« Gros poissons »(1): Dan Glickman

L’aveu de Dan Glickman

Tandis que je naviguais sur la toile pour préparer mon documentaire sur Monsanto, j’ai découvert un article passionnant, publié par ma consoeur Stéphanie Simon dans The Los Angeles Times du 1er juillet 2001.

J’invite les lecteurs anglophones à consulter ce papier qui raconte l’extrême difficulté avec laquelle les scientifiques de Monsanto, encadrés par Stephen Padgette (aujourd’hui vice-président de la firme) , sont parvenus à mettre au point le soja roundup ready, le premier OGM de grande culture autorisé aux Etats Unis ( 1995). La preuve que , contrairement à ce qu’affirment les défenseurs des biotechnologies, celles-ci ne représentent pas le simple prolongement des techniques de croisement traditionnel des plantes, mais un processus absolument contre nature.

Je rappelle que le soja roundup ready, qui représente en 2008 la plante transgénique la plus cultivée au monde, a été manipulé génétiquement pour résister au roundup, l’herbicide phare de Monsanto, dont j’ai découvert au cours de mon enquête (j’y reviendrai ultérieurement) qu’il était hautement toxique…
Toujours est-il que dans son article, ma collègue des Etats Unis, a interviewé Dan Glickman, qui fut secrétaire d’État à l’Agriculture de Bill Clinton de mars 1995 à janvier 2001, et à ce titre supervisa le lancement dans les champs de tous les OGM qui suivirent le soja Roundup ready.
Un an après avoir quitté ce poste stratégique, il exprime quelques regrets qui en disent long sur l’ambiance qui règnait alors à la Maison Blanche:

« Ceux qui étaient en charge de la réglementation se considéraient comme les défenseurs de la biotechnologie. Ils la considéraient comme la science qui allait de l’avant, et tous ceux qui n’allaient pas de l’avant étaient vus comme des luddites . »

(Le mot « luddite » a été inventé en Angleterre au début du XIXe siècle, d’après le nom d’un ouvrier du textile – Ned Ludd – qui, dans un geste de révolte, avait détruit des métiers à tisser dont il estimait qu’ils mettaient son travail en péril. Par extension, un « luddite » désigne une personne qui s’oppose à la mécanisation et à tout ce qui incarne le progrès technique.)

Intriguée par cet aveu, régulièrement servi par ceux qui écartent d’un revers de main le moindre questionnement sur la sécurité des OGM, j’ai donc cherché à contacter Dan Glickman. J’ai découvert qu’ il avait complètement changé de casquette, puisqu’en septembre 2004, il a été nommé P-DG de la Motion Picture Association of America, qui regroupe les six majors du cinéma d’Hollywood, comme la Buena Vista Pictures Distribution (Walt Disney) ou la 20th Century Fox…
Je lui ai adressé un E mail, auquel, à ma grande surprise, il a immédiatement répondu, en précisant qu’il m’avait « googlelisée » et qu’il était prêt à me recevoir à Washington.

La rencontre a finalement eu lieu en juillet 2006.

« Pourquoi avez-vous dit cela ?, lui ai-je demandé après lui avoir lu la citation du Los Angeles Times.

– Quand je suis devenu secrétaire à l’Agriculture , l’ambiance qui entourait la réglementation était fondamentalement orientée vers l’homologation des cultures transgéniques, dans le but de faciliter le transfert de technologie dans l’agriculture du pays, tout en poussant les exportations, m’a-t-il répondu. Il régnait un consensus dans l’agroalimentaire et au sein du gouvernement des États-Unis : si on ne marchait pas tête baissée en faveur du développement rapide de la biotechnologie et des cultures OGM, alors on était considéré comme anti-science et anti-progrès.

– Pensez-vous que le soja de Monsanto aurait dû recevoir plus d’attention avant sa mise sur le marché ?

– Franchement, je pense qu’on aurait dû faire plus de tests, mais les entreprises agroindustrielles ne voulaient pas, parce qu’elles avaient fait d’énormes investissements pour développer ces produits. Et en tant que responsable du service qui réglementait l’agriculture, j’ai subi beaucoup de pressions, pour, disons, ne pas être trop exigeant… La seule fois où j’ai osé en parler pendant le mandat de Clinton, je me suis fait taper sur les doigts, non seulement par l’industrie, mais aussi par les gens du gouvernement. En fait, j’ai prononcé un discours où j’ai dit qu’il fallait qu’on étudie plus sérieusement la réglementation des OGM. Et il y avait des gens à l’intérieur du gouvernement Clinton, surtout dans le domaine du commerce extérieur, qui étaient fâchés contre moi. Ils m’ont dit : “Comment peux-tu, toi qui travailles dans l’agriculture, mettre en cause notre système de réglementation ?” »

À noter que le secrétaire du commerce extérieur était alors Michael Kantor, l’ancien directeur de campagne de Bill Clinton, qui rejoindra le conseil d’administration de Monsanto…

Photo:

Avec Guillaume Martin, le cameraman, lors de notre rencontre à Washington avec Dan Glickman.

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