Réponse à l’apprenti journaliste de Libération

La rédaction du Libération d’aujourd’hui a été confiée à des « étudiants de Nanterre », clin d’oeil aux événements du 22 mars 1968 qui constituèrent le prélude au « joli mai  » de la même année .

Je n’épiloguerai pas sur l’intérêt d’une telle initiative, mais, dans tous les cas, il faut la prendre pour ce qu’elle est: l’occasion de donner la parole à des jeunes, issus de tous les horizons universitaires (qui n’étudient pas le journalisme) pour qu’ils donnent leur point de vue instantané sur l’actualité. L’opération a ses limites, car, bien évidemment, on ne s’improvise pas journaliste en quelques heures…

C’est ainsi que j’ai été contactée, hier, sur mon portable (j’aurais aimé savoir comment il avait eu mon numéro), par un jeune inconnu, dont je découvre le nom, ce matin, dans Libération: « Christopher Chriv licence 3 histoire-géo et anthropologie ».

De manière péremptoire il a asséné:

« Je prépare un article très critique sur votre film, et Libération m’a dit de vous appeler ».

Soit. J’étais alors en train de finir la rédaction urgente d’un texte pour mon prochain film, mais j’ai accepté d’accorder quelques minutes à l’inconnu.

« On reproche à votre film de ne pas avoir présenté les avantages que présentent les OGM », me dit-il.

Je lui réponds que mon « film n’est pas sur les OGM, en général, mais sur ceux que produit Monsanto, qui représentent 90% des plantes transgéniques cultivées, aujourd’hui, sur la planète » et que les « autres OGM sont des produits virtuels, puisqu’il n’existe pas dans les champs ». Et donc que « je me suis intéressée aux OGM existants, pas à ceux qui existeront peut-être un jour »…

L’argument de l’inconnu ressemblant étrangement à celui développé par l’AFIS, je lui signale que j’y ai déjà répondu longuement sur mon Blog, ce qu’il semble ignorer…

Je découvre , aujourd’hui, qu’effectivement c’était bien l’AFIS, et précisément Marcel Kuntz qui était derrière les inquiétudes de l’apprenti journaliste.

Interrogé, le scientifique, dont les liens avec Monsanto sont confirmés par la lettre du Dr. Kahn que j’ai postée hier sur mon Blog, ainsi que par une enquête d’ATTAC France, dont j’ai également parlé, ressert le même argument, concernant les « maïs monstrueux » qui inquiètent les paysans mexicains :

«Le film insinue que ces [mutations] aléatoires pourraient survenir par croisements d’une lignée transgénique de maïs avec des variétés non-transgéniques. Ce qui est faux, puisque la lignée transgénique commercialisée possède une seule insertion, qui est stable et ne saute plus aléatoirement dans le génome.» De plus, «la moitié du patrimoine génétique du maïs est formée […] d’éléments génétiques résultant d’insertions de fragments d’ADN, générés par le maïs lui-même, nommés rétro-transposons.»

Malgré la belle assurance de M. Kuntz ce point est loin de faire l’unanimité, ainsi que je l’ai déjà expliqué dans mon blog, à propos de l’affaire Chapela.

Bien au contraire, un certain nombre de scientifiques, dont les généticien Christian Vélot (Université de Paris Sud) et Pierre-Henri Gouyon (Muséum national d’histoire naturelle) soulignent que la technique d’insertion est aléatoire (elle s’effectue avec un canon!) et qu’elle ne garantit en rien la stabilité du gène inséré dans la génome hôte.

Mais par delà ces inquiétudes, je note l’arrogance qui sous-tend « l’argument » de M.Kuntz: les paysans mexicains, qui cultivent le maïs depuis la nuit des temps, sont des ignares et le fait qu’ils assurent n’avoir jamais vu de tels monstres dans leurs champs est absolument sans intérêt…

L’autre argument sur lequel s’appuie mon jeune détracteur est livré par Jean-Paul Charvet, « géographe à Paris X Nanterre », dont j’ai lu plusieurs livres fort intéressants, lorsque je réalisais mon film sur l’histoire du blé (« Blé : chronique d’une mort annoncée? », diffusé sur ARTE le 15 novembre 2005) :

«L’analyse économico-politique n’est pas mauvaise, ce que je critique en revanche, c’est que l’on met systématiquement en avant les aspects négatifs sans jamais regarder ce que les OGM peuvent apporter.» Un exemple ? «Le semis direct [avec OGM] permet d’économiser une tonne de CO2 par hectare cultivé».

En effet, la technique dite du « semis direct » est étroitement associée aux cultures roundup ready, c’est même l’un des arguments commerciaux récurrents de Monsanto, ainsi que je l’ai expliqué dans un autre film réalisé pour ARTE ( « Argentine: le soja de la faim » (diffusé le 18 octobre 2005), et dans mon livre (chapitre 13).

De quoi s’agit-il?
Avant d’ensemencer leurs champs, les paysans doivent les désherber , et donc labourer.

Depuis l’avènement des OGM dits « roundup ready » , les promoteurs des plantes transgéniques disent que ce n’est plus la peine de gaspiller du temps et de l’argent (fuel), puisqu’il suffit d’arroser les champs de roundup, puis de semer y compris dans les résidus de leur récolte antérieure.

Cet argument a séduit beaucoup d’agriculteurs, ce qui est bien normal, sauf qu’à l’usage, les bénéfices escomptés ( économie de temps, d’argent, préservation des sols ou réduction de l’émission de CO2) ont été anéantis par un phénomène constaté partout: la résistance des mauvaises herbes, qui fait basculer l’agriculteur dans un cercle vicieux
absolument dévastateur, ainsi qu’a pu le constater, notamment en Argentine, l’agronome Walter Pengue, un collègue de Michel Charvet, qui réalise depuis dix ans un suivi permanent de l’évolution des cultures roundup ready un peu partout dans le monde, et bien sûr dans son pays…

Cette question étant capitale, j’y consacrerai un message à part, en racontant ce que j’ai vu en Argentine.

En attendant, je n’en veux pas à Christopher Chriv (!) : son expérience d’un jour confirme que le journalisme est un métier qui suppose de travailler pour éviter de tomber dans des simplifications ou manipulations, surtout quand le sujet qu’on traite représente des enjeux économiques colossaux énormes…

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