Lancement du film au Canada

Me voici donc au Canada où j’ai été chaleureusement reçue par Elise Labbé et Marie-Claude Lamoureux de l’ Office national du film canadien (ONF) ainsi que par Nathalie Dion de Stanké. Marie-Claude et Nathalie, qui sont attachées de presse, m’ont organisé un programme marathon avec, à la clé, une vingtaine d’ « entrevues » avec les journalistes. Manifestement, le film et le livre s’annoncent comme un événement.

Le film sort d’abord au cinéma dans deux salles à Montréal et Québec où sont organisées le même jour (vendredi 23 mai) à la même heure, la sortie nord-américaine du documentaire.

Le film et le livre ont déjà été commentés à plusieurs reprises sur Radio Canada.

Par ailleurs, j’invite les visiteurs à consulter le site de l’ONF qui permet de visionner gratuitement sa collection de films relatifs aux problématiques de l’environnement.

Canada: l’affaire de Percy Schmeiser

Je profite de ma présence au Canada pour mettre en ligne plusieurs extraits de mon livre qui concernent directement ce pays. Je précise que toutes les références des documents que je cite peuvent être consultées dans mon livre, mais que je n’arrive pas à couper-coller les notes de bas de page..

DÉBUT DE L’EXTRAIT

Percy Schmeiser, un rebelle au « pays des ciels vivants »

Né en 1931 à Bruno, une bourgade de 700 âmes située au cœur de la province canadienne du Saskatchewan (le « pays des ciels vivants »), Percy Schmeiser représente la « bête noire de Monsanto, le caillou dans sa chaussure », pour reprendre les termes du journaliste du Monde Hervé Kempf .
Descendant de pionniers européens venus s’installer dans les prairies nord-américaines à la fin du XIXe siècle, l’homme est un battant, un « survivant » se plaît-il à dire, qui a l’énergie de celui que la vie a failli faucher précocement à plusieurs reprises. Il a survécu notamment à un grave accident du travail qui l’a laissé invalide pendant des années, ainsi qu’à une hépatite virulente contractée en Afrique. Car, en marge de ses activités de fermier, le rebelle des prairies est aussi un homme d’action et de convictions (catholiques) : il a été maire de sa commune pendant un quart de siècle, puis député à l’assemblée provinciale, et il a multiplié les voyages humanitaires, n’hésitant pas, avec sa femme, à confier leurs cinq enfants à leurs grands-parents, pour « aider les gens » en Afrique ou en Asie. Percy Schmeiser, enfin, est un sportif qui, pendant la longue froidure hivernale, partait gravir le Kilimandjaro ou tenter l’Everest (trois fois, sans succès).
Malheureusement, je n’ai pas pu le rencontrer, car lorsque je me suis rendue en Saskatchewan, en septembre 2004, il était, si je me souviens bien, à Bangkok, où il avait répondu à l’une des nombreuses invitations internationales qu’il reçoit depuis qu’il est devenu l’« homme qui s’est rebellé contre Monsanto ».

Pour cet agriculteur, qui cultive une exploitation familiale de 600 hectares depuis cinquante ans, l’affaire commence pendant l’été 1997. Alors qu’il vient de désherber avec du Roundup les fossés qui bordent ses champs de colza, il se rend compte que son travail ne sert pratiquement à rien : de nombreux plants qui avaient germé hors de son aire de culture résistent à l’épandage. Intrigué, il contacte un représentant de Monsanto, qui l’informe qu’il s’agit de colza Roundup ready, mis sur le marché deux ans plus tôt.

Les mois passent et au printemps 1998, Percy, qui est réputé dans toute la région pour être un sélectionneur chevronné des semences de colza, ressème les graines de sa récolte antérieure. Au mois d’août, alors qu’il s’apprête à moissonner, il est contacté par un représentant de Monsanto Canada, qui l’informe que des inspecteurs ont détecté du colza transgénique dans ses champs et lui propose un arrangement à l’amiable, sous peine de porter l’affaire en justice.

Mais Percy Schmeiser refuse de s’incliner. À son avocat, il transmet des documents prouvant qu’il a racheté, en 1997, un champ qui avait été cultivé avec du colza Roundup ready. Il explique aussi que l’oléagineuse a la vivacité d’une mauvaise herbe, capable d’envahir les prairies à la vitesse du vent et que ses graines, très légères, peuvent dormir dans le sol pendant plus de cinq ans, avant d’être transportées par un oiseau sur des kilomètres. Constatant que la présence du colza transgénique est surtout effective aux abords de ses champs, il en conclut que ceux-ci ont dû être contaminés par les cultures de ses voisins convertis aux OGM ou par des camions de grains qui sont pas-sés sur la route.
Il faut dire que la résistance de Schmeiser est encouragée par la révélation des pratiques musclées de la firme de Saint-Louis, qui n’hésiterait pas à répandre du Roundup par hélicoptère sur les champs des paysans soupçonnés de « piraterie », selon les dires, en août 1998, d’Edy et Elisabeth Kram, un couple d’agriculteurs de la province. Un acte pour le moins « étrange », relève Hervé Kempf, et que Monsanto n’a jamais démenti, « reconnaissant par ailleurs, dans une déclaration à la gendarmerie, que ses agents avaient prélevé des échantillons du colza d’Edy Kram pour l’analyser en laboratoire ».

Monsanto Canada, en tout cas, ne veut rien savoir. Brandissant devant la presse les analyses des échantillons qu’elle prétend avoir prélevés (à son insu, donc illégalement) sur la ferme de Percy Schmeiser, qui révèlent un taux de « contamination » de plus de 90 % , la multinationale décide d’engager une action en justice, tout en maintenant la pression sur lui pour qu’il accepte de transiger.

« 1999 a vraiment été l’année terrible, raconte Percy à Hervé Kempf. On était souvent surveillés par des hommes dans une voiture, qui ne disaient rien, ne faisaient rien, ils étaient là, à regarder. Une fois, ils sont restés trois jours d’affilée. Quand on allait vers eux, ils partaient en trombe. On recevait aussi des coups de fil anonymes, des gens qui disaient : “On va vous avoir.” On avait si peur que j’ai acheté une carabine, que je gardais dans le tracteur quand je travaillais au champ . »

Finalement, l’affaire est jugée à Saskatoon, la capitale de la province, en juin 2000. Le juge Andrew McKay rend sa décision, le 29 mars 2001, provoquant la stupéfaction chez tous ceux qui soutiennent l’agriculteur de Bruno. En effet, le magistrat estime qu’en emblavant ses champs avec des graines récoltées en 1997 « qu’il savait ou aurait dû savoir résistantes au Roundup », Percy Schmeiser a enfreint le brevet de Monsanto. Il précise que la « source du colza résistant au Roundup ne change rien au fond de l’affaire » et qu’« un fermier dont le champ contient des semences ou des plantes pro-venant de semences versées dedans, ou apportées par le vent du champ d’un voisin ou même germant par du pollen apporté par des insectes, des oiseaux ou par le vent, peut posséder ces semences ou plantes même s’il n’avait pas l’intention de les planter. Il ne possède pas, cependant, le droit d’utiliser le gène breveté, ou la semence ou la plante contenant ce gène ou cette cellule brevetée », car cela « revient à s’emparer de l’essence de l’invention des plaignants en l’utilisant sans sa permission ».

Le juge écarte ainsi d’un revers de main l’argument de la défense selon lequel l’intérêt d’utiliser l’« essence » des OGM de Monsanto est de pouvoir appliquer du Roundup sur les cultures, ce que Percy Schmeiser n’a pas fait, ainsi que le révèlent ses factures d’herbicides… Il ne tient pas compte non plus du fait que pour prélever ses échantillons, Monsanto a dû rentrer illégalement sur la propriété de l’agriculteur, ni que les tests effectués par les experts que ce dernier a consultés ont révélé une contamination nettement inférieure.
Comme le relève justement Hervé Kempf, « le jugement est extraordinaire : il signifie qu’un agriculteur enfreint le brevet de toute compagnie produisant des semences OGM dès lors que son champ est contaminé par des plantes transgéniques ».
La décision, on s’en doute, remplit d’aise Monsanto : « C’est une très bonne nouvelle pour nous, triomphe Trish Jordan, la représentante de la firme au Canada. Le juge a déclaré M. Schmeiser coupable d’avoir violé notre brevet et l’a condamné à nous verser des dommages et intérêts . »

Ceux-ci s’élèvent à 15 450 dollars canadiens, soit 15 dollars par acre récoltée en 1998, alors que seule une partie de la récolte était contaminée… S’y ajoutent les frais de justice engagés par Monsanto.

Percy Schmeiser fait appel, mais le 4 septembre 2002, la décision du juge McKay est confirmée. Pourtant, l’agriculteur, qui a déjà sacrifié son épargne-retraite et une partie de ses terres pour assurer sa défense (200 000 dollars canadiens), ne renonce pas :
« Ce n’est plus l’affaire Schmeiser, affirme-t-il, c’est l’affaire de tous les paysans à travers le monde . »

Il se tourne donc vers la Cour suprême du Canada, qui, le 21 mai 2004, rend un jugement très attendu par tous ceux qu’inquiète la progression des OGM : par cinq voix contre quatre, les juges confirment les deux décisions antérieures mais, curieusement, exemptent le fermier de payer des dommages et intérêts ainsi que les frais de justice engagés par le groupe américain.
Dramatique sur le fond, puisqu’il confirme que les paysans sont responsables de la contamination transgénique de leurs champs, le jugement prouve aussi que les magistrats sont gênés aux entournures :
« Ils donnent d’une main ce qu’ils enlèvent de l’autre », note Richard Gold, un spécialiste de la propriété intellectuelle de l’université McGill de Montréal.
Mais pour la firme de Saint-Louis, c’est une victoire dont elle ne manquera pas de se prévaloir à l’avenir : « La décision conforte notre manière de faire des affaires », commente Trish Jordan, sa représentante au Canada…

FIN DE L’EXTRAIT

East Saint Louis… Times Beach: deux villes rayées de la carte

Rue 89 a mis en ligne un article de Yves Marrocchi, chercheur en cosmochimie au Muséum, sur la banlieue Est de Saint Louis où Monsanto avait créé une ville fantôme, Sauget, pour y installer son deuxième site de production de PCB.
J’invite les lecteurs à lire ce papier terrifiant sur l’une des villes les plus polluées des Etats Unis.

Le sort tragique des habitants de East Saint Louis rappelle celui des habitants de Times Beach, située aussi tout près de Saint Louis, ainsi que je le raconte dans mon livre:

DÉBUT EXTRAIT:

« La dioxine ? Ce poison hante mes nuits depuis vingt-cinq ans », soupire Marilyn Leistner, en garant sa voiture devant le « Musée de la Route 66 », à une trentaine de kilomètres de Saint-Louis.

« Regardez, maugrée-t-elle, il n’y a plus aucune trace de Times Beach. Qui penserait qu’il y avait ici une commune de 1 400 habitants où vivaient plus de 800 familles ? »

Difficile à imaginer, en effet. Devant nous, en ce mois d’octobre 2006, un bâtiment refait à neuf héberge un mémorial kitch dédié à l’histoire de la mythique « US Route 66 » que chantèrent les Rolling Stones et Eddy Mitchell. Première route goudronnée d’Amérique, la « Mother Road » partait de Chicago, dans l’Illinois, pour rejoindre, 4 000 kilomètres plus loin, Santa Monica en Californie, en traversant huit États dont celui du Missouri. À côté du musée, une pancarte en bois très Far West annonce « Route 66 State Park ».

« Ils ont rayé Times Beach de la carte en créant un parc national sur l’emplacement du site décontaminé, pour faire oublier l’un des plus grands scandales à la dioxine des États-Unis », m’explique Marilyn Leistner, qui fut la dernière maire de la ville disparue.

Une ville rayée de la carte

« Times Beach » et « dioxine » : ces deux noms furent longtemps accolés à la une des journaux américains, pour le malheur des habitants de cette petite bourgade, créée en 1925, comme un lieu de villégiature pour les cadres et employés travaillant à Saint-Louis.

« Au début, personne n’habitait sur place, raconte Marilyn. Les gens avaient installé des caravanes ; ils venaient le week-end se baigner dans le fleuve Meramec, pêcher ou pique-niquer ».

Surnommé « Beach » (la plage), l’endroit attire des résidents permanents qui construisent des maisons en bois sur pilotis, car la zone idyllique est régulièrement inondée. Petit à petit, Times Beach devient une « vraie ville » avec des commerces, un garage — tenu par le mari de Marilyn Leistner —, une église, treize saloons et un conseil municipal.
Au début des années 1970, la commune « pas très argentée » est confrontée à un « insoluble problème de poussière » qui recouvre ses rues non goudronnées et « empeste la vie » de ses habitants. Pour tenter de le résoudre, elle décide de faire appel aux services de la Bliss Waste Oil Company, une entreprise spécialisée dans la récupération d’huiles de vidange et de déchets industriels collectés auprès des garages et des usines chimiques de l’État du Missouri : afin d’éliminer la poussière, Russell Bliss, son patron, propose d’épandre des boues constituées d’huiles résiduelles sur les rues de Times Beach.

« Dès l’été 1971, nous avons constaté la mort de nombreux chats, chiens, oiseaux et même d’un raton laveur, raconte Marilyn. L’un des habitants a contacté l’EPA, l’agence de protection de l’environnement,qui lui a dit de congeler quelques animaux morts et qu’un agent passerait les chercher. Mais personne n’est jamais venu… »

L’Agence de protection de l’environnement, pourtant, avait déjà été alertée. En mars 1971, la propriétaire d’un haras, situé au nord-ouest de Saint-Louis, s’était inquiétée de la mort inexpliquée d’une cinquantaine de chevaux après l’intervention des hommes de Russell Bliss, qui avaient recouvert le sol de son manège de boues brunâtres. Quelques semaines plus tard, ses deux enfants, qui avaient l’habitude de jouer sur le manège, étaient tombés gravement malades et avaient dû être hospitalisés. Contacté, le Center for Disease Control avait effectué des prélèvements du revêtement suspect et relevé des taux très alarmants de produits toxiques : 1 590 ppm de PCB, 5 000 ppm de 2,4,5-T (un puissant herbicide) et 30 ppm de dioxine .

« Il y avait littéralement des paniers entiers d’oiseaux sauvages morts », rapportera au New York Times le docteur Patrick Phillips, un vétérinaire du Département de la santé du Missouri, sollicité à différents endroits de l’État où l’entreprise de Russell Bliss avait procédé à des épandages .
En 1975, le magazine Science publie un article sur cette mystérieuse pollution meurtrière , mais pendant des années les autorités ne bougent pas. Pourtant, l’EPA mène discrètement son enquête. Celle-ci concerne notamment les usines du Missouri, productrices de déchets toxiques, ainsi qu’en témoigne un échange de courriers, en septembre 1972, entre des officiels de l’agence et William Papageorge, le « tsar des PCB » de Monsanto : apparemment, des échantillons ont été prélevés dans les réservoirs d’huiles de Russell Bliss et leur analyse communiquée à la firme de Saint-Louis…

Arrive l’« automne noir » de 1982. « Un cauchemar, murmure Marilyn Leistner, qui était alors conseillère municipale. Le 10 novembre, j’ai été informée par un journaliste local que Times Beach faisait partie d’une liste de cent sites contaminés par la dioxine qui avaient été répertoriés par l’EPA. Le 3 décembre, des techniciens de l’agence sont venus prélever des échantillons des sols. Deux jours plus tard, la ville connaissait la plus grave inondation de son histoire et de nombreuses familles ont dû être évacuées. Le 23 décembre, alors que les habitants commençaient tout juste à réoccuper leurs maisons, l’EPA nous a informés que le taux de dioxine détecté dans les échantillons était trois cents fois supérieur au taux considéré comme acceptable … »

À Times Beach, c’est la panique. Tandis que des hordes de techniciens de l’EPA, munis de combinaisons et de masques à gaz, investissent la ville, les journalistes affluent de tout le pays.

« À l’époque, nous avions très peu d’informations sur la dioxine, se souvient Marilyn Leistner, et c’est en regardant les journaux télévisés que nous avons découvert qu’il s’agissait de la molécule la plus dangereuse jamais inventée par l’homme. Mais c’est tout. Personne n’était capable de nous dire ce que cela pouvait signifier pour notre santé. »

Et pour cause, comme nous allons le voir, les effets hautement toxiques de la dioxine étaient alors sciemment étouffés par ceux qui la produisaient, et tout particulièrement par une certaine firme de Saint-Louis…

En attendant, le Center for Disease Control organise une cellule d’urgence à Times Beach. Les habitants sont invités à se présenter pour un bilan de santé. Dans les journaux télévisés de l’époque que j’ai pu visionner, on voit l’angoisse qui cerne les visages. Les crises de larme. La colère impuissante face au mutisme des médecins qui esquivent les questions.

« Toute ma famille a été examinée, raconte Marilyn Leistner. Mon mari souffrait de “porphyrie cutanée tardive”, une maladie de la peau persis-tante . Deux de mes filles, mon fils et moi-même souffrions d’hyperthyroïdie. J’avais été opérée de plusieurs tumeurs non cancéreuses. L’une de mes filles souffrait d’allergies graves qui entraînaient des crises d’urticaire sur tout le corps ; ma deuxième fille était extrêmement maigre, elle était victime de vertiges et perdait ses cheveux. Quand j’ai demandé aux représentants du CDC si c’était lié à la dioxine, ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas… »

À Times Beach en tout cas, la panique est à son comble. Victime d’une grave dépression, le maire démissionne. Au même moment, l’un de ses adjoints disparaît purement et simplement :
« C’était un cadre de Monsanto qui travaillait au siège de Saint-Louis, commente Marilyn Leistner. Quand il a su que l’EPA avait détecté des PCB, il a déménagé… »

Voilà comment Marilyn se retrouve à la tête de la petite municipalité pour « affronter la tourmente ».

Le 22 février 1983, Anne Burford, l’administratrice de l’EPA, annonce que le gouvernement a décidé d’« acheter Times Beach pour un montant de 30 millions de dollars ». Exceptionnel, le plan prévoit d’indemniser et de reloger tous les habitants, de raser la ville, puis de décontaminer le site, en brûlant les sols contaminés dans un incinérateur.

Monsanto échappe aux poursuites

« Regardez, c’est ici que sont enterrées nos maisons, me dit Marilyn Leistner en se recueillant quelques instants devant une énorme butte de terre recouverte d’une pe-louse verdoyante. Tout ce que nous possédions a été broyé, les meubles, les appareils ménagers et y compris les jouets des enfants, car l’inondation avait dispersé la dioxine et les PCB partout. Nous sommes partis comme des réfugiés pestiférés, car personne ne voulait de nous : les gens étaient persuadés que nous étions contagieux.

– Vous n’avez pas porté plainte ?

– Bien sûr que si, mais nous avons été déboutés, car la justice a estimé que nous ne pouvions pas apporter la preuve que les maux dont nous souffrions étaient liés à la contamination par la dioxine.

– Et les PCB ?

– Ah ! Officiellement, l’EPA n’a jamais pu remonter à la source des PCB que Rus-sell Bliss avait mélangés à ses boues… »

Il est pour le moins stupéfiant que l’Agence de protection de l’environnement n’ait « pas pu remonter à la source des PCB », alors que le seul et unique fabricant de ces produits disposait, comme nous l’avons vu, d’une usine de production à Sauget, dans la banlieue Est de Saint-Louis, à une trentaine de kilomètres de Times Beach…

« En fait, m’explique Marilyn Leistner, nous avons appris par la suite que Rita Lavelle, qui était l’assistante d’Anne Burford, la numéro un de l’EPA, avait détruit des documents qui auraient pu impliquer Monsanto. »

De fait, l’affaire a défrayé la chronique américaine en 1983. C’est en enquêtant sur un détournement du « Superfund Program », un budget alloué à l’EPA pour recenser et décontaminer les sites pollués par des déchets industriels, dont une partie avait servi à financer frauduleusement les campagnes électorales de candidats républicains, que le Congrès découvre alors que des documents compromettants pour les firmes avaient disparu.

L’enquête prouvera que l’administration de Ronald Reagan, réputée pour son indéfectible soutien aux grands groupes industriels, avait ordonné à Anne Burford de « geler » le dossier de Times Beach. Nommée à la tête de l’EPA peu après l’arrivée à la Maison-Blanche de l’ancien second rôle d’Hollywood, celle-ci fut contrainte de démissionner à la suite du scandale, en mars 1983.
Rita Lavelle, son adjointe, eut moins de chance : elle fut condamnée à six mois de prison pour « parjure et obstruction à une enquête du Congrès ».
L’enquête a révélé qu’elle avait passé au pilon un certain nombre de pièces à conviction et qu’elle déjeunait un peu trop souvent avec des représentants de Monsanto.

Mais la firme de Saint-Louis n’a pas tout perdu au change : en mai 1983, le nouveau patron de l’EPA est William Ruckelshaus, qui avait présidé à la création de l’agence en 1970, avant de devenir brièvement acting director au FBI en 1973, puis de rejoindre le conseil d’administration de Monsanto et de Solutia…

« Le problème, m’explique en octobre 2006 Gerson Smoger, un avocat de San Francisco spécialiste de l’environnement qui défendit certains habitants de Times Beach, c’est que nous n’avons jamais pu mettre la main sur les contrats qu’avait passés Russell Bliss avec Monsanto, qui avait deux usines dans le Missouri, l’une à Sauget, l’autre à Queeny, les deux dans la banlieue de Saint-Louis. Il a toujours prétendu qu’il ne les avait pas…

– On dit qu’il a été payé pour les faire disparaître ?

– Tout est possible, admet Gerson Smoger. Ce qui est sûr, c’est qu’à plusieurs reprises, il a témoigné que Monsanto était l’un de ses clients, mais nous n’avons pas de preuves écrites. »

Et de m’énumérer les différentes pièces convergentes du dossier : le 21 avril 1977, Russell Bliss confirme dans une déposition sous serment que Monsanto est son principal fournisseur en déchets industriels ; le 30 octobre 1980, Scott Rollins, un camion-neur de Bliss, atteste devant le procureur général du Missouri qu’il chargeait régulièrement des fûts provenant des usines de la firme, etc.
« Monsanto a toujours nié avoir travaillé avec Russell Bliss, commente l’avocat. De plus, l’entreprise s’est défendue en disant que les PCB provenaient d’autres usines qui utilisaient ses fluides hydrauliques. Se pose alors le problème de la responsabilité : à l’époque, nous ne savions pas encore que Monsanto avait caché la toxicité des PCB à ses clients ; ces derniers étaient donc responsables de leurs déchets. Voilà comment, dans le dossier de Times Beach, les PCB sont tout simplement passés à l’as et les pouvoirs publics ne se sont intéressés qu’à la dioxine, en oubliant au passage que la plupart des produits de Monsanto étaient aussi contaminés par la dioxine… »

De fait, seule une entreprise endossera la responsabilité de la pollution : Syntex Agribusiness, installée à Verona, dans le Missouri. Cette filiale de la Northeastern Pharmaceutical and Chemical Company (NEPACCO) fabriquait de l’herbicide 2,4,5-T, un puissant désherbant contaminé par la dioxine, dont Monsanto était aussi un important producteur. Mais heureusement pour la firme de Saint-Louis, elle ne fabriquait pas le défoliant dans l’État du Missouri. Au terme d’un accord avec l’EPA, Syntex a accepté de verser 10 millions de dollars pour participer à la décontamination de vingt-sept décharges toxiques de l’Est du Missouri, dont Times Beach.

« L’ironie de l’histoire, commente Gerson Smoger, c’est qu’au moment où Syntex était désignée comme coupable, Monsanto publiait des études falsifiées pour cacher les effets toxiques de son herbicide 2,4,5-T… »

FIN DE L’EXTRAIT

Je pars au Canada!

Je pars donc très tôt demain matin une semaine au Canada. L’Office national du film canadien(ONF), coproducteur du film, et mon éditeur (Stanké) m’ont concocté un programme marathon et je ne sais pas si je pourrai écrire beaucoup dans mon Blog…
C’est l’ONF qui s’occupe de la distribution du film en Amérique du Nord, et notamment aux Etats Unis où le DVD sort dans deux semaines.

Dès mon retour, le 27 mai, une projection/débat du film sera organisée au cinéma l’Entrepôt (XIVème) à l’initiative de Nature et Découvertes.

En attendant, je propose de rire encore un peu, avec cette nouvelle séquence de rushes…

Réponse à Gil Rivière-Wekstein

Je confirme que Monsieur Gil Rivière-Wekstein que je n’ai pas le loisir de connaître, surveille de très près mon Blog!
J’invite le lecteur à lire le commentaire qu’il a posté dès ce matin, suite à mon post « L’Express pointe les techniques des « anti-anti OGM »
Je souligne qu’il devrait revoir ses fiches concernant le chiffre d’affaires de Monsanto!
Et puis de toutes façons là n’est pas le problème. Quant à citer un « article de Libération » signé par un étudiant qui a passé un jour à s’essayer au journalisme, dans le cadre de l’opération « Libération donne la parole aux étudiants de Nanterre »: no comment !
Voici, en revanche, deux articles écrits par des journalistes professionnels de Libération.

Bonne presse au Canada

Voici le mail, pardon le « courriel » , que je viens de recevoir de Jérôme Boiteau de Studio Expression (Québec) qui a fait le superbe travail de mixage du film en décembre dernier, en pleine tempête de neige!

Bonjour Marie-Monique,
juste une petite note pour vous dire que vous avez une superbe couverture de presse ici avec Monsanto. L’autre soir, 30 minutes à la radio de Radio-Canada sur le film. J’ai aussi eu un appel d’un ancien ami qui a visionné le film en entier sur internet. À CBC (la radio anglaise de Radio-Canada), dans une émission de débat politique ils ont fait des références à ce fermier américain qui est poursuivi par Monsanto.

Félicitation !
Jerome Boiteau
Studio Expression, Quebec, Canada

http://www.studio-expression.com/

Par ailleurs, Louise Vandelac, qui a écrit la postface de la version canadienne de mon livre (lire sur mon blog) m’a informée de l’excellent article paru dans le journal Le Devoir, signé par Louis-Gilles Francoeur, l’un des chroniqueurs les plus en vue du Québec.

Et ce n’est pas fini: la semaine prochaine l’ONF (Office national du film canadien) et mon éditeur (Stanké) m’ont organisé quatre projections du film et une vingtaine d’interviews, pardon « entrevues », avec la presse canadienne…