Je me dois de réagir à ce qu’a écrit « Anton », qui m’honore de sa présence assidue sur mon Blog (!), en réponse à mon texte « L’échec du coton BT en Inde » où je présente l’étude minutieuse réalisée par les agronomes Abdul Qayum et Kiran Sakkhari:
« il se trouve que les études fournies par les développeurs d’OGM se doivent de respecter les canons des publications scientifiques et non pas dêtre militantes ou publicitaires et de fournir l’ensemble de la méthodologie , des données aux organismes chargés de leur autorisation. Et dans les études des organismes publiques, des chercheurs universitaires, vous ne verrez jamais employer ce genre de vocabulaire. »
A dire vrai la naïveté d’Anton est touchante: s’il est une chose que j’ai découvert au cours de ma longue enquête c’est précisément que ce n’est pas parce qu’une étude est publiée dans une revue scientifique de renom qu’elle est forcément sérieuse et irréprochable… Demain, je raconterai comment un grand scientifique comme feu le Pr. Richard Doll a été payé pendant vingt ans par Monsanto pour publier des mensonges dans des revues scientifiques de renom , aveuglées par le prestige du célèbre cancérologue…
En attendant, je retranscris la suite de mon livre, concernant l’échec du coton en Inde:
DÉBUT EXTRAIT
Propagande et monopole
Pour se défendre, la multinationale de Saint-Louis a brandi une étude, publiée fort opportunément par le magazine Science, le 7 février 2003 . Ah ! les études qui font la pluie et le beau temps, dès qu’elles sont cautionnées par des revues scientifiques prestigieuses, lesquelles ont rarement — pour ne pas dire « jamais » — la bonne idée de vérifier l’origine des données présentées…
Ici, en l’occurrence, les auteurs, Matin Qaim, de l’université Berkeley (États-Unis) et David Zilberman, de l’université de Bonn (Allemagne), qui « n’ont jamais mis les pieds en Inde », pour reprendre l’expression de Vandana Shiva, ont conclu que, d’après des essais réalisés en plein champ dans « différents États indiens », le coton Bt « réduit les dégâts causés par les insectes nuisibles et augmente les rendements de manière substantielle », à savoir « jusqu’à 88 % » !
« Ce qui gêne réellement dans cet article qui glorifie la performance extraordinaire du coton Bt, commentera The Times of India, c’est qu’il est fondé exclusivement sur des données fournies par Mahyco Monsanto, concernant un petit nombre d’essais sélectionnés par la firme, et pas sur les résultats provenant des champs des paysans lors de la première récolte de coton Bt . »
Pourtant, poursuit le journal — et c’est bien cela le but recherché par la publication dans Science —, cet « article a été abondamment cité par plusieurs organismes comme la preuve des performances spectaculaires des cultures transgéniques ».
De fait, en 2004, l’étude sera longuement commentée dans un rapport de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Intitulé « La biotechnologie agricole répond-elle aux besoins des pauvres ? », cet opus a fait couler beaucoup d’encre, parce qu’il constituait un plaidoyer en faveur des OGM qui seraient capables d’« augmenter partout la productivité agricole » et de « réduire les dommages environnementaux causés par les produits chimiques toxiques », selon le mot d’introduction de Jacques Diouf, le directeur général de l’organisation onusienne.
Le rapport, en tout cas, a rempli d’aise Monsanto, qui s’est empressé de le mettre en ligne .
De même, en France, la veille de la publication de l’étude dans Science, l’Agence France Presse en diffusait un compte rendu élogieux, dont je cite un extrait, car il montre parfaitement comment la désinformation fait subrepticement son chemin, sans que l’on puisse jeter la pierre à l’agence de presse, car après tout, elle n’a fait qu’extrapoler sur les non-dits savamment calculés de l’article d’origine :
« Du coton génétiquement modifié pour résister à un insecte nuisible pourrait voir son rendement augmenter jusqu’à 80 %, selon des chercheurs qui ont fait des essais en Inde », explique la dépêche, qui précise :
« Les résultats de leurs travaux sont surprenants : on n’avait jusqu’à présent observé qu’une progression dérisoire des rendements, dans des études similaires menées en Chine et au États-Unis … »
On imagine l’impact que peut avoir cette information — largement reprise dans les médias, comme par exemple, au Québec, Le Bulletin des agriculteurs — sur des paysans (petits et moyens) qui se battent chaque jour pour leur survie.
D’autant plus que, faisant fi de toutes les données enregistrées sur le terrain, Matin Qaim n’hésite pas à déclarer :
« En dépit du coût plus élevé des semences, les fermiers ont quintuplé leur revenu avec le coton génétiquement modifié. »
Quant à son collègue David Zilberman, il a le mérite d’exposer clairement le véritable objectif de l’« étude » dans une interview au Washington Post, en mai 2003 :
« Ce serait une honte que les peurs distillées par les anti-OGM empêchent ceux qui le désirent de bénéficier de cette importante technologie . »
En attendant, The Times of India est plus prosaïque :
« Qui va payer pour l’échec du coton Bt ? », s’interroge le journal, qui rappelle qu’une loi indienne de 2001 sur la « protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs » enjoint les sélectionneurs d’indemniser les paysans lorsque ceux-ci ont été « trompés » par les semences qu’on leur a vendues, que ce soit pour « la qualité, les rendements ou la résistance aux insectes nuisibles ».
C’est précisément cette loi qu’a voulu faire appliquer le ministre de l’Agriculture de l’Andhra Pradesh.
N’y parvenant pas, il a décidé en mai 2005 de bannir de l’État trois variétés de coton Bt produites par Mahyco Monsanto (lesquelles seront introduites peu après dans l’État du Maharashtra) .
En janvier 2006, le conflit avec la firme de Saint-Louis franchissait un nouveau cap : le ministre Raghuveera Reddy portait plainte contre Mahyco Monsanto auprès de la Monopolies and Restrictive Trade Practices Commission (MRTPC), l’organisme indien chargé du contrôle des pratiques commerciales et des mesures anti-trust, pour dénoncer le prix exorbitant des semences transgéniques ainsi que le monopole établi par le géant des OGM dans le sous-continent indien.
Le 11 mai 2006, la MRTPC donnait raison au ministre de l’Andhra Pradesh, en exigeant que le prix du paquet de 450 grammes de semences soit ramené à celui pratiqué par Monsanto aux États-Unis ou en Chine, à savoir 750 roupies maximum (et non plus 1 850 roupies). Cinq jours plus tard, la multinationale contestait la décision devant la Cour suprême, mais elle était déboutée de sa requête le 6 juin 2006, les juges estimant qu’ils n’avaient pas à interférer dans une décision qui relève de la seule compétence des États .
Quand je suis arrivée en décembre 2006 dans l’Andhra Pradesh, la situation en était là : Monsanto Mahyco avait finalement baissé le prix de ses semences au niveau exigé par le gouvernement provincial, mais le conflit était loin d’être terminé, car il restait l’épineux problème des compensations financières.
« En janvier 2006, m’explique Kiran Sakkhari, le ministère de l’Agriculture a menacé de retirer ses licences d’exploitation à la firme si elle n’indemnisait pas les paysans pour les trois dernières récoltes.
– Mais je croyais que l’Andhra Pradesh avait banni trois variétés de coton Bt en 2005 ?
– C’est exact, me répond l’agronome, mais Monsanto Mahyco les a immédiatement remplacées par de nouvelles variétés transgéniques ! Le gouvernement provincial n’a pas pu l’empêcher, à moins de demander à New Delhi d’interdire définitivement les OGM. Et le résultat fut aussi catastrophique, ainsi que nous l’avons révélé dans une seconde étude . Cette année, cela risque d’être encore pire, car, comme vous le voyez dans ce champ de coton Bollgard, les plants sont atteints d’une maladie appelée “rhizoctonia” qui provoque des nécroses au niveau du collet, c’est-à-dire sur la partie entre la racine et la tige. À terme, la plante dessèche et meurt.
– Les agriculteurs disent qu’ils n’ont jamais vu ça, précise le docteur Abdul Qayum. Dans la première étude que nous avions conduite, nous avions observé la maladie uniquement dans quelques plants de coton Bt. Mais avec le temps, elle s’est répandue et maintenant on la constate dans de nombreux champs de coton Bt qui commencent à contaminer les champs non transgéniques. Personnellement, je pense qu’il y a une mauvaise interaction entre la plante réceptrice et le gène qui y a été introduit. Cela a provoqué une faiblesse dans la plante, qui ne résiste plus à la rhizoctonia.
– D’une manière générale, ajoute Kiran Sakkhari, le coton Bt ne résiste pas à des situations de stress comme la sécheresse ou, au contraire, de fortes précipitations.
– Pourtant, dis-je, d’après Monsanto, la vente de semences transgéniques ne cesse de progresser en Inde ?
– C’est ce que l’entreprise affirme et globalement c’est vrai, même si les chiffres qu’elle avance sont difficiles à vérifier, me répond l’agronome. Mais cette situation s’explique en grande partie par le monopole qu’elle a su établir en Inde, où il est devenu très difficile de trouver des semences de coton non transgéniques. Et c’est très inquiétant, car, comme nous l’avons constaté lors de notre seconde étude, la promesse que le Bt allait réduire la consommation de pesticides n’a pas été tenue, bien au contraire… »
FIN DE L’EXTRAIT
Photos:
– Abdul Qayum et Kiran Sakkhari observent les plants de coton BT dévastés par la rhizoctonia
– Les femmes de Pastapur en train de filmer le témoignage d’une paysanne dont la récolte de coton BT est anéantie par la maladie.
– Une camera woman en train de filmer un plant desséché de coton BT
– L’inhumation d’un paysan de 25 ans qui s’est suicidé en buvant du pesticide car il était très endetté et sa récolte de coton BT était nulle.