Les PCB polluent le Rhône

Un certain nombre d’internautes ont posté sur mon blog des commentaires concernant la pollution du Rhône par les PCB.
Je confirme qu’il s’agit bien des PCB de Monsanto: jouissant d’un brevet de vingt ans, la firme a vendu des licences un peu partout dans le monde : aux Etats Unis et en Angleterre (où Monsanto possédait des usines de production de PCB), les PCB se vendaient sous le nom de « Arochlor », en France de « Pyralène », en Allemagne de « Clophen » et au Japon de « Kanechlor ».
Effectivement les PCB ont contaminé les sédiments du Rhône, et depuis l’été dernier la pêche y est interdite ainsi que dans ses affluents.
Hier, Libération a consacré un article à cette affaire.

Un poison aussi toxique que la dioxine

« Nous avons tous des PCB dans le corps, me dit le professeur David Carpenter, qui dirige l’Institut pour la santé et l’environnement à l’Université d’Albany, dans l’État de New York. Ils appartiennent à une catégorie de douze polluants chimiques très dangereux, appelés « polluants organiques persistants » (POPs), car malheureusement ils résistent aux dégradations biologiques naturelles en s’accumulant dans les tissus vivants tout au long de la chaîne alimentaire.
Les PCB ont contaminé la planète entière, de l’Arctique à l’Antarctique, et une exposition régulière peut conduire à des cancers, notamment du foie, du pancréas, des intestins, du sein, des poumons et du cerveau, à des maladies cardiovasculaires, de l’hypertension, du diabète, une réduction des défenses immunitaires, des dysfonctionnements de la thyroïde et des hormones sexuelles, des troubles de la reproduction ainsi qu’à des atteintes neurologiques graves, car certains PCB appartiennent à la famille des dioxines… »

Et de m’expliquer que les PCB sont des molécules de biphényles où un ou plusieurs des dix atomes d’hydrogène sont remplacés par des atomes de chlore. Il existe ainsi 209 combinaisons possibles, et donc 209 PCB différents — on parle de « congénères » —, dont la toxicité varie selon le degré de chloration liée à la place et au nombre d’atomes de chlore présents dans la molécule.

En écrivant ces lignes, je ne peux m’empêcher de feuilleter Le Nouvel Observateur du 23 août 2007, qui, après Le Monde, Libération ou Le Figaro a rendu compte de ce que le Dauphiné libéré a appelé un « Tchernobyl à la française » :

« Le Rhône est pollué jusqu’à la mer, écrit l’hebdomadaire. Il présente des taux de PCB de cinq à douze fois supérieurs aux normes sanitaires européennes ! Analyse après analyse, les arrêtés préfectoraux sont tombés comme des couperets : l’interdiction de consommer ses poissons, décrétée d’abord au nord de Lyon puis appliquée jusqu’aux confins de la Drôme et de l’Ardèche, a été étendue le 7 août aux départements du Vaucluse, du Gard et des Bouches-du-Rhône. Elle pourrait bientôt frapper les étangs de Camargue, alimentés par l’eau du fleuve, voire la pêche côtière en Méditerranée et celle des coquillages et crustacés du bord de mer… »

L’alerte a été donnée fortuitement par un pêcheur professionnel piégé par sa bonne foi :

« Fin 2004, on a retrouvé des oiseaux morts en amont de Lyon, explique celui-ci à mon confrère. Le temps des analyses, les services vétérinaires, par précaution, ont interdit toute consommation de la pêche. Ce n’était qu’un cas de botulisme strictement aviaire, mais plus personne ne voulait de mes poissons. J’ai demandé des analyses complètes pour prouver qu’ils étaient bons. Et là, bingo ! Ils étaient bourrés de PCB ! »

Depuis, les services de l’État s’acharnent à déterminer l’origine de la pollution qui affecterait des centaines de milliers de tonnes de sédiments du Rhône.
Comme nous l’avons vu, la vente et l’acquisition de PCB ou d’appareils en contenant sont interdites en France, depuis 1987. Un décret du 18 janvier 2001 a transcrit en droit français une directive européenne du… 16 septembre 1996 (cinq ans après !) concernant l’élimination des PCB existants, qui doivent avoir définitivement disparu au plus tard le 31 décembre 2010.

Un plan national de décontamination et d’élimination des appareils contenant des PCB a été mis en place en… 2003. D’après l’ADEME, 545 610 appareils contenant plus de cinq litres de PCB auraient été inventoriés dans l’Hexagone au 30 juin 2002 (dont 450 000 appartenant à EDF), représentant un poids de 33 462 tonnes de PCB à éliminer.

Mais pour France Nature Environnement, on est certainement loin du compte, la déclaration des appareils à traiter étant volontaire. « Notre crainte a été de voir des pollutions diffuses de PCB dans l’environnement dues à des éliminations non maîtrisées de ces déchets, avec le risque de voir leur abandon sur des friches industrielles, ou des dépôts sauvages, ou lors de simple élimination par ferraillage », écrit l’association dans sa lettre d’information de février 2007 .

« Le problème, m’avait expliqué le professeur David Carpenter, c’est que les PCB sont très difficiles à détruire. Le seul moyen, c’est de les brûler à de très hautes températures dans des incinérateurs spécialisés capables aussi de traiter la dioxine que provoque leur combustion. »

En France, deux usines sont homologuées pour conduire cette mission délicate : l’une est située à Saint-Auban, dans les Alpes-de-Haute-Provence, l’autre à Saint-Vulbas, dans l’Ain, au bord du Rhône.
Or, d’après les informations recueillies par Le Nouvel Observateur, jusqu’en 1988, celle-ci était autorisée à déverser trois kilos de résidus de PCB quotidiennement dans le fleuve (aujourd’hui, la quantité maximale est de trois grammes par jour)…
À cette source possible de contamination, s’ajoutent sans doute aussi les rejets effectués par les nombreuses entreprises utilisant le Pyralène dans le « couloir de la chimie », qui ont laissé leurs huiles aux PCB s’infiltrer dans les sols, puis dans les nappes phréatiques et les cours d’eau voisins.

« Pendant des décennies, aux États-Unis comme partout dans le monde, les pouvoirs publics ont relayé le silence organisé par Monsanto sur la toxicité des PCB, commente le professeur Carpenter, tout le monde a fermé les yeux sur les effets de ce poison aussi dangereux que la dioxine. »
Il suffit de lire le document transmis au Congrès américain, en 1996, et rédigé par le ministère de la Santé et l’EPA, pour comprendre en effet que les « implications sanitaires de l’exposition aux PCB » sont gravissimes .

Comprenant une trentaine de pages, il présente rien moins que 159 études scientifiques, menées aux États-Unis, en Europe et au Japon, qui parviennent toutes à la même conclusion : les trois sources principales de la contamination humaine par les PCB sont l’exposition directe sur le lieu de travail, le fait de vivre à proximité d’un site pollué et, surtout, la chaîne alimentaire, la consommation de poissons étant de loin la plus risquée…

De plus, tous les chercheurs ont constaté que les mères contaminées transmettaient les PCB par le lait maternel et que ceux-ci pouvaient provoquer des dommages neurologiques irréparables chez les nouveaux-nés, qui grandissent avec ce que les médecins appellent un « désordre de l’attention » et un QI nettement plus bas que la moyenne.
La toxicité dévastatrice des PCB a pu être étudiée minutieusement à cause d’un accident survenu au Japon, en 1968 : 1 300 personnes de la région de Kyushu consommèrent de l’huile de riz contaminée par des PCB, à la suite d’une fuite survenue dans un système de réfrigération. Elles furent atteintes d’une maladie appelée dans un premier temps « Yusho » (ce qui signifie « maladie dermatologique provenant de l’huile »), caractérisée par des éruptions cutanées graves, une décoloration des lèvres et des ongles et un gonflement des articulations. Quand il s’avéra que l’origine de la mystérieuse maladie était les PCB, des chercheurs entreprirent d’effectuer un suivi médical des victimes à long terme. Les résultats montrent que les enfants nés de mère contaminées pendant leur grossesse présentaient un taux de mortalité précoce et/ou un retard mental et comportemental importants ; de plus, le taux de cancer du foie était quinze fois plus élevé chez les victimes que dans la population normale, tandis que l’espérance de vie moyenne était considérablement réduite. Enfin, les PCB étaient toujours détectables dans le sang et le sébum des personnes contaminées vingt-six ans après l’accident.

Ces résultats furent confirmés par une étude portant sur 2 000 personnes de Taiwan, contaminées en 1979 dans les mêmes conditions que leurs voisins japonais (« accident de Yu-Cheng ») . Ces deux événements dramatiques expliquent l’affolement qui s’est emparé des pouvoirs publics belges, quand, en janvier 1999, éclata l’affaire des « poulets à la dioxine ». L’origine était aussi le mélange accidentel de PCB avec des huiles de cuisson, qui furent ensuite introduites dans des aliments destinés aux poulets, mais aussi aux cochons et aux vaches d’élevages intensifs.
De la litanie d’études présentées dans le document de l’EPA, j’en retiendrai deux autres particulièrement dramatiques. L’une concerne 242 enfants nés de mères (d’origine amérindienne ou femmes de pêcheurs amateurs) qui avaient consommé régulièrement des poissons du Lac Michigan, six ans avant et pendant leur grossesse : tous présentèrent une baisse de poids à la naissance et un déficit persistant de l’apprentissage cognitif.
L’autre concerne les Inuits de la Baie d’Hudson, particulièrement exposés : la contamination maximale a en effet été enregistrée, au sommet de la chaîne alimentaire, chez les mammifères marins comme les phoques, les ours polaires et les baleines — dont certaines espèces, comme les épaulards, sont menacées d’extinction par les PCB …

FIN DE L’EXTRAIT

J’informe mes lecteurs que la FRAPNA (la Fédération Rhône Alpes de protection de la nature) organise une cmapgne pour rassembler des dons afin de financer des études sur la pollution du Rhône par les PCB.

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