Je vois que les lobbyistes sont de retour sur mon Blog, avec l’acharnement qui caractérise leur fonction !
Ce qui me fournit une belle occasion de remettre leurs pendules à l’heure, en rappelant les dizaines de milliers de morts que causent, chaque année, dans le monde, les pesticides. Selon une étude publiée par le Parlement européen (j’ai interviewé son auteure principale dans Les moissons du futur) en 2008, si on interdisait les seuls pesticides cancérigènes, on économiserait, chaque année en Europe, 26 milliards d’Euros par an en frais de santé ! Mais je n’en dirai pas plus, mon film et mon livre étant, pour l’heure, sous embargo !!!
Je me contenterai, aujourd’hui, de citer une étude publiée le 3 août, dans la revue scientifique PloSOne, dont Le Monde s’est fait écho, le 8 août, dans un article intitulé « L’inquiétant cocktail des pesticides sur nos cellules ». Elle confirme ce que j’ai largement démontré dans mon film et livre Notre poison quotidien, à savoir qu’à des doses infimes, telles qu’on les retrouve, dans les aliments, les pesticides constituent une véritable bombe chimique, provoquant sur les êtres humains des dysfonctionnements majeurs, liés aux grandes « épidémies » qui caractérisent l’ère industrielle : cancers, maladies neurodégénératives, et troubles de la reproduction. Cette étude concerne le fameux « effet cocktail », auquel j’ai consacré de longs développements dans Notre poison quotidien (voir extraits ci-dessous). Son originalité est que ses auteurs ont testé sur les cellules de notre système nerveux l’action conjointe de résidus très faibles de trois fongicides que l’on rencontre régulièrement sur les étals des primeurs : le pyriméthanil, le cyprodinil et le fludioxonil.
« Résultat : les dommages infligés aux cellules sont jusqu’à vingt ou trente fois plus sévères lorsque les pesticides sont associés, écrit Le Monde. « Des substances réputées sans effet pour la reproduction humaine, non neurotoxiques et non cancérigènes ont, en combinaison, des effets insoupçonnés », résume l’un des auteurs de l’étude, le biologiste moléculaire Claude Reiss, ancien directeur de recherche au CNRS et président de l’association Antidote Europe.
« On observe l’aggravation de trois types d’impacts », détaille le chercheur français : « La viabilité des cellules est dégradée ; les mitochondries, véritables « batteries » des cellules, ne parviennent plus à les alimenter en énergie, ce qui déclenche l’apoptose, c’est-à-dire l’autodestruction des cellules ; enfin, les cellules sont soumises à un stress oxydatif très puissant, possiblement cancérigène et susceptible d’entraîner une cascade d’effets. »
Alors que la maladie de Parkinson a rejoint – enfin !- le tableau des maladies professionnelles agricoles liées à l’usage des pesticides (voir sur ce Blog), les auteurs de l’étude citent « parmi les conséquences possibles de telles agressions sur les cellules », « le risque d’une vulnérabilité accrue à des maladies neurodégénératives comme Alzheimer, Parkinson ou la sclérose en plaques ». C’est d’autant plus inquiétant que les poisons agricoles testés se retrouvent sur la plupart des raisins « conventionnels » – entendez « chimiques » – vendus dans les supermarchés….
Début juin, j’ai été auditionnée par la Commission « pesticides » du Sénat, à qui j’ai présenté les résultats des études conduites par les laboratoires de Ulla Hass et de Andreas Kortenkamp sur l’ « effet cocktail ».
Je reproduis ici l’extrait de mon livre concernant ma rencontre avec Ulla Hass.
« Les nouvelles mathématiques des mélanges : 0+0+0 = 60 »
Une fois n’est pas coutume, les laboratoires qui font référence dans le domaine de la toxicologie des mélanges chimiques sont européens, en l’occurrence danois et britannique. Le premier est dirigé par Ulla Hass, une toxicologue qui travaille à l’Institut danois de la recherche alimentaire et vétérinaire, situé à Soborg, dans la banlieue de Copenhague. Je l’ai rencontrée un jour enneigé de janvier 2010. Avant de commencer notre entretien, elle m’a fait visiter sa « ménagerie », une pièce d’un blanc clinique où sont installées les cages des rats wistar qu’elle utilise pour ses expériences. Grâce au soutien de l’Union européenne et en collaboration avec le centre de toxicologie de l’université de Londres, elle a conduit une série d’études visant à tester les effets des mélanges de substances chimiques, ayant une action anti-androgène, sur des rats mâles exposés in utero. Dans la première d’entre elles, le cocktail comprenait deux fongicides, la vinclozoline et le procymidone (voir supra, chapitre 13), et la flutamide, un médicament prescrit pour traiter le cancer de la prostate[i].
« Qu’est-ce qu’un anti-androgène ?, ai-je demandé à la toxicologue danoise.
– C’est une substance chimique qui affecte l’action des androgènes, c’est-à-dire des hormones masculines comme la testostérone, m’a-t-elle répondu. Or, les hormones masculines sont capitales pour la différenciation sexuelle qui, chez les humains, a lieu à la septième semaine de grossesse. Ce sont elles qui permettent au modèle de base, qui est féminin, de se développer en un organisme masculin. Donc, les anti-androgènes peuvent faire dérailler le processus et empêcher le mâle de se développer correctement.
– Comment avez-vous procédé pour votre étude ?
– Nous avons d’abord observé les effets de chaque molécule séparément en essayant de trouver, pour chacune d’elles, une dose très basse qui ne provoquait aucun effet. Je vous rappelle que notre objectif était de mesurer l’effet potentiel des mélanges, il était donc particulièrement intéressant de voir si trois molécules qui individuellement n’avaient pas d’effet pouvaient en avoir une fois mélangées. Et ce fut exactement les résultats que nous avons obtenus. Prenons, par exemple, ce que nous appelons la “distance anogénitale”, qui mesure la distance entre l’anus et les parties génitales de l’animal. Elle est deux fois plus longue chez le mâle que chez la femelle, et c’est précisément dû au rôle des androgènes pendant le développement fœtal. Si elle est plus courte chez les mâles, c’est un indicateur de l’hypospadias, une malformation congénitale grave des organes de reproduction masculins. Quand nous avons testé chaque produit séparément, nous n’avons constaté aucun effet, ni aucune malformation. Mais quand nous avons exposé les fœtus mâles à un mélange des trois substances, nous avons observé que 60 % d’entre eux développaient plus tard un hypospadias, ainsi que des malformations graves de leurs organes sexuels. Parmi les malformations que nous avons observées, il y avait notamment la présence d’une ouverture vaginale chez certains mâles qui avaient, par ailleurs, des testicules. En fait, ils étaient sexuellement dans l’entre-deux sexes, comme des hermaphrodites. »
Et la toxicologue de conclure par cette phrase que je n’oublierai jamais : « Nous devons apprendre de nouvelles mathématiques quand nous travaillons sur la toxicologie des mélanges, parce que ce que disent nos résultats, c’est que 0 + 0 + 0 fait 60 % de malformations…
– Comment est-ce possible ?
– En fait, nous assistons à un double phénomène : les effets s’additionnent et ils entrent en synergie pour décupler, m’a expliqué Ulla Hass.
– C’est effrayant ce que vous dites, surtout quand on sait que chaque Européen a ce que l’on appelle une “charge chimique corporelle” ! Ce que vous avez observé chez les rats pourrait-il aussi se produire dans nos organismes ?
– En fait, le gros problème, c’est que nous n’en savons rien, a soupiré Ulla Hass, qui a alors fait la même remarque que son collègue Tyrone Hayes. Il est très difficile de comprendre pourquoi cela n’a pas été pris en compte plus tôt. Quand vous allez à la pharmacie pour acheter un médicament, il est écrit sur le mode d’emploi qu’il faut faire attention si vous prenez d’autres médicaments, car il peut y avoir une combinaison d’effets. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que l’on ait le même phénomène avec des polluants chimiques.
– Pensez-vous que les toxicologues doivent complètement revoir leur manière de fonctionner ?
– Il est clair que pour pouvoir évaluer la toxicité des mélanges chimiques, et tout particulièrement celle des perturbateurs endocriniens, il faut sortir du modèle qu’on nous a enseigné, qui veut qu’à une faible dose on ait un petit effet et à une forte dose un gros effet, avec une courbe linéaire dose-effet. C’est un modèle simple et rassurant, mais qui, pour de nombreuses molécules chimiques, ne sert à rien. En revanche, il faudrait développer des outils comme ceux mis en place par le laboratoire d’Andreas Kortenkamp, à Londres, avec qui mon laboratoire collabore. Après avoir entré toutes les caractéristiques chimiques des trois substances que nous avons testées dans un système informatique, il a pu prédire, grâce à un logiciel spécifique, quels allaient être les effets de l’addition et de la synergie des molécules. C’est une piste très intéressante pour l’avenir… »
[i] Ulla Hass et alii, « Combined exposure to anti-androgens exacerbates disruption of sexual differentiation in the rat », Environmental Health Perspectives, vol. 115, Suppl. 1, décembre 2007, p. 122-128 ; Stine Broeng Metzdorff, Ulla Hass et alii, « Dysgenesis and histological changes of genitals and perturbations of gene expression in male rats after in utero exposure to antiandrogen mixtures », Toxicological Science, vol. 98, n° 1, juillet 2007, p. 87-98.
Demain: les études de Andreas Kortenkamp