Les déportés du libre échange (2)

Je mets en ligne le texte que j’ai remis au service de presse d’ARTE pour annoncer mon reportage « Les déportés du libre échange« . Pour les anglophones, je recommande vivement de consulter le site du Pr. Timothy Wise, de l’Université Tufts de Boston, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’ALENA (North American Free Trade Agreement-NAFTA) et de ses conséquences désastreuses pour l’économie, et notamment l’agriculture mexicaine. J’ai longuement interviewé le Pr. Wise que les spectateurs retrouveront, en octobre 2012,  dans mon film « Comment on nourrit les gens? » (photo 1):

http://www.ase.tufts.edu/gdae/policy_research/MexicoUnderNafta.html

Par ailleurs, j’ai aussi interviewé pour « Les déportés du libre échange » Julie Greene, professeure d’histoire à l’Université du Maryland, qui a écrit un article très complet sur l’ALENA (et prépare un ouvrage), en s’intéressant précisément au lien qui unit le maïs (transgénique) subventionné qu’elle cultive sur la ferme de ses parents dans le Nebraska, et les milliers de sans papiers mexicains qui travaillent dans les usines à viande de l’Etat (photo 2). Publié dans Dissent, cet article a été traduit (en partie- dans Courrier International (N° 1059, février 2011):

http://www.dissentmagazine.org/article/?article=3677

Enfin, parmi les différents experts que j’ai interviewés pour « Les déportés du libre échange », il y a notamment Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui a dressé un bilan très sévère de la situation alimentaire au Mexique, depuis l’ALENA, et que l’on voit (photo 3), lors de sa rencontre avec les sénateurs mexicains, en juin 2011. Comme on leur verra dans mon reportage, nombreux sont les sénateurs qui demandent, aujourd’hui, une révision de l’ALENA, pour que soit retiré de l’accord le volet agricole, en raison précisément du dumping déloyal des Etats Unis qui  a conduit sur la route de l’exil (comme dans la chanson « Deportees » de Woodie Guthrie) trois millions de petits paysans et leurs familles., tandis que les multinationales , comme Cargill-Monsanto, s’emparaient des clés de l’alimentation nationale.

Voici mon texte:

Le 1er janvier 1994, entrait en vigueur l’Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA), signé en décembre 1992 par les Etats Unis, le Canada et le Mexique. Prônant la déréglementation et le renoncement à  toute forme de protectionnisme, il exigeait des trois pays partenaires l’abolition de toutes les taxes d’importation et le démantèlement des aides destinées à soutenir les agricultures et industries nationales. Reprenant les credos de la vulgate ultra-libérale, les signataires de l’accord affirmaient que celui-ci allait entraîner un développement sans précédent des échanges commerciaux entre les trois pays, qui allaient pouvoir faire jouer à plein leur « avantage comparatif ». Le Mexique, par exemple, le pays le plus pauvre du trio, allait pouvoir produire des fruits et légumes en contre-saison pour les exporter « librement » vers ses grands voisins du nord. De même, la « libre concurrence » allait lui permettre de se procurer de la nourriture moins chère et d’entrer dans le club des nations développées grâce à l’accroissement du volume de ses exportations, dont les bénéfices allaient irriguer toute l’économie mexicaine, entraînant un « bien être général » (principe du « donnant donnant »).

Seize ans plus tard, la belle fiction a tourné au scénario catastrophe. Certes, d’ après le FMI, le commerce total entre les USA et le Mexique a triplé entre 1993 et 2004, et toutes les heures, le Mexique importe des produits agricoles et alimentaires des Etats Unis pour une valeur d’ un million et demi de dollars, mais , toutes les heures aussi, trente Mexicains quittent la campagne pour émigrer clandestinement aux Etats Unis, tandis que progressent les taux de malnutrition (mais aussi d’obésité) et de pauvreté dans tout le pays.

De fait, l’ALENA a littéralement laminé l’agriculture mexicaine, et notamment les petits paysans (21% de la population active) qui exploitent, en moyenne, cinq hectares de cultures vivrières : fruits, légumes et maïs, la plante sacrée des mayas et aztèques, qui constitue l’aliment de base depuis la nuit des temps.

Au nom du « libre échange », le Mexique a progressivement démantelé le système qui avait pourtant permis son autosuffisance alimentaire pendant des décennies, à savoir des prix garantis aux producteurs locaux et un contrôle des prix pratiqués dans les villes (soutien à la consommation).  Dans le même temps, le pays s’est retrouvé inondé de maïs américain (transgénique) vendu à un prix trois fois inférieur au maïs « criollo » (local), en raison des subventions accordées par Washington aux producteurs américains. Quinze ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA, le Mexique importait vingt millions de tonnes de maïs provenant du nord du Rio Grande, soit 40% du marché national, commercialisées par des multinationales de l’agroalimentaires, qu’elles soient américaines  comme Cargill-Monsanto,  ou mexicaines comme Maseca.

Incapables de résister à cette concurrence que d’aucuns dénoncent comme un dumping déloyal , trois millions de petits paysans ont dû cesser leur activité et rejoindre les bidonvilles mexicains ou tenter leur chance comme travailleurs clandestins aux Etats Unis. Un grand nombre des « indocumentados «  travaillent dans les usines d’abattage et de conditionnement de la viande qui ont poussé comme des champignons dans les Etats de l’Iowa ou du Nebraska, tandis que le flux sans précédent d’immigrés clandestins provoquait des  réactions de xénophobie aux Etats Unis.

On a vu le résultat de cette politique en 2007 lorsque le prix du maïs des Etats Unis a doublé en raison de la demande en biocarburants: en un mois, le prix de la tortilla de maïs a augmenté de 50% suscitant les premières émeutes de la faim du XXIème siècle…

Photo 4: Avec José et Hilda, un couple de paysans de l’Etat de Zacatecas que l’ALENA a ruiné, en raison des importations massives de maïs et de haricots des Etats Unis, subventionnés et vendus à un prix 20% au dessous du coût de production d’après les études de Timothy Wise.

Tous sur ARTE, le 4 février à 18 heures 50 ! Bande annonce: « Les déportés du libre échange »

Avant toute chose: bonne année!

Très prise par le tournage de mon prochain documentaire « Comment on nourrit les gens? », qui sortira sur ARTE en octobre 2012 (avec un livre), j’ai un peu déserté mon Blog ces deux derniers mois. Mais j’y reviens avec une bonne nouvelle: le 4 février prochain, à 18 heures 50, ARTE Reportage diffusera « Les déportés du libre échange », un documentaire de 26 minutes, et la première production de M2RFilms, la maison de production que j’ai créée l’année dernière:

http://www.m2rfilms.com/

En juin 2011, en effet,  j’ai accompagné Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, lors de sa mission au Mexique. Alors que le budget de mon nouveau film « Comment nourrir les gens ? » était loin d’être bouclé, j’avais décidé de filmer le voyage du représentant de l’ONU, car je savais que l’histoire récente du Mexique est l’illustration parfaite de ce qu’il faut faire si on veut … affamer un peuple.

Ce que j’ai découvert dépassait tout ce que j’avais pu imaginer : depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) en janvier 1994, trois millions de petits paysans ont dû quitter l’agriculture pour rejoindre les bidonvilles de Mexico ou tenter leur chance clandestinement aux Etats Unis, où ils travaillent dans des conditions infra-humaines comme ouvriers agricoles ou esclaves des temps modernes dans les usines à viande du Nebraska ou d’ailleurs.
Alors qu’avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant d’un point de vue alimentaire, aujourd’hui il dépend des Etats Unis d’où il importe 40% de ses aliments. En janvier 2007, il a connu les premières émeutes de la faim de son histoire, provoquées par la flambée du prix de la tortilla de maïs qui constitue l’aliment de base de la population.

Comment en est-on arrivé à cette situation désastreuse  (où Cargill-Monsanto joue un rôle très néfaste…)? Après mon voyage en juin, j’ai proposé à Marco Nassivera, le responsable d’ARTE Reportage, de réaliser un documentaire spécifique sur l’ALENA et ses conséquences sur l’agriculture et la sécurité alimentaire du Mexique. Pour le réaliser, je suis retournée au Mexique, puis aux Etats Unis, en octobre dernier. J’ai notamment filmé dans l’Etat du Zacatecas, à 700 kilomètres au nord de Mexico. D’après le dernier recensement, il y a aujourd’hui plus de Zacatenos vivant aux Etats Unis (1 600 000) qu’à l’intérieur de l’Etat (1 400 000) . Dans les villages sont restés les femmes, les enfants et les anciens. Ils survivent grâce aux « remesas », l’argent envoyé par leurs proches qui ont émigré aux Etats unis En 2007, les remesas ont rapporté 20 milliards d’Euros au Mexique.

La  vidéo ci-dessous a été filmée lors d’une réunion organisée par l’UNORCA, un syndicat agricole qui fait partie de Via Campesina, dans le petit village de San Pablo, où l’on m’a demandé de me présenter ainsi que mon travail.

Le Bisphénol A a du plomb dans l’aile : à quand les sanctions contre les experts qui ont nié sa toxicité ?

Le 27 septembre dernier,   rompant avec l’incroyable déni et la surdité suspecte de son ancêtre l’AFSSA, l’ANSES (l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a – enfin ! –   reconnu la toxicité du Bisphénol A, et notamment lors d’une exposition à de très faibles doses. La vénérable institution souligne  l’ existence d’effets « avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme, même à de faibles niveaux d’exposition » au Bisphénol A. Puis, elle déclare « disposer de suffisamment d’éléments scientifiques » pour affirmer que «  l’objectif prioritaire consiste à réduire les expositions au bisphénol A des populations les plus sensibles ». A savoir : les femmes enceintes et les enfants en bas âge. Que de temps perdu ! Que d’irresponsabilité de tous ces « experts » à l’indécente langue de bois que j’ai côtoyés pendant deux ans et dont j’ai rapporté les arguments peu convaincants dans mon film et livre Notre poison quotidien.

Dans son rapport, l’ANSES explique qu’elle a épluché toute la littérature scientifique existante portant sur les effets éventuels du Bisphénol A – enfin ! -, reconnaissant ainsi que pendant des années l’AFSSA a sciemment ignoré des dizaines d’études montrant lesdits effets, en se bornant à « évaluer » les études truquées et manipulées de l’industrie, ainsi que je l’ai soigneusement relaté dans mon livre et film. C’est tout simplement honteux…

En couchant ces lignes, je repense aux déclarations fracassantes de Roselyne Bachelot devant l’assemblée nationale il y a un peu plus de deux ans.

Voici ce que j’écrivais dans mon livre :

« Je rappelle que le principe de précaution ne s’applique qu’en l’absence d’étude fiable. En l’occurrence, les études fiables existent ; elles concluent, en l’état actuel des connaissances scientifiques, à l’innocuité des biberons en bisphénol A. […] Ces études sont confirmées par l’ensemble des grandes agences sanitaires. » C’était le 31 mars 2009, au Parlement français : Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, répondait aux questions du député centriste de Seine-Saint-Denis Jean-Christophe Lagarde, qui demandait que, comme au Canada, le gouvernement applique le principe de précaution au moins pour les biberons contenant du bisphénol A. Affirmant avec force que « le principe de précaution est un principe de raison, il n’est en aucun cas un principe d’émotion », la ministre a asséné, imperturbable : « Les autorités canadiennes ont décidé son interdiction sous la pression de l’opinion publique, sans que cette décision repose toutefois sur aucune étude scientifique sérieuse. » Gageons que ces phrases malencontreuses entacheront à jamais l’image de celle qui, quelques mois plus tard, se lança à corps perdu dans la désastreuse affaire du vaccin contre la grippe H1N1[1].

Deux mois plus tard, c’était au tour de Marie Favrot, l’ « experte » en charge du dossier BPA à l’AFSSA, de nier publiquement les effets de l’hormone de synthèse sur les organismes en développement, ainsi que je l’ai rapporté dans mon livre:

« L’exposition du fœtus par contamination de la mère est négligeable, a ainsi déclaré Marie Favrot, directrice de l’évaluation des risques nutritionnels et sanitaires de l’(ex)-Afssa, lors d’un colloque organisé le 5 juin 2009 à l’Assemblée nationale par le RES et Gérard Bapt (président du Groupe santé environnementale à l’Assemblée nationale). Les études n’ont bien sûr pas pu être faites avec le BPA lui-même, mais on est parti des études faites sur le paracétamol, qui a des similitudes de structure et surtout utilise le même métabolisme de détoxification. »

Devant l’indignation manifestée par le chimiste et toxicologue André Cicollela, le porte-parole du Réseau Environnement Santé (RES), Pascale Briant , la directrice de l’AFSSA n’avait pas eu peur du ridicule en soutenant :

– Le problème, c’est qu’on ne peut pas protéger correctement nos concitoyens sur la base de l’émotion…

–          Mais comment pouvez-vous parler d’“émotion” ?, s’était énervé André Cicollela. Comment pouvez-vous parler d’émotion devant l’ensemble de ces données scientifiques ? »

Dans un deuxième rapport, l’ANSES a dressé la liste de tous les produits qui contiennent la dangereuse molécule. Et elle est « impressionnante » souligne Le Monde dans son édition du 28 septembre  . De fait, le poison chimique est utilisé dans  rien moins qu’une soixantaine de secteurs d’activités ! Les emballages alimentaires, bien sûr, mais aussi les « lunettes et lentilles de contact, CD et DVD, câbles, mastics, adhésifs, électroménager, articles de sport, appareils médicaux, revêtements de sol, vernis et peintures, encres d’imprimerie, etc »

Les experts ont retenu trois catégories d’effets « suspectés » sur la santé humaine: fertilité féminine, pathologies cardiovasculaires et diabète. Et sept effets « avérés » chez l’animal : «  l’avancement de l’âge de la puberté, l’augmentation de la survenue de kystes ovariens et de lésions de la glande mammaire, l’altération de la production spermatique ». Par « lésions de la glande mammaire », il faut entendre « cancer du sein », car, ainsi que me l’ont expliqué Ana Soto et Carlos Sonnenschein, chercheurs à l’université Tufts (Boston) , les « lésions observées chez les jeunes rattes exposées à de très faibles doses de Bisphénol A in utero, conduisent généralement à des cancers mammaires ».

Le rapport de l’ANSES conclut à l’existence de ces « effets à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires, et plus particulièrement lors de certaines périodes de la vie », comme la grossesse et la vie pré et postnatale. Diantre ! Exit la DJA de 0,05 mg / kilo de poids corporel à laquelle la pauvre Pascale Briant et ses petits camarades de l’EFSA s’accrochaient lamentablement il y a à peine deux ans.

En écrivant ces lignes, je repense aussi au pauvre Alexandre Feigenbaum, l’ « expert » de l’EFSA, l’agence européenne de la sécurité des aliments. Je retranscris ici ce que j’ai écrit dans mon livre à propos de cette rencontre affligeante :

Comment est-ce possible ? Alors que je roulais sur l’autoroute reliant Bologne à Parme (Italie), le 19 janvier 2010, cette question ne cessait de me poursuivre. Ce jour-là, j’avais rendez-vous avec quatre représentants de l’EFSA, dont Alexandre Feigenbaum, le chef de l’unité chargée de l’évaluation des matériaux au contact avec les aliments (groupe CEF).

« Pourquoi avez-vous rejeté les études d’Ana Soto ? », ai-je demandé à Alexandre Feigenbaum en ouverture de notre entretien – enregistré par mon équipe de tournage, comme les trois autres interviews que j’ai réalisées à l’EFSA, mais aussi par les trois représentants de l’Autorité européenne qui étaient assis dans mon dos… « Elles ne répondent tout simplement pas aux critères sur la qualité des études, m’a répondu l’expert. Il est possible que… Ce sont des effets isolés que l’on peut voir ; comment voulez-vous être certain que ce que vous pouvez voir, soit dans des tubes à essai, soit sur un nombre restreint d’animaux, ait une signification pour la santé humaine ? Nous, nous sommes obligés de prendre des études valides et acceptées par la communauté scientifique. Et vous savez bien que les études d’Ana Soto ne le sont pas…

– Et qu’en est-il des études de Frederick vom Saal de l’Université Cornell  ?, ai-je poursuivi, préférant ignorer l’énormité de ce que je venais d’entendre.

– Cela fait une quinzaine d’année que M. vom Saal essaie de convaincre la communauté scientifique de prendre en compte ses études. Et il n’a pas convaincu : toutes les agences nationales ou internationales en charge de l’évaluation du risque, que ce soit la FDA, que ce soit en Nouvelle-Zélande, au Japon, le BFR en Allemagne, ou la FSA en Angleterre, toutes sont d’accord avec notre démarche d’évaluation du risque et avec la DJA que nous avons établie…

– Comment expliquez-vous que l’EFSA ne prenne pas en compte les centaines d’études universitaires qui montrent des effets du bisphénol A à des doses largement inférieures à la DJA ?, ai-je insisté, de plus en plus découragée.

– C’est sûr qu’on voit des effets dans la plupart de ces études, mais on ne sait pas ce que signifient ces effets pour la santé humaine, m’a répondu l’expert européen, après un long monologue incompréhensible, que je préfère épargner au lecteur. Comment voulez-vous qu’une agence qui est responsable de donner un avis sur la sécurité des consommateurs puisse se fonder sur des études qui ne sont pas validées, ou pas répétables ?

En écrivant ces lignes, je pense aussi au  pauvre Jean-François Narbonne, dont j’ai révélé sur ce blog les liens avec … Total. Or, Total c’est … Arkema,   l’un des premiers fabricants français de … Bisphénol A. Le laboratoire du toxicologue de Bordeaux qui a manifestement été recruté par l’industrie pour discréditer  Notre poison quotidien (voir sur ce Blog) est entièrement financé par … Total, ainsi qu’il l’a lui-même indiqué sur la déclaration de conflit d’intérêt qu’il a remis à l’AFSSA (et que l’on peut consulter sur mon Blog). Cela explique (peut-être !) l’empressement de Narbonne à signer le dernier avis de l’AFSSA (octobre 2008) sur le Bisphénol A, où bien sûr l’agence concluait à l’innocuité du poison chimique, y compris pour les biberons !  Il faut dire que parmi les « experts » il y avait aussi Jean-François Régnier qui travaille justement pour … Arkema !

Pauvre Jean-François Narbonne qui lors d’une émission de France Culture (Le Grain à moudre, du 15 mars) à laquelle je participais avec Bruno Le Maire , le ministre de l’agriculture, déclara avec aplomb que si le parlement français a interdit l’usage du BPA dans les biberons, en juillet 2009, c’était pour « faire plaisir à une poignée d’écolos » !

Le même Narbonne , qui fit preuve d’une mauvaise foi stupéfiante tout au long de l’interview qu’il a accordée  à Gil Rivière-Weckstein , le journaliste du site Agriculture et environnement (financé par l’industrie agroalimentaire et chimique). Dans cet « entretien » le toxicologue de Bordeaux s’attaque au Réseau Environnement Santé d’ André Cicollela qui n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur les effets à faibles doses du Bisphénol A :

En réalité, je me demande si l’objectif du reportage de Marie-Monique Robin – et la motivation des soutiens dont elle a bénéficié – n’est pas tout simplement la suppression des agences sanitaires et le transfert de l’évaluation des risques vers des lobbies associatifs privés (ce que certains appellent « l’expertise citoyenne  »). En effet, je constate que son reportage assène les mêmes contre-vérités scientifiques que celles véhiculées par certaines associations, notamment le Réseau environnement santé. Au sein de l’Anses, nous avons proposé plusieurs fois à ces leaders d’opinion de se porter candidats comme experts, puisqu’ils estiment que le travail effectué est tellement critiquable. Or, ils n’ont jamais répondu à ces appels. À croire qu’ils préfèrent manipuler l’opinion publique, et nos élus, plutôt que participer aux travaux – bien moins médiatiques – de l’évaluation scientifique des risques. Dans ces conditions, on peut se demander s’ils s’intéressent vraiment à la santé des citoyens.

Quel culot ! Quand on sait qu’André Cicollela a posé sa candidature à l’AFSSA, mais que celle-ci n’a jamais daigné lui répondre, ainsi qu’il l’a révélé lors de l’audition qu’il avait organisée au Parlement en juin 2009, en présence de Pascale Briant, laquelle s’est contentée de bafouiller…

Pour en finir avec le revirement à 180 degrés de l’ANSES, je voudrais citer ce bel aveu de Dominique Gombert, directeur de l’évaluation des risques, qui dans  Le Monde du 28 septembre ( « Même à faible dose , le bisphénol A constitue un danger pour l’homme ») se pose – enfin ! – la question qui est au cœur de mon film et livre : « A partir du moment où il existe des fenêtres de susceptibilité extrêmement fortes pour certaines populations sensibles, la notion de dose de référence a-t-elle encore un sens ? » Diantre !

En conclusion ,  « L’ANSES va transmettre immédiatement ses conclusions aux instances européennes en vue d’examiner la pertinence d’une révision des doses de référence » !

Rappelons qu’en septembre 2010 l’incorrigible EFSA « avait estimé qu’aucun élément scientifique ne rendait nécessaire d’abaisser la DJA pour le Bisphénol A », comme le souligne Le Monde

Et puis, mercredi 28 septembre, l’Assemblée nationale a voté à une large majorité une proposition de loi demandant l’interdiction du BPA dans tous les conditionnements alimentaires à  partir du 1er janvier 2004. « Un délai qui doit permettre aux industriels de mettre au point des substituts et aux autorités sanitaires de vérifier leur innocuité » a précisé la députée Michèle Delaunay.

Pauvre Jean-René Buisson,le patron de l’industrie agro-alimentaire , que j’ai eu l’insigne honneur de croiser sur un plateau de télévision de France 2 , puis à France Inter , et qui s’est dit « surpris » de tant de mauvaises nouvelles …

Quitte à énerver encore plus Jean-René Buisson et consorts, Notre poison quotidien continue de remplir les salles de France et de Navarre. Je mets ici en ligne deux photos prises lors d’une projection débat, organisée à Tours le 28 septembre avec François Veillerette du Mouvement pour les générations futures.

Enfin, je vous informe que le DVD Our Daily Poison vient de sortir aux Etats Unis. Je profite du tournage que j’effectue actuellement au Mexique et aux Etats Unis pour mon prochain film et livre « Comment on nourrit les gens » (voir sur mon site m2rfilms.com) pour participer au lancement du DVD le 18 octobre à l’Université californienne de Berkeley.


[1] Le 17 mai 2010, les députés français adopteront finalement une loi interdisant la commercialisation des biberons en polycarbonate contenant du bisphénol A…

agenda septembre 2011

Jeudi 22 septembre: séance de dédicaces de mon livre Notre poison quotidien à la librairie Larmitière projection  à Rouen (18 heures), suivie d’une projection du film au cinéma Le Melville (20 heures).

Mercredi 28 septembre, projection de Notre poison quotidien, suivie d’un débat, à la Salle des mariages de la mairie de Tours (20 heures)

jeudi 29 septembre, projection de Notre poison quotidien au Centre d’animation de la Place des Fêtes, au rue 8 rue des Lilas , Paris 19ème , à 19 heures 30, suivie d’un débat et d’une séance dédicaces.

samedi 1er octobre, participation à une table ronde au Festival du « Livre vert. Livre ouvert » » de l’Echo Parc de Mougins (Alpes Maritimes):

http://www.ecoparc-mougins.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=87

Pesticides: rien n’arrêtera la prise de conscience!

Je rentre d’un court séjour au Brésil, où le festival du cinéma de Salvador de Bahia a présenté mon film « Notre poison quotidien », en avant première dans ce pays qui représente le premier consommateur de poisons agricoles d’Amérique latine. Au même moment une coalition d’une cinquantaine d’ONG lançait une campagne nationale de sensibilisation aux dégâts causés par les pesticides. J’ai participé à l’inauguration de la campagne à Salvador de Bahia :

Puis j’ai rejoint Rio de Janeiro où mon film a été projeté devant 3OO étudiants de l’école polytechnique de la FIOCRUZ (l’équivalent brésilien de l’INSERM) :

http://www.sinpaf.org.br/modules/smartsection/item.php?itemid=537

Bien évidemment, les futurs ingénieurs et médecins ont posé de nombreuses questions sur le roundup de Monsanto dont le pays est inondé, en raison des cultures de soja transgénique. Je leur ai commenté les différentes études montrant que l’herbicide est cancérigène et considéré comme un perturbateur endocrinien, au point de susciter des inquiétudes y compris au Canada :

http://www.gretess.uqam.ca/?p=185

Je leur ai cité l’article du Monde, publié le 9 août dernier, que je transcris ici  qui confirmait ce que j’ai écrit il y a … plus de trois ans ! Les responsables politiques – français et européens- qui continuent de pratiquer la politique de l’autruche en refusant de réexaminer l’autorisation de mise sur le marché du roundup, auront des comptes à rendre dans un avenir que j’espère très proche, car disons les choses clairement : leur inertie n’est pas seulement irresponsable, elle est aussi criminelle.

Voici l’article :

Nouvelles charges contre le Roundup de Monsanto

Des chercheurs reprochent à Bruxelles sa lenteur à réévaluer la toxicité de l’herbicide à la lumière d’études récentes

Le Roundup et son principe actif, le glyphosate, sont de nouveau au centre d’une controverse. Dans un rapport édité par Earth Open Source (EOS), une petite organisation non gouvernementale (ONG) britannique, une dizaine de chercheurs mettent en cause les autorités européennes pour leur peu d’empressement à réévaluer, à la lumière de nouvelles données, l’herbicide à large spectre le plus utilisé au monde. Le texte, qui circule sur Internet depuis juin, rassemble les indices selon lesquels le pesticide phare de Monsanto est potentiellement tératogène – c’est-à-dire responsable de malformations foetales.

Les auteurs du rapport citent notamment une étude publiée, fin 2010, dans Chemical Research in Toxicology, selon laquelle l’exposition directe d’embryons de batraciens (Xenopus laevis) à de très faibles doses d’herbicide à base de glyphosate entraîne des malformations. Menés par l’équipe de l’embryologue Andres Carrasco, de l’université de Buenos Aires, ces travaux identifient en outre le mécanisme biologique à la base du phénomène : exposés au phytosanitaire, les embryons de Xenopus laevis synthétisent plus de trétinoïne, dont l’effet tératogène est notoire chez les vertébrés.

Monsanto réfute ces conclusions, précisant qu’une exposition directe, « irréaliste », permettrait aussi de conclure à la tératogénicité de la caféine… « Le glyphosate n’a pas d’effets nocifs sur la reproduction des animaux adultes et ne cause pas de malformations chez la descendance des animaux exposés au glyphosate, même à très fortes doses », ajoute Monsanto sur son site Web.

Pourtant, le dernier rapport d’évaluation du glyphosate par la Commission européenne, daté de 2001, qui repose au moins en partie sur les études toxicologiques commanditées par l’agrochimiste lui-même, précise qu’à hautes doses toxiques, le glyphosate provoque chez le rat « un plus faible nombre de foetus viables et un poids foetal réduit, un retard d’ossification, une plus forte incidence d’anomalies du squelette et/ou des viscères ».

Selon EOS, les observations d’Andres Carrasco coïncident avec des effets suspectés sur les populations humaines les plus exposées au Roundup. C’est-à-dire dans les régions où les cultures génétiquement modifiées résistantes au glyphosate (dites « Roundup Ready ») se sont imposées et où l’herbicide est donc le plus massivement épandu. Un examen des registres de la province argentine du Chaco a montré, dans la localité de La Leonesa, que l’incidence des malformations néonatales, au cours de la décennie 2001-2010, avait quadruplé par rapport à la décennie 1990-2000. Selon M. Carrasco, la commission ayant mené ce décompte a recommandé aux autorités de lancer une étude épidémiologique en bonne et due forme. « Cette recommandation n’a pas été suivie », dit le chercheur.

« Qu’il y ait un problème en Amérique du Sud avec les produits phytosanitaires, c’est probable, mais il est très difficile d’affirmer qu’il est lié au glyphosate en particulier », estime un toxicologue qui travaille dans l’industrie et reproche au rapport d’EOS des « amalgames » et « des comparaisons de chiffres trompeuses ». « En outre, ajoute-t-il, la pulvérisation aérienne est la norme là-bas, alors qu’elle est globalement interdite en Europe. »

Pour la Commission européenne, les indices rassemblés par EOS ne constituent pas un motif suffisant pour changer le calendrier en cours. La dernière évaluation du Roundup remonte à 2002. La réévaluation était prévue en 2012, mais le retard accumulé par Bruxelles va repousser ce nouvel examen à 2015.

Ce retard n’est pas la principale raison des protestations de l’ONG. « De nouvelles règles d’évaluation des pesticides, potentiellement plus contraignantes, sont en train d’être finalisées, dit Claire Robinson, qui a coordonné la rédaction du rapport d’EOS. Mais la réévaluation qui sera rendue en 2015 reposera encore sur l’ancienne réglementation, pour laisser aux industriels le temps de s’adapter. » Ce que la Commission ne dément pas.

Les nouvelles règles – qui, de source industrielle, doivent être « finalisées à l’automne » – prévoient un examen obligatoire de la littérature scientifique, en plus des études présentées par les industriels. Les travaux publiés dans les revues savantes par les laboratoires publics devront donc être systématiquement pris en compte, même si « cela ne veut pas dire qu’ils sont aujourd’hui systématiquement ignorés, loin de là », tempère Thierry Mercier, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Pour EOS, la différence est pourtant de taille. « Sous les anciennes règles, il est probable que le glyphosate obtiendra une nouvelle autorisation, dit Mme Robinson. Il faudra alors vraisemblablement attendre jusqu’en 2030 pour que ce produit subisse une réévaluation sérieuse, conforme au nouveau règlement. Alors que nous savons dès aujourd’hui qu’il pose problème. »

Les études commanditées par les industriels doivent répondre à certains critères concernant les espèces animales enrôlées dans les tests, la nature et la durée de l’exposition aux produits testés, etc. Les laboratoires universitaires – comme celui de M. Carrasco – disposent d’une plus grande latitude. Et les différences de conclusions sont parfois considérables.

Un exemple cité par EOS est celui du bisphénol A (BPA). Dans une revue de la littérature scientifique publiée en 2005 dans Environmental Health Perspectives, Frederick vom Saal (université du Missouri) estimait que 94 des 115 études académiques publiées sur le sujet concluaient à un effet significatif du BPA sur les organismes, même à très faible dose. Dans le même temps, aucune des dix-neuf études sur le même thème commanditées par les industriels ne mettait en lumière de tels effets. En France, le BPA a été interdit en 2010 dans les biberons.

Dans le cas du glyphosate et de son principal produit de dégradation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), plusieurs études publiées ces dernières années mettent en lumière leur toxicité pour certains organismes aquatiques. « Le glyphosate ou l’AMPA ne sont pas des molécules très problématiques en elles-mêmes, en tout cas moins que d’autres, explique Laure Mamy, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste du devenir de ces composés dans l’environnement. Le problème, c’est la quantité. C’est la dose qui fait le poison. »

Or, si le glyphosate se dégrade relativement rapidement, « l’AMPA peut persister plusieurs mois dans les sols ». En France, selon l’Institut français de l’environnement (IFEN), cette molécule est désormais le contaminant le plus fréquemment retrouvé dans les eaux de surface.

Son succès est donc le principal problème du Roundup. D’autant que des résistances sont apparues ces dernières années. Sur le continent américain en particulier, où les cultures génétiquement modifiées associées ont permis un usage massif du Roundup, des mauvaises herbes commencent à être de moins en moins sensibles – voire complètement résistantes – à l’herbicide phare de Monsanto. « Or, lorsque ces résistances commencent à survenir, on est parfois tenté d’augmenter les quantités épandues », dit Laure Mamy.

La bonne nouvelle, c’est bien sûr que la prise de conscience progresse partout dans le monde, et notamment en France, où je le constate à chaque présentation de mon film et livre « Notre poison quotidien » qui attire les foules.

Ainsi, le 2 septembre dernier, j’étais invitée aux Herbiers (Vendée) à l’initiative  de l’APABE, qui organisait la 8e édition du Festi bio énergies. Cette association a été créée par Emmanuel Pineau (photo), un jeune agriculteur qui pratiqua longtemps l’agriculture intensive ( maïs, élevage hors sol), avant d’être atteint d’un lymphome. Aujourd’hui, il exploite avec son père une ferme biologique qui est devenue un modèle dans toute la région.

Photos: Christophe Pitard

Même succès à Bouloire, le samedi 3 septembre, puis à Albencq, le dimanche 4 septembre.

Je remercie au passage les organisateurs du 15ème festival l’Avenir au Naturel qui ont largement fait circuler mon appel à souscriptions pour soutenir ma prochaine enquête ? » La sortie de ce film et livre est programmée sur ARTE à la fin 2012. Pour en savoir plus, allez sur mon site:

http://www.m2rfilms.com/

Par ailleurs, je signale cette chronique radio réalisée par Thierry Debeur, un gastronome réputé du Québec, qui a commenté mon livre « Notre poison quotidien » le 9 septembre . Pour l’écouter aller sur ce lien, en cliquant sur la partie 2 :

http://www.debeur.com/Radio1033FM.html

A signaler que la chronique comprend une petite erreur: le documentaire « Noter poison quotidien » existe déjà et il même été diffusé sur Télé Québec le 5 juin dernier, et sur Discovery Channel aux Etats Unis, le 19 décembre 2010!

Enfin, j’informe les internautes qu’ils peuvent aller voir une exposition de photos organisée par WWF sur les Champs Elysées. Intitulée « 50 ans d’engagement: succès d’hier et défis de demain« , elle présente une série de photos de personnalités qui oeuvrent pour la protection de l’environnement. L’exposition est visible jusqu’au 25 septembre. Je fais partie des gens photographiés. La photo a été prise par Michelle Pelletier dans mon jardin où je cultive fruits et légumes sans pesticides, bien sûr!

Argentine : rien ne va plus !

Je signale un article publié dans  Le Monde du 9 août qui concerne le désastre sanitaire et écologique qu’a entraîné le développement des cultures de soja transgénique en Argentine, ainsi que la toxicité du roundup de Monsanto.

J’avais décrit très précisément cette catastrophe annoncée dans un reportage diffusé en … 2005 sur ARTE que l’on peut visionner sur mon site internet :

http://www.mariemoniquerobin.com/crbst_24.html

Dans mon livre Le monde selon Monsanto, je consacre deux chapitres à la « sojisation » dramatique de l’Argentine, en montrant comment  le soja transgénique conduit tout droit le pays de la vache et du lait à la malnutrition et à la faim.

Lors de mon voyage en Argentine, en mars 2009, où j’ai présenté mon film et mon livre (voir mon Blog « Le monde selon Monsanto »), l’association des avocats environnementalistes d’Argentine (AAAA) m’a expliqué qu’elle se basait sur mon enquête pour encourager les plaintes  en justice des riverains, intoxiqués par le roundup, et pour demander une révision de l’homologation du poison agricole. Apparemment, cela a marché, comme l’explique cet article de Christine Legrand , la correspondante du Monde en Argentine, dont je me réjouis qu’elle s’intéresse (enfin !) à ce sujet capital.

De plus, confirmant le désastre sanitaire, un collectif de médecins et de scientifiques s’est récemment réuni à l’Université de Médecine de Rosario, pour tirer la sonnette d’alarme. Dans leur (deuxième) déclaration, ils notent l’augmentation alarmante des « cancers, avortements spontanés, troubles de la fertilité et naissances d’enfants avec des malformations congénitales » dans « toutes les communautés soumises aux épandages systématiques dus au modèle actuel de production agro-industrielle ».

Vous pouvez lire leur déclaration en espagnol ou en anglais :

http://www.reduas.fcm.unc.edu.ar/declaracion-del-2-encuentro-de-medicos-de-pueblos-fumigados/

Voici le papier du Monde :

En Argentine, les habitants exposés à l’herbicide se plaignent de multiples affections

Cancers, leucémies, malformations foetales, avortements spontanés, infertilité, problèmes respiratoires, oculaires et dermatologiques : la liste des maladies dont se disent victimes les habitants de San Jorge est interminable.

Article paru dans l’édition du 09.08.11A 600 km de Buenos Aires, avec ses 25 000 habitants, San Jorge est une coquette bourgade de Sante Fe, une des plus riches provinces agricoles de l’Argentine. Dans le quartier pauvre d’Urquiza, seule une rue en terre sépare la maison de Viviana Peralta des champs de soja où l’épandage de pesticides se fait par avion. C’est quand elle s’est rendu compte qu’Ailen, sa fille d’un an et demi, avait des crises aiguës d’asthme à chaque fois que l’avion survolait sa maison que Mme Peralta a fait le rapprochement. A l’hôpital, une pédiatre a confirmé la présence de glyphosate dans le sang d’Ailen.

Le glyphosate est le principe actif du Roundup, l’herbicide conçu et commercialisé par la compagnie américaine Monsanto, dont l’usage s’est généralisé à partir de 1997 en Argentine, pionnière en Amérique du Sud. Au contact de l’herbicide, toutes les mauvaises herbes meurent, sauf le soja RR (Roundup Ready), c’est-à-dire le soja transgénique tolérant au Roundup créé par Monsanto.

A San Jorge, les cancers ont augmenté de 30 % en dix ans. Après un épandage, les habitants racontent que leurs lèvres bleuissent, leur langue s’épaissit. Des poules meurent. Chats et chiens perdent leurs poils. Les abeilles disparaissent et les oiseaux se font rares.

Après avoir été éconduite par le maire, Viviana Peralta a pris le chemin du tribunal. Un juge l’a écoutée. Il a accepté de recevoir sa plainte ainsi que celles de 23 familles du quartier contre le gouvernement argentin, les autorités provinciales et les producteurs de soja.

Le 17 mars 2009, la justice a rendu un verdict historique en interdisant toute pulvérisation à moins de 800 m des habitations, si l’épandage se fait à l’aide de mosquitos (« moustiques »), ces tracteurs qui déploient des ailes de plusieurs mètres de long, et à moins de 1 500 m, s’il se fait par avion.

« Le glyphosate n’est pas de l’eau bénite comme on a voulu nous le faire croire ! », s’exclame Carlos Manessi, agronome et coordinateur pour la province de Santa Fe de la campagne nationale contre les épandages. Il pointe que la commercialisation du Roundup a été autorisée en Argentine sans examen scientifique préalable du gouvernement et « seulement à partir d’un rapport de Monsanto en anglais, jamais traduit ».

Les producteurs locaux de soja sont convaincus que le Roundup est inoffensif. « L’interdire serait comme interdire l’aspirine », lance l’un d’eux. La fièvre de « l’or vert » a gagné la plupart des provinces argentines, dopée par la demande des pays émergents et la flambée des cours mondiaux. L’Argentine est le 3e producteur de soja et le premier exportateur de produits dérivés (huile et farine). Le soja RR occupe plus de la moitié des terres cultivées, soit 17 millions d’hectares.

Terres brûlées

Dans le froid de l’hiver austral, de chaque côté de la route nationale 10 qui relie Santa Fe à Cordoba, autre riche province agricole, s’étendent à perte de vue des terres grisâtres, brûlées par le Roundup avant l’époque des semences. Les vaches, traditionnelles habitantes de la pampa, ont été parquées. La moindre parcelle de terre, jusqu’en bordure de route, est réservée au soja. « Tous ceux qui parlent des dangers du glyphosate sont traités de fous, ils sont accusés de vouloir s’opposer à la prospérité du pays », s’indigne Viviana Peralta. On lui a proposé de l’argent pour déménager. Malgré les menaces, un mouvement de résistance est apparu dans plusieurs provinces.

A Cordoba, l’association des Mères du quartier d’Ituzaingo dénonce plus de 200 cas de cancer pour 5 000 habitants. Dans les rues, des femmes portent un foulard sur la tête, des enfants un masque sur le visage. Traitées de « folles », les Mères ont obtenu en 2009 qu’un juge interdise l’épandage par avion à moins de 1 500 m des habitations. Mais ces interdictions ne sont pas toujours respectées. Et le Roundup peut longtemps rester en suspension dans l’atmosphère et voyager sur plusieurs kilomètres, porté par le vent et l’eau.

Nombre de notables de province et de parlementaires sont eux-mêmes producteurs de soja ou ont investi dans les semenciers. La majorité des ingénieurs agronomes travaillent pour des fabricants de pesticides. En revanche, les médecins ruraux sont de plus en plus nombreux à témoigner du « cauchemar sanitaire » : « Il affecte douze millions de personnes en Argentine », affirme Medardo Avila Vazquez, coordinateur du mouvement des Médecins des peuples victimes de l’épandage.

Dans la province de Chaco, à la frontière avec le Paraguay, dans la localité de La Leonesa, une étude a révélé qu’au cours des dix dernières années, le nombre des cancers a triplé et celui des malformations quadruplé. Une bataille juridique oppose les habitants aux producteurs de riz, la principale richesse de la région, qui utilisent du glyphosate et pratiquent l’épandage par avion. La population réclame une distance raisonnable entre les habitations, les écoles, les cours d’eau et les rizières. Mais aussi un contrôle officiel de la santé des habitants et de l’environnement.

L’embryologue Andres Carrasco, de l’université de Buenos Aires, a publié, fin 2010, une étude montrant l’effet toxique du glyphosate sur des embryons de batracien. Ce travail lui vaut des haines tenaces. Il a été agressé quand il s’est rendu à La Leonesa, et la conférence qu’il devait donner au Salon du livre a été annulée. « Je n’ai rien découvert de nouveau. J’ai seulement confirmé ce que d’autres scientifiques avaient découvert, explique-t-il. Il existe des preuves scientifiques, et surtout, des centaines de personnes qui sont la preuve vivante de l’urgence sanitaire. »

Le chercheur rappelle qu’en France et aux Etats-Unis, Monsanto a été condamné pour publicité mensongère après avoir présenté son herbicide comme « 100 % biodégradable ». En Argentine, on utilise de plus en plus de Roundup, car les mauvaises herbes développent des résistances. En 1991, le pays consommait un million de litres de glyphosate. Il est passé à 200 millions de litres en 2009.