« La double face du cardinal »

« Habemus papam ! »

Depuis que la formule rituelle a fait le tour du monde pour annoncer l’élection du successeur de Benoît XVI sur le trône de Saint Pierre , j’ai reçu plusieurs demandes d’interviews. Mes confrères du Soir, de La Vie, France 2 (Le Jour du Seigneur) ou Daniel Mermet (Là-bas si j’y suis) ont cherché à me joindre pour savoir ce que je pensais des accusations portées contre le Pape François, un jésuite argentin, qui avait été nommé cardinal  par Jean-Paul II en février 2001. Je n’ai pas voulu répondre tout de suite à cette question, car elle est grave, et je voulais prendre le temps de vérifier toutes les sources disponibles concernant l’attitude de  Jorge Bergoglio, qui était responsable de la Compagnie des Jésuites en Argentine, pendant les années de la dictature (1976-1983).

Dans un premier temps, il était clair qu’il me fallait distinguer entre le rôle joué, d’une manière générale, par la hiérarchie catholique argentine dans l’une des dictatures les plus sanglantes du XXème siècle (au moins 20 000 disparus), et le rôle joué précisément par celui qui fut désigné Pape la semaine dernière.

Concernant la hiérarchie catholique, je ne peux que répéter ce que j’ai dit dans mon film et  livre Escadrons de la mort : l’école française. [1] : historiquement, l’Eglise d’Argentine est, avec celle de Colombie, l’une des plus conservatrices du continent latino-américain. Dès les années 1930, les prélats intégristes argentins entretinrent des relations privilégiées avec l’Extrême droite française, et notamment avec Charles Maurras. Ces liens se resserrèrent  sous l’entremise de Jean Ousset, qui fut secrétaire personnel du chef de l’Action française et un admirateur zélé du général Pétain et du gouvernement de Vichy, avant de créer la « Cité catholique »[2].

Pendant la guerre d’Algérie, cette organisation intégriste et fasciste – Ousset était fasciné par l’organisation politique prônée par Mussolini – eut une influence importante dans l’armée française, où elle parvint à créer plus de 200 « cellules »  abonnées à sa revue Verbe. Ainsi que je l’ai révélé, plusieurs numéros de Verbe furent consacrés à la torture que Jean Ousset justifiait au nom de la « lutte contre la subversion ». En 1958,  cet anticommuniste viscéral ouvrit une antenne à Buenos Aires, baptisée naturellement La Ciudad Católica, dont il confia la direction au père Georges Grasset.  Très proche de l’OAS, celui que l’on  surnommait le « moine soldat » deviendra le confesseur personnel d’une certain Jorge Videla, le premier chef de la junte militaire qui terrorisa l’Argentine après le coup d’Etat du 24 mars 1976.

Pour mon film, j’ai pu interviewer (en me faisant passer pour une historienne obsédée par la menace du terrorisme islamiste) quatre généraux de la dictature : le général Ramón Diaz Bessone, ex ministre de la planification de la junte et chef du 2ème corps d’armée, le général Albano Harguindéguy, ex ministre de l’Intérieur, le général Alcides Lopez Aufranc, et le général Reynaldo Bignone, qui fut le dernier chef de la junte. Tous m’ont confirmé avoir connu personnellement le père Grasset  et avoir été « inspirés » par les enseignements de la Ciudad Católica. Tous m’ont expliqué aussi l’influence exercée par les militaires français dans leur « formation » : « Quadrillage territorial, rafles, torture, escadrons de la mort, disparitions forcées, nous avons tout appris des Français qui nous ont enseigné les techniques qu’ils avaient développées pendant la guerre d’Algérie » m’ont-ils dit à l’unisson.  Tous, enfin, ont revendiqué leur « foi catholique » pour justifier les méthodes du terrorisme d’État, censées éradiquer « la menace communiste » et défendre » les valeurs chrétiennes de l’Occident ».

Lors de notre rencontre (filmée), le général Reynaldo Bignone ( qui est aujourd’hui en prison comme Diaz Bessone et Harguindéguy)  a évoqué les relations privilégiées qu’entretenait la junte avec plusieurs représentants de l’épiscopat argentin.

Je mets ici en ligne un court extrait de cet entretien, qui fait partie des bonus du DVD (réédité récemment par ARTE).

 

L’interview de Bignone, ainsi que de ses trois comparses tortionnaires, a provoqué une « commotion nationale » en Argentine, pour reprendre les termes de Horacio Verbitsky, considéré comme le « meilleur journaliste d’investigation » du pays. Editorialiste à Página 12, écrivain, et président du Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS), une organisation des droits de l’homme très réputée ( http://www.cels.org.ar/home/index.php), Horacio est l’auteur de six ouvrages sur l’Eglise catholique argentine qui indéniablement constituent une référence.

http://www.elortiba.org/verbitsky.html

Je l’ai rencontré il y a tout juste dix ans, en mai 2003, au terme de cette improbable  semaine, où j’avais réussi à « mettre en boîte » les quatre généraux. Je n’oublierai jamais sa réaction : « Ces interviews sont capitales, m’avait-il dit. Elles constituent des aveux et de véritables pièces à conviction dans la lutte contre l’impunité ». C’est ainsi que j’avais accepté de lui confier une copie de mes rushes (avec l’accord de Canal+ et de mon producteur Idéale Audience), afin qu’il puisse exploiter les entretiens dans son journal ainsi que sur la chaîne de télévision Telefe.

L’impact fut considérable : les généraux furent convoqués devant un conseil de guerre pour être destitués, tandis que la conférence épiscopale se fendait d’un communiqué, niant toute implication dans la dictature. « C’est absolument faux et inacceptable de lier l’Eglise avec ce type de crimes », assuraient les évêques. Seul Msg Miguel Hesaye,  évêque de Viedma,  reconnaissait que « pendant qu’on torturait, certains prêtres et évêques donnaient la communion aux tortionnaires ».

La sympathie de certains représentants de l’Eglise  pour les militaires putschistes et adeptes de la « doctrine française de la guerre antisubversive » est très largement documentée. Elle fut impulsée, dès les années 1950,  notamment par l’archevêque Antonio Caggiano, un proche de la Ciudad católica, qui fut longtemps vicaire des armées. C’est lui qui inaugura, le 2 octobre 1961, le cours interaméricain de guerre contrerévolutionnaire, organisée par Alcides Lopez Aufranc (qui étudia de 1957 à 1959 à l’école militaire de Paris) et les militaires français.

Opposant déclaré à Vatican II, comme ses collègues Msg Emilio Teodoro Grasseli, ou Adolfo Servando Tortolo, évêque de Paraná, qui présidait la conférence épiscopale au moment du coup d’Etat, ou Victorio Bonamín, il combattit avec virulence  la théologie de la libération, qu’avaient ralliée de nombreux prêtres argentins.

Il suffit de lire les témoignages réunis par la CONADEP – la Commission nationale des disparus- pour comprendre la complicité qui liait certains curés avec les militaires. Présidée par l’écrivain Ernesto Sábato, la CONADEP a auditionné des centaines de témoins qui ont permis de documenter la disparition de 8960 personnes.  Nombreux sont les survivants des centres de concentration clandestins qui ont rapporté la présence d’hommes en soutane pendant les séances de torture. De même les aumôniers militaires participèrent activement à la « formation » des officiers qui pratiqueront la « question » tout au long de la dictature. C’est, par exemple, ce que m’ont raconté  Julio César Urien  et Anibal Acosta, qui furent promus officiers de la Marine en 1972. Voici un extrait de mon film Escadrons de la mort: l’école française :

 

Voilà pour le contexte général, qui est, encore une fois, très documenté, grâce au travail de la CONADEP, mais aussi aux auditions réalisées lors du procès des chefs de la junte en 1985 [3] , grâce, enfin, à l’enquête très fouillée conduite par Horacio Verbitsky, qui fut le premier  à obtenir le témoignage d’un officier de la marine sur la pratique des « vols de la mort ».

Dans le livre El vuelo [4], l’ancien capitaine de corvette Francisco Scilingo raconte le rôle des prêtres, chargés du soutien psychologique des militaires, qui, chaque mercredi, à l’École mécanique de la marine (ESMA) participaient à l’assassinat d’une trentaine de (jeunes) « subversifs », en les balançant vivants à la mer, après les avoir préalablement endormis par une piqûre de penthotal.

C’est précisément parce que l’officier de la marine, aujourd’hui incarcéré, évoqua le rôle des hommes de l’Église dans la dictature qu’Horacio décida d’entreprendre une vaste enquête sur l’histoire de l’Église catholique argentine depuis la fin du du XIXème siècle, qu’il publia en cinq livres.

Pour écrire ce qui suit, j’ai relu El silencio[5], dont le sous-titre comprend le nom du nouveau pape : « De ¨Paul VI à Bergoglio : les relations secrètes de l’Église avec l’ESMA ». Horacio s’est basé sur les témoignages enregistrés par le tribunal fédéral qui jugea les responsables de la junte en 1985, sur les documents de la CONADEP, mais aussi les archives de l’Église, ainsi que sur les entretiens qu’il a lui-même conduits. C’est ainsi qu’il a interviewé Jorge Bergoglio, le 7 mai 1999, deux ans avant qu’il soit nommé cardinal par Jean-Paul II, dans les locaux de l’archevêché de Buenos Aires, situé face à la … Place de Mai. Autant dire que les prélats ne pouvaient ignorer le drame terrible vécu par des milliers de familles argentines, puisque c’est sur la place désormais légendaire que tous les jeudis se réunissaient les « mères de la place de mai » pour tourner désespérément sous les fenêtres de la Casa Rosada (le siège du gouvernement) afin de protester contre la disparition de leurs enfants.

La première partie du livre est proprement révoltante : elle met en scène Msg Emilio Teodoro Grasseli, qui fut longtemps le secrétaire du sinistre Antonio Caggiano, avant d’être nommé vicaire des armées.   Pendant la dictature, il était chargé des relations avec les familles, qui naturellement – l’Argentine est un pays très catholique- s’adressaient à l’Église, quand elles essayaient de retrouver la trace de leurs proches disparus. Pour accéder au prélat, les familles devaient passer par un poste de contrôle tenu par des militaires, à qui elles devaient présenter leurs papiers. Dans son livre, Horacio Verbitsky cite une vingtaine de témoignages qui rapportent unanimement la même séquence : lors de la rencontre, Grasseli consulte une liste établie par les militaires avec les noms des personnes séquestrées  : « Les personnes dont le nom est précédé d’une croix doivent être considérées comme mortes », explique-t-il avec une froideur qui tétanise les familles. Le prélat consulte la liste, pour finalement déclarer : « Je vous conseille malheureusement de ne plus chercher votre fils », ainsi qu’il l’a dit, par exemple, à la mère de Claudio Norberto Braverman , un lycéen de 17 ans, enlevé par un commando dans l’appartement familial.

La deuxième moitié du livre concerne  directement le pape François, alias Jorge Bergoglio, qui dirigeait alors l’ordre des jésuitesSan Miguel). C’est de lui que dépendait la Villa Belén du Bajo Flores où officiaient plusieurs prêtres de la Compagnie, dont Orlando Virgilio Yorio et Francisco Jalics, dans le cadre d’une communauté de base, se revendiquant de la théologie de la libération, très active dans les bidonvilles de Buenos Aires. Manifestement cette orientation au service des pauvres n’était pas du goût de l’archevêque Juan Carlos Aramburu qui au début du mois de mai de 1976 – soit six semaines après le coup d’Etat militaire- décida d’interdire le père Yorio de dire la messe.

Déjà en 1975, le prêtre avait été frappé d’une interdiction d’enseigner la théologie à l’université des jésuites de San Miguel,  à cause de son appartenance revendiquée  à la théologie de la libération. « Depuis le siège de la Compagnie à San Miguel, des  rumeurs couraient que j’étais communiste, subversif et guérillero et que je sortais avec des femmes » a-t-il rapporté à Horacio Verbitsky. [6]La rumeur n’était pas anodine : deux ans plus tôt, trois jésuites avaient été assassinés par les tueurs de la Triple A, une organisation paramilitaire dont les membres intégreront les escadrons de la mort de la junte militaire après le coup d’État.

Le 13 mai 1976, des officiers de la marine séquestrent à leur domicile ou sur leur lieu de travail cinq jeunes femmes catéchistes à la Villa Belén et les maris de deux d’entre elles. Parmi les victimes, il y a :

–       María Ester Lorusso ;

–       Mónica Quinteiro, une ex religieuse de 34 ans ;

–       María Marta Vásquez Ocampo, enceinte, et son mari César Amadeo Lugones ;

–       Mónica Candelaria, 24 ans, la fille de Emilio Fermín Mignone, un ancien militant de l’Action catholique, ancien ministre de l’Education, fondateur du CELS.

–       Beatriz Carbonell, et son mari, Horacio Pérez Weiss.

Les séquestrés sont conduits à l’ESMA encagoulés, avant d’être relâchés, quelques jours plus tard, sur le bord d’une autoroute, grâce à l’intervention de leurs proches (la plupart sont parents de militaires ).

Dix jours plus tard, très exactement le dimanche 23 mai 1976, un commando de … cent militaires débarque à la Villa Belén juste après la messe. Huit catéchistes sont « arrêtés » ainsi que Orlando Virgilio Yorio et Francisco Jalics.  « Vous n’êtes pas un guérillero, mais en vivant dans la Villa, vous unissez les pauvres, et ça c’est subversif » dit l’un des tortionnaires de l’ESMA au père Yorio, qui restera enfermé pendant six mois avec son collègue Jalics dans le camp de concentration où disparurent plus de quatre mille personnes (la plupart furent jetées à la mer).

La polémique qui entoure aujourd’hui le nouveau pape concerne très précisément son attitude face au sort des deux prêtres de la Villa Belén. Et là les témoignages recueillis par Horacio Verbitsky divergent. D’un côté, il y a celui de Alicia Oliveira, une ex avocate du CELS, ami de Jorge Bergoglio, qui affirme que le responsable jésuite a remué ciel et terre pour faire libérer les deux prêtres.  De son côté, le futur cardinal argentin, affirma à Horacio qu’il avait « agi dès le premier jour » et qu’il avait rencontré , « deux fois Videla et deux fois Massera, bien qu’il fût difficile d’obtenir une audience à cette époque. » [7]

Cette version est  contestée par la majorité des témoins, consultés par le journaliste-écrivain, dont un jésuite qui souligne que la « compagnie n’a jamais fait de dénonciation publique des enlèvements de prêtres ». Ce membre de la Compagnie qui parle sous couvert de l’anonymat donne pour exemple Juan Luis Moyano Llerena, un séminariste, torturé à l’ESMA, qui fut sauvé grâce à l’intervention de son père, un ex ministre de l’Economie.

Finalement, tout indique que les pères Yorio et Jalics furent libérés, après six mois de détention à l’ESMA, grâce à l’intervention du Vatican, alerté par Emilio Fermín Mignone et des jésuites européens : le premier se réfugiera à Rome, puis en Uruguay ; le second dans un monastère de Munich. 

Je traduis ici un long extrait de l’interview que le père Yorio a accordée à Horacio Verbitsky peu avant sa mort :

« Nous étions allés à la villa Belén avec l’accord et l’ordre de Bergoglio. Cela signifiait un engagement très fort avec de nombreuses personnes. Je travaillais avec trente catéchistes, dont certains sont aujourd’hui disparus, tous collaboraient avec le groupe de prêtres résidant dans la Villa ; dans notre maison passaient de nombreux religieux, prêtres et laïcs engagés avec les pauvres ; Jalics organisait des retraites spirituelles auxquelles participaient plus de cinq cents personnes par an. Quelques mois après notre installation dans la Villa, Bergoglio a commencé à nous dire qu’il subissait des pressions très fortes de Rome et d’Argentine pour que nous dissolvions notre communauté de base et que nous abandonnions la villa. En tant que directeur de l’ordre , il aurait pu nous ordonner de partir de là-bas, mais il ne voulait pas assumer une telle responsabilité. Il voulait que nous renoncions à nos engagements de manière volontaire , que nous assumions nous-mêmes d’abandonner les pauvres, alors que c’est lui qui nous avait confié cette mission. « Je ne peux pas vous défendre », nous disait-il. Il savait que je pouvais être tué, si l’Église cessait de nous protéger, comme il était arrivé à Mugica ou à l’évêque Angelelli. Finalement, Bergoglio est revenu de Rome avec une lettre du général des jésuites, Pedro Arrupe, qui nous ordonna de quitter la Villa dans les quinze jours. C’était à la fin de février 1976, le mercredi des cendres, juste avant le début du carême, après deux ans de pressions(…) J’ai fait remarquer à Bergoglio que c’était scandaleux et pas très courageux d’arrêter de manière aussi brutale tout le travail qui avait été mis en place. Il m’a répondu que la seule solution c’était que nous demandions à quitter la Compagnie. Si nous le faisions, il s’arrangerait pour nous laisser deux mois de plus dans la Villa, afin que nous puissions préparer notre départ correctement. C’est pourquoi nous avons demandé au général des Jésuites de quitter la Compagnie, mais nous n’avons jamais reçu de réponse. Pour pouvoir sortir de l’ordre, nous avions besoin qu’un évêque nous reçoive et nous protège. Nous avons passé deux mois à chercher un évêque volontaire. Plusieurs évêques nous ont reçus, mais finalement arrivait toujours une information les avisant de charges graves secrètes contre nous et ils renonçaient à nous accueillir dans leur diocèse. Quand nous demandions à connaître les motifs, ils nous répondaient qu’il fallait que nous nous adressions au supérieur de l’ordre. Quand j’ai dit à Bergoglio que le cardinal Juan Carlos Arumburu avait décidé de m’interdire de dire la messe, il m’a dit que c’était des bêtises et que je pouvais continuer à célébrer la messe en privé. Le vendredi,  l’évêque de Morón , Miguel Respanti, a accueilli dans son diocèse un autre prêtre jésuite du groupe, Louis Dourrón, mais il a refusé de me recevoir. Le dimanche suivant, le commando de la Marine nous a séquestrés. Des années plus tard, j’ai reçu un message de Arumburu me disant qu’il ne m’avait pas livré. Je n’ai aucun indice me permettant de penser que Bergoglio soit intervenu pour notre libération. Bien au contraire. Il a annoncé personnellement à mes frères que j’avais été fusillé pour qu’ils préparent ma mère à cette nouvelle. De son côté, Grasselli a dit aux prêtres de la Villa que Jalics et moi-même étions morts. Il y a eu plusieurs messes mortuaires qui ont été dites en ma mémoire. Le New York Times a publié la nouvelle de notre mort, ainsi que la Croix Rouge Internationale ; la famille de Jalics a célébré ses funérailles. Après mon arrivée à Rome,  le secrétaire du général des jésuites m’a ouvert les yeux. Le père Gavigna, qui était colombien comme le successeur de Bergoglio, Alvaro Restrepo, avait séjourné en Argentine, où il fut responsable des novices, il me connaissait bien. Il m’a informé que j’avais été expulsé de l’ordre. De plus, il m’a raconté que l’ambassadeur argentin auprès du Vatican lui avait dit que le gouvernement prétendait que nous avions été capturés par les forces armées, parce que nos supérieurs hiérarchiques l’avait informé qu’au moins l’un d’entre nous était guerillero. Gavigna lui demanda d’écrire cela par écrit, ce que l’ambassadeur fit ».

Horacio Verbitsky écrit qu’il n’a pas retrouvé la trace de ce document dans les archives. En revanche, il a découvert trois documents troublants qui expliquent le titre du chapitre où il raconte l’histoire des deux prêtres jésuites : « La double face du cardinal ».

Daté du 4 décembre 1979, et signé de Bergoglio, le premier est plutôt en faveur du futur pape. Dans ce courrier adressé au « directeur national du culte » (un membre de la junte militaire) le chef des jésuites explique que Francisco Jalics « travaille actuellement dans le sud de l’Allemagne » et qu’il a « renouvelé son passeport le 27 février 1978 ». Or, pour prolonger son visa, le prêtre aurait dû revenir en Argentine. « Pour éviter un voyage aussi cher », Jorge Bergoglio suggère que le renouvellement soit effectué depuis Buenos Aires. En lisant ce texte, on se dit que le responsable jésuite veut ainsi protéger le prêtre d’un retour en Argentine qui pourrait s’avérer dangereux…


 

Dans les archives de l’archevêché, Horacio Verbitsky a retrouvé deux documents qui jettent une ombre sur l’attitude du responsable jésuite. Deux semaines après la lettre de Bergoglio, Anselmo Orcoyen, le directeur du culte au sein du ministère des affaires étrangères, rédige une note intitulée « Padre Francisco Jalics », dans laquelle on peut lire :

« –  Activité dissolue dans des congrégations religieuses féminines (conflits d’obéissance)

–       Détenu à l’École mécanique de la marine du 24 mai 1976 à novembre 1976 (six mois), accusé avec le père Yorio de contacts suspects avec des guérilleros.

–       Vivaient dans une petite communauté que le supérieur jésuite a dissoute en février 1976 mais ont refusé d’obéir en demandant leur sortie de la Compagnie (…) Aucun évêque de Buenos Aires n’a accepté de les accueillir ».

Puis suit un Nota Bene : « Ces informations ont été communiquées à Mr. Orcoyen par le propre père Bergoglio qui a signé la note en recommandant spécialement que ne soit pas donné suite à sa demande »…

Dans la même boîte d’archives, Horacio Verbitsky a retrouvé un rapport rédigé par un membre des services de renseignement. Intitulé « Le nouveau comportement des jésuites argentins« , il dit:

« Malgré les efforts du père Bergoglio, la Compagnie en Argentine n’a pas été nettoyée. Les jésuites de gauche se sont calmés pendant quelque temps. Mais maintenant, avec le soutien conséquent de l’extérieur et de certains évêques tiers-mondistes ils ont commencé une nouvelle étape ».

 

[1] J’invite les internautes à consulter mon Blog (rubrique « Escadrons de la mort : l’école française ») ou mon site personnel  :

http://wp.arte.tv/robin/

http://www.mariemoniquerobin.com/crbst_21.html

Mon livre a été édité par les Editions La Découverte qui a publié une version poche.

[2] Aujourd’hui, la Cité catholique s’appelle le Centre de formation à l’action civique et culturelle selon le droit naturel et chrétien, qui est considéré comme l’antenne française de l’Opus Dei. Christine Boutin, deputée UDF des Yvelines, en est une membre assidue.

[5] Horacio Verbitsky, El silencio. De Paulo VI a Bergoglio, les relaciones secretas de la Iglesia con la ESMA, Editorial Sudamericane, Buenos Aires, 2005.

[6] L’entretien a eu lieu le 6 mai 1999 . Yorio est mort un an plus tard en Uruguay où il s’était réfugié.

[7] Eduardo Massera était le chef de la Marine et patron de l’ESMA.


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