La nécessité de changer de paradigme et de soutenir les résistants de Notre Dame des Landes

Je poursuis mon tour de France et d’Europe, pour présenter Les moissons du futur, enchaînant les TGV (qui arrivent de plus en plus rarement à l’heure), les voyages en voiture, tramway et autres moyens de transport. Partout où je vais, les salles sont combles, preuve que ce film et livre répondent à une attente d’un public de plus en plus large. Au moment de boucler ma valise, je suis régulièrement assaillie par un sentiment de lassitude, car ces déplacements rapprochés sont épuisants. Mais celui-ci disparaît, comme par enchantement, dès que j’entends les applaudissements chaleureux qui ponctuent systématiquement la fin du film, comme un « remerciement », pour reprendre les termes de Yashinori Kaneko, le paysan bio des Moissons du futur. Les débats qui suivent s’étirent jusque tard dans la nuit, car les questions et témoignages sont nombreux.

Il est frappant de voir le décalage qui existe entre la prise de conscience du public qu’il « faut changer de cap », ainsi que le dit dans le film Olivier de Schutter, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, et l’inertie des politiques qui continuent d’ignorer l’imminence des crises majeures qui nous attendent dans les deux prochaines décennies. Je suis surprise – pour ne pas dire déçue- de constater que le gouvernement actuel n’ait pas encore émis de signaux clairs, annonçant au minimum une amorce de changement de cap… Tout indique que nos dirigeants continuent de fonctionner avec un , vieux logiciel qui date de XXème siècle où l’on croyait le « développement » et la « croissance » illimités, au point d’en faire l’alpha et l’oméga de toute action politique. Or ces temps sont résolus, car les énergies fossiles bon marché appartiendront bientôt au passé, d’où la nécessité d’anticiper, en prenant des mesures qui préparent l’incontournable transition, sous peine d’avoir à les prendre sous la contrainte, ce qui sera beaucoup plus douloureux.

Ces mesures indispensables concernent, bien sûr , l’agriculture française, qui s’avère d’une extrême vulnérabilité, car très liée aux énergies fossiles. Mais, pour l’heure, c’est le statu quo du côté du ministère de l’agriculture et de Stéphane Le Foll, dont je crains qu’il ressemble fort à son prédécesseur (vedette des Moissons du futur !).

Même constat du côté de Matignon,Jean-Marc Ayrault continue de défendre bec et ongles son projet d’extension de l’aéroport de Nantes, à Notre Dame des Landes, qui constitue une véritable aberration, pour plusieurs raisons : d’abord, parce que l’avenir n’est pas à l’augmentation du trafic aérien, mais à sa diminution. Si nous continuons sur cette voie, seuls les nantis pourront continuer à prendre l’avion, pour se « dépayser » quelques jours dans de lointaines contrées, car tout indique que dans un avenir proche, le prix des billets d’avion sera exorbitant. De plus, comme l’a écrit Hervé Kempf, dans Le Monde (23 avril 2012), les dégâts écologiques qu’entraînera la construction de l’aéroport à l’ « utilité douteuse » sont « indiscutables » : bétonner 2000 hectares de zones humides rares, en chassant les paysans qui y travaillent, relève de la plus grande irresponsabilité et d’une cécité que seule l’addiction à un modèle dépassé – le « progrès », le « productivisme », la « croissance »– peut expliquer.

C’est pourquoi j’appelle tous les lecteurs de ce Blog à rejoindre la grande manifestation prévue à Notre Dame des Landes, samedi 17 novembre.

Au delà du projet lui-même , aussi insensé que ringard, cette bataille est hautement symbolique, car il s’agit de dire au gouvernement, élu sur des promesses de « changement » : « ça suffit ! Il faut maintenant changer de paradigme ! »

Pour toute information concernant les activités de résistance à l’aéroport de Notre Dame des Landes, consultez le site de la ZAD :

http://zad.nadir.org/

De mon côté, je continue mon travail qui consiste à ouvrir les « boîtes noires », pour reprendre l’expression du sociologue Bruno Latour, c’est-à-dire à chercher ce qui se cache derrière les « vérités établies », et les « TINA » – « There is no alternative » – selon l’affirmation lancée par Margareth Thatcher en 1980.

La prochaine « boîte noire » que je voudrais décortiquer c’est le dogme de la « croissance », dont l’aéroport de Nantes constitue une parfaite illustration.

Comme pour Les moissons du futur, je lance une nouvelle souscription (préachat d’un DVD en tirage limité avec bonus) pour soutenir la production de mon prochain film (et livre), intitulé provisoirement « Sacrée croissance ! »

Je suis convaincue que ce nouveau projet correspond à une attente du public, car, chaque jour, j’en reçois la preuve dans ma … boîte à lettres. En effet, les quelque 2000 souscripteurs (près de 2300 souscriptions) qui ont soutenu la réalisation des Moissons du futur (dont le titre provisoire était « Comment on nourrit les gens ? ») ont reçu récemment leur DVD (avec 70 minutes de bonus) et un flyer pour souscrire à « Sacrée croissance ! ». En une semaine, j’ai déjà reçu une soixantaine de souscriptions par la poste !

Pour plus d’informations sur ce projet, consultez le site de m2rfilms :

http://www.m2rfilms.com/crbst_19.html

Jeudi dernier, j’ai présenté Les moissons du futur au Parlement européen. Cette projection était organisée par les députés européens Thijs Berman (S&D), Charles Goerens (ALDE), Mariya Gabriel (EPP) et Bart Staes (the Greens) . Une soixantaine de députés, assistants parlementaires et représentants de la Commission européenne étaient présents :

http://www.festival-alimenterre.org/breve/8-novembre-2012-marie-monique-robin-parlement-europeen

Le lendemain, vendredi, j’ai ouvert le colloque « The Potential of Agroecology » , organisé par Bart Staes, un député flamand écologiste, auquel ont participé 500 personnes (plus de 200 n’ont pas pu y assister faute de place !)

http://www.greens-efa.eu/the-potential-of-agroecology-7300.html

Au cours du colloque, un extrait de 20 minutes des Moissons du futur, concernant l’expérience de Manfred et Friedrich Wenz (voir vidéo –ci dessous) a été présenté :



Pour l’agenda des projections où je serai présente, consultez le site de m2rfilms, car je vais sillonner la France pendant un mois quasi complet !

http://www.m2rfilms.com/crbst_13.html

http://www.cg64.fr/actualites/moissons-du-futur-ou-comment-lagroecologie-peut-nourrir-monde.html

Pour finir, je constate avec plaisir que mon livre Les moissons du futur rencontre un beau succès. Voici un commentaire glané sur la toile, parmi de nombreux autres :

http://leblogdemylene.centerblog.net/204-les-moissons-du-futur

agenda et interview de Catherine Badgley (université du Michigan)

Au moment où j’écris ces lignes, mon film Les moissons du futur est diffusé sur la RTS, en Suisse. Le 25 septembre, il avait été diffusé sur la RTBF, en Belgique.

Demain, je pars à Luxembourg, pour une avant-première du film, qui sera diffusé sur RTL Luxembourg, le 14 octobre. Pendant cette journée très chargée, je rencontrerai notamment le ministre de la Santé Mars Di Bartolomeo, à qui je remettrai mon livre Les moissons du futur.

Jeudi 11 octobre, je serai à Bruxelles, où le film fera l’ouverture du festival Alimenterre :

http://www.festivalalimenterre.be/

Par ailleurs, cette semaine vont sortir les articles de presse et émissions de radio présentant mon nouveau film et livre. Voici quelques rendez-vous :

–       demain (mercredi 10), vers 13 heures 40, la Nouvelle édition de Canal + diffusera un reportage sur la Greenpride (voir sur ce Blog), dans lequel je suis interviewée comme marraine de l’événement.

–       samedi 13 octobre, Europe 1 diffusera une interview à 15 heures.

–       ce même samedi, je participerai à l’émission C02 mon amour sur France Inter

–        lundi 15 octobre, je serai à 8 heures dans le journal de Radio Nova

–       mercredi 16 octobre, le jour de la diffusion du film sur ARTE, je serai à 8 heures 30 dans Le Mouv, puis sur France Info

–   jeudi 18 octobre, de 14 à 15 heures sur France Culture

Par ailleurs, j’invite les internautes à lire cet article paru dans Libération , le 25 septembre dernier. Sylvestre Huet y rapporte l’expérience menée pendant plus de dix ans par Nicolas Munier-Jolain,  un chercheur de l’INRA, qui a testé la possibilité de se passer de poisons agricoles (herbicides) dans des grandes cultures, notamment de blé.

Et (bien sûr) ça marche !

La solution c’est de sortir des monocultures, en reconstituant la qualité des sols, grâce à la (ré)introduction dela biodiversité dans les champs. Comme le dit très bien l’agronome, « il faut revenir à l’agronomie », et, donc, cesser de considérer les sols comme un simple support sur lequel on déverse des produits, en oubliant qu’un sol est un organisme vivant que l’ont doit soigner, faute d’avoir des problèmes insurmontables avec les « adventices » (les plantes sauvages qui poussent au milieu des cultures que les promoteurs de l’agriculture industrielle appellent « mauvaises herbes ») ou les ravageurs.

Dans mon film Les moissons du futur , on verra comment Manfred et Friedrich Wenz, deux agriculteurs bios allemands, se sont complètement débarrassés de ces problèmes depuis qu’ils ont arrêté les engrais, herbicides  et insecticides chimiques. On verra aussi comment, chaque année, des dizaines d’agriculteurs allemands se ruent sur les journées portes ouvertes que les Wenz organisent, car ils sont confrontés à l’érosion de leurs sols et à la résistance  insoluble des « mauvaises herbes » et ravageurs aux poisons chimiques.

La bonne nouvelle c’est qu’avec un soutien approprié (espérons que la réforme de la PAC ira dans ce sens) et un échange de savoir entre paysans, on peut réussir l’indispensable transition en quatre à cinq ans.

Voici le papier de Libération (l’internaute notera la présence de l’incontournable Wackes Seppi dans les commentaires…) :

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2012/09/cultiver-sans-herbicides-possible-dit-linra.html

Enfin, je mets en ligne l’interview que j’ai réalisée de Catherine Badgley, une paléoécologiste de l’université du Michigan, qui a publié une étude en 2006 (avec sept autres chercheurs) où elle a comparé l’agriculture biologique et conventionnelle.[i]

Cette interview, que j’ai réalisée le 22 octobre 2011,  a été mise en ligne par la RTBF, comme « bonus ».

http://www.rtbf.be/video/v_catherine-badgley?id=1762005


[i] Catherine Badgley et alii, « Organic agriculture and the global food supply », Renewable Agriculture and Food Systems, vol. 22, n° 2, 2006, p. 86-108.

Télérama et TV5

Demain (samedi 3 mars) , Télérama publiera sur son édition web un papier que j’ai écrit dans le cadre de l’opération « Journal à 100 voix« , un « journal de campagne collectif de cent personnalités du monde culturel » qui commentent la course à la présidence:

http://www.telerama.fr/

Et puis, dimanche, TV5 diffusera « Coup de pouce pour la planète« , un 26 minutes où j’étais l’invitée du jour:

http://www.tv5.ca/emissions/coup-de-pouce-pour-la-planete-100401992/marie-monique-robin-100402001.html

Photos: Solène Charrasse

agenda septembre 2011

Jeudi 22 septembre: séance de dédicaces de mon livre Notre poison quotidien à la librairie Larmitière projection  à Rouen (18 heures), suivie d’une projection du film au cinéma Le Melville (20 heures).

Mercredi 28 septembre, projection de Notre poison quotidien, suivie d’un débat, à la Salle des mariages de la mairie de Tours (20 heures)

jeudi 29 septembre, projection de Notre poison quotidien au Centre d’animation de la Place des Fêtes, au rue 8 rue des Lilas , Paris 19ème , à 19 heures 30, suivie d’un débat et d’une séance dédicaces.

samedi 1er octobre, participation à une table ronde au Festival du « Livre vert. Livre ouvert » » de l’Echo Parc de Mougins (Alpes Maritimes):

http://www.ecoparc-mougins.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=87

agenda et nouvelles

Pour ceux et celles qui n’auraient pas (encore !) lu mon livre Notre poison quotidien, je vous conseille cette petite critique fort informée :

http://www.cpolitic.com/cblog/2011/08/24/lecture-utile-dete-notre-poison-quotidien-de-marie-monique-robin/

J’ai reçu plusieurs messages me demandant de mettre à jour mon agenda. C’est vrai que , débordée par mes multiples déplacements et la préparation de mon prochain film et livre, j’ai eu tendance à négliger ledit agenda.

Voici donc mes activités au cours des prochains jours :

vendredi 2 septembre, Les Herbiers (Vendée). Conférence « Bon appétit, bonne chance ! » lors de la 8e édition du Festi bio énergies.

http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-La-sante-est-dans-notre-assiette-au-Festi-bio-energies_40771-1968756-pere-pdl_filDMA.Htm

samedi 3 septembre, à Bouloire (Sarthe), projection suivie d’un débat de « Notre poison quotidien » au Centre Culturel Epidaure, à 14 heures 30.

http://www.nouveauconsommateur.com/agenda/15eme-edition-festival-avenir-au-naturel-albenc

dimanche 4 septembre, à Albenc (Isère), projection suivie d’un débat de « Notre poison quotidien » au 15ème festival de l’avenir au naturel.

http://www.nouveauconsommateur.com/agenda/15eme-edition-festival-avenir-au-naturel-albenc

Par ailleurs, je signale que France Info a diffusé , aujourd’hui, un papier sur les documents de  la diplomatie américaine, révélés par Wikileaks, qui montrent que les représentants de l’administration de Washington ont organisé la riposte pour neutraliser l’impact de mon film et livre  Le monde selon Monsanto notamment en France (voir sur ce Blog).

Les éléments qui gênaient le plus les promoteurs institutionnels des OGM  étaient ma démonstration que le fameux « principe d’équivalence en substance » qui fonde la (non)réglementation des plantes transgéniques pesticides de Monsanto, ne reposait sur aucune étude scientifique et constituait une invention concoctée par la firme de Saint Louis, avec la complicité de la Food and Drug Administration (FDA), pour éviter que les OGM soient sérieusement testés.

Ces câbles diplomatiques confirment ce que j’ai longuement décrit dans mon livre, à savoir que les OGM et les brevets qui y sont liés, sont un outil utilisé par les Etats Unis et les multinationales américaines pour contrôler le marché mondial des semences, et donc la chaîne alimentaire. Ils sont la preuve de l’extrême « proximité » (pour ne pas dire « collusion »!) entre Monsanto et le gouvernement américain.

L’introduction de mon livre

Impossible de rapporter ici tous les articles qui parlent de mon film et livre « Notre poison quotidien » qui ont inspiré les unes de l’Express, le Nouvel Observateur et Télérama. Outre les articles du Monde, Le Pélerin, Sud-Ouest, Le Figaro Madame, Les Inrockuptibles, VSD, Télé 7 Jours, etc, je signale cet article de la Croix:

http://www.la-croix.com/Ce-danger-insidieux-niche-dans-nos-assiettes/article/2458059/5548

Par ailleurs, j’ai participé, hier, à un « face à face » d’une heure avec Jean-Charles Boquet, le directeur de l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) qui sera mis en ligne sur le site de Libération et fera l’objet d’un compte-rendu de deux pages dans le journal de mardi 15 mars, le jour de la diffusion de mon film.

J’informe également les internautes que je je participerai , mardi à 18 heures 20, à l’émission Le Grain à moudre, de France Culture, avec Bruno Lemaire, le ministre de l’agriculture (voir mon agenda sur ce Blog)

L’avant-première de Berlin s’est très bien passée. Après la projection, j’ai répondu aux questions du public et de Thomas Kausch (photo) qui animera le débat à la suite de la diffusion du film mardi.

Dès la semaine du 20 mars, j’entreprendrai une tournée en France pour participer à de nombreuses projections/débats. L’agenda réactualisé en permanence est déjà consultable sur le site de « Notre poison quotidien »:

http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/Notre-poison-quotidien/3750866.html

Je mets en ligne l’introduction de mon livre qui explique ma démarche pour cette nouvelle enquête.

Savoir, c’est pouvoir

« Est-ce que ce livre sera la suite du Monde selon Monsanto[i][1] ? » Cette question n’a cessé de m’être posée depuis 2008, lorsqu’au cours d’un débat ou d’une conférence, j’annonçais que je travaillais sur un nouveau projet. Oui et non, ce livre est et n’est pas la « suite de Monsanto », même si sa matière a évidemment à voir avec celle de mon enquête précédente. En effet, il en est des livres et des films – pour moi, les deux sont intimement liés – comme des perles d’un collier ou des pièces d’un puzzle : ils se succèdent et s’emboîtent sans que j’y prenne garde. Ils naissent et se nourrissent par ricochets des interrogations suscitées par le travail qui les a précédés. Et ils finissent par s’imposer comme les maillons d’une même chaîne. Dans tous les cas, le processus à l’œuvre est toujours le même : le désir de comprendre, pour ensuite transmettre au plus grand nombre les connaissances accumulées.

Trois questions à propos du rôle de l’industrie chimique

Notre poison quotidien est donc le fruit d’un long processus, commencé en 2004. À l’époque, je m’inquiétais des menaces qui pesaient sur la biodiversité : dans deux documentaires diffusés sur Arte sur le brevetage du vivant et l’histoire du blé[ii], j’avais raconté comment des multinationales obtenaient des brevets indus sur des plantes et savoir-faire des pays du Sud. Au même moment, je tournais un reportage en Argentine, qui dressait le bilan (désastreux) des cultures de soja transgénique, le fameux soja Roundup ready de Monsanto[iii]. Pour ces trois films, j’avais voyagé aux quatre coins de la planète, en m’interrogeant sur le modèle agroindustriel mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dont le but affiché était de « nourrir le monde ». J’avais constaté qu’il induisait une extension des monocultures au détriment de l’agriculture vivrière et familiale, provoquant une réduction draconienne de la biodiversité qui, à terme, constituait une menace pour la sécurité et la souveraineté alimentaires des peuples. Je notais aussi que la fameuse « révolution verte » s’accompagnait d’un appauvrissement des ressources naturelles (qualité des sols, eau) et d’une pollution généralisée de l’environnement, en raison de l’usage massif de produits chimiques (pesticides ou engrais de synthèse).

Tout naturellement, cette trilogie m’a conduite à m’intéresser à la firme américaine Monsanto, l’un des grands promoteurs et bénéficiaires de la « révolution verte » : d’abord parce qu’elle fut (et continue d’être) l’un des principaux fabricants de pesticides du xxe siècle ; ensuite, parce qu’elle est devenue le premier semencier du monde et qu’elle tente de mettre la main sur la chaîne alimentaire grâce aux semences transgéniques brevetées (les fameux « OGM », organismes génétiquement modifiés). Je ne dirais jamais assez à quel point je fus surprise de découvrir les multiples mensonges, manipulations et coups tordus dont était capable la firme de Saint Louis (Missouri), pour maintenir sur le marché des produits chimiques hautement toxiques, quel qu’en soit le prix environnemental, sanitaire et humain.

Et au fur et à mesure que j’avançais dans ce « thriller des temps modernes », pour reprendre l’expression de la sociologue Louise Vandelac, qui a préfacé l’édition canadienne du Monde selon Monsanto, trois questions ne cessaient de me tarauder. Est-ce que Monsanto constitue une exception dans l’histoire industrielle ou, au contraire, son comportement criminel – je pèse mes mots – caractérise-t-il la majorité des fabricants de produits chimiques ? Et puis, une question en appelant une autre, je me demandais aussi : comment sont évaluées et réglementées les quelque 100 000 molécules chimiques de synthèse qui ont envahi notre environnement et nos assiettes depuis un demi-siècle ? Enfin, y a-t-il un lien entre l’exposition à ces substances chimiques et la progression spectaculaire des cancers, maladies neurodégénératives, troubles de la reproduction, diabète ou obésité que l’on constate dans les pays « développés », au point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d’« épidémie » ?

Pour répondre à ces questions, j’ai décidé de m’attacher dans cette nouvelle enquête aux seules substances chimiques qui entrent en contact avec la chaîne alimentaire, du champ du paysan (pesticides) à l’assiette du consommateur (additifs et plastiques alimentaires). Ce livre n’abordera donc pas les ondes électromagnétiques, ni les téléphones portables ni la pollution nucléaire, mais uniquement les molécules de synthèse auxquelles nous sommes exposés, dans notre environnement ou notre alimentation – notre « pain quotidien » largement devenu notre « poison quotidien ». Sachant que le sujet était hautement polémique – et ce n’est pas surprenant, étant donné l’importance des enjeux économiques qui y sont rattachés –, j’ai choisi de procéder méthodiquement, en partant du plus « simple » et du moins contestable, à savoir les intoxications aiguës, puis chroniques, des agriculteurs exposés directement aux pesticides, pour aller progressivement vers le plus complexe, les effets à faibles doses des résidus de produits chimiques que nous avons tous dans le corps.

Assembler les pièces du puzzle

Notre poison quotidien est le fruit d’une longue investigation, qui a mobilisé trois types de ressources. D’abord, j’ai consulté une centaine de livres, écrits par des historiens, sociologues et scientifiques, majoritairement d’Amérique du Nord. Mon enquête doit ainsi beaucoup au précieux travail de recherche accompli par des universitaires de grand talent, comme Paul Blanc, professeur de médecine du travail et de l’environnement à l’université de Californie ou ses confrères historiens Gerald Markowitz et David Rosner, ou encore David Michaels, un épidémiologiste nommé en décembre 2009 à la tête de l’OSHA (Occupational Safety and Health Administration), l’agence américaine chargée de la sécurité au travail. Très documentés et malheureusement non traduits en français, leurs ouvrages m’ont permis d’accéder à une masse d’archives inédites et m’ont aidée à replacer l’objet de mon enquête dans le contexte beaucoup plus large de l’histoire industrielle.

C’est ainsi que je suis remontée aux origines de la « révolution industrielle » qui a précédé la « révolution verte », deux faces d’un même monstre insatiable : le progrès, censé nous apporter le bonheur et le bien-être universels, dont tout indique pourtant que, tel un Saturne des temps modernes, il menace de « dévorer ses propres enfants ». Si l’on n’effectue pas cet indispensable retour dans le temps, il est en effet impossible de comprendre comment le système de réglementation des produits chimiques a été inventé et fonctionne encore aujourd’hui – un système nourri du mépris récurrent des industriels et des autorités publiques pour les ouvriers des usines qui ont payé un lourd tribut à la folie chimique des sociétés dites « développées ».

Ce livre se nourrit aussi des multiples documents d’archives que j’ai pu glaner auprès d’avocats, organisations non gouvernementales, experts ou particuliers, particulièrement « têtus » et qui ont réalisé un travail considérable pour documenter les méfaits de l’industrie chimique. Comme par exemple l’incroyable Betty Martini, à Atlanta, dont je salue la persévérance à rassembler les pièces à conviction contre cet édulcorant de synthèse hautement suspect qu’est l’aspartame. J’ai bien évidemment gardé précieusement une copie de tous les documents que je cite au cours de ces pages, exclusifs ou méconnus de la presse et du grand public. Toutes ces pièces m’ont aidé, de façon décisive, à reconstituer le puzzle dont ce livre entend donner une image claire, sinon définitive.

Mais cette tache eût été incomplète si elle n’avait été également nourrie par la cinquantaine d’entretiens personnels que j’ai menés dans les dix pays où m’a conduite mon investigation : France, Allemagne, Suisse, Italie, Grande-Bretagne, Danemark, États-Unis, Canada, Inde et Chili. Parmi les « grands témoins » que j’ai interrogés, figurent notamment dix-sept représentants des agences d’évaluation des produits chimiques, comme l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la Food and Drug Administration (FDA) américaine ou le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé – de même que le Joint Meeting on Pesticides Residues (JMPR), le comité commun de l’OMS et de la FAO, chargé d’évaluer la toxicité des pesticides. J’ai aussi interrogé trente et un scientifiques, principalement européens et américains, à qui je voudrais rendre hommage, car ils continuent de se battre pour maintenir leur indépendance et défendre une conception de la science au service du bien commun, et non des intérêts privés. Ces longs entretiens ont tous été filmés, puisqu’ils font aussi partie de la matière de mon film Notre poison quotidien, qui accompagne ce livre.

« Le diable est dans le détail »

Notre poison quotidien est enfin le fruit d’une conviction que j’aimerais faire partager : il faut se réapproprier le contenu de notre assiette, reprendre en main ce que nous mangeons pour qu’on cesse de nous infliger de petites doses de poisons qui ne présentent aucun avantage. Comme me l’a expliqué Erik Millstone, un universitaire britannique, dans le système actuel, « ce sont les consommateurs qui prennent les risques et les entreprises qui reçoivent les bénéfices ». Mais pour pouvoir critiquer les (multiples) failles du « système » et exiger qu’il soit revu de fond en comble, il faut comprendre comment il fonctionne.

Je dois admettre qu’il ne fut pas aisé de décrypter les mécanismes qui président à l’établissement des normes régissant l’exposition à ce que le jargon édulcoré des experts appelle les « risques chimiques ». Ce fut par exemple un véritable casse-tête que de reconstituer la genèse de la fameuse « dose journalière acceptable » – ou « admissible », dite « DJA » – des poisons auxquels nous sommes tous exposés. Je soupçonne même que la complexité du système d’évaluation et de réglementation des poisons chimiques, qui fonctionne toujours derrière des portes closes et dans le plus grand secret, est aussi une manière d’assurer sa pérennité. Qui va en effet mettre son nez dans l’histoire de la DJA, ou des « limites maximales de résidus » ? Et si, par hasard, un journaliste ou un consommateur trop curieux ose poser des questions, la réponse des agences de réglementation est généralement : « Ça marche grosso modo. Et puis, vous savez, c’est très compliqué, faites-nous confiance, nous savons ce que nous faisons… »

Le problème, c’est qu’il ne peut pas y avoir de grosso modo quand il s’agit de données toxicologiques dont l’enjeu est la santé des consommateurs, y compris ceux des générations futures. C’est pourquoi, persuadée au contraire que « le diable est dans le détail », j’ai décidé de prendre le parti inverse. J’espère donc que le lecteur me pardonnera ce qu’il pourra considérer parfois comme un souci exagéré de la précision ou de l’explication, la multiplication des notes et des références. Mais mon objectif, c’est que chacun puisse devenir, s’il le désire, son propre expert. Ou, en tout cas, que chacun dispose d’arguments rigoureux qui lui permettent d’agir autant que ses moyens le lui permettent, voire d’influer sur les règles du jeu qui gouvernent notre santé. Car savoir, c’est pouvoir…


[1] Toutes les notes de référence sont classées par chapitre, en fin de ce livre, p. xxx.


Notes de fin

Notes de l’introduction

[i] Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto. De la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien, La Découverte/Arte Éditions, Paris, 2008.

[ii] Marie-Monique Robin, Les Pirates du vivant et Blé : chronique d’une mort annoncée ?, Arte, 15 novembre 2005.

[iii] Marie-Monique Robin, Argentine : le soja de la faim, Arte, 18 octobre 2005. Avec Les Pirates du vivant, il est disponible en DVD, dans la collection « Alerte verte ».