L’AFIS attaque! (1)

La calomnie et la désinformation

Des internautes vigilants m’ont signalé un article mis en ligne sur le site de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) qui « se donne pour but de promouvoir la science contre ceux qui nient ses valeurs culturelles, la détournent vers des œuvres malfaisantes ou encore usent de son nom pour couvrir des entreprises charlatanesques »…
(http://www.pseudo-sciences.org/)

À dire vrai, cela ne m’a pas étonnée, car cette association est connue pour ses prises de position scientistes pures et dures et son soutien sans faille à l’establishment scientifique, dont elle estime que la parole et les travaux ne sauraient être questionnés par des citoyens aussi ignares qu’impies parce que non scientifiques. C’est précisément au nom de cette science « au-dessus de la mêlée » et qui n’a de compte à rendre à personne, qu’ont pu avoir lieu les grands scandales sanitaires des vingt dernières années : affaire du sang contaminé, crise de la vache folle, drame de l’hormone de croissance, ou désastre criminel de l’amiante.

Concernant ce dernier dossier, je voudrais rapporter une anecdote à laquelle je n’ai cessé de repenser au fur et à mesure que s’allongeait la liste des victimes de l’amiante : au milieu des années 1980, journaliste fraîche émoulue, j’ai travaillé régulièrement pour une agence de presse institutionnelle qui réalisait notamment le journal d’entreprise d’Everite, une filiale de Saint Gobain, spécialisée dans la production d’ardoises et de tôles en fibrociment.
À plusieurs reprises, je me suis rendue dans ses usines , situées à Dammarie-les-Lys et à Descartes, où j’étais censée témoigner des mesures de sécurité mises en place par Saint Gobain pour protéger ses ouvriers des méfaits (mortels) de l’amiante.
Je me souviens d‘une interview que j’avais réalisée d’un responsable scientifique du Comité permament amiante (CPA) qui m’avait doctement expliqué que si la concentration en fibres d’amiante par mètre cube d’air ne dépassait pas un certain seuil, alors l’exposition était sans risque. Il donnait pour preuve des études scientifiques « au-dessus de tout soupçon » que, bien sûr, je m’étais empressée de citer dans mon article…
Comment imaginer les mensonges et manipulations qui allaient conduire à l’un des plus grands scandales sanitaires que la France ait jamais connus ?

On sait, aujourd’hui, que le CPA était sous la coupe de Saint Gobain qui a caché les effets hautement cancérigènes de l’amiante, connus depuis le début du XXème siècle. Pire : cette omerta criminelle a été couverte par des scientifiques recrutés par le CPA pour lui « fournir une caution scientifique incontestable » , selon les termes d’un rapport rédigé par le sénat (http://www.senat.fr/rap/r05-037-1/r05-037-17.html#toc32).

Après l’interdiction définitive de l’usage de l’amiante, en 1996, des ouvriers malades de Dammarie-les-Lys et de Descartes ont porté plainte contre Saint Gobain, à l’instar de milliers de victimes un peu partout en France…

De cette expérience j’ai gardé une méfiance viscérale par rapport à la parole officielle des scientifiques surtout quand elle est liée aux intérêts des industriels, et un attachement indéfectible au principe de précaution, n’en déplaise à nos amis de l’AFIS…

Revenons au site de l’AFIS, justement, qui vient donc de mettre en ligne un article intitulé sobrement « Le monde selon Monsanto. Un film de Marie-Monique Robin ».

L’avant-propos est signé par Michel Naud, un « ingénieur et chef d’entreprise », président de l’AFIS, qui se présente comme un « rationaliste scientifique » et un « bright »… (http://brightsfrance.free.fr/michel.naud.htm.)

Je note que pour lancer leur « mise en garde » contre ce que Michel Naud appelle les « contrevérités et les approximations relayées sans esprit critique » par mon enquête sur Monsanto, les auteurs de l’AFIS n’ont rien trouvé de mieux que d’avoir recours à la calomnie et à la désinformation.

Parmi les quelque deux cents reportages et documentaires que j’ai réalisés pour la télévision (voir mon CV sur le site d’ARTE), ils en ont retenu deux qui leur semblaient devoir jeter le discrédit sur mon travail.

Le premier, dont je suis très fière, concerne un documentaire que j’ai réalisé en 1994 pour M6 et Planète Câble sur le trafic d’organes en Amérique du Sud. Intitulé « Voleurs d’organes » (version longue) ou « Voleurs d’yeux » (version courte) , il a été diffusé dans une trentaine de pays et m’a valu cinq prix internationaux, dont le prix Albert Londres, et une … campagne de diffamation, orchestrée par l’USIA – United State Information Agency- une agence gouvernementale américaine, spécialisée dans ce qu’elle appelle la « white propaganda » (« propagande blanche », à la différence de la « black propaganda » de la CIA, dont l’USIA est proche).

Il m’est impossible de relater ici tous les dessous de cette incroyable affaire et je renvoie les curieux à mon livre « Voleurs d’organes. Enquête sur un trafic » que j’ai publié aux Editions Bayard (disponible sur Amazon.fr)

Je me contenterai de résumer les informations importantes que Michel Naud semble ignorer. Après la projection de mon film à la Commission permanente des droits de l’homme de l’ONU, un certain Todd Leventhal de l’USIA a commencé à propager la rumeur que j’étais « membre du KGB » (en 1995 !) , puis que j’avais payé les témoins de mon film.
Au coeur de cette campagne de diffamation se trouvait le témoignage d’une mère colombienne qui affirmait qu’on avait volé les cornées à son fils Jaison que j’ai rencontré dans un institut pour enfants aveugles de Bogota.

Face à ces accusations graves, le jury du prix Albert Londres décida de suspendre mon prix, pour vérifier le sérieux de mon enquête, ce qui fit la une des journaux.

Après vérification, il me rendit le prix, le 20 mars 1996, en soulignant qu’il « n’avait décelé aucune intention frauduleuse chez la réalisatrice, même si son reportage n’apporte pas les preuves irréfutables de ce qu’elle avance dans le cas précis de l’enfant Jaison Cruz Vargas ».

Le jury, qui me lavait du soupçon infâmant de bidonnage, ne pouvait, cependant, pas écrire autre chose : dans l’affaire du petit Jaison ( qui ne représente que cinq minutes sur un documentaire de 57 minutes), j’ai toujours su qu’il n’y aurait jamais de preuves irréfutables du crime que dénonçait sa mère, tout simplement parce que cette femme démunie d’un bidonville n’avait pas eu les moyens d’intenter un procès au moment des faits (dix ans plus tôt) et que sa parole ne faisait pas le poids face au puissant lobby des mandarins.

De fait, elle subit des pressions monstrueuses, d’abord pour se rétracter, puis pour accepter que son fils soit examiné par des médecins à Paris.

Le voyage fut organisé, en août 1995, par la clinique du Pr. José Barraquer, haut lieu des greffes de cornées internationales à Bogota, et le gouvernement colombien, alors dénoncé par Amnesty International pour son inertie face aux nombreuses violations de droits de l’homme commises dans le pays.

Le 18 septembre 1995, Me Pernet, l’avocat de l’ambassade de Colombie, rendait public le rapport du trio de médecins censé avoir examiné Jaison. Mais comme le révèle ledit rapport, il n’y eut jamais d’ « examen », mais la seule interprétation d’un dossier médical fourni par la clinique Barraquer…

En fait, l’examen était impossible, car, comme le souligneront des médecins courageux qui ont publié un contre-rapport, il avait été posé des prothèses oculaires à Jaison, peu avant son voyage à Paris, ce qui avait nécessité de « nettoyer ses cavités oculaires » rendant impossible tout examen…

En attendant, j’ai attaqué en diffamation Me Pernet ainsi que José Mackenzie, un journaliste colombien, qui m’avaient accusé de « bidonnage ».
Pour leur défense, ils ont produit le fameux rapport, qui ne leur fut pas d’un grand secours, puiqu’ils ont été tous les deux condamnés pour diffamation. Au même moment, le Pr. Barraquer était débouté de l’action qu’il avait intentée contre moi et mon producteur, l’agence CAPA, pour « préjudice commercial » (sic) , il a poursuivi jusqu’en cassation, mais en vain…

J’ajoute qu’après cette affaire qui a bouleversé ma vie, je n’ai pas pu retourner en Colombie pendant dix ans, car , comme l’a expliqué un représentant du Quai d’Orsay à Hervé Chabalier, le patron de l’agence CAPA, des « contrats » avaient été placés sur ma tête, ce qui prouve que j’avais mis le doigt sur un sujet hautement dérangeant…

Enfin, je tiens à souligner, que contrairement aux affirmations de Michel Naud, le vol d’organes n’est pas une « légende urbaine ». L’arrestation récente au Népal (7 février 2008) du médecin indien Amit Kumar, accusé de diriger depuis des années un réseau de trafic de reins, et poursuivi pour «transplantation illégale de reins, escroquerie et complot criminel», est une preuve qui s’ajoute aux multiples révélations qui ont suivi la diffusion de mon documentaire.
Il est sûr, en revanche, que si ce trafic honteux a pu se développer en toute impunité, c’est notamment grâce au déni têtu d’un certain nombre de médecins qui ont découragé toutes les tentatives d’enquête sérieuse…

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