La biopiraterie est un crime

Il est fort dommage qu’Anton et consorts (GFP et autres « capitaine Poltron ») n’aient pas participé au colloque sur la biopiraterie qui s’est tenu lundi après-midi, à l’assemblée nationale.

Ils auraient notamment pu entendre l’exposé très instructif de Jean-Dominique Wahiche, juriste et professeur de droit, expert nommé par le ministère de l’environnement dans le cadre des négociations relatives à la convention sur la biodiversité biologique (Rio de Janeiro, 1992) qui a expliqué pourquoi la biopiraterie constitue un « crime » sanctionné par le droit international, et pourquoi les brevets sur le vivant représentent une « dérive du système général des brevets ».

La table ronde que j’animais réunissait , outre Jean-Dominique Wahiche, Marie Roué, anthropologue et direcrtice de recherche au CNRS au sein d’une équipe du Musée national d’histoire naturelle, Vandana Shiva, physicienne et docteur en philosophie des sciences et Patricia Gualinga, représentante des indiens kichwa de Sarayaku (Equateur).

Pendant la conférence, suivie par plus de 120 personnes, nous avons longuement abordé les deux exemples de biopiraterie que j’avais présentés dans mon film « Les pirates du vivant » (que l’on peut visionner sur ce Blog ou se procurer sur le site d’Alerte verte)

Le premier concerne l’histoire du haricot jaune mexicain, breveté de manière totalement indue par Larry Proctor, un agriculteur du Colorado. Comme il me l’a expliqué devant la caméra, il s’était rendu au milieu des années 1990 au Mexique, qui est le centre d’origine du haricot: dans tout le pays, on trouve une grande biodiversité avec des haricots rouges, noirs, blancs et … jaunes (qui poussent principalement sur la côté pacifique au nord du Mexique, depuis des millénaires).

N’ayant jamais vu de haricots jaunes aux Etats Unis, Larry Proctor en achète un sac sur un marché de Mexico, rentre chez lui et les sème. Deux ans plus tard, il dépose une demande brevet auprès de l’Office américain des brevets de Washington et l’obtient.

Il est donc considéré comme « l’inventeur du haricot jaune aux Etats Unis », ainsi qu’il l’a dit devant ma caméra. Ce brevet lui garantit un monopole de vingt ans sur l’exploitation du haricot jaune.

Résultat: les paysans mexicains qui exportaient des haricots jaunes vers le Sud des Etats Unis, où réside une importante communauté mexicaine, ne peuvent plsu le faire sans payer des royalties à l’agriuclteur du Colorado!!

Aussitôt, le gouvernement mexicain décide de contester le brevet, en portant l’affaire devant la justice américaine, car il sait que cette affaire peut constituer un dangereux précédent, car le Mexique est le centre d’origine de plusieurs plantes (dont le maïs et l’avocat).

Après dix ans de bataille juridique, qui a coûté plusieurs millions de dollars en frais d’avocat, le brevet est annulé par l’Office des brevets de Washington, qui reconnaït l’illégalité de son obtention…

Dans mon film, j’aborde aussi l’affaire du margousier (neem en anglais), cet arbre légendaire, surnommé « l’arbre des médicaments », qui trône dans tous les villages indiens, et dont les multiples vertus médicinales ont été décrites dans les manuels de la médecine ayurvédique depuis la nuit des temps.

En 1995, la compagnie chimique américaine GRACE obtient un brevet à Washington et Munich, où siège l’Office européen des brevets sur le principe actif qui confère une fonction insecticide aux feuilles de margousier.

Vandana Shiva, appuyée par le bureau de Greenpeace à Munich, dépose une demande d’annulation du brevet.

« La bataille a duré dix ans, a raconté Vandana Shiva , lors du colloque contre la biopiraterie, mais nous avons finalement gagné: le brevet a éré annulé, la preuve qu’il était illégal! »

La question des brevets est au coeur de la polémique sur les OGM, qui sont leur seule raison d’exister. Je suis, en effet, convaincue, après avoir passé cinq ans à travailler sur la question en rencontrant partout dans le monde les meilleurs experts, que si les OGM n’étaient pas brevetés, Monsanto ne se serait jamais lancé dans les cultures transgéniques, dont le seul but est de s’emparer de la chaîne alimentaire grâce à l’outil des semences brevetées.

Voici ce que j’ai écrit dans mon livre:

DÉBUT EXTRAIT

L’arme des brevets

« L’un de mes plus grands soucis, c’est ce que réserve la biotechnologie à l’agriculture familiale, déclarait Dan Glickman le 13 juillet 1999, lors de ce fameux discours qui irrita tant ses collègues du Commerce extérieur américain. La question de savoir qui possède quoi alimente déjà des débats très épineux. On voit des firmes poursuivre en justice d’autres firmes pour des problèmes de brevet, même quand elles fusionnent. Les agriculteurs sont dressés contre leurs voisins dans le but de protéger les droits de propriété intellectuelle des multinationales. […] Les contrats passés avec les agriculteurs doivent être justes et ne pas les transformer en de simples serfs sur leurs terres. »

En prononçant ces mots très iconoclastes, le secrétaire à l’Agriculture de Bill Clinton touchait à l’un des sujets qui sont au cœur de l’opposition aux OGM : celui des brevets.

« Nous avons toujours dénoncé le double langage des firmes de la biotechnologie, m’explique Michael Hansen, l’expert de l’Union des consommateurs. D’un côté, elles disent qu’il n’y a pas besoin de tester les plantes transgéniques, parce qu’elles sont strictement similaires à leurs homologues conventionnels ; de l’autre, elles demandent des brevets, au motif que les OGM représentent une création unique. Il faut savoir : soit le soja Roundup ready est identique au soja conventionnel, soit il ne l’est pas ! Il ne peut pas être les deux à la fois au gré des intérêts de Monsanto ! »

En fait, jusqu’à la fin des années 1970, il eût été inconcevable de déposer une demande de brevet sur une variété végétale. Y compris aux États-Unis où la loi sur les brevets de 1951 stipulait clairement que ceux-ci concernaient exclusivement les machines et les procédés industriels, mais en aucun cas les organismes vivants, et donc les plantes.

À l’origine, en effet, le brevet représente un outil de politique publique qui vise à stimuler les innovations techniques en accordant à l’inventeur un monopole de fabrication et de vente de son produit, pour une durée de vingt ans.

« Les critères d’attribution des brevets sont normalement très stricts, commente le professeur Paul Gepts, un chercheur du département de biologie moléculaire qui me reçoit dans son bureau de l’université Davis (Californie), en juillet 2004. Ils sont au nombre de trois : la nouveauté du produit — c’est-à-dire le fait que le produit n’existait pas avant sa création par l’inventeur —, l’inventivité dans sa conception et le potentiel industriel de son utilisation. Jusqu’en 1980, le législateur avait exclu les organismes vivants du champ des brevets, parce qu’il estimait qu’en aucun cas ils ne pouvaient satisfaire le premier critère : même si l’homme intervient sur leur développement, les organismes vivants existent avant son action et, de plus, ils peuvent se reproduire tout seuls. »

Avec l’avènement des sélectionneurs, s’était posée la question des variétés végétales « améliorées » par la technique que j’ai déjà décrite de la « sélection généalogique » (voir supra, chapitre 7). Soucieuses de récupérer leurs investissements, les entreprises semencières avaient obtenu que soit attribué à « leurs variétés » ce qu’on appelle un « certificat d’obtention végétale », leur permettant de vendre des licences d’exploitation aux négociants ou d’inclure une sorte de « taxe » dans le prix de leurs semences.

Mais ce « certificat d’obtention végétale » (appelé « Plant Variety Protection » aux États-Unis) n’était qu’un cousin très éloigné du brevet, puisqu’il n’interdisait pas aux paysans de garder une partie de leur récolte pour ensemencer leurs champs l’année d’après, ni aux chercheurs, comme Paul Gepts, ou aux sélectionneurs d’utiliser la variété concernée pour en créer de nouvelles. C’est ce qu’on appelle l’« exception du fermier et du chercheur ».

Tout a changé en 1980. Cette année-là, la Cour suprême des États-Unis a rendu un jugement lourd de conséquences, en déclarant brevetable un microorganisme transgénique.

L’histoire avait débuté huit ans plus tôt, lorsqu’Ananda Mohan Chakrabarty, un généticien travaillant pour General Electric, avait déposé une demande de brevet pour une bactérie qu’il avait manipulée pour qu’elle puisse dévorer les résidus d’hydrocarbures. L’Office des brevets de Washington avait logiquement rejeté la demande, conformément à la loi de 1951.

Chakrabarty avait fait appel et obtenu gain de cause auprès de la Cour suprême, qui avait déclaré : « Tout ce qui sous le soleil a été touché par l’homme, peut être breveté. »

Cette étonnante décision avait ouvert la voie à ce que d’aucuns appellent la « privatisation du vivant » : en effet, dès 1982, s’appuyant sur la jurisprudence américaine, l’Office européen des brevets de Munich accordait des brevets sur des microorganismes, puis sur des plantes (1985), des animaux (1988) et des embryons humains (2000).

Théoriquement, ces brevets ne sont accordés que si l’organisme vivant a été manipulé par les techniques du génie génétique ; mais, dans les faits, cette évolution va bien au-delà des seuls OGM. Actuellement, des brevets sont accordés pour des plantes non transgéniques, notamment celles qui présentent des vertus médicinales, en violation totale des lois existantes :

« Depuis l’avènement de la biotechnologie, on assiste à une dérive du système du droit commun des brevets, m’a expliqué ainsi en février 2005 Christoph Then, le représentant de Greenpeace à Munich. Pour obtenir un brevet, il n’est plus nécessaire de présenter une véritable invention, mais bien souvent il suffit d’une simple découverte : on découvre la fonction thérapeutique d’une plante, comme par exemple le margousier indien, on la décrit et on l’isole de son contexte naturel, et on demande à la breveter. Ce qui est déterminant, c’est que la description soit effectuée dans un laboratoire, et on ne tient pas compte du fait que la plante et ses vertus soient connues depuis des milliers d’années ailleurs . »

Aujourd’hui, l’Office des brevets de Washington accorde chaque année plus de 70 000 brevets, dont environ 20 % concernent des organismes vivants. J’ai dû batailler longtemps avant d’obtenir un rendez-vous avec un représentant de cette énorme institution, qui dépend du secrétariat au Commerce américain et emploie 7 000 agents. Véritable citadelle installée dans la banlieue de Washington, l’Office des brevets est un lieu stratégique pour une firme comme Monsanto qui, entre 1983 et 2005, y a décroché 647 brevets liés à des plantes.

« L’affaire de Chakrabarty a ouvert la porte à une période très excitante, s’enthousiasme John Doll, qui travaille au département biotechnologie de l’Office et m’y reçoit en septembre 2004. Désormais, nous octroyons des brevets sur les gènes, les séquences de gènes, les plantes ou les animaux transgéniques, bref sur tous les produits issus du génie génétique.

– Mais un gène n’est pas un produit…, dis-je, un peu interloquée par le ton conquérant de mon interlocuteur.

– Certes, admet John Doll, mais dans la mesure où la firme a pu isoler le gène et en décrire la fonction, elle peut obtenir un brevet… »

FIN DE L’EXTRAIT

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