le MON 863

Dans le communiqué du CRIIGEN que j’ai mis en ligne hier, il est fait référence à l’EFSA, l’European Food Satety Authority, un comité de scientifiques censé conseiller la Commission européenne, avant l’autorisation de mise sur le marché de produits issus de l’agro-business, dont les OGM. Je trancris ici ce que j’ai écrit dans mon livre à propos du maïs MON 863 de Monsanto, dont la mise en culture dans les champs européens a été retoquée, grâce à la pugnacité du CRIIGEN, mais aussi de Greenpeace et du gouvernement allemand…
L’exemple de ce maïs BT illustre parfaitement l’opacité et le manque de sérieux des procédures d’homologation des produits alimentaires issus des biotechnologies.

DÉBUT EXTRAIT

« Les failles du système réglementaire » : l’exemple du maïs MON 863

Alors que le gouvernement français a annoncé en janvier 2008 qu’il activait la « clause de sauvegarde » pour le maïs MON 810, suspendant la culture de ce maïs Bt de Monsanto jusqu’à ce que l’Union européenne ait examiné à nouveau son autorisation, je voudrais rappeler l’histoire du MON 863, un cousin très proche du MON 810 : le premier (MON 863) contient une toxine (Cry3Bb1) censée le protéger contre la chrysomèle des racines du maïs , tandis que le second (MON 810) a été manipulé (Cry1Ab) pour résister aux attaques de la pyrale.

L’affaire du MON 863 constitue une illustration parfaite de la manière pour le moins préoccupante dont sont réglementés les OGM en Europe.

Tout commence en août 2002, lorsque la firme de Saint-Louis dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès des autorités allemandes, à qui elle remet un dossier technique comprenant une étude toxicologique conduite pendant quatre-vingt-dix jours sur des rats.
Conformément à la réglementation européenne (voir supra, chapitre 9), celles-ci examinent alors les données fournies par Monsanto, puis transmettent un avis… négatif à la Commission de Bruxelles, au motif que l’OGM contient un marqueur de résistance à un antibiotique qui enfreint la directive 2001/18 déconseillant fortement son utilisation.
La Commission est alors tenue de distribuer le dossier aux États membres pour recueillir leurs avis, lesquels seront ensuite examinés par l’European Food Safety Authority (EFSA), le comité scientifique européen, chargé d’évaluer la sécurité alimentaire des OGM.

En France, c’est la Commission du génie biomoléculaire (CGB) qui récupère le dossier, en juin 2003. Cinq mois plus tard, le 28 octobre 2003, la CGB émet à son tour un avis défavorable, non pas à cause de la présence du marqueur antibiotique, mais parce que, comme l’expliquera Hervé Kempf dans Le Monde, elle a été « très troublée par les malformations observées sur un échantillon de rats nourris au maïs 863 ».
« Ce qui m’a frappé dans ce dossier, c’est le nombre d’anomalies, explique Gérard Pascal, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et membre de la CGB depuis sa création en 1986. Il y a ici trop d’éléments où l’on observe des variations significatives. Je n’ai jamais vu cela dans un autre dossier. Il faudrait le reprendre . »

Les « variations » incluent une « augmentation significative des globules blancs et des lymphocytes chez les mâles du lot nourri au MON 863 ; une baisse des réticulocytes (les jeunes globules rouges) chez les femelles ; une augmentation significative de la glycémie chez les femelles ; et une fréquence plus élevée d’anomalies (inflammation, régénération…) des reins chez les mâles », ainsi qu’une réduction du poids des cobayes.
Or, comme le note mon confrère du Monde, « personne n’en aurait rien su » si l’avocate Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement d’Alain Juppé et présidente du CRII-GEN , « n’avait forcé la porte de la CGB » pour obtenir, « grâce à la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) » les procès-verbaux des débats qui ont conduit à l’avis négatif de la CGB, « exceptionnel chez une commission qui a toujours été plutôt favorable à l’autorisation des OGM ».

En effet, les délibérations des comités scientifiques des pays membres de l’Union européenne, tout comme d’ailleurs ceux de l’European Food Safety Authority (EFSA), sont confidentielles, ce qui donne une idée de la transparence du processus d’évaluation des OGM…
Toujours est-il que l’affaire rebondit, le 19 avril 2004, lorsque l’EFSA, justement, émet un avis… favorable à la mise sur le marché du MON 863. D’après le Comité scientifique européen, les anomalies observées par la CGB « rentrent dans la variation normale des populations de contrôle » ; quant aux malformations rénales, elles sont « d’une importance minimale » .

Comment deux comités scientifiques peuvent-ils émettre des avis aussi différents sur un même dossier ? La réponse à cette question est fournie par la section européenne des Amis de la terre, qui a publié en novembre 2004 un rapport très détaillé (et très inquiétant) sur le fonctionnement de l’EFSA .
Créée en 2002, dans le cadre de la directive européenne 178/2002 sur la sécurité des produits alimentaires, cette institution compte huit comités scientifiques, dont un est chargé exclusivement de l’évaluation des OGM.
C’est précisément ce dernier, que nous appellerons « comité OGM », qui est l’objet du rapport.
Premier constat des Amis de la terre : « Après un an d’activité, le comité a émis dix avis scientifiques, tous favorables à l’industrie des biotechnologies. Ces avis ont été utilisés par la Commission européenne, qui subit une pression croissante de la part des industriels et des États-Unis, pour pousser les nouveaux produits transgéniques sur le marché. Ils ont aussi servi à créer la fausse impression qu’il y avait un consensus scientifique, alors que la réalité est qu’il existe [au sein du Comité] un débat intense et continu et beaucoup d’incertitudes. Des inquiétudes quant à l’utilisation politique de leurs avis ont été exprimées par des membres de l’EFSA eux-mêmes. »

D’après le rapport, cette situation serait due aux liens étroits qui unissent « certains membres » du comité OGM avec les géants des biotechnologies, avec en tête son président, le professeur Harry Kuiper. Celui-ci est en effet le coordinateur d’Entransfood, un projet soutenu par l’Union européenne pour « favoriser l’introduction des OGM sur le marché européen et rendre l’industrie européenne compétitive » ; à ce titre, il fait partie d’un groupe de travail comprenant Monsanto et Syngenta.
De même, Mike Gasson travaille pour Danisco, un partenaire de Monsanto ; Pere Puigdomenech est le co-président du septième congrès international sur la biologie moléculaire végétale, sponsorisé par Monsanto, Bayer et Dupont ; Hans-Yorg Buhk et Detlef Bartsch sont « connus pour leur engagement en faveur des OGM, au point d’apparaître sur des vidéos promotionnelles, financées par l’industrie des biotechnologies » ; parmi les (rares) experts extérieurs sollicités par le comité, il y a notamment le docteur Richard Phipps, qui a signé une pétition en faveur des biotechnologies pour AgBioWorld (voir supra, chapitre 12) et apparaît sur le site de Monsanto pour soutenir l’hormone de croissance laitière …

Les Amis de la terre examinent alors plusieurs cas, dont celui du MON 863. Il apparaît que les réticences émises par le gouvernement allemand sur la présence d’un marqueur de résistance à un antibiotique ont été évacuées d’un revers de main par le comité OGM, qui s’est fondé sur un avis qu’il a publié, le 19 avril 2004, dans un communiqué de presse : « Le comité confirme que les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont, dans la majeure partie des cas, nécessaires pour permettre une sélection efficace des OGM », y déclarait son président, Harry Kuiper.
Commentaire des Amis de la terre : « La directive européenne ne demande pas de confirmer si les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont un outil efficace pour l’industrie de la biotechnologie, mais s’ils peuvent avoir des effets nocifs sur l’environnement et la santé humaine. »
La fin de l’histoire est tout aussi exemplaire : après la publication de l’avis positif de l’EFSA, Greenpeace demande au ministère de l’Agriculture allemand de rendre public le dossier technique fourni par Monsanto (1 139 pages), pour qu’il soit soumis à une contre-expertise. Réponse du ministère : impossible, Monsanto refuse que les données soient communiquées, parce qu’elles sont couvertes par le « secret commercial ».

Après une bataille judiciaire de plusieurs mois, la firme de Saint-Louis sera finalement contrainte de les rendre publiques par une décision du tribunal de Munich, le 9 juin 2005.

« Il est tout de même incroyable que s’agissant de vérifier l’innocuité d’une plante pesticide destinée à intégrer la chaîne alimentaire, Monsanto invoque, d’abord le « secret commercial, puis intente deux actions en justice pour empêcher l’ accès aux données brutes de son étude », dénonce le professeur Gilles-Éric Séralini qui a suivi toute l’affaire de très près. D’abord, le scientifique de l’Université de Caen a réalisé, à la demande de Greenpeace, et en même temps que le docteur Arpad Pusztai , le « dissident » de l’Institut Rowett, une évaluation du dossier toxicologique arraché à la firme de Saint Louis qui a confirmé les « anomalies » constatées par la Commission française du génie génétique .
Et puis, dans le cadre du CRIIGEN, il a conduit une contre-expertise des données brutes de l’étude en appliquant une méthodologie statistique plus fine, tenant compte notamment des organes, de la dose et du temps d’exposition aux OGM. Celle-ci a révélé que les effets du maïs 863 sur les rats étaient bien plus importants que ceux constatés initialement, « ce qui indique la nécessité de poursuivre les tests ».

« En fait, commente le professeur Séralini, l’histoire du maïs MON 863 souligne l’insuffisance du processus d’homologation des OGM, qui devraient être évalués de la même manière que n’importe quel pesticide ou médicament, à savoir sur trois espèces mammifères et pendant deux ans, ce qui permettrait de mesurer leur toxicité à long terme, et pas seulement leurs éventuels effets toxiques aigus. »
En attendant, face à ces révélations encombrantes, la Communauté européenne a mis discrètement le maïs MON 863 sous le boisseau, en en interdisant la culture, mais pas l’importation, ni donc la consommation…

FIN DE L’EXTRAIT

Références: Gilles-Éric Séralini, Dominique Sellier, Joël Spiroux de Vendomois, « New Analysis of a Rat Feeding Study with a Genetically Modified Maize Reveals Signs of Hepatorenal Toxicity « , Archives of environmental contamination and toxicology, 2007, 52, pp.596-602)

Par ailleurs, il est intéressant de noter que six scientifiques, sponsorisés par Monsanto (ainsi qu’il est clairement stipulé dans l’article: « the authors gratefully acknowledge the financial and technical support provided by Monsanto Company ») ont jugé bon de réaliser un nouvel article, où fait suffisamment rare pour être souligné, apparaît dans le titre de leur communication le nom de Séralini (preuve que l’étude du chercheur du CRIIGEN représente un enjeu capital…):

« Report of an Expert Panel on the reanalysis by Séralini et al. (2007) of a 90-day study conducted by Monsanto in support of the safety of a genetically modified corn variety (MON 863) ».
Ce « rapport » a été publié dans Food and Chemical Toxicology en 2007 et peut être téléchargé sur PubMed.

Parmi les arguments avancés par les auteurs pour conclure que les anomalies constatées par le professeur Séralini chez les rats ayant mangé du mais MON 863 sont sans « importance biologique ou clinique », en figure un qui laisse rêveur: les effets ne sont pas les mêmes selon les sexes des cobayes (« occurrence in both sexes »)!

Comme le dit très justement Séralini, si on teste une pillule anticontraceptive ou n’importe quelle molécule affectant le système endocrinien ou l’appareil de reproduction, chez des hommes et des femmes, les « effets ne seront pas les mêmes » ni corrélés…

Pour tous ceux qui désirent en savoir plus, j’invite à consulter le site du CRIIGEN.

ou à regarder le reportage réalisé par France 3 sur ce sujet exemplaire.

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