L’affaire Starlink: un OGM hautement allergène

Profitant de la trève de fin d’année, je viens de lire les nombreux commentaires postés sur mon Blog et dont je n’avais pas encore pris connaissance (faute de temps).

Je relève celui-ci d’Anton, mon détracteur préféré, dont j’espère sincèrement qu’il est payé à la ligne…

Voici ce qu’il écrit, le 18/12:

« Aucun OGM actuellement commercialisé n’est connu pour être allergène… »

Ah! Le bel argument! D’abord, comment Anton peut-il affirmer cela? Quels moyens a-t-il de vérifier une telle affirmation, servie à l’envi par les promoteurs (malhonnêtes) des OGM?

D’abord, comme je le souligne dans mon livre, les allergies ont explosé en Amérique du Nord depuis une dizaine d’années, et tout particulièrement chez les enfants. Les raisons peuvent être multiples, et parmi elles l’absorption d’aliments contenant des OGM. Le problème c’est qu’il est difficile de le vérifier, tout simplement parce que les OGM ne sont pas étiquetés, ce qui empêche toute traçabilité et donc toute étude épidémiologique. Et c’est bien pour cela, entre autres, que Monsanto se bat pour que les OGM ne soient pas étiquetés, alors que tous les sondages montrent que plus de 90% des consommateurs nord américains voudraient avoir le droit de choisir.

Ces remarques préliminaires faites, je transcris ici l’affaire du maïs BT Starlink, qui prouve que, contrairement à ce qu’affirme Anton, il y a déjà eu un cas d’OGM commercialisé qui s’est révélé hautement allergène.

DEBUT EXTRAIT

la « débâcle de StarLink »

Le 18 septembre 2000, les Amis de la terre publient un communiqué qui déclenche un véritable cataclysme : l’association écologique américaine annonce qu’elle a fait analyser des échantillons de maïs (chips, tacos, céréales, farines, soupes, galettes) achetés dans les supermarchés et que les tests ont révélé la présence de traces de StarLink, un maïs Bt produit par Aventis , interdit à la consommation humaine.

De fait, pour augmenter la fonction insecticide de son OGM, la firme y a introduit une protéine Bt (Cry9C) particulièrement lourde et stable, « suspectée de causer des allergies, parce qu’elle présente une capacité accrue de résistance à la chaleur et aux sucs gastriques, ce qui donne plus de temps à l’organisme de sur-réagir », ainsi que l’explique le Washington Post .

Voilà pourquoi l’EPA a limité la commercialisation de ce maïs Bt pour la seule consommation animale et la production d’éthanol… Or, comme rien ne ressemble plus à un maïs conventionnel qu’un maïs OGM, les négociants en grains, qui n’étaient pas informés de la subtilité bureaucratique, ont mélangé StarLink avec les autres variétés (jaunes) de la céréale…

Avant d’évoquer les conséquences de cette lamentable affaire, je voudrais souligner en quoi elle est révélatrice de ce que Pierre-Benoît Joly et Claire Marris appellent l’« inadéquation du cadre réglementaire » américain . On se souvient qu’après avoir publié sa « ligne directrice sur la réglementation des OGM », l’administration républicaine avait réparti les compétences entre les trois principales agences règlementaires : la Food and Drug Administration (FDA) fut chargée des aliments transgéniques, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) des OGM à fonction pesticide et le secrétariat à l’Agriculture (USDA) des cultures transgéniques.

Le résultat de cette répartition arbitraire, c’est que les plantes Bt, dont certaines comme le maïs finissent dans l’assiette du consommateur, ne dépendent pas de la FDA mais de l’EPA, car elles sont considérées comme des… pesticides.

Ce paradoxe, qui explique la catastrophe de StarLink, a été magistralement démontré dès 1998 par Michael Pollan, un journaliste du New York Times . Il raconte qu’il a planté « quelque chose de nouveau dans [son] jardin potager » : une pomme de terre Bt récemment lancée sur le marché par Monsanto, baptisée « New Leaf » et censée produire « son propre insecticide ». Sur la notice d’emploi, il découvre que la pomme de terre a été enregistrée comme « pesticide » par l’EPA, et s’étonne que l’étiquette renseigne sur sa composition organique, les nutriments et même les « traces de cuivre » qui la constituent, mais ne dit pas un mot sur le fait qu’elle est issue de la manipulation génétique et surtout qu’elle « contient un insecticide ».

Il décide alors d’appeler James Maryanski, le coordinateur de la biotechnologie à la FDA ( que j’ai moi même longuement interviewé).

« Le Bt est un pesticide, lui explique ce dernier, c’est pourquoi il est exempté de la réglementation de la FDA et relève de la compétence de l’EPA. » Pourtant, insiste le journaliste, « je vais manger mes pommes de terre Bt, est-ce que l’EPA a testé leur sécurité alimentaire ? ».

« Pas vraiment », répond Maryanski, car, comme leurs noms l’indiquent, les « pesticides sont des produits toxiques », l’EPA ne peut donc qu’établir des « niveaux de tolérance » acceptables pour l’homme…

Michael Pollan appelle donc l’EPA, où on l’informe que la New Leaf n’étant que la « somme d’une pomme de terre sans danger (safe) et d’un pesticide sans danger », l’agence a estimé qu’elle ne posait aucun risque pour la santé humaine…

« Admettons que mes pommes de terre sont un pesticide, et même un pesticide très sûr, ironise le journaliste. Tous les pesticides que j’utilise dans mon jardin, y compris les pulvérisateurs de Bt, présentent une liste très longue de précautions d’emploi. L’étiquette sur mon bidon de Bt dit, entre autres, qu’il faut éviter d’inhaler le produit ou de le mettre en contact avec une plaie. Pourquoi est-ce que mes pommes de terre New Leaf, qui contiennent un pesticide enregistré par l’EPA, ne présentent-elles pas ce genre d’étiquette ? »

On ne peut mieux résumer l’aberration du système réglementaire américain, qui tourne carrément au ridicule quand on sait que, alertée sur les effets allergènes potentiels du maïs StarLink, l’EPA — au lieu de l’interdire purement et simplement — a décidé d’en restreindre l’autorisation à la seule consommation animale.

À noter l’indifférence totale de la FDA à cette question, qui ne l’évoque même pas dans un courrier adressé par Alan Rulis, le 29 mai 1998, à AgrEvo, la filiale d’Aventis commercialisant StarLink, où celui-ci se contente de préciser :

« Comme vous le savez, il est de la responsabilité permanente d’AgrEvo d’assurer que les aliments que la firme commercialise sont sûrs, sains et répondent à toutes les exigences légales et réglementaires … »

Le fonctionnaire de la FDA ne croyait pas si bien dire : dès septembre 2000, l’agence est submergée d’appels paniqués provenant de tous les États-Unis. Parmi eux, celui de Grace Booth, qui raconte que lors d’un déjeuner d’affaire où elle mangeait des enchiladas, elle fut subitement prise de bouffées de chaleur et d’une diarrhée violente, tandis que ses lèvres enflaient et qu’elle perdait la voix :

« J’ai cru que j’allais mourir », rapporta-t-elle à la chaîne CBS . Transportée en urgence dans un hôpital californien, elle a survécu grâce à l’administration rapide d’un antiallergique. Tous les rapports qui parviennent à la FDA font état d’une réaction violente liée à la consommation de produits à base de maïs, servis essentiellement dans des restaurants tex-mex.

Interrogé par CBS, le docteur Marc Rosenberg, un allergologue qui fut chargé de conseiller le gouvernement dans cette triste affaire, confirme que les symptômes « allaient de la simple douleur abdominale, diarrhée et éruption cutanée, jusqu’à des réactions plus rares mettant la vie en danger ».

Comme le souligneront en juillet 2001 les Amis de la terre dans un rapport très circonstancié, « la débâcle de StarLink représente un cas d’école montrant la dépendance quasi totale de nos agences réglementaires vis-à-vis des firmes de la biotechnologie et de l’agroalimentaire qu’elles sont censées “réguler”, mais aussi leur incompétence ».

L’association rapporte que la FDA a mis une semaine à confirmer la présence de StarLink dans la chaîne alimentaire, pour une raison qu’elle n’aurait jamais soupçonnée : « Nous avons appris que ce délai était dû au simple fait que deux ans après la mise en culture de StarLink sur plusieurs centaines de milliers d’acres , l’agence n’avait même pas l’expertise lui permettant de détecter cette protéine potentiellement allergique », écrit l’association écologiste .

Pour pouvoir conduire ses tests de laboratoire, la célèbre FDA a dû solliciter l’aide d’Aventis… De même, lorsque l’EPA fut contrainte de mettre au point un test pour mesurer l’allergénicité de la protéine Bt, elle dut s’en remettre au fabricant pour qu’il lui livre un échantillon de la molécule. Finalement, arguant qu’elle ne pouvait pas isoler suffisamment de protéine exprimée dans la plante, la firme a fourni un substitut synthétique provenant de la bactérie E. coli. Des experts ont souligné que le test serait biaisé car, comme nous l’avons vu, « la même protéine n’est pas forcément identique d’une espèce à l’autre ».

Après des mois d’atermoiements, l’agence de protection de l’environnement a conclu prudemment qu’il y avait une « probabilité moyenne que StarLink soit un allergène »… Puis, les autorités sanitaires ont enterré le dossier, perdant une belle occasion de comprendre pourquoi la consommation de tacos avait rendu gravement malades et failli faire mourir des centaines d’Américains…

En attendant, la « débâcle » a coûté un milliard de dollars à Aventis. D’abord, la firme a dû indemniser les distributeurs alimentaires qui ont retiré de leurs rayons 10 millions de produits à base de maïs. Et puis elle a dû racheter à tous les négociants, paysans et meuniers leur stock de grains StarLink. Mais l’ampleur de la catastrophe dépassa les prévisions les plus noires : des tests conduits par l’USDA révélèrent que 22 % du maïs américain était contaminé par la protéine maudite , portant le coup de grâce aux exportations que l’affaire du monarque avait déjà réduites comme une peau de chagrin.

Le magazine Nature rapporte que, d’après un représentant de l’USDA, la présence de StarLink a été retrouvée dans des produits boulangers à Taiwan, mais aussi au Japon . « Je sais que vous vous demandez : est-ce que cela aura un jour une fin ?, s’est énervé John Wichtrich, un dirigeant d’Aventis, lors d’un rassemblement de l’association des minotiers d’Amérique du Nord, à San Antonio (Texas). Malheureusement, la réponse est “non”, il n’y aura jamais de fin tant qu’on exigera une tolérance zéro pour la protéine Cry9C dans l’alimentation . »

FIN DE L’EXTRAIT

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *