L’échec du coton BT en Inde (2)

Je me dois de réagir à ce qu’a écrit « Anton », qui m’honore de sa présence assidue sur mon Blog (!), en réponse à mon texte « L’échec du coton BT en Inde » où je présente l’étude minutieuse réalisée par les agronomes Abdul Qayum et Kiran Sakkhari:

« il se trouve que les études fournies par les développeurs d’OGM se doivent de respecter les canons des publications scientifiques et non pas dêtre militantes ou publicitaires et de fournir l’ensemble de la méthodologie , des données aux organismes chargés de leur autorisation. Et dans les études des organismes publiques, des chercheurs universitaires, vous ne verrez jamais employer ce genre de vocabulaire. »

A dire vrai la naïveté d’Anton est touchante: s’il est une chose que j’ai découvert au cours de ma longue enquête c’est précisément que ce n’est pas parce qu’une étude est publiée dans une revue scientifique de renom qu’elle est forcément sérieuse et irréprochable… Demain, je raconterai comment un grand scientifique comme feu le Pr. Richard Doll a été payé pendant vingt ans par Monsanto pour publier des mensonges dans des revues scientifiques de renom , aveuglées par le prestige du célèbre cancérologue…

En attendant, je retranscris la suite de mon livre, concernant l’échec du coton en Inde:

DÉBUT EXTRAIT

Propagande et monopole

Pour se défendre, la multinationale de Saint-Louis a brandi une étude, publiée fort opportunément par le magazine Science, le 7 février 2003 . Ah ! les études qui font la pluie et le beau temps, dès qu’elles sont cautionnées par des revues scientifiques prestigieuses, lesquelles ont rarement — pour ne pas dire « jamais » — la bonne idée de vérifier l’origine des données présentées…

Ici, en l’occurrence, les auteurs, Matin Qaim, de l’université Berkeley (États-Unis) et David Zilberman, de l’université de Bonn (Allemagne), qui « n’ont jamais mis les pieds en Inde », pour reprendre l’expression de Vandana Shiva, ont conclu que, d’après des essais réalisés en plein champ dans « différents États indiens », le coton Bt « réduit les dégâts causés par les insectes nuisibles et augmente les rendements de manière substantielle », à savoir « jusqu’à 88 % » !

« Ce qui gêne réellement dans cet article qui glorifie la performance extraordinaire du coton Bt, commentera The Times of India, c’est qu’il est fondé exclusivement sur des données fournies par Mahyco Monsanto, concernant un petit nombre d’essais sélectionnés par la firme, et pas sur les résultats provenant des champs des paysans lors de la première récolte de coton Bt . »

Pourtant, poursuit le journal — et c’est bien cela le but recherché par la publication dans Science —, cet « article a été abondamment cité par plusieurs organismes comme la preuve des performances spectaculaires des cultures transgéniques ».

De fait, en 2004, l’étude sera longuement commentée dans un rapport de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Intitulé « La biotechnologie agricole répond-elle aux besoins des pauvres ? », cet opus a fait couler beaucoup d’encre, parce qu’il constituait un plaidoyer en faveur des OGM qui seraient capables d’« augmenter partout la productivité agricole » et de « réduire les dommages environnementaux causés par les produits chimiques toxiques », selon le mot d’introduction de Jacques Diouf, le directeur général de l’organisation onusienne.
Le rapport, en tout cas, a rempli d’aise Monsanto, qui s’est empressé de le mettre en ligne .

De même, en France, la veille de la publication de l’étude dans Science, l’Agence France Presse en diffusait un compte rendu élogieux, dont je cite un extrait, car il montre parfaitement comment la désinformation fait subrepticement son chemin, sans que l’on puisse jeter la pierre à l’agence de presse, car après tout, elle n’a fait qu’extrapoler sur les non-dits savamment calculés de l’article d’origine :
« Du coton génétiquement modifié pour résister à un insecte nuisible pourrait voir son rendement augmenter jusqu’à 80 %, selon des chercheurs qui ont fait des essais en Inde », explique la dépêche, qui précise :
« Les résultats de leurs travaux sont surprenants : on n’avait jusqu’à présent observé qu’une progression dérisoire des rendements, dans des études similaires menées en Chine et au États-Unis … »

On imagine l’impact que peut avoir cette information — largement reprise dans les médias, comme par exemple, au Québec, Le Bulletin des agriculteurs — sur des paysans (petits et moyens) qui se battent chaque jour pour leur survie.
D’autant plus que, faisant fi de toutes les données enregistrées sur le terrain, Matin Qaim n’hésite pas à déclarer :
« En dépit du coût plus élevé des semences, les fermiers ont quintuplé leur revenu avec le coton génétiquement modifié. »
Quant à son collègue David Zilberman, il a le mérite d’exposer clairement le véritable objectif de l’« étude » dans une interview au Washington Post, en mai 2003 :

« Ce serait une honte que les peurs distillées par les anti-OGM empêchent ceux qui le désirent de bénéficier de cette importante technologie . »

En attendant, The Times of India est plus prosaïque :

« Qui va payer pour l’échec du coton Bt ? », s’interroge le journal, qui rappelle qu’une loi indienne de 2001 sur la « protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs » enjoint les sélectionneurs d’indemniser les paysans lorsque ceux-ci ont été « trompés » par les semences qu’on leur a vendues, que ce soit pour « la qualité, les rendements ou la résistance aux insectes nuisibles ».

C’est précisément cette loi qu’a voulu faire appliquer le ministre de l’Agriculture de l’Andhra Pradesh.
N’y parvenant pas, il a décidé en mai 2005 de bannir de l’État trois variétés de coton Bt produites par Mahyco Monsanto (lesquelles seront introduites peu après dans l’État du Maharashtra) .
En janvier 2006, le conflit avec la firme de Saint-Louis franchissait un nouveau cap : le ministre Raghuveera Reddy portait plainte contre Mahyco Monsanto auprès de la Monopolies and Restrictive Trade Practices Commission (MRTPC), l’organisme indien chargé du contrôle des pratiques commerciales et des mesures anti-trust, pour dénoncer le prix exorbitant des semences transgéniques ainsi que le monopole établi par le géant des OGM dans le sous-continent indien.

Le 11 mai 2006, la MRTPC donnait raison au ministre de l’Andhra Pradesh, en exigeant que le prix du paquet de 450 grammes de semences soit ramené à celui pratiqué par Monsanto aux États-Unis ou en Chine, à savoir 750 roupies maximum (et non plus 1 850 roupies). Cinq jours plus tard, la multinationale contestait la décision devant la Cour suprême, mais elle était déboutée de sa requête le 6 juin 2006, les juges estimant qu’ils n’avaient pas à interférer dans une décision qui relève de la seule compétence des États .

Quand je suis arrivée en décembre 2006 dans l’Andhra Pradesh, la situation en était là : Monsanto Mahyco avait finalement baissé le prix de ses semences au niveau exigé par le gouvernement provincial, mais le conflit était loin d’être terminé, car il restait l’épineux problème des compensations financières.

« En janvier 2006, m’explique Kiran Sakkhari, le ministère de l’Agriculture a menacé de retirer ses licences d’exploitation à la firme si elle n’indemnisait pas les paysans pour les trois dernières récoltes.

– Mais je croyais que l’Andhra Pradesh avait banni trois variétés de coton Bt en 2005 ?

– C’est exact, me répond l’agronome, mais Monsanto Mahyco les a immédiatement remplacées par de nouvelles variétés transgéniques ! Le gouvernement provincial n’a pas pu l’empêcher, à moins de demander à New Delhi d’interdire définitivement les OGM. Et le résultat fut aussi catastrophique, ainsi que nous l’avons révélé dans une seconde étude . Cette année, cela risque d’être encore pire, car, comme vous le voyez dans ce champ de coton Bollgard, les plants sont atteints d’une maladie appelée “rhizoctonia” qui provoque des nécroses au niveau du collet, c’est-à-dire sur la partie entre la racine et la tige. À terme, la plante dessèche et meurt.
– Les agriculteurs disent qu’ils n’ont jamais vu ça, précise le docteur Abdul Qayum. Dans la première étude que nous avions conduite, nous avions observé la maladie uniquement dans quelques plants de coton Bt. Mais avec le temps, elle s’est répandue et maintenant on la constate dans de nombreux champs de coton Bt qui commencent à contaminer les champs non transgéniques. Personnellement, je pense qu’il y a une mauvaise interaction entre la plante réceptrice et le gène qui y a été introduit. Cela a provoqué une faiblesse dans la plante, qui ne résiste plus à la rhizoctonia.

– D’une manière générale, ajoute Kiran Sakkhari, le coton Bt ne résiste pas à des situations de stress comme la sécheresse ou, au contraire, de fortes précipitations.

– Pourtant, dis-je, d’après Monsanto, la vente de semences transgéniques ne cesse de progresser en Inde ?

– C’est ce que l’entreprise affirme et globalement c’est vrai, même si les chiffres qu’elle avance sont difficiles à vérifier, me répond l’agronome. Mais cette situation s’explique en grande partie par le monopole qu’elle a su établir en Inde, où il est devenu très difficile de trouver des semences de coton non transgéniques. Et c’est très inquiétant, car, comme nous l’avons constaté lors de notre seconde étude, la promesse que le Bt allait réduire la consommation de pesticides n’a pas été tenue, bien au contraire… »

FIN DE L’EXTRAIT

Photos:
– Abdul Qayum et Kiran Sakkhari observent les plants de coton BT dévastés par la rhizoctonia
– Les femmes de Pastapur en train de filmer le témoignage d’une paysanne dont la récolte de coton BT est anéantie par la maladie.
– Une camera woman en train de filmer un plant desséché de coton BT
– L’inhumation d’un paysan de 25 ans qui s’est suicidé en buvant du pesticide car il était très endetté et sa récolte de coton BT était nulle.

Photos de Sherbrooke et Rouen

Je viens de recevoir des photos de la soirée à Sherbrooke au Canada (samedi 24 mai) et de Rouen (jeudi 12 juin).
A chaque fois, il y avait plus de 450 personnes!

A Sherbrooke (trois premières photos), la projection était organisée par Louise Vandelac (photo 2) , professeur de sociologie à l’Institut des sciences de l’environnement à l’université du Québec, qui a écrit la postface à l’édition canadienne de mon livre (voir sur mon Blog).

A Rouen, elle était organisée par le Dr. Dominique Cellier, biostatisticien à l’université de Rouen.

Les demandes de projection débat continuent d’affluer et je suis demandée en France ( plus d’une centaine de demandes en attente), aux Etats Unis (où j’assisterai au lancement du DVD en juillet prochain), en Espagne (pour le lancement de mon livre en novembre), au Brésil (qui sort dès fin septembre la première traduction du livre), Paraguay, en Argentine, en Inde et au Burkina Fasso.

La WDR vient de m’apprendre que la diffusion du film le 29 mai avait permis de doubler l’audience habituelle sur cette case.
De même, la NHK, la télévision publique japonaise a réalisé l’une des meilleures audiences de l’année.

Un excellent article dans Le Courrier de Genève (Suisse)

Le Courrier (Suisse) vient de publier un excellent article signé par Rachad Armanios qui m’a interviewée lors de mon passage à Genève: « Un pavé dans la mare transgénique de Monsanto« .

Lire aussi l’encadré « La solution vient des consommateurs »

ARTICLE:

UN PAVÉ DANS LA MARE TRANSGÉNIQUE DE MONSANTO

PROPOS RECUEILLIS PAR RACHAD ARMANIOS
INTERVIEW – Mensonges, collusions, manipulations: la firme américaine impose les OGM comme elle l’a fait pour d’autres produits toxiques, révèle Marie-Monique Robin dans une enquête qui fait le tour du monde.
Elle est fatiguée Marie-Monique Robin. Depuis que son film et son livre, tous deux intitulés Le Monde selon Monsanto, sont sortis il y a trois mois, elle court après son succès planétaire. De conférence en conférence, elle promeut une impressionnante enquête consacrée à cette firme américaine qui impose à la planète les plantes transgéniques. La semaine passée, à Genève, elle intervenait dans le cadre du Conseil des droits de l’homme à l’invitation du Centre Europe-Tiers Monde. Lauréate du Prix Albert Londres 1995, cette fille d’agriculteurs a opéré un retour aux sources. C’est pour les paysans, dit-elle, qu’elle a plongé durant trois ans dans l’univers clos de Monsanto. Elle raconte comment cette multinationale a bâti sa fortune sur le mensonge, les tentatives de corruption et le déni en vendant des produits hautement toxiques qui finiront presque tous par être interdits après de longs procès: dioxine, PCB, agent orange, hormone de croissance laitière et bovine.
Convertie en leader mondial des semences, l’entreprise n’a pas changé de méthodes dans son plan pour devenir le «Microsoft de l’alimentaire». Implantée dans quarante-six pays, la firme de Saint-Louis emploie 17 500 salariés et présentait en 2007 un chiffre d’affaires de 7,5 milliards de dollars. Entretien.

– La crise alimentaire sévit aux quatre coins du globe. Les OGM (organismes génétiquement modifiés) sont-ils, comme l’affirme Monsanto, la solution à la faim dans le monde?

Marie-Monique Robin: Mon livre et mon film ne sont pas contre les OGM en général, mais contre ceux qui existent dans les champs. Or ils appartiennent à 90% à Monsanto. Ces OGM ne sont pas la solution à la faim dans le monde mais en sont une des causes puisqu’ils entravent la sécurité alimentaire et détruisent la biodiversité. Le modèle OGM conduit à la concentration des terres et à l’expansion des monocultures qui signifient la disparition des petits paysans. En Argentine, des pools d’investisseurs sont prêts à tout – corruption, déforestation – pour acheter des centaines de milliers d’hectares et y cultiver du soja. Dans ces monocultures, on a besoin d’une seule personne pour gérer 500 hectares. C’est l’exode rural assuré. Quand ils n’ont pas les moyens de s’insérer dans ce modèle, les petits paysans doivent abandonner leurs cultures vivrières – celles qui nourrissent la population – détruites à cause des épandages d’herbicide par avion. Après trois ou quatre ans d’arrosage intensif d’herbicide dans les monocultures, les sols sont abandonnés à l’état de désert.

– Monsanto a-t-elle rompu avec son passé que vous qualifiez d’irresponsable?

– Non. Premier semencier mondial, elle est toujours une entreprise chimique. Si elle produit des OGM, c’est pour vendre ses herbicides: 70% des OGM dans le monde ont été manipulés pour résister aux épandages de son herbicide Roundup – un produit nocif pour l’environnement, toxique, cancérigène et perturbateur endocrinien. Or pour cultiver du soja Roundup ready (résistant au Roundup), il faut signer un contrat en s’engageant à ne pas resemer une partie de la récolte sous peine de procès, ce qui conduit à devoir racheter chaque année les semences de la firme. Une «police des gènes» traque les contrevenants.
L’autre obligation est d’utiliser l’herbicide Roundup et non un générique utilisant la substance active – glyphosate – tombée dans le domaine public depuis 2000. Le projet totalisant de Monsanto est de s’emparer de la chaîne alimentaire puisque les semences en sont le premier maillon.

– La façon d’imposer ses OGM sur le marché ressemble-t-elle a ce qui s’est passé avec d’autres de ses produits?

– On observe les mêmes pratiques utilisées auparavant pour défendre la dioxine, les PCB, l’hormone de croissance bovine ou l’agent orange – ces produits sur lesquels la firme avait menti, manipulé et caché des données, se sont avérés hautement toxiques et sont aujourd’hui interdits. Outre les pressions sur les scientifiques, fonctionnaires ou journalistes qui ont enquêté sur les OGM, on observe une collusion entre la firme et l’administration. L’exemple le plus frappant est la façon dont la Food and Drug administration (FDA), une agence de réglementation américaine, a publié un semblant de réglementation sur les OGM en 1992. Celui qui a signé ce texte est Michael Taylor. Alors numéro deux de la FDA, cet ancien avocat de Monsanto deviendra ensuite le vice-président de Monsanto.

– Ce «semblant de réglementation» se fonde sur le principe «d’équivalence en substance». Que vaut-il?

– Rien du tout. Le pire c’est que ce principe fonde toute la réglementation internationale sur les OGM. Il a aussi été repris par l’OMS, la FAO et l’OCDE. On part du principe qu’un OGM est équivalent à la plante conventionnelle dont il est issu. Ce qui justifie de ne pas effectuer de tests toxicologiques et de refuser, en Amérique du Nord, un étiquetage spécifique. Or ce principe n’a aucune base scientifique. Il relève d’une décision politique, comme me l’a confié James Maryanski, qui occupait un poste-clé à la FDA de 1985 à 2006. Dans le contexte de l’administration républicaine de Reagan et Bush (senior), il fallait favoriser l’industrie américaine en limitant au maximum les «entraves bureaucratiques», notamment les lourds tests toxicologiques.

– L’administration républicaine veut déréglementer, mais Monsanto lui demande tout de même une réglementation sur les OGM?

– Monsanto avait déjà eu un certain nombre de «casseroles». Elle savait qu’elle ne pourrait mettre sur le marché les OGM en demandant au public de lui faire confiance les yeux fermés. Elle a donc demandé à la Maison-Blanche une réglementation, de façon à pouvoir s’abriter derrière la FDA au cas où cela tournerait mal. Cela a été la tâche de Michael Taylor, qui a signé ce texte contre lequel de nombreux scientifiques de l’agence étaient opposés.

– L’assaut mondial des OGM à partir des Etats-Unis s’est donc fait sans que leur non-toxicité soit vérifiée?

– Exactement. Au contraire, quand par exemple le biochimiste écossais Arpad Pustai, alors favorable aux OGM, veut démontrer avec une étude rigoureuse qu’ils sont sans risque, il réalise que ses rats nourris avec des pommes de terre transgéniques ont des problèmes. Il demande à poursuivre la recherche, mais on le licencie, et son équipe est démantelée. On a découvert que, pour faire stopper ces travaux, le PDG de Monsanto avait appelé Bill Clinton, qui avait lui-même téléphoné à Tony Blair, qui avait contacté le directeur de l’institut où travaillait Pustai…

– Votre enquête souligne le rôle des whistleblowers, ces lanceurs d’alerte qui se battent pour que la vérité se fasse et en paient le prix fort.

– J’en ai rencontré beaucoup. Ces gens, des scientifiques, fonctionnaires ou journalistes, sont très meurtris, car en général ils ont une très haute conception de leur travail. Des décennies après les faits, ils évoquent leur descente aux enfers avec des larmes dans la voix. Je me souviens d’un vétérinaire de la FDA, Richard Burroughs, qui a été viré pour «incompétence» après avoir alerté sa hiérarchie sur les dangers de l’hormone transgénique de croissance bovine de Monsanto.

– Vous-même, craignez-vous une riposte judiciaire?

– Le livre et le film ont été vus et revus par un avocat. Le livre est traduit dans neuf langues, le film sort dans vingt pays. Partout on en remet une couche avec des avocats. Mais c’est béton. En plus, ce qui n’était pas prévu, c’est l’écho absolument incroyable rencontré sur internet et l’énorme succès de mon enquête. Une attaque me ferait encore plus de publicité. Ce «buzz» international me rassure aussi dans la mesure où, dans certains pays, je cours des risques. Au Brésil, on engage un tueur à gages pour cinquante dollars.

– Comment a réagi Monsanto, qui avait refusé de répondre à vos demandes d’interview?

– Elle a annoncé sur son site internet qu’elle ne communiquerait ni sur mon film ni sur mon livre. «Qui ne dit mot consent», en a conclu Le Monde (rire). I
Note : Le Monde selon Monsanto, ARTE éditions/La Découverte, 372 pp.

ENCADRÉ

«La solution vient des consommateurs»

– RA: Le projet de Monsanto est «totalisant», dites-vous?

– MMR: Fille d’agriculteurs, je comprends parfaitement que les paysans, qui ont de la peine à survivre, tombent dans le panneau quand on leur vend un miracle. On leur promet que le maïs Bt leur fera consommer moins d’insecticide, mais c’est rapidement le contraire qui se produit. C’est pour les paysans que j’ai dressé le bilan de dix ans de cultures OGM dans ce laboratoire à ciel ouvert que sont l’Amérique du Nord et du Sud. On a la chance en Europe de bénéficier de ce bilan catastrophique sur les plans économique, social et environnemental: les mauvaises herbes sont devenues résistantes au Roundup, il faut donc des pesticides toujours plus puissants; pour les plantes Bt, les premières études aux USA montrent que les insectes sont devenus résistants. Cette logique industrielle a pour seul but le brevetage des semences, qui garantissent la mainmise sur ce marché. C’est tellement vrai que Monsanto, qui avait une division pharmaceutique très performante, l’a vendue pour financer son programme d’acquisition mondial de firmes semencières afin d’imposer ses OGM dans le monde. Aux Etats-Unis, Monsanto est soupçonnée d’avoir violé la loi antitrust. Il peut lui arriver la même chose qu’à Microsoft. Ce qui est piquant puisque Monsanto a toujours dit vouloir devenir le Microsoft de l’alimentaire.

– En Inde, vous avez observé la ruine des petits paysans qui conduit à de nombreux suicides.

– J’ai filmé au Maharashtra les funérailles d’un jeune qui s’était suicidé trois jours auparavant en buvant un litre de pesticide, comme pour symboliser que c’est ce produit qui mène à la mort des paysans. Il y a en moyenne trois suicides quotidiens de paysans dans cette région. En plus de se ruiner en achetant toujours plus de pesticides, ils doivent payer des semences transgéniques hors de prix, qui, après la première année, ont un mauvais rendement. C’est la ruine. Les paysans jurent qu’ils n’achèteront plus de coton Bt. Mais comme Monsanto a racheté toutes les compagnies semencières de coton du pays en y imposant ses OGM, il est très difficile de trouver d’autres semences.

– Quelles sont les perspectives de résistance?

– J’ai constaté partout de la résistance. Mais la tendance est à la criminaliser. Au Paraguay, on assassine des militants. En Inde, il y a des arrestations régulières. En France, on a créé le délit de fauchage contre le mouvement des «Faucheurs volontaires». En Amérique du Nord, on se bat pour l’étiquetage des produits OGM. Un combat clé, car il est clair que le jour où cette barrière tombera, ce sera la fin des OGM: pourquoi risquer de consommer une huile issue de grains arrosés de Roundup s’il y a une alternative? Partout, la demande de produits bio augmente. La solution vient des consommateurs.

– N’est-il pas trop tard?

– En Europe, seule l’Espagne a des cultures OGM. Mais, au Canada, où le colza Roundup ready a été introduit en 1997, tout est aujourd’hui contaminé par la pollution génétique. Pour revenir à la situation antérieure, il faudrait tout arracher et attendre quinze ans avant de replanter. RA

Une initiative à reproduire!

Suite à la projection débat à Montauban, une action est en cours auprès des commerçants du département:

Voici le modèle de lettre proposé.

Lors de mes interventions, j’insiste, en effet , sur l’incohérence de la réglementation européenne qui exige l’étiquetage des produits contenant des OGM, directement ingérés par les consommateurs, mais pas des animaux qui ont été nourris avec des OGM.
Un amendement demandant l’étiquetage du bétail nourri aux OGM avait été déposé lors de l’examen de la loi, mais il avait été rejeté…

Je dis encore une fois qu’aucun consommateur avisé n’a intérêt à manger un poulet nourri avec du soja arrosé de roundup ou avec du maïs insecticide …

Les grands producteurs d’OGM d’Amérique n’ont pas voulu du blé RR de Monsanto

Comme me l’a expliqué l’agronome René van Acker, auteur d’une étude commandée par la Commission canadienne du blé (pro OGM), la disparition de la filière bio du colza canadien, à cause de la contamination par le colza transgénique de Monsanto, a poussé les grands producteurs d’OGM d’Amérique à se battre contre la mise sur le marché du blé Roundup ready.
De fait, m’a -t-il expliqué, la pollution génétique est telle que pour revenir à la situation antérieure à l’introduction dans les champs du gène de résistance au roundup , un vrai cadeau pourri, « il faudrait tout arracher et demander aux paysans d’arrêter de cultiver le colza pendant au moins dix ans, car les graines de colza dorment très longtemps dans le sol »…
Je reproduis ici l’extrait de mon livre (chapitre 11: Blé transgénique la bataille perdue de Monsanto en Amérique du Nord) qui relate l’histoire d’un échec , passé sous silence par les défenseurs de Monsanto, qui prouve que même les producteurs d’OGM considèrent la « pollution transgénique » comme un fléau aussi incontournable que funeste….

Je rappelle que ces interviews ont été réalisées dans le cadre de mon documentaire » Blé : Chronique d’une mort annoncée », diffusé sur ARTE le 15 novembre 2005.

Monsanto se casse les dents sur le blé

On raconte que, le 10 mai 2004, les bouchons de champagne ont sauté au bureau de Greenpeace à Ottawa, ainsi que chez tous ses alliés naturels d’Amérique du Nord, mais aussi dans les… prairies transgéniques de l’Ouest du Canada et du Midwest des États-Unis.

Ce jour-là, la firme de Saint-Louis annonçait dans un communiqué de presse lapidaire qu’elle avait décidé de « différer tous ses efforts supplémentaires pour introduire un blé Roundup ready », après avoir mené une « consultation intense » avec les « clients et les leaders de l’industrie du blé ».
« C’est le dialogue qui a conduit à la décision sur le blé », insiste-t-elle dans son Pledge de 2004 .

Ce langage euphémisé cache un extraordinaire bras de fer qui conduisit au plus grand échec jamais enregistré par Monsanto. Pour la première fois de son histoire, la multinationale avait été contrainte de renoncer à la mise sur le marché d’un produit pour lequel elle avait investi plusieurs centaines de millions de dollars en « R & D » (recherche et développement).

« Pour nous, ce fut une victoire inespérée, qui entérine l’échec économique des cultures transgéniques », m’a expliqué quand je l’ai rencontré en octobre 2004, Dennis Olson, un économiste de l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IAPR) de Minneapolis (Minnesota) qui participa très activement à la campagne américaine contre le blé Roundup ready.

« Elle était d’autant plus symbolique qu’elle fut obtenue en Amérique du Nord, où sont nés les OGM, et grâce au soutien déterminant de ceux qui les cultivent. »

Pourtant, lorsqu’à la veille de Noël 2002, la firme de Saint-Louis annonce qu’elle a déposé une demande de mise sur le marché, simultanément à Ottawa et Washington, pour un blé de printemps résistant au Roundup, l’affaire semble acquise, tant elle opère en terrain conquis.
Ce faisant, elle a oublié un « détail » qui lui sera fatal : jusqu’à présent, tous ses OGM ne concernaient que des cultures utilisées essentiellement comme fourrage ou pour la fabrication d’huiles et de vêtements (soja, colza, coton), plus rarement pour la consommation directe des humains (maïs).
Mais avec le blé, plante mythique s’il en est, c’est une autre histoire : en manipulant la céréale dorée qui couvre près de 20 % des terres cultivées de la planète et représente la nourriture de base d’un homme sur trois, elle touchait à un symbole — culturel, religieux et économique — né avec l’agriculture, il y a 10 000 ans, quelque part en Mésopotamie .

Et ce « symbole » est aussi le « pain quotidien » — au sens propre et figuré — des puissants céréaliers d’Amérique du Nord, qui cultivent précisément le blé roux de printemps, dans lequel Monsanto a introduit son gène Roundup ready.

Surnommé le « roi des blés », en raison de sa teneur exceptionnelle en protéines et en gluten, celui-ci est cultivé dans quatre États au nord des États-Unis — le Dakota du Nord et du Sud, le Montana et le Minnesota —, ainsi que, de l’autre côté de la frontière, dans les prairies du Saskatchewan, à l’Ouest du Canada .

Le pays de Percy Schmeiser, le héraut de la résistance aux OGM. Bien évidemment, ces grands céréaliers sont aussi des producteurs de soja, colza ou maïs transgéniques, mais s’ils se sont opposés au dernier avatar des bricoleurs du Missouri, c’est essentiellement pour des raisons économiques.

« Le Canada exporte 75 % de sa production annuelle de blé, qui s’élève en moyenne à 20 millions de tonnes », m’a expliqué Ian McCreary, le vice-président de la Commission canadienne du blé (CCB), dirigée par les producteurs et qui contrôle toute la commercialisation des grains produits dans les prairies, en vertu d’une loi fédérale de 1935.

« Cela représente environ 2 milliards d’euros de revenus chaque année. Or, tous nos clients internationaux, avec en tête le Japon et l’Europe, ont clairement exprimé qu’ils ne voulaient pas de blé transgénique. Si le blé de Monsanto avait été mis sur le marché, les 85 000 céréaliers de l’Ouest du Canada pouvaient mettre la clé sous la porte. »

À quarante-deux ans, Ian McCreary exploite une ferme de 700 hectares près de Bladworth, au cœur de cette immense province plate et morne, surnommée la « corbeille à pain ». Quand je le rencontre, en septembre 2004, il procède, avec sa femme Mary, aux derniers réglages de sa moissonneuse-batteuse. Ambiance de bout du monde avec, à perte de vue, des milliers d’hectares de blé, qui scintillent sous le ciel d’un bleu d’acier, vers lequel se dressent, ici et là, d’immenses silos à grains posés sur les prairies comme des pièces de Lego.

« Ici, nous sommes très loin de tout, sourit Ian McCreary, après avoir prononcé un benedicite pour ouvrir le déjeuner familial. Les coûts de transport sont astronomiques et, pour que notre travail soit rentable, nous devons nous concentrer sur la qualité de notre blé, très prisé par tous les minotiers du monde, qui le mélangent avec des variétés d’une qualité boulangère inférieure. Comme pour le colza ou le maïs, les OGM auraient entraîné une baisse des prix et nous ne pouvons pas nous permettre de vendre du blé pour le fourrage.
– Mais Monsanto dit que son blé aurait permis de résoudre le problème des mauvaises herbes, dis-je.
– Contrairement au soja, les mauvaises herbes ne représentent pas vraiment un problème pour le blé, me répond Ian McCreary. Je crois que c’est surtout Monsanto qui avait un problème : son brevet sur le Roundup venait d’expirer et la firme voulait se rattraper en vendant de l’herbicide et des semences pour l’une des plus grandes cultures nourricières du monde. Quant aux céréaliers, ils craignaient que le blé Roundup ready augmente les dépenses en herbicides à cause de l’apparition de “volontaires”, sans parler du coût exorbitant des semences brevetées : dans les prairies, nous avons l’habitude de conserver nos semences de blé au moins dix ans avant d’en acheter de nouvelles… »

Voilà comment la puissante CCB s’est retrouvée à battre la campagne, aux côtés de Greenpeace et du Conseil des Canadiens (la plus importante association de consommateurs du pays), « deux organisations avec lesquelles elle était entrée en conflit dans le passé », ainsi que le souligne en février 2003 le Toronto Star, pour « opposer un front uni contre le blé OGM ».

Dans leur article, les journalistes citent une lettre adressée par un représentant de Rank Hovis, le plus grand meunier britannique, à la CCB :

« Si vous cultivez du blé modifié génétiquement, nous ne serons plus en mesure d’acheter aucun de vos blés, transgénique ou conventionnel, […] car nous ne pourrons tout simplement pas les vendre. »

Au même moment, Grandi Molini Italiani, le plus important minotier italien, adressait un message similaire aux céréaliers nord-américains , bientôt rejoint par la puissante association des meuniers japonais, qui, par la voix de Tsutomu Shigeta, son directeur exécutif, prédisait un « effondrement du marché » si le blé de Monsanto envahissait les prairies, la majorité des consommateurs n’en voulant pas (en mai 2003, un sondage réalisé pour la Western Organization of Resource Councils avait révélé que 100 % des importateurs de blé japonais, chinois et coréens contactés refuseraient d’acheter du blé transgénique).

Aux États-Unis, où 50 % du blé est exporté, pour un montant annuel alors de quelque 5 milliards de dollars, le message a été reçu cinq sur cinq par tous les céréaliers, y compris ceux qui ne cultivent pas de blé de printemps.

« L’impact sur le marché concerne tous les producteurs », expliquait ainsi Alan Tracy, le président de la US Wheat Associates, qu’avait ébranlé une étude publiée en octobre 2003 par Robert Wisner, un économiste de l’université de l’Iowa. Celui-ci avait examiné l’impact qu’aurait la mise sur le marché du nouvel OGM sur l’économie du blé et son tableau était très sombre : chute de 30 % à 50 % des exportations du blé roux de printemps, et plus encore pour les autres variétés de blé dur ; réduction des prix des deux tiers ; perte d’emplois sur toute la filière et répercussions en cascade sur toute la vie rurale.

« Une large majorité de consommateurs et acheteurs étrangers ne veulent pas de blé transgénique, expliquait l’économiste. Qu’ils aient tort ou raison, les consommateurs représentent la force motrice dans les pays où l’étiquetage permet de choisir . »

C’est ainsi qu’on a vu des centaines de farmers, qui avaient applaudi l’arrivée des OGM moins de dix ans auparavant, parcourir les « grandes plaines du nord » pour « lutter contre la biotechnologie ».

Dans le Dakota du Nord, mais aussi dans le Montana, la résistance s’est « consolidée en un mouvement politique », qui a demandé le vote d’un moratoire pour le blé de Monsanto. La firme de Saint-Louis a remué ciel et terre pour faire capoter ces initiatives. Pour faire rentrer au bercail les brebis égarées, elle est allée jusqu’à affréter un avion, qui a conduit une délégation de rebelles du Dakota du Nord à son siège du Missouri, où ils ont été reçus par… Robert Fraley, l’un des « inventeurs » du soja RR, promu vice-président. Celui-ci leur a laissé entendre que le fait de « s’opposer à Monsanto faisait le jeu des groupes environnementaux radicaux ». « À ce moment-là, raconte Louis Kuster, l’un des paysans invités, j’ai senti la moutarde me monter au nez. Je l’ai regardé droit dans les yeux et je lui ai dit : “Vous n’êtes pas en train de parler aux Verts. Nous aussi nous avons besoin de gagner de l’argent” … »

FIN DE L’EXTRAIT

Et suite bientôt!

L’échec du coton BT en Inde/ Rushes

Je mets ici en ligne l’interview de femmes indiennes qui ont suivi et filmé la culture du coton BT dans le secteur de Warangal (Andhra Pradesh).

Pour plus d’informations, je retranscris la partie de mon livre s’y référant:

DÉBUT EXTRAIT:

Le dramatique échec du coton transgénique de Monsanto

Le 20 février 2002, au grand dam des organisations écologistes et paysannes, le Comité d’approbation du génie génétique du gouvernement indien donne son feu vert aux cultures de coton Bt. Cela fait déjà belle lurette que les fameux négociants de Mahyco Monsanto Biotech sillonnent les campagnes du sous-continent pour vendre leurs produits transgéniques à un moment où la première vague de suicides décime les villages.
Pour attirer le chaland, la firme ne lésine pas sur les moyens : elle engage une star de Bollywood pour vanter les OGM à la télévision (très regardée en Inde), tandis que des dizaines de milliers d’affiches sont apposées dans tout le pays où l’on voit des paysans tout sourire posant à côté d’un tracteur flambant neuf, prétendument acquis grâce aux bienfaits du coton Bt.

La première année, 55 000 paysans, soit 2 % des producteurs de coton indiens, acceptent de se lancer dans l’aventure transgénique.
« J’ai entendu parler de ces semences miraculeuses qui allaient me libérer de l’esclavage des pesticides, témoigne en 2003 pour The Washington Post un paysan de vingt-six ans de l’Andhra Pradesh, l’un des premiers États à avoir autorisé la commercialisation des OGM (en mars 2002).
La saison dernière, dès que je voyais les parasites arriver, je paniquais. J’ai pulvérisé des pesticides sur mes cultures au moins vingt fois, mais cette année, ce ne fut que trois fois . »
Indépendamment de cet avantage manifeste (qui, comme nous le verrons, disparaîtra rapidement en raison de la résistance développée par les insectes aux plantes Bt), le reste du tableau est beaucoup moins brillant, ainsi que le rapportent les paysans interrogés par The Washington Post, au terme de leur première récolte OGM :
« J’ai été moins bien payé pour mon coton Bt, parce que les acheteurs ont dit que la longueur de sa fibre était trop courte, rapporte ainsi l’un d’entre eux. Les rendements n’ont pas augmenté, et comme le prix de la semence est si élevé, je me demande si cela valait la peine . »

En effet, le brevetage des semences étant (pour l’heure) interdit en Inde, la firme de Saint-Louis ne peut pas faire appliquer le même système qu’en Amérique du Nord, à savoir exiger que les paysans rachètent tous les ans leurs semences sous peine de poursuite ; pour compenser ses « pertes », elle a donc décidé de se rabattre sur le prix des semences, en le quadruplant : alors qu’un paquet de 450 grammes coûte 450 roupies pour les semences conventionnelles, son prix s’élève à 1 850 roupies pour les OGM.

Enfin, note mon confrère du Washington Post, « le ruineux ver américain n’a pas disparu »…
Ces résultats plus que médiocres n’empêchent pas Ranjana Smetacek, la directrice des relations publiques de Monsanto India , de déclarer avec un bel aplomb :
« Le coton Bt a très bien marché dans les cinq États où il a été cultivé . »

Les témoignages rapportés par The Washington Post ont pourtant été confirmés par plusieurs études.
La première a été commanditée, dès 2002, par la Coalition pour la défense de la biodiversité (CDB) de l’Andhra Pradesh, qui regroupe cent quarante organisations de la société civile, dont la Deccan Development Society (DDS), une ONG très respectée, spécialiste de l’agriculture raisonnée et du développement durable.
La CDB a demandé à deux agronomes, le docteur Abdul Qayum, ancien cadre du ministère de l’Agriculture de l’État, et Kiran Sakkhari, de comparer les résultats agricoles et économiques du coton Bollgard avec ceux du coton non transgénique, dans le district du Warangal, où
1 200 paysans avaient succombé aux promesses de Monsanto.
Pour cela, les deux scientifiques ont observé une méthodologie très rigoureuse, consistant à suivre mensuellement les cultures transgéniques, depuis les semis (août 2002) jusqu’à la fin de la saison (mars 2003), dans trois groupes expérimentaux : dans deux villages, où vingt-deux paysans avaient planté des OGM, quatre ont été sélectionnés par tirage au sort ; à la mi-saison (novembre 2002), vingt et un paysans, provenant de onze villages, ont été interrogés sur l’état de leurs cultures transgéniques, avec, à la clé, une visite de leurs champs ; enfin, à la fin de la saison (avril 2003), un bilan a été dressé auprès de 225 petits paysans, choisis de manière aléatoire parmi les 1 200 producteurs OGM du district, dont 38,2 % possédaient moins de cinq acres (deux hectares) de terres, 37,4 % entre cinq et dix acres et 24,4 % plus de dix acres (ces derniers étant considérés en Inde comme de gros paysans).
Bien évidemment, dans le même temps, étaient enregistrées, avec la même rigueur, les performances des producteurs de coton conventionnel (groupe contrôle). Si je donne tous ces détails, c’est pour bien souligner qu’une étude scientifique digne de ce nom est à ce prix, à moins de n’être que de la propagande fumeuse…

Les résultats de cette vaste enquête de terrain sont sans appel :
« Les coûts de production du coton Bt ont été en moyenne plus élevés de 1 092 roupies (par acre) que pour le coton non Bt, parce que la réduction de la consommation de pesticides a été très limitée, écrivent les deux agronomes. De plus, la baisse de rendement a été significative (35 %) pour le coton Bt, ce qui a entraîné une perte nette de 1 295 roupies en comparaison avec le coton non transgénique, lequel a enregistré un profit net de 5 368 roupies. 78 % des agriculteurs qui avaient cultivé du coton Bt ont déclaré qu’ils ne recommenceraient pas l’année prochaine . »
Pour donner de la chair à ce dispositif irréprochable d’un point de vue scientifique, la Deccan Development Society (DDC) a joint à l’initiative une équipe de « camerawomen aux pieds nus », pour reprendre l’expression du docteur P.V. Satheesh , le fondateur et directeur de l’association écologiste.
Ces six femmes qui sont toutes des paysannes illettrées et dalit (elles font partie des intouchables, situés tout en bas de l’échelle sociale traditionnelle) ont été formées aux techniques vidéos dans un atelier ouvert par la DDC, en octobre 2001, dans le petit village de Pastapur et baptisé « Community Media Trust ».
D’août 2002 à mars 2003, elles ont filmé mensuellement chez six petits producteurs de coton Bt du district de Warangal, également suivis par les deux agronomes de l’étude.
En résulte un film qui constitue un document exceptionnel sur l’échec des cultures transgéniques : on comprend, d’abord, tout l’espoir que les paysans ont mis dans les semences Bt. Les deux premiers mois, tout va bien : les plants sont en bonne santé et les insectes absents ; arrive le désenchantement : la taille des plants est très petite et les capsules moins nombreuses que dans les champs de coton conventionnel adjacents ; en octobre, alors qu’avec la sécheresse, les parasites ont déserté les cultures traditionnelles, les plantes OGM sont assiégées par les thrips du cotonnier et les mouches blanches ; en novembre, alors que débute la moisson, l’angoisse se peint sur les visages : les rendements sont très bas, les capsules difficiles à cueillir, la fibre du coton plus courte, d’où un prix de 20 % plus bas…

J’ai rencontré mes consœurs indiennes, un jour de décembre 2006, dans un champ de coton du Warangal, où elles étaient venues filmer, en compagnie de Abdul Qayum et Kiran Sakkhari. Je dois dire que j’ai été impressionnée par le professionnalisme de ces femmes magnifiques, qui, bébé dormant dans le dos, ont déployé caméra, pied, microphones et réverbérateur pour interviewer un groupe de paysans, désespérés par l’échec catastrophique de leurs cultures Bt.
Car depuis le premier rapport publié par les deux agronomes, la situation n’a fait qu’empirer, déclenchant la seconde vague de suicides qui gagnera bientôt l’État du Maharashtra.
Inquiet de cette situation dramatique, le gouvernement de l’Andhra Pradesh a conduit à son tour une étude qui a confirmé les résultats obtenus par Abdul Qayum et Kiran Sakkhari . Conscient des conséquences électorales que ce désastre pouvait entraîner, le ministre de l’Agriculture Raghuveera Reddy a alors sommé Mahyco Monsanto d’indemniser les agriculteurs pour l’échec de leurs cultures, ce que la firme s’est empressée d’ignorer.

FIN DE L’EXTRAIT