Mise au point sur les plantes BT
Je ne peux malheureusement pas répondre à tous les arguments à l’emporte-pièce que certains détracteurs postent sur mon Blog, mais il y en est un que je ne laisserai pas passer, car il nous concerne tous: celui qu’a posté « Zobi » (qui effectivement parle bien français!) sur la « protéine BT », le 31/3/2008, à 21:17, cette fameuse protéine que contient le maïs MON 810 de Monsanto , dont la culture a été interdite provisoirement par le gouvernement français.
Zobi écrit:
« La protéine Bt est utilisée en agriculture biologique depuis bien longtemps et sans le moindre problème… »
Quelle mauvaise foi! Certes, les agriculteurs bio utilisent la protéine BT, mais ils ne l’utilisent que de manière très ponctuelle et ils ne la mangent pas!!!
Je rappelle que les OGM « Bt » — dont Monsanto est le premier producteur — ont emprunté leur nom à une bactérie qui se trouve naturellement dans le sol, bacillus thuringiensis, laquelle agit à la façon d’un insecticide.
Isolé en 1901 par un bactériologiste japonais qui avait constaté qu’il infecte et tue les vers à soie, ce bacille est utilisé sous forme de pulvérisation par les agriculteurs biologiques, parce qu’il présente la propriété de se dégrader rapidement au soleil, permettant des interventions ponctuelles sans conséquence pour l’environnement ni pour les populations d’insectes non ciblées.
Or, la biotechnologie change complètement la donne. En effet, l’insertion du gène qui code pour la toxine fait que celle-ci s’exprime en permanence dans toute la plante, au risque d’affecter toutes les populations d’insectes, les nuisibles comme les utiles, comme par exemple la chrysope, prédatrice de la pyrale que le maïs Bt est censé combattre.
Diverses études, que je cite dans mon livre, ont déjà montré que les cultures Bt peuvent être fatales pour des insectes bénéfiques comme les coccinelles, mais aussi les microorganismes du sol ou les oiseaux insectivores .
Pour que le lecteur se rende compte de l’absurdité du système BT, je retranscris une partie de ce que j’ai écrit dans mon livre.
Au passage , j’invite l’internaute anglophone à lire le passionnant article de Michael Pollan, publié dans The New York Times du 25 octobre 1998:
DÉBUT DE L’EXTRAIT
la « débâcle de StarLink »
Le 18 septembre 2000, les Amis de la terre publient un communiqué qui déclenche un véritable cataclysme : l’association écologique américaine annonce qu’elle a fait analyser des échantillons de maïs (chips, tacos, céréales, farines, soupes, galettes) achetés dans les supermarchés et que les tests ont révélé la présence de traces de StarLink, un maïs Bt produit par Aventis , interdit à la consommation humaine.
De fait, pour augmenter la fonction insecticide de son OGM, la firme y a introduit une protéine Bt (Cry9C) particulièrement lourde et stable, « suspectée de causer des allergies, parce qu’elle présente une capacité accrue de résistance à la chaleur et aux sucs gastriques, ce qui donne plus de temps à l’organisme de surréagir », ainsi que l’explique le Washington Post (19 mars 2001).
Voilà pourquoi l’EPA (l’agende de protection de l’environnement des Etats Unis) a limité la commercialisation de ce maïs Bt pour la seule consommation animale et la production d’éthanol…
Or, comme rien ne ressemble plus à un maïs conventionnel qu’un maïs OGM, les négociants en grains, qui n’étaient pas informés de la subtilité bureaucratique, ont mélangé StarLink avec les autres variétés (jaunes) de la céréale…
Avant d’évoquer les conséquences de cette lamentable affaire, je voudrais souligner en quoi elle est révélatrice de ce que les sociologues des sciences français Pierre-Benoît Joly et Claire Marris appellent l’« inadéquation du cadre réglementaire » américain .
On se souvient qu’après avoir publié sa « ligne directrice sur la réglementation des OGM », l’administration républicaine avait réparti les compétences entre les trois principales agences règlementaires : la Food and Drug Administration (FDA) fut chargée des aliments transgéniques, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) des OGM à fonction pesticide et le secrétariat à l’Agriculture (USDA) des cultures transgéniques.
Le résultat de cette répartition arbitraire, c’est que les plantes Bt, dont certaines comme le maïs finissent dans l’assiette du consommateur, ne dépendent pas de la FDA mais de l’EPA, car elles sont considérées comme des… pesticides.
Ce paradoxe, qui explique la catastrophe de StarLink, a été magistralement démontré dès 1998 par Michael Pollan, un journaliste du New York Times .
Il raconte qu’il a planté « quelque chose de nouveau dans [son] jardin potager » : une pomme de terre Bt récemment lancée sur le marché par Monsanto, baptisée « New Leaf » et censée produire « son propre insecticide » (aujourd’hui, retirée du marché…) .
Sur la notice d’emploi, il découvre que la pomme de terre a été enregistrée comme « pesticide » par l’EPA, et s’étonne que l’étiquette renseigne sur sa composition organique, les nutriments et même les « traces de cuivre » qui la constituent, mais ne dit pas un mot sur le fait qu’elle est issue de la manipulation génétique et surtout qu’elle « contient un insecticide ».
Il décide alors d’appeler James Maryanski, le coordinateur de la biotechnologie à la FDA.
« Le Bt est un pesticide, lui explique ce dernier, c’est pourquoi il est exempté de la réglementation de la FDA et relève de la compétence de l’EPA. »
Pourtant, insiste le journaliste, « je vais manger mes pommes de terre Bt, est-ce que l’EPA a testé leur sécurité alimentaire ? ».
« Pas vraiment », répond Maryanski, car, comme leurs noms l’indiquent, les « pesticides sont des produits toxiques », l’EPA ne peut donc qu’établir des « niveaux de tolérance » acceptables pour l’homme…
Michael Pollan appelle donc l’EPA, où on l’informe que la New Leaf n’étant que la « somme d’une pomme de terre sans danger (safe) et d’un pesticide sans danger », l’agence a estimé qu’elle ne posait aucun risque pour la santé humaine…
« Admettons que mes pommes de terre sont un pesticide, et même un pesticide très sûr, ironise le journaliste. Tous les pesticides que j’utilise dans mon jardin, y compris les pulvérisateurs de Bt, présentent une liste très longue de précautions d’emploi. L’étiquette sur mon bidon de Bt dit, entre autres, qu’il faut éviter d’inhaler le produit ou de le mettre en contact avec une plaie. Pourquoi est-ce que mes pommes de terre New Leaf, qui contiennent un pesticide enregistré par l’EPA, ne présentent-elles pas ce genre d’étiquette ? »
On ne peut mieux résumer l’aberration du système réglementaire américain, qui tourne carrément au ridicule quand on sait que, alertée sur les effets allergènes potentiels du maïs StarLink, l’EPA — au lieu de l’interdire purement et simplement — a décidé d’en restreindre l’autorisation à la seule consommation animale.
À noter l’indifférence totale de la FDA à cette question, qui ne l’évoque même pas dans un courrier adressé par Alan Rulis, le 29 mai 1998, à AgrEvo, la filiale d’Aventis commercialisant StarLink, où celui-ci se contente de préciser :
« Comme vous le savez, il est de la responsabilité permanente d’AgrEvo d’assurer que les aliments que la firme commercialise sont sûrs, sains et répondent à toutes les exigences légales et réglementaires … »
Le fonctionnaire de la FDA ne croyait pas si bien dire : dès septembre 2000, l’agence est submergée d’appels paniqués provenant de tous les États-Unis.
Parmi eux, celui de Grace Booth, qui raconte que lors d’un déjeuner d’affaire où elle mangeait des enchiladas, elle fut subitement prise de bouffées de chaleur et d’une diarrhée violente, tandis que ses lèvres enflaient et qu’elle perdait la voix :
« J’ai cru que j’allais mourir », rapporta-t-elle à la chaîne CBS . Transportée en urgence dans un hôpital californien, elle a survécu grâce à l’administration rapide d’un antiallergique.
Tous les rapports qui parviennent à la FDA font état d’une réaction violente liée à la consommation de produits à base de maïs, servis essentiellement dans des restaurants tex-mex.
Interrogé par CBS, le docteur Marc Rosenberg, un allergologue qui fut chargé de conseiller le gouvernement dans cette triste affaire, confirme que les symptômes « allaient de la simple douleur abdominale, diarrhée et éruption cutanée, jusqu’à des réactions plus rares mettant la vie en danger ».
Comme le souligneront en juillet 2001 les Amis de la terre dans un rapport très circonstancié, « la débâcle de StarLink représente un cas d’école montrant la dépendance quasi totale de nos agences réglementaires vis-à-vis des firmes de la biotechnologie et de l’agroalimentaire qu’elles sont censées “réguler”, mais aussi leur incompétence ».
L’association rapporte que la FDA a mis une semaine à confirmer la présence de Star-Link dans la chaîne alimentaire, pour une raison qu’elle n’aurait jamais soupçonnée :
« Nous avons appris que ce délai était dû au simple fait que deux ans après la mise en culture de StarLink sur plusieurs centaines de milliers d’acres , l’agence n’avait même pas l’expertise lui permettant de détecter cette protéine potentiellement allergique », écrit l’association écologiste.
Pour pouvoir conduire ses tests de laboratoire, la célèbre FDA a dû solliciter l’aide d’Aventis…
De même, lorsque l’EPA fut contrainte de mettre au point un test pour mesurer l’allergénicité de la protéine Bt, elle dut s’en remettre au fabricant pour qu’il lui livre un échantillon de la molécule. Finalement, arguant qu’elle ne pouvait pas isoler suffisamment de protéine exprimée dans la plante, la firme a fourni un substitut synthétique provenant de la bactérie E. coli. Des experts ont souligné que le test serait biaisé car, comme nous l’avons vu, « la même protéine n’est pas forcément identique d’une espèce à l’autre ».
Après des mois d’atermoiements, l’agence de protection de l’environnement a conclu prudemment qu’il y avait une « probabilité moyenne que StarLink soit un allergène »…
Puis, les autorités sanitaires ont enterré le dossier, perdant une belle occasion de comprendre pourquoi la consommation de tacos avait rendu gravement malades et failli faire mourir des centaines d’Américains…
FIN DE L’EXTRAIT