J’étais cet après-midi au lycée agricole les Sicaudières , à Bressuire, dans les Deux Sèvres (voir photo), situé à une trentaine de kilomètres de la ferme de mes parents. Les élèves de cet établissement qui préparent les futurs agriculteurs avaient travaillé en cours sur mon film « Le monde selon Monsanto » et après avoir fait un exposé d’une heure sur le bilan des cultures transgéniques en Amérique et Asie, j’ai répondu à leurs nombreuses questions. Celles-ci ont porté principalement sur l’avenir de l’agriculture biologique (le lycée propose un enseignement sur l’élevage de poulets bio), les liens entre les maladies (cancers, Parkinson, maladie de Charcot) dont souffrent certains membres – agriculteurs- de leurs familles et l’exposition aux pesticides qu’ils ont longtemps manipulés sans aucune précaution, et les résultats des cultures BT (maïs et coton) en Amérique, Asie et Afrique du Sud.
Concernant les cultures BT, le bilan est catastrophique pour Monsanto et consorts:
– interdiction du MON 810 dans six pays de la Communauté européenne
– apparition d’insectes résistants dans plusieurs Etats des Etats Unis (voir sur ce Blog)
– récolte nulle en Afrique du Sud (voir sur ce Blog).
J’ai rappelé aux élèves du lycée agricole dans quelles conditions rocambolesques et amateures les plantes BT avaient été mises sur le marché.
Voici ce que j’ai écrit dans mon livre:
La résistance des insectes aux plantes Bt : une « bombe à retardement »
(…)
De fait, la perspective que les parasites du coton (ou du maïs) mutent en développant une résistance à la toxine Bt a été soulevée avant même que Monsanto mette ses OGM sur le marché. Dès le milieu des années 1990, la stratégie retenue par la multinationale, en accord avec l?Agence de protection de l?environnement des États-Unis (EPA), a été que les producteurs de plantes Bt s?engagent contractuellement à préserver des parcelles de cultures non Bt, baptisées « refuges », où sont censés pulluler les insectes « normaux » pour que ceux-ci se croisent avec leurs cousins devenus résistants au bacillus thurigiensis, provoquant ainsi une « dilution génétique ».
En effet, lorsque des insectes sont confrontés en permanence à une dose de poison a priori mortelle, ils sont tous exterminés, sauf quelques spécimens dotés d?un gène de résistance au poison. Les survivants s?accouplent avec leurs congénères, transmettant éventuellement le fameux gène à leurs descendants ; et ainsi de suite sur plusieurs générations. C?est ce qu?on appelle la « co-évolution » qui, au cours de la longue épopée du vivant, a permis à des espèces menacées d?extinction de s?adapter pour survivre à un fléau fatal.
Pour éviter que ce phénomène se développe chez les parasites des plantes Bt, les apprentis sorciers ont imaginé qu?il suffisait d?entretenir une population d?insectes « sains » sur des parcelles non transgéniques ? les « zones refuges » ? pour qu?ils batifolent avec leurs cousins devenus résistants au Bt, en les empêchant ainsi de se reproduire entre eux.
Une fois cela établi, restait à déterminer la taille que devaient avoir les fameux « refuges » pour que le scénario fonctionne. Le sujet fut l?objet d?âpres négociations entre Monsanto et les scientifiques, l?Agence de protection de l?environnement se contentant d?enregistrer l?issue du match.
Au début, certains entomologistes prônaient que la surface des refuges soit au moins équivalente à celle des parcelles transgéniques. Monsanto, bien sûr, a protesté, en proposant un premier compromis généreusement chiffré à 3 % (la superficie du refuge devait être égale à 3 % de la surface OGM).
En 1997, un groupe de chercheurs universitaires travaillant dans la « corn belt » (la « ceinture du maïs » qui couvre l?Iowa, l?Indiana, l?Illinois et l?Ohio, dans le nord-est des États-Unis) se lança courageusement dans l?arène en recommandant que les refuges soient équivalents à 20 % des parcelles transgéniques, et au double si ceux-ci étaient traités avec d?autres pesticides que le Bt.
Pour la firme de Saint-Louis, c?était encore trop, comme le rapporte Daniel Charles dans son livre Lords of the Harvest :
« Monsanto a regardé les recommandations et a dit : ?Nous ne pourrons pas vivre avec ça?, raconte Scott McFarland, un avocat qui a suivi le dossier de très près. La multinationale contacte alors l?association nationale des producteurs de maïs, dont le siège se trouve aussi à Saint-Louis. Elle parvient à convaincre ses représentants que ?de grands refuges constitueraient une menace pour la liberté des agriculteurs d?utiliser les semences Bt? . »
Jusqu?à ce jour de septembre 1998 où les parties se rencontrent à Kansas City pour trouver un accord. Alors que les débats s?enlisent dans des batailles de pourcentages surréalistes, un économiste de l?université du Minnesota, spécialiste de l?agriculture, démontre avec brio que, selon ses estimations, si les refuges ne font que 10 % des cultures transgéniques, alors les pyrales ? le parasite cible du maïs Bt ? auront 50 % de chance de développer une résistance à court terme et que cela coûtera très cher aux farmers. Touchés droit au porte-monnaie, ceux-ci basculent dans le camp des entomologistes.
Voilà pourquoi, un peu partout dans le monde, les manuels de cultures Bt exigent depuis que les zones refuges soient équivalentes à au moins 20 % des surfaces OGM. Mais, on en conviendra, tout cela relève une fois de plus du bricolage et de l?improvisation, puisqu?aucune étude sérieuse n?a été réalisée pour vérifier que ce compromis arraché dans un coin du Missouri ait une quelconque validité scientifique.
Et quand, en 1998, le journaliste du New York Times Michael Pollan, dont j?ai déjà cité l?enquête décapante (voir supra, chapitre 11), interroge les représentants de Monsanto sur la question, ils répondent que, « si tout va bien, la résistance peut être repoussée de trente ans », ce qui s?appelle de la politique à courte vue.
Puis, quand mon confrère insiste auprès de Jerry Hjelle, le vice-président de la firme en charge des affaires réglementaires, pour savoir ce qui se passera après ce délai fatidique, la « réponse est encore plus troublante » :
« Il y a des milliers d?autres Bt un peu partout, explique-t-il, nous pourrons traiter ce problème avec d?autres produits. Ceux qui nous critiquent ne savent pas tout ce que nous avons encore dans notre pipeline. [?] Faites-nous confiance ! »
En attendant, dix ans après le lancement des cultures Bt, il est possible d?établir un premier bilan de la jolie construction bureaucratique. D?abord, comme le soulignait dès janvier 2001 une dépêche de l?agence Associated Press, d?après un sondage conduit en 2000, « 30 % des producteurs [américains] de maïs Bt ne suivent pas les recommandations émises pour la gestion de la résistance », parce qu?ils les jugent trop contraignantes. À dire vrai, je les comprends, sauf que, bien sûr, ils devraient arrêter de cautionner un système aussi absurde, qui finira tôt ou tard par s?écrouler comme un château de cartes, ainsi que l?indique une étude réalisée en 2006 par des chercheurs de l?université Cornell (États-Unis), en collaboration avec l?Académie chinoise de la science .
Considérée comme la « première étude sur l?impact économique à long terme du coton Bt », celle-ci a été conduite auprès de 481 producteurs d?OGM de Chine, parmi les 5 millions que compte le pays. Elle constate que les « profits substantiels engrangés pendant quelques années grâce à une économie sur les pesticides sont maintenant érodés ». En effet, écrivent les auteurs, si pendant les trois ans qui ont suivi l?introduction des cultures Bt, les paysans étaient parvenus à « réduire de 70 % leur usage de pesticides et à augmenter de 36 % leurs gains », en revanche, en 2004, « ils ont dû pulvériser autant d?insecticides que les producteurs conventionnels, ce qui s?est traduit par un revenu net moyen inférieur de 8 % à celui des producteurs conventionnels, parce que le coût des semences est trois fois plus élevé ».
Enfin, au bout de sept ans, « les populations d?insectes [?] ont tellement augmenté que les paysans doivent asperger leurs cultures jusqu?à vingt fois au cours d?une saison pour pouvoir les contrôler ». La conclusion des auteurs, pourtant partisans des OGM, est sans appel : « Ces résultats constituent un signal d?alerte très fort en direction des chercheurs et des gouvernements, qui doivent trouver des solutions pour les producteurs de coton Bt, faute de quoi ceux-ci arrêteront les cultures transgéniques, ce qui serait très dommage. »
FIN DE L’EXTRAIT
Photo: rencontre avec les élèves du lycée agricole de Bressuire.
Merci à Philippe Engerbeau, photographe à La Nouvelle République.