La loi d’airain des brevets (2)/ Rush

Je continue à présenter la face cachée et réelle des OGM qui n’intéressent Monsanto que pour une seule raison: ils sont brevetés à cause de la dérive du système général des brevets que j’ai décrite dans mon post « la Loi d’airain des brevets (1) ».

Comme je l’ai raconté dans mon film, pour s’assurer que les agriculteurs n’ont pas gardé une partie de leur récolte pour la re-semer, Monsanto fait appel aux services d’une agence de détectives privés (la Pinkerton aux Etats Unis et la Robertson au Canada) que l’on surnomme « la police des gènes » et qui sème la terreur dans les prairies et plaines d’Amérique du Nord.
Je retranscris ici la partie de mon livre qui rapporte l’étude conduite par le Center and Food Safety (CFS) de Washington sur une centaine de paysans poursuivis par Monsanto pour « violation du brevet ».
Ensuite, je mets en ligne l’interview que j’avais réalisée (prémontée et finalement coupée) de Joseph Mendelson, le directeur juridique du CFS.

DEBUT EXTRAIT

La police des gènes

« Les OGM sont protégés par la loi américaine sur les brevets, m’explique John Hofman, le vice-président de l’Association américaine du soja (ASA), avec l’indéfectible sourire qui ponctue chacune de ses phrases. C’est pourquoi je n’ai pas le droit de garder des graines pour les replanter l’année suivante. C’est une protection pour Monsanto et les sociétés de la biotechnologie, parce qu’elles ont investi des millions et des millions de dollars pour créer cette nouvelle technologie que nous sommes très heureux d’utiliser. »

À entendre le farmer de l’Iowa, je pense à… Hugh Grant, le P-DG de Monsanto qui, dans une interview à Daniel Charles, ne disait pas autre chose : « Notre intérêt est de protéger notre propriété intellectuelle et nous n’avons pas à nous en excuser. […] C’est aussi dur que cela. Il y a un gène qui appartient à Monsanto et il est illégal qu’un agriculteur prenne ce gène pour le recréer dans une deuxième récolte . »

« Comment la firme Monsanto peut-elle savoir que quelqu’un a ressemé ses graines ?, demandé-je à John Hofman.

– Euh…, hésite-t-il, visiblement embarrassé. Je ne sais pas répondre à cette question… C’est une bonne question pour Monsanto… »

Malheureusement, comme je l’ai dit au début de ce livre, les responsables de Monsanto ont refusé de me recevoir, ce qui m’a été notifié par Christopher Horner, le responsable des relations publiques de la firme à Saint-Louis. Il eût pourtant été intéressant que j’interviewe ce dernier, car d’après un article du Chicago Tribune, c’est lui qui a dû monter au créneau pour défendre les pratiques de son employeur, quand le Center for Food Safety de Washington a publié un rapport très dérangeant en novembre 2004.

Intitulé Monsanto vs. U.S. Farmers , ce document très fouillé de quatre-vingt-quatre pages confirme l’existence de ce qu’on appelle en Amérique du Nord la « police des gènes », assurée effectivement par les agences Pinkerton aux États-Unis et Robinson au Canada . Il révèle aussi que depuis 1998, la firme de Saint-Louis mène une véritable chasse aux sorcières dans les prairies américaines, qui a conduit à des « milliers d’enquêtes, une centaine de procès et de nombreuses faillites ».

« Ces procédures représentent un pourcentage infime par rapport aux quelque 300 000 usagers de notre technologie, a rétorqué Christopher Horner. Les procès constituent le dernier recours de la firme . »
Quant à Joseph Mendelson, le directeur juridique du Center for Food Safety, il dénonce les « méthodes dictatoriales » de la multinationale, prête à tout selon lui, pour « imposer son contrôle sur tous les rouages de l’agriculture ».
Il faut dire que la lecture du rapport qu’il a coordonné donne froid dans le dos : après avoir rappelé qu’en 2005, 85 % du soja cultivé aux États-Unis était transgénique, 84 % du colza, 76 % du coton et 45 % du maïs, celui-ci note qu’« aucun paysan n’est à l’abri des investigations brutales et des poursuites implacables de Monsanto : certains agriculteurs ont été condamnés après que leur champ a été contaminé par du pollen ou des semences issus du champ transgénique d’un voisin ; ou quand des “graines rebelles” restées d’une culture précédente ont germé, l’année suivante, au mi-lieu d’une plantation non transgénique ; certains n’avaient même jamais signé de contrat technologique. Dans tous ces cas, en raison de la manière dont la loi sur les brevets est appliquée, tous ces paysans ont été considérés comme techniquement responsables ».

Pour mener son étude, le Center for Food Safety (CFS) a consulté les données fournies par la firme elle-même, qui rend régulièrement publics les cas de « piraterie de semences » qu’elle a détectés dans le pays.
Une mesure inhabituelle de transparence destinée à dissuader les éventuels contrevenants à sa loi d’airain. On découvre ainsi qu’en 1998, la multinationale a « enquêté » sur 475 cas de « piraterie » et que jusqu’en 2004, la moyenne annuelle dépassait les 500.
Le CFS a recoupé ces données avec le recensement des « poursuites engagées par Monsanto contre des agriculteurs américains », établi par le registre des greffes des tribunaux fédéraux, qui, à la date de 2005, avait enregistré 90 procès.
La moyenne des indemnités obtenues par la firme s’est élevée à 412 259 dollars, avec un maximum de 3 052 800 dollars, soit un total de 15 253 602 dollars (dans certains cas, exceptionnels, les agriculteurs n’ont pas été condamnés). Les procédures ont entraîné la faillite de huit exploitations agricoles.

« En fait, m’explique Joseph Mendelson, ces chiffres ne représentent que la partie immergée de l’iceberg, puisqu’ils ne concernent que les rares affaires qui sont allées en justice. La grande majorité des paysans attaqués, très souvent injustement, préfèrent négocier à l’amiable, car ils ont très peur des frais que leur coûterait un procès contre Monsanto. Or, tous ces règlements à l’amiable n’apparaissent pas, car ils s’accompagnent d’une clause de confidentialité. C’est pourquoi nous n’avons pu décortiquer que les affaires qui avaient été jugées. »

Dans le rapport du CFS, on découvre que Monsanto dispose d’un budget annuel de 10 millions de dollars et d’un staff de soixante-quinze personnes pour mener ses « enquêtes ».
Sa première source d’information, c’est le numéro vert « 1-800-Roundup », que la firme a officiellement mis en ligne le 29 septembre 1998, par un communiqué de presse en bonne et due forme :

« Laissez un message sur le répondeur si vous voulez rapporter d’éventuelles violations de la loi sur les semences ou tout autre type d’information, dit ainsi la voix sur le numéro vert. Il est important d’utiliser des lignes fixes, car les téléphones portables peuvent être interceptés par de nombreuses personnes. Vous pouvez appeler anonymement, mais s’il vous plaît laissez votre nom et numéro de téléphone au cas où le suivi le nécessiterait . »

D’après Daniel Charles, la « ligne des mouchards » a reçu
1 500 appels en 1999, dont 500 ont déclenché une « enquête » . Interrogée sur cette « ligne des mouchards », soupçonnée d’« effilocher les liens sociaux qui soutiennent les communautés rurales », pour reprendre les termes mesurés du Washington Post, Karen Marshall, la porte-parole de Monsanto, s’est contentée de répondre :

« Cela fait partie de la révolution agricole, et toute révolution est douloureuse. Mais la technologie est une bonne technologie . »

FIN DE L’EXTRAIT

Suite dans le prochain post!

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