les hybrides de maïs), propose à son homologue mexicain de créer une « mission scientifique » destinée à augmenter la production nationale de blé.
Parrainé par la Fondation Rockefeller, sous l’auspice du ministère de l’Agriculture mexicain, ce projet pilote s’installe dans la banlieue de Mexico, où il prendra en 1965 le nom de Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT, Centro internacional de mejoramiento de maíz y trigo).

En octobre 2004, je me suis rendue dans cet organisme de recherche réputé, qui fonctionne toujours sur le mode d’une association à but non lucratif et qui emploie aujourd’hui une centaine de chercheurs internationaux hautement qualifiés, ainsi que plus de cinq cents collaborateurs issus d’une quarantaine de pays.
Dans le hall de l’entrée, un immense tableau rend hommage à celui qui est considéré comme le père de la révolution verte : Norman Borlaug, né sur une ferme de l’Iowa en 1914, qui fut recruté par la Fondation Rockefeller, en 1944, et obtint le prix Nobel de la paix en 1970 « en reconnaissance de son importante contribution à la révolution verte », selon les termes de la vénérable institution.
Pendant vingt ans, cet agronome, qui est aujourd’hui un fervent défenseur des OGM, n’eut qu’une obsession : augmenter la productivité du blé, en créant des variétés qui permettent de décupler les rendements.
Pour y parvenir, il eut notamment l’idée de croiser les variétés du CIMMYT avec une variété japonaise naine, la « Norin 10 ».
En effet, augmenter les rendements implique de contraindre la plante à produire des graines plus grosses et plus nombreuses, au risque de faire casser la tige. D’où l’astuce de « raccourcir les pailles », comme on dit dans le jargon des sélectionneurs, par l’introduction d’un gène de nanisme .
C’est ainsi qu’en l’espace d’un siècle, les rendements de blé sont passés de dix quintaux à l’hectare (en 1910) à une moyenne de quatre-vingts quintaux, tandis que la taille des épis de blé perdait près d’un mètre de hauteur.

Mais cet exploit s’est accompagné d’une contrepartie, que dénoncent les adversaires de la « révolution verte » : l’augmentation de la consommation des produits phytosanitaires, sans lesquels les « semences miraculeuses », comme furent surnommées les variétés du CIMMYT, ne sont strictement bonnes à rien.
Car pour parvenir à produire une telle quantité de grains, la plante doit être littéralement gavée d’engrais (azote, phosphore, potassium), ce qui entraîne à terme un affaiblissement de la fertilité naturelle des sols. De plus, elle doit être copieusement arrosée, ce qui épuise les réserves d’eau. Par ailleurs, l’extrême concentration végétale fait le bonheur des insectes ravageurs et des champignons, d’où l’usage massif d’insecticides et de fongicides. Enfin, l’obsession des rendements a entraîné une baisse générale de la qualité nutritive des grains et une réduction de la biodiversité du blé, dont de nombreuses variétés ont tout simplement disparu.

Dans les années 1960, conscient du caractère irrémédiable des pertes liées à sa promotion des variétés à haut rendement, le CYMMIT a ouvert une « banque de germoplasme », dans laquelle sont conservées aujourd’hui, dans une chambre froide à – 3 degrés, quelque 166 000 variétés de blé. Pour l’alimenter, ses collaborateurs sillonnent les campagnes du monde à la recherche d’épis rares, comme ces spécimens de blé sauvage retrouvés aux confins iraniens du Croissant fertile, que ses techniciens étaient en train d’étiqueter au moment de ma visite dans le centre.

Toujours est-il que les variétés naines du CIMMYT ont fait le tour de la planète : au Nord, y compris dans les pays communistes, les sélectionneurs les ont utilisées dans leurs programmes de croisement. Quant aux pays du Sud, avec en tête l’Inde, ils ont envoyé des techniciens se former dans le centre, surnommé l’« École des apôtres du blé ».
En 1965, une sécheresse exceptionnelle terrasse la récolte de blé dans le sous-continent indien, et la famine guette. Le gouvernement d’Indira Gandhi décide d’acheter 18 000 tonnes de semences à haut rendement, importées du Mexique. C’est le plus grand transfert de semences jamais réalisé dans l’histoire.
Formés par le CIMMYT, les agronomes indiens propagent la révolution verte dans les régions du Pendjab et de l’Haryana, considérées comme le grenier à blé de l’Inde. Ils sont soutenus financièrement par la Fondation Ford, bien placée pour fournir tracteurs et machines agricoles.

Au même moment, les variétés de riz à haut rendement sont introduites dans le pays, à l’instigation de l’Institut de la recherche internationale sur le riz (IRRI), créé en 1960 par les fondations Rockefeller et Ford, sur le modèle du CIMMYT.

« On dit toujours que grâce à la révolution verte l’Inde a atteint l’autosuffisance alimentaire et qu’en cinq ans, de 1965 à 1970, sa production de blé est passée de 12 à 20 millions de tonnes, me dit Vandana Shiva, dont le dernier livre s’appelle Les Semences du suicide .
Aujourd’hui, le pays représente le deuxième producteur mondial de blé, avec une production de 74 millions de tonnes, mais à quel prix ? Des sols épuisés, une baisse préoccupante des réserves d’eau, une pollution généralisée, une extension des monocultures au détriment des cultures vivrières et l’exclusion de dizaines de milliers de petits paysans qui ont rejoint les bidonvilles, parce qu’ils ne pouvaient pas s’intégrer dans un modèle agricole extrêmement coûteux. La première vague de suicides signe l’échec de la première révolution verte. Malheureusement, la seconde révolution verte, celle des OGM, sera encore plus meurtrière, même si elle s’inscrit dans la droite ligne de la première.

– Pourquoi ? En quoi sont-elles différentes ?

– La différence entre les deux, c’est que la première révolution verte était dirigée par le secteur public : les agences gouvernementales contrôlaient la recherche et le développement agricole. La seconde révolution verte est dirigée par Monsanto. L’autre différence, c’est que la première révolution verte avait certes l’objectif caché de vendre plus de produits chimiques et de machines agricoles, mais sa motivation principale était tout de même de fournir plus de nourriture et d’assurer la sécurité alimentaire. Au bout du compte, même si cela s’est fait au détriment d’autres cultures, comme les légumineuses, on a produit plus de riz et de blé pour nourrir les gens. La seconde révolution verte n’a rien à voir avec la sécurité alimentaire. Son seul but est d’augmenter les profits de Monsanto, qui a réussi à imposer sa loi un peu partout dans le monde.

– C’est quoi, la loi de Monsanto ?

– C’est celle des brevets. La firme a toujours dit que la manipulation génétique était un moyen d’obtenir des brevets, c’est cela son vrai objectif. Si vous regardez la stratégie de recherche qu’elle déploie en ce moment en Inde, elle est en train de tester une vingtaine de plantes où elle a introduit des gènes Bt : la moutarde, le gumbo, l’aubergine, le riz et le chou-fleur… Une fois qu’elle aura imposé comme norme le droit de propriété sur les graines génétiquement modifiées, elle pourra encaisser des royalties ; nous dépendrons d’elle pour chaque graine que nous semons et chaque champ que nous cultivons. Si elle contrôle les semences, elle contrôle la nourriture, elle le sait, c’est sa stratégie. C’est plus puissant que les bombes, c’est plus puissant que les armes, c’est le meilleur moyen de contrôler les populations du monde.

– Pourtant, en Inde, il est interdit de breveter les semences, dis-je, un peu sonnée par le tableau que vient de décrire Vandana Shiva.

– Certes. Mais jusqu’à quand ? Cela fait dix ans que Monsanto et le gouvernement américain font pression sur le gouvernement indien pour qu’il applique l’accord ADPIC de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et je crains fort que les digues finissent par lâcher… »

FIN DE L’EXTRAIT

Photos (Marc Duployer):
– Vandana Shiva dans sa fondation à New Dehli
– Funérailles d’un paysan de 25 ans, qui s’est suicidé, car sa récolte de coton BT n’avait rien donné.

La banque de semences de Spitzberg (Norvège) (1)

Le 26 février dernier, le gouvernement norvégien a inauguré ce qui est appelé à devenir « la plus grande banque de semences du monde ».
Creusée dans la glace, sur l’île de Spitzberg, cette « arche de Noé » (Doomsday), a été financée par la fondation de Bill Gates ( 30 millions de dollars), un fervent promoteur des biotechnologies, la fondation Rockfeller, qui parraina la première révolution verte », et des géants des biotechnologies comme Syngenta et … Monsanto.
Avant de révéler les dessous de cette initiative, célébrée comme un « bienfait pour l’humanité », je me contente de copier une dépêche de l’agence Associated Press, typique de la manière dont nombre de médias ont traité ce sujet : à savoir au premier degré, sans s’interroger sur les raisons qui ont poussé les multinationales de l’agro-industrie à sponsoriser une banque de semences censée mettre à l’abri les variétés que leurs activités contribuent largement à faire disparaître …

AP | 26.02.2008 | 17:00
La Norvège a inauguré mardi dans l’archipel arctique de Svalbard, à environ 1.000 kilomètres du pôle Nord, une « Arche de Noé » souterraine destinée à abriter des semences des diverses espèces végétales de la planète en prévision d’un éventuel cataclysme.

Le complexe souterrain, conçu pour résister à des tremblements de terre et à une attaque nucléaire, « est notre police d’assurance », a déclaré le Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg lors de la cérémonie d’ouverture. « C’est notre Arche de Noé pour garantir la diversité biologique pour les générations futures. »

Plusieurs dizaines d’invités ont assisté à l’inauguration, emmitouflés dans des vêtements chauds, dont le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et la militante écologiste kényane Wangari Maathai, prix Nobel de la paix 2004. « C’est un jardin d’Eden gelé », a commenté M. Barroso.

Au cours de la cérémonie, marquée par des interprétations musicales représentant diverses cultures du monde, les invités ont apporté les 75 premières boîtes de semences qui seront conservées dans la structure.

M. Stoltenberg et Mme Maathai ont déposé la toute première, contenant des graines de riz provenant d’une centaine de pays. Il s’agit d’un projet « très visionnaire », a souligné Mme Maathai après la cérémonie. « C’est une précaution pour l’avenir. »

La structure, creusée profondément dans le sol perpétuellement gelé d’une montagne des îles Svalbard, également appelées Spitzberg, permettra de stocker jusqu’à 4,5 millions d’échantillons de semences du monde entier. Le chantier, lancé il y a moins d’un an, à environ 1.000 kilomètres du pôle Nord, a coûté 50 millions de couronnes norvégiennes (6,2 millions d’euros).

Le but du projet est de protéger le patrimoine végétal de la planète contre le changement climatique, les guerres, les catastrophes naturelles et d’autres menaces.

L’abri est censé constituer une réserve de secours dans le cas où les 1.400 autres banques de semences végétales du monde seraient touchées par des catastrophes, explique Cary Fowler, directeur du Fonds mondial pour la diversité des cultures (GCDT).

De telles banques ont déjà disparu en Irak et Afghanistan à cause de la guerre et une autre a été inondée aux Philippines à cause d’un typhon en 2006. « L’intérêt de Svalbard est qu’il est très éloigné des dangers », a précisé M. Fowler dans un entretien à l’Associated Press lundi.

La structure possède trois salles de stockage de 27×10 mètres creusées à 130 mètres à l’intérieur de la montagne Plataaberget. La Norvège possède le site, mais les pays qui y enverront des semences en garderont la propriété. La collecte des semences est financée par le GCDT, fonds créé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le groupe de recherche Biodiversity International, basé à Rome.

Bien que déjà glacial, l’air ambiant est refroidi un peu plus encore de manière à atteindre -18 degrés Celsius, une température qui permettrait de conserver de nombreuses semences pendant 1.000 ans, selon M. Fowler.

Cette « Arche de Noé » est conçue pour résister aux séismes -elle a essuyé sans problème un tremblement de terre de magnitude 6,2 à Svalbard la semaine dernière- et même à une attaque nucléaire directe, selon le responsable du chantier Magnus Bredeli-Tveiten.

Et selon M. Fowler, en cas de défaillance du système électrique, le permafrost autour du site permettrait de maintenir les semences « au froid pendant 200 ans même dans le pire des scénarios climatiques ». AP