L’échec du coton BT en Inde/ Rushes

Je mets ici en ligne l’interview de femmes indiennes qui ont suivi et filmé la culture du coton BT dans le secteur de Warangal (Andhra Pradesh).

Pour plus d’informations, je retranscris la partie de mon livre s’y référant:

DÉBUT EXTRAIT:

Le dramatique échec du coton transgénique de Monsanto

Le 20 février 2002, au grand dam des organisations écologistes et paysannes, le Comité d’approbation du génie génétique du gouvernement indien donne son feu vert aux cultures de coton Bt. Cela fait déjà belle lurette que les fameux négociants de Mahyco Monsanto Biotech sillonnent les campagnes du sous-continent pour vendre leurs produits transgéniques à un moment où la première vague de suicides décime les villages.
Pour attirer le chaland, la firme ne lésine pas sur les moyens : elle engage une star de Bollywood pour vanter les OGM à la télévision (très regardée en Inde), tandis que des dizaines de milliers d’affiches sont apposées dans tout le pays où l’on voit des paysans tout sourire posant à côté d’un tracteur flambant neuf, prétendument acquis grâce aux bienfaits du coton Bt.

La première année, 55 000 paysans, soit 2 % des producteurs de coton indiens, acceptent de se lancer dans l’aventure transgénique.
« J’ai entendu parler de ces semences miraculeuses qui allaient me libérer de l’esclavage des pesticides, témoigne en 2003 pour The Washington Post un paysan de vingt-six ans de l’Andhra Pradesh, l’un des premiers États à avoir autorisé la commercialisation des OGM (en mars 2002).
La saison dernière, dès que je voyais les parasites arriver, je paniquais. J’ai pulvérisé des pesticides sur mes cultures au moins vingt fois, mais cette année, ce ne fut que trois fois . »
Indépendamment de cet avantage manifeste (qui, comme nous le verrons, disparaîtra rapidement en raison de la résistance développée par les insectes aux plantes Bt), le reste du tableau est beaucoup moins brillant, ainsi que le rapportent les paysans interrogés par The Washington Post, au terme de leur première récolte OGM :
« J’ai été moins bien payé pour mon coton Bt, parce que les acheteurs ont dit que la longueur de sa fibre était trop courte, rapporte ainsi l’un d’entre eux. Les rendements n’ont pas augmenté, et comme le prix de la semence est si élevé, je me demande si cela valait la peine . »

En effet, le brevetage des semences étant (pour l’heure) interdit en Inde, la firme de Saint-Louis ne peut pas faire appliquer le même système qu’en Amérique du Nord, à savoir exiger que les paysans rachètent tous les ans leurs semences sous peine de poursuite ; pour compenser ses « pertes », elle a donc décidé de se rabattre sur le prix des semences, en le quadruplant : alors qu’un paquet de 450 grammes coûte 450 roupies pour les semences conventionnelles, son prix s’élève à 1 850 roupies pour les OGM.

Enfin, note mon confrère du Washington Post, « le ruineux ver américain n’a pas disparu »…
Ces résultats plus que médiocres n’empêchent pas Ranjana Smetacek, la directrice des relations publiques de Monsanto India , de déclarer avec un bel aplomb :
« Le coton Bt a très bien marché dans les cinq États où il a été cultivé . »

Les témoignages rapportés par The Washington Post ont pourtant été confirmés par plusieurs études.
La première a été commanditée, dès 2002, par la Coalition pour la défense de la biodiversité (CDB) de l’Andhra Pradesh, qui regroupe cent quarante organisations de la société civile, dont la Deccan Development Society (DDS), une ONG très respectée, spécialiste de l’agriculture raisonnée et du développement durable.
La CDB a demandé à deux agronomes, le docteur Abdul Qayum, ancien cadre du ministère de l’Agriculture de l’État, et Kiran Sakkhari, de comparer les résultats agricoles et économiques du coton Bollgard avec ceux du coton non transgénique, dans le district du Warangal, où
1 200 paysans avaient succombé aux promesses de Monsanto.
Pour cela, les deux scientifiques ont observé une méthodologie très rigoureuse, consistant à suivre mensuellement les cultures transgéniques, depuis les semis (août 2002) jusqu’à la fin de la saison (mars 2003), dans trois groupes expérimentaux : dans deux villages, où vingt-deux paysans avaient planté des OGM, quatre ont été sélectionnés par tirage au sort ; à la mi-saison (novembre 2002), vingt et un paysans, provenant de onze villages, ont été interrogés sur l’état de leurs cultures transgéniques, avec, à la clé, une visite de leurs champs ; enfin, à la fin de la saison (avril 2003), un bilan a été dressé auprès de 225 petits paysans, choisis de manière aléatoire parmi les 1 200 producteurs OGM du district, dont 38,2 % possédaient moins de cinq acres (deux hectares) de terres, 37,4 % entre cinq et dix acres et 24,4 % plus de dix acres (ces derniers étant considérés en Inde comme de gros paysans).
Bien évidemment, dans le même temps, étaient enregistrées, avec la même rigueur, les performances des producteurs de coton conventionnel (groupe contrôle). Si je donne tous ces détails, c’est pour bien souligner qu’une étude scientifique digne de ce nom est à ce prix, à moins de n’être que de la propagande fumeuse…

Les résultats de cette vaste enquête de terrain sont sans appel :
« Les coûts de production du coton Bt ont été en moyenne plus élevés de 1 092 roupies (par acre) que pour le coton non Bt, parce que la réduction de la consommation de pesticides a été très limitée, écrivent les deux agronomes. De plus, la baisse de rendement a été significative (35 %) pour le coton Bt, ce qui a entraîné une perte nette de 1 295 roupies en comparaison avec le coton non transgénique, lequel a enregistré un profit net de 5 368 roupies. 78 % des agriculteurs qui avaient cultivé du coton Bt ont déclaré qu’ils ne recommenceraient pas l’année prochaine . »
Pour donner de la chair à ce dispositif irréprochable d’un point de vue scientifique, la Deccan Development Society (DDC) a joint à l’initiative une équipe de « camerawomen aux pieds nus », pour reprendre l’expression du docteur P.V. Satheesh , le fondateur et directeur de l’association écologiste.
Ces six femmes qui sont toutes des paysannes illettrées et dalit (elles font partie des intouchables, situés tout en bas de l’échelle sociale traditionnelle) ont été formées aux techniques vidéos dans un atelier ouvert par la DDC, en octobre 2001, dans le petit village de Pastapur et baptisé « Community Media Trust ».
D’août 2002 à mars 2003, elles ont filmé mensuellement chez six petits producteurs de coton Bt du district de Warangal, également suivis par les deux agronomes de l’étude.
En résulte un film qui constitue un document exceptionnel sur l’échec des cultures transgéniques : on comprend, d’abord, tout l’espoir que les paysans ont mis dans les semences Bt. Les deux premiers mois, tout va bien : les plants sont en bonne santé et les insectes absents ; arrive le désenchantement : la taille des plants est très petite et les capsules moins nombreuses que dans les champs de coton conventionnel adjacents ; en octobre, alors qu’avec la sécheresse, les parasites ont déserté les cultures traditionnelles, les plantes OGM sont assiégées par les thrips du cotonnier et les mouches blanches ; en novembre, alors que débute la moisson, l’angoisse se peint sur les visages : les rendements sont très bas, les capsules difficiles à cueillir, la fibre du coton plus courte, d’où un prix de 20 % plus bas…

J’ai rencontré mes consœurs indiennes, un jour de décembre 2006, dans un champ de coton du Warangal, où elles étaient venues filmer, en compagnie de Abdul Qayum et Kiran Sakkhari. Je dois dire que j’ai été impressionnée par le professionnalisme de ces femmes magnifiques, qui, bébé dormant dans le dos, ont déployé caméra, pied, microphones et réverbérateur pour interviewer un groupe de paysans, désespérés par l’échec catastrophique de leurs cultures Bt.
Car depuis le premier rapport publié par les deux agronomes, la situation n’a fait qu’empirer, déclenchant la seconde vague de suicides qui gagnera bientôt l’État du Maharashtra.
Inquiet de cette situation dramatique, le gouvernement de l’Andhra Pradesh a conduit à son tour une étude qui a confirmé les résultats obtenus par Abdul Qayum et Kiran Sakkhari . Conscient des conséquences électorales que ce désastre pouvait entraîner, le ministre de l’Agriculture Raghuveera Reddy a alors sommé Mahyco Monsanto d’indemniser les agriculteurs pour l’échec de leurs cultures, ce que la firme s’est empressée d’ignorer.

FIN DE L’EXTRAIT

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