Samedi s’est déroulée place Stalingrad (Paris) la deuxième marche contre Monsanto. Organisée par le collectif des Engraineurs, celle-ci a réuni plus d’un millier de personnes, tandis qu’un peu partout dans le monde des citoyens se réunissaient pour demander que cessent l’empoisonnement des terres et des hommes ainsi que la privatisation et l’accaparement des semences.
Voici le compte-rendu qu’en a fait le site Bioaddict:
Avant d’introduire les différents intervenants , dont Laurent Pinatel, porte-parole de la confédération paysanne, Laurent Marbot vice-président du réseau des AMAP d’Île-de-France, l’économiste Geneviève Azam d’ATTAC et moi-même- Benjamin Sourice de Combat Monsanto a donné une bonne nouvelle : après les violentes manifestations qui se sont déroulées en Colombie en août et septembre (voir sur ce Blog), le gouvernement a annoncé la suspension pour deux ans de la « Résolution 9 .70 » qui interdisait aux paysans de garder une partie de leur récolte pour la resemer, l’année suivante.
Cette « résolution » , qui vise à protéger les « droits de propriété intellectuelle » sur les semences détenus par les multinationales de l’agrobusiness, comme Monsanto ou Cargill, faisait partie du « package » compris dans l’Accord de Libre Échange que la Colombie a signé avec les États Unis et qui vient d’entrer en vigueur. Aux termes de cette « résolution », plusieurs centaines de tonnes d’aliments ont été détruites en Colombie, au motif qu’ils avaient été produits avec des semences non certifiées.
Je vous invite à lire l’excellent compte-rendu mis en ligne par l’ONG GRAIN :
À Stalingrad, mon allocution a porté sur les alternatives au modèle agro-industriel incarné par Monsanto, ainsi que je les ai présentées dans mon film et livre Les moissons du futur.
Je vous invite à visionner cette courte vidéo réjouissante que j’ai tournée en « bonus » au Sénégal et qu’ARTE a mise en ligne, quelques jours avant la diffusion des Moissons du futur. Que ceux qui prétendent que l’agroécologie ne pourra pas nourrir le monde aillent se rhabiller!!
Par ailleurs, j’ai reçu des nouvelles de Sofía Gattica, l’Argentine qui avait été molestée et frappée par la police (voir sur ce Blog), lors d’une occupation du site où Monsanto veut construire une usine géante de semences transgéniques.
En tournage aux fins fonds du Népal , pour mon prochain film Sacrée croissance! (voir sur mon site: www.m2rfilms.com ) j’avais perdu le contact avec Sofía, faute d’accès à internet. La lauréate du prix Goldman a été violemment frappée à la tête par la police, puis hospitalisée. Mais, aujourd’hui, malgré les harcèlements, elle a repris sa sa place sur les lieux de l’occupation. Je vais bientôt mettre en ligne l’interview qu’elle m’a accordée lors de son passage à Paris en juin dernier.
En attendant, vous pouvez consulter ce site qui montre la violence de l’intervention policière sur le site de la future usine de Monsanto:
Enfin, je vous informe que mon film Les déportés du libre échange va entamer un tour de France, car il fait partie de la sélection du Festival Alimenterre 2013.
Je joins le communiqué de lancement de la septième édition de ce festival, qui commence, chaque année, le 16 octobre – lors de la journée mondiale de l’alimentation– et se déroule jusqu’à la fin novembre. Vous trouverez ci-dessous les dates de programmation de mon film sur tout le territoire français :
Des images et des mots sur les désordres alimentaires du monde
La transition agricole et alimentaire, concrètement, c’est possible ? Le gaspillage alimentaire chez nous, ça crée de la faim ailleurs ? L’agro-écologie, utopie ou modèle pour que chacun puisse se nourrir demain ? Le libre-échange, un moyen efficace pour favoriser le développement pour tous ou un générateur d’injustices ?
Le Festival ALIMENTERRE 2013, ce sont plus de 600 projections-débats en France, en Belgique, en Pologne, en République Tchèque et en Roumanie. En Afrique, le Festival se déroulera au Bénin, au Burkina-Faso, au Gabon, en Guinée-Conakry, à Madagascar, au Sénégal et au Togo. Les Comores et le Québec accueilleront également le Festival.
► Pour connaître les dates et lieux de projection :
Alors que je suis en tournage au Népal, je viens d’apprendre que Sofia Gatica a été maltraitée par la police, puis arrêtée, après une manifestation sur le site de Córdoba où Monsanto veut installer la plus grande usine de roundup du monde.
Je reproduis ci-dessous le billet que j’avais écrit sur mon Blog le 20 août 2012 où je relate l’histoire exemplaire de cette femme qui s’est battue contre l’empoisonnement de son quartier, situé au coeur des champs de soja transgénique.
J’avais reçu Sofía chez moi en juin dernier, lorsqu’elle était venue présenter son combat à l’UNESCO.
L’histoire de Sofía
Monsanto, encore et toujours. La firme vient d’essuyer un beau désaveu en Argentine, où Sofia Gatica, une mère de famille très courageuse vient de recevoir le prestigieux prix Goldman, pour le combat qu’elle mène depuis des années contre les épandages de roundup sur les champs de soja transgéniques qui jouxtent son quartier d’habitation.
J’avais raconté le drame de Sofia Gatica et de celles qu’on appelle les « mères de Ituzaingó», du nom du quartier qu’elles habitent dans la banlieue de Córdoba, dans mon livre Le monde selon Monsanto.
Puis, en mars 2009, j’avais rencontré SofiaGatica (ci-dessous à ma gauche) lors de deux conférences que j’avais données en Argentine sur le désastre environnemental et sanitaire du modèle transgénique (voir photos ci-dessous).
L’histoire de Sofia est exemplaire. Rien ne préparait, en effet, cette mère de famille à incarner la lutte contre les OGM de Monsanto. Au début des années 2000, Sofia perd unepetite fille peu après sa naissance, qui souffre d’un dysfonctionnement grave des reins. Désireuse de comprendre à quoi peut être due cette malformation congénitale très rare, Sofia commence à faire du porte à porte dans son quartier, entouré de champs de soja transgénique, arrosé plusieurs fois par an de roundup, le sinistre herbicide de Monsanto.
Sofia découvre que de nombreuses familles ont des problèmes de santé récurrents qui sont survenus après l’introduction des OGM en Argentine. Avec seize autres mères de famille, elle fonde l’association des « mères de Ituzaingó », qui mène une véritable enquête épidémiologique. Elle découvre ainsi que dans le quartier le taux de cancer est quarante-et-un fois supérieur à la moyenne nationale, et que l’incidence des troubles neurologiques, des malformations congénitales, ou des morts foetales y est exceptionnellement élevée.
Commence alors un difficile combat pour que les autorités acceptent simplement de s’intéresser à ce drame humain, et au-delà au désastre qu’entraînent les cultures transgéniques pour l’environnement et les populations qui vivent à proximité des OGM :Sofia a été plusieurs fois menacée de mort par ceux qui profitent des OGM de Monsanto.
Lors de la conférence que j’avais donnée à la Bibliothèque nationale de Buenos Aires, je me souviens que l’Association des avocats environnementalistes d’Argentine m’avait annoncé qu’elle allait se baser sur les nombreuses révélations du Monde selon Monsantopour assister les riverains qui voulaient porter plainte contre les épandages de roundup.
De mon côté, j’avais rencontré Alberto Hernandez, le secrétaire d’Etat à l’agriculture à qui j’avais remis un exemplaire de mon livre.
C’est ainsi qu’en 2009, puis en 2010, plusieurs juges ont pris des arrêtés interdisant l’épandage des poisons agricoles à moins de 1500 mètres des habitations.
Et puis, en juin dernier, s’est ouvert le premier procès argentin contre les épandages de pesticides à proximité des zones résidentielles.
Deux grands « sojeros » (producteurs de soja transgénique) sont accusés d’avoir commandité l’épandage aérien de glyphosate (la substance active du roundup) et d’endosulfan au-dessus de champs d’OGM proches du quartier d’Ituzaingó. J’ai été invitée à participer à ce procès comme témoin, mais j’ai dû malheureusement décliner en raison du tournage de mon film Les moissons du futur , qui montre que ce sont les pesticides et OGM- et précisément le modèle agronomique et économique qu’ils incarnent- qui affament le monde…
En d’autres termes : si on veut nourrir le monde, il faut de toute urgence interdire les poisons chimiques – pesticides et OGM – en développant des techniques agroécologiques, respectueuses des ressources naturelles, moins gourmandes en énergies fossiles et eau, captatrices de dioxyde de carbone et non plus émettrices de gaz à effet de serre comme l’est aujourd’hui l’agriculture chimique, et surtout saines pour l’environnement et les humains.
La semaine qui vient de s’écouler fut particulièrement riche et émouvante. Par un hasard de calendrier, plusieurs événements se sont succédé qui m’ont replongée dans des enquêtes très différentes que j’ai conduites au cours des vingt dernières années.
Pour commencer, j’ai reçu ce lien vers une page de France TV qui m’a surprise et, je dois reconnaître, fait très plaisir. Il s’agit d’un court reportage de Catherine Le Brech et Hervé Pozzo, avec texte, archives et interview, synthétisant l’incroyable affaire qu’a suscité mon film Voleurs d’organes, diffusé sur Planète Câble, (une version plus courte diffusée sur M6 s’intitulait Voleurs d’yeux) qui m’a valu le prix Albert Londres en 1995 et… beaucoup d’ennuis. Je vais bientôt rendre accessible sur mon site les principaux documents de cette histoire digne d’un vrai polar à laquelle j’ai consacré un livre (Voleurs d’organes : enquête sur un trafic) que je mettrai bientôt en ligne sous forme de PDF.
Dans le reportage , mes confrères ont interviewé Stéphane Joseph, le directeur de la communication du prix Albert Londres, qui raconte le rôle de « pseudo journalistes sud-américains » et de la CIA dans la campagne de diffamation et de discrédit qui a suivi ma nomination pour le « Goncourt de la presse ». Avec du recul, je me dis, aujourd’hui, que c’était la première fois, dans ma carrière de journaliste, que je faisais face à un lobbying très puissant, capable d’envoyer à Paris des émissaires de Washington et de Bogota, pour défendre à tout prix leurs sordides intérêts… Il faut croire que j’avais mis « la plume dans la plaie« , pour reprendre l’expression d’Albert Londres, car si tel n’était pas le cas, il est difficile de comprendre cette énergie déployée pour me faire enlever un prix certes « très prestigieux », mais inconnu en Colombie et aux États Unis…
Vendredi, j’ai été auditionnée à l’ambassade d’Argentine dans le cadre du procès qui se tient actuellement à Rosario contre le général Ramón Diaz Bessone , l’un des membres de la junte militaire qui prit le pouvoir après le coup d’État de mars 1976. J’avais interviewé cet idéologue fasciste et tortionnaire pour mon film (et livre) Escadrons de la mort : l’école française qui provoqua une « commotion nationale » en Argentine au point de permettre la réouverture de plus de quatre cents procès contre les bourreaux de l’une des dictatures les plus sanglantes du XXème siècle (au moins 20 000 disparus). Comme je l’ai raconté sur ce blog, j’ai déjà participé physiquement à trois procès en Argentine, comme « témoin clé ». Pour la deuxième fois, ne pouvant me rendre en Argentine, j’ai été auditionnée par vidéo conférence.J’ai été reçue chaleureusement par le ministre Luis maria Sobron, consul d’Argentine (que l’on voit sur la photo).
Pendant mon audition, le tribunal a diffusé mon film Escadrons de la mort: l’école française qui était sorti au cinéma ainsi que sur une chaîne argentine.
Pour les hispanophones, voici l’un des articles qui rapportent mon témoignage.
Ce mouvement, aujourd’hui planétaire, a été initié aux Etats Unis pour attirer l’attention des citoyens et des pouvoirs publics sur le danger que représente la firme de Saint Louis pour l’environnement, la santé des humains et la souveraineté alimentaire des peuples. Ce 25 mai, des sit-in ont eu lieu dans de nombreuses villes du monde Le monde selon Monsanto. J’ai, pour ma part, reçu des messages de tous les pays où j’ai présenté mon film et mon livre (traduit en seize langues : du Brésil, Paraguay, Argentine, Mexique, Canada, Japon, Allemagne…
Malgré une météo très incertaine, quelque 1500 personnes s’étaient réunies sur le parvis des droits de l’homme de l’esplanade du Trocadéro.
Enfin, j’informe les internautes que j’organise un bus , le 8 juin, pour tous ceux et celles qui désirent participer à ma remise de légion d’honneur à Notre Dame des Landes, par Dominique Méda, sociologue et philosophe française. Cette journée sera l’occasion de lancer un débat public sur les concepts de « développement « et de « richesse », des thèmes traités depuis de nombreuses années par Dominique Méda, qui fut dans ce domaine une pionnière. Ce sera aussi l’occasion de questionner le dogme de la croissance illimitée et de réfléchir ensemble aux alternatives théoriques et pratiques que devraient promouvoir nos hommes et femmes politiques pour faire face aux nombreuses facettes de la « crise » qui nous frappe. Pour réserver des places sur le bus, il suffit d’écrire sur la boîte de m2rfilms, où vous découvrirez le projet de ma prochaine enquête , baptisée provisoirement Sacrée croissance !, pour laquelle ( comme pour Les moissons du futur), j’ai lancé une nouvelle souscription (environ 1500 à ce jour).
Je vous invite à écouter l’émission que France Culture a consacrée à Monsanto le 10 mai dernier. Elle a débuté par un excellent reportage de Marine de La Moissonnière sur les conséquences sanitaires et environnementales du développement massif des cultures de soja transgénique. Ce reportage confirme ce que j’avais rapporté dans Argentine: le soja de la faim, diffusé sur ARTE en 2005, ainsi que dans mon livre Le monde selon Monsanto:
Lors de l’émission de France Culture, j’ai participé à un « débat » avec Jean Charles Bocquet, directeur général de l’Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP). Mais écoutez plutôt:
En écoutant le reportage de Marine de La Moissonnière, j’ai été émue d’entendre les voix de María Godoy et de Sofía Gattica, que j’avais rencontrées lors d’une projection du Monde selon Monsanto dans le quartier d’Ituzaingo:
Greenpeace a invité deux grands producteurs américains de plantes transgéniques à témoigner de leurs déboires avec les OGM de Monsanto. L’un, Wes Shoemyer exploite 1200 hectares dans le Missouri, l’État où est implanté Monsanto; l’autre, Wendel Lutz est un paysan du Midwest, comme Dale Lesser, le grand céréalier qui raconte dans Les Moissons du futur l’engrenage infernal, dans lequel l’ont plongé des OGM (voir sur ce blog l’extrait de mon film et de mon livre).
J’invite les internautes à lire l’article qu’a consacré Rue 89 aux deux agriculteurs américains:
Ce que racontent Wes Shoemyer et Wendel Lutz confirment ce que j’avais écrit dans Le monde selon Monsanto.
Voici l’extrait de mon livre où je présente le problème des « super mauvaises herbes » qui ont commencé à infester les prairies américaines dès 2004:
Quand la contamination des OGM produit de « super mauvaises herbes »
Je dois dire que je suis très impressionnée par la capacité de la firme de Saint-Louis à dire une chose et à faire exactement l’inverse. Au moment où elle harcelait Percy Schmeiser, son service de communication écrivait en effet dans son Pledge : « Dans le cas où apparaîtraient de manière non intentionnelle des variétés qui nous appartiennent dans les champs d’un agriculteur, bien évidemment nous travaillerons avec l’agriculteur pour résoudre ce problème d’une manière qui satisfasse aussi bien l’agriculteur que Monsanto . » Voilà donc pour l’habillage destiné à rassurer les actionnaires et d’éventuels clients. Sur le terrain, la réalité est tout autre, tant la contamination des OGM est devenue un problème majeur dans les prairies d’Amérique du Nord.
« En vérité, le colza transgénique s’est disséminé beaucoup plus rapidement que nous ne l’avions pensé, déclare ainsi en 2001 le professeur Martin Entz, de l’université de Manitoba (Canada). Ce fut un coup de semonce sur les effets secondaires de la biotechnologie . » La même année, le professeur Martin Phillipson constate : « Dans notre province, les agriculteurs dépensent des dizaines de milliers de dollars pour essayer de se débarrasser du colza qu’ils n’ont pas planté. Ils doivent utiliser toujours plus d’herbicides pour venir à bout de cette technologie . » Ces deux témoignages sont cités dans Seeds of Doubt (les semences du doute), un rapport publié en septembre 2002 par la Soil Association (une association britannique de promotion de l’agriculture biologique, fondée en 1946), qui dresse un bilan très détaillé des cultures transgéniques en Amérique du Nord : « La contamination massive des OGM a sévèrement affecté l’agriculture non transgénique, y compris biologique, elle a détruit le marché et sapé la compétitivité de l’agriculture nord-américaine, peut-on lire dans son introduction. Les cultures transgéniques ont aussi augmenté la dépendance des agriculteurs par rapport aux herbicides et conduit à de nombreux problèmes juridiques . »
Une étude commanditée par le ministère de l’Agriculture du Saskatchewan a ainsi révélé en 2001 que le pollen de colza Roundup ready peut se déplacer sur au moins 800 mètres, soit huit fois la distance recommandée par les autorités entre les cultures OGM et conventionnelles . Le résultat c’est que, dès 2001, l’organisme de certification biologique des États-Unis reconnaissait dans The Western Producer qu’il était quasiment impossible de trouver des semences de colza, mais aussi de maïs et de soja, qui ne soient pas contaminées par des OGM. Dans le même article, la Canadian Seed Trade Association admettait que toutes les variétés conventionnelles étaient déjà contaminées par les OGM à hauteur d’au moins 1 % . On se demande ce qu’il en est six ans plus tard…
En tout cas, anticipant sur les effets incontrôlables de la contamination transgénique, les principales compagnies d’assurance agricoles du Royaume-Uni ont annoncé en 2003 qu’elles refusaient de couvrir les producteurs de cultures OGM contre ce fléau, qu’elles comparent au problème de l’amiante ou aux actes de terrorisme, en raison des charges financières imprévisibles qu’il peut induire. Dans un sondage publié par The Guardian, les assureurs comme la National Farm Union Mutual, Rural Insurance Group (Lloyds) ou BIB Underwriters Ltd (Axa) soulignaient que « l’on en sait trop peu sur les effets à long terme des cultures [transgéniques] pour la santé humaine et l’environnement pour pouvoir proposer une quelconque protection ».
Mais une chose est sûre : en Amérique du Nord, la contamination des OGM a provoqué un véritable « bourbier de contentieux », pour reprendre les mots de la Soil Association, qui précise que celui-ci « concerne tous les niveaux de l’activité : les agriculteurs, les transformateurs, les distributeurs, les consommateurs et les entreprises de biotechnologie », les uns se retournant contre les autres, dès qu’un OGM non désiré apparaît quelque part. Pour illustrer l’absurdité insoluble de la situation, le rapport Seeds of Doubt donne l’exemple de la contamination d’un chargement de colza conventionnel canadien, arraisonné en Europe en mai 2000, parce que la présence d’un transgène de Monsanto y avait été détectée. La société Adventa a dû procéder à la destruction de milliers d’hectares, indemniser ses agriculteurs, puis déplacer sa production de semences de l’ouest vers l’est du Canada, où elle estimait pouvoir mieux se protéger de la pollinisation croisée, avec à la clé une cascade de procès …
Les problèmes que pose la contamination transgénique ne sont pas que juridiques, ils sont aussi environnementaux. En effet, lorsqu’une graine de colza transgénique atterrit dans un champ, par exemple de blé, par la grâce du vent, il est considéré comme une mauvaise herbe par l’agriculteur, qui a beaucoup de mal à en venir à bout, car « comme ce colza résiste au Roundup, un herbicide total, la seule façon de s’en débarrasser est de l’arracher à la main ou d’utiliser du 2-4 D, un herbicide extrêmement toxique »… De même, un producteur d’OGM soucieux de maintenir une rotation de ses cultures, en alternant par exemple du colza Roundup ready avec du maïs Roundup ready, peut être aussi confronté à ce problème, renforcé par la spécificité du colza : ses cosses mûrissant de manière inégale, les producteurs ont pris l’habitude de couper les plants et de les faire sécher dans les champs, avant d’en récolter les grains. Immanquablement, des milliers de graines restent sur le sol et germeront l’année suivante, voire cinq années plus tard. C’est ce qu’on appelle du « colza volontaire » ou « rebelle », qui représente en fait une « super mauvaise herbe » (en anglais « superweed »)…
Grâce aux OGM, toujours plus d’herbicides
L’ironie de l’histoire, c’est que Monsanto a compris très tôt l’intérêt financier que pouvaient représenter ces plantes « rebelles » : le 29 mai 2001, la firme a obtenu un brevet (n° 6 239 072) portant sur une « mixture d’herbicides » qui permet à la fois de « contrôler les mauvaises herbes sensibles au glyphosate et des spécimens volontaires tolérants au glyphosate ». Comme le souligne le rapport de la Soil Association, « ce brevet permettra à la firme de profiter d’un problème que ses produits ont eux-mêmes créé »…
Et à voir l’évolution dans les prairies d’Amérique du Nord, on peut s’attendre à ce que la fameuse « mixture d’herbicides » représente la nouvelle vache à lait de la firme de Saint-Louis. De fait, le développement des superweeds est devenu l’un des principaux casse-tête des agronomes nord-américains, qui notent que celles-ci peuvent émerger de trois manières. Dans le premier cas, comme nous venons de le voir, ce sont des « volontaires » (résistants au Roundup), dont la destruction nécessite le recours à des herbicides plus puissants. Dans le deuxième cas, les OGM se croisent avec des adventices — le mot savant qui désigne les « mauvaises herbes » — qui leur sont génétiquement proches, en leur transférant le fameux gène de résistance au Roundup. C’est le cas notamment du colza, qui est un hybride naturel entre le navet et le chou, capable d’échanger des gènes avec des espèces sauvages apparentées comme la ravenelle, la moutarde ou la roquette, que les agriculteurs considèrent comme des mauvaises herbes. Ainsi une étude conduite par le Britannique Mike Wilkinson, de l’université Reading, a confirmé en 2003 que le flux de gènes entre le colza et la navette (Brassica rapa), l’une des adventices les plus répandues, était très courant, ce qui indique que « la pollinisation croisée entre des plantes OGM et leurs parents sauvages est inévitable et peut créer des super mauvaises herbes résistantes à l’herbicide le plus puissant », ainsi que le souligne The Independant .
Enfin, troisième cas, si des superweeds apparaissent, c’est tout simplement parce qu’à force d’être arrosées exclusivement de Roundup, plusieurs fois par an et d’une année sur l’autre, les mauvaises herbes développent une résistance à l’herbicide qui finit par les rendre aussi efficaces en la matière que les OGM qui les ont engendrées. Curieusement, la firme, qui a pourtant une longue expérience des herbicides, a toujours nié ce phénomène : « Après vingt ans d’utilisation, on n’a jamais entendu parler d’espèces d’adventices qui soient devenues résistantes au Roundup », affirme ainsi un document publicitaire vantant les mérites du soja RR . De même, dans son Pledge de 2005, la multinationale continue d’affirmer que les cultures transgéniques « permettent aux agriculteurs d’utiliser moins d’herbicides ».
« C’est faux ! », rétorque l’agronome américain Charles Benbrook, dans une étude publiée en 2004 et intitulée : « Les cultures OGM et l’usage des pesticides aux États-Unis : les neuf premières années . » Selon lui, l’argument de la « réduction de l’usage des pesticides » a été valide durant les trois premières années qui ont suivi la mise en culture des OGM en 1995, mais « depuis 1999, ce n’est plus le cas ». « Ce n’est pas une surprise, explique-t-il : cela fait dix ans que les scientifiques spécialistes des adventices mettent en garde contre le fait que l’usage intensif des cultures résistantes à un herbicide allait déclencher des changements dans les populations de mauvaises herbes ainsi que leur résistance, forçant les paysans à appliquer d’autres herbicides et/ou à augmenter leurs doses. […] Un peu partout dans le Midwest, les agriculteurs évoquent avec nostalgie l’efficacité et la simplicité initiales de la technique Roundup Ready, en regrettant ce “bon vieux temps”. »
Charles Benbrook connaît son sujet : après avoir travaillé comme expert agricole à la Maison-Blanche sous l’administration Carter, puis au Capitole, il fut directeur de la division agricole de l’Académie nationale des sciences pendant sept ans, avant de créer son cabinet de consultant indépendant à Sandpoint, dans l’Idaho. Depuis 1996, il épluche minutieusement les données de consommation d’herbicides enregistrées par le Service national des statistiques agricoles (NASS) qui dépend de l’USDA, en les comparant avec celles fournies par Monsanto, qu’il juge « trompeuses, à la limite de la malhonnêteté ». Dans un article de 2001, il notait déjà que la « consommation totale d’herbicides utilisée pour le soja RR en 1998 était au moins 30 % supérieure en moyenne à celle du soja conventionnel dans six États, dont l’Iowa, où est cultivé un sixième du soja de la nation ».
Dans son étude de 2004, il constate que la quantité d’herbicides épandus sur les trois principales cultures des États-Unis (soja, maïs et coton) a augmenté de 5 % entre 1996 et 2004, ce qui représente 138 millions de livres supplémentaires. Alors que la quantité d’herbicides utilisés pour les cultures conventionnelles n’a cessé de baisser, celle de Roundup a connu une évolution inverse, ainsi que s’en félicite d’ailleurs Monsanto dans son « 10K Form » de 2006 : après avoir souligné que les ventes de glyphosate ont représenté un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars en 2006, contre 2,05 en 2005, la firme note que « toute expansion des cultures qui présentent la caractéristique Roundup ready accroît considérablement les ventes des produits Roundup ».
Ces résultats sont le fruit d’une stratégie planifiée de longue date : « Un facteur clé pour l’augmentation du volume de Roundup est une stratégie basée sur l’élasticité et des réductions sélectives des prix suivies par une importante augmentation des volumes », écrivait la multinationale dans son rapport annuel de 1998 (p. 7). Quand on lui fait remarquer que cette évolution est bien la preuve que les OGM ne réduisent pas la consommation d’herbicides, la multinationale réplique qu’il est normal que les ventes de Roundup augmentent, puisque la surface des cultures Roundup ready ne cesse de progresser. Certes, neuf ans après leur mise sur le marché, les cultures transgéniques couvraient près de 50 millions d’hectares aux États-Unis et 73 % étaient Roundup ready (23 % Bt), mais ces surfaces étaient déjà cultivées avant l’arrivée des OGM (et donc arrosées de pesticides )…
De plus, ajoute Charles Benbrook, la fin du monopole de Monsanto sur le glyphosate, en 2000, a entraîné une guerre des prix qui a fait chuter celui du Roundup d’au moins 40 %, et pourtant le chiffre d’affaires de la firme n’a pas été affecté, bien au contraire. Enfin, écrit-il, « la dépendance vis-à-vis d’un seul herbicide, comme méthode unique de gestion des mauvaises herbes sur des millions d’hectares, est la principale raison qui explique la nécessité d’appliquer des doses d’herbicides plus élevées pour atteindre le même niveau de contrôle ». Il rappelle qu’avant l’introduction des OGM, les scientifiques n’avaient identifié que deux adventices résistantes au glyphosate : l’ivraie (en Australie, Afrique du Sud et États-Unis) et le gaillet (en Malaisie), mais qu’aujourd’hui on en compte six sur le seul territoire américain, avec en tête la prèle, devenue un véritable fléau dans les prairies, mais aussi les amarantes, comme l’« herbe au cochon » ou l’ambroisie. Ainsi, une étude réalisée à l’université de Delaware a montré que des plants de prèle prélevés dans des champs de soja RR survivaient à dix fois la dose de Roundup recommandée . À ces mauvaises herbes déjà identifiées comme résistantes au Roundup, s’ajoute une liste d’adventices dites « tolérantes au glyphosate », c’est-à-dire pas encore résistantes, mais pour lesquelles il faut multiplier les doses par trois ou quatre pour en venir à bout…
FIN DE L’EXTRAIT
Je devais participer ce soir à une projection des Moissons du futur à Lorient, mais je n’ai pu m’y rendre, car, pour la troisième fois en deux semaines, mon TGV s’est arrêté en rase campagne, en raison d’un train de marchandises qui, nous a-t-on dit, est tombé en panne entre Le Mans et Rennes. Résultat: cinq heures de retard. J’ai donc décidé de m’arrêter à Nantes, où je participerai demain à une autre projection de mon film. J’écris ces lignes de ma chambre d’hôtel où Morgane Sabatier, l’animatrice du CRISLA qui organisait ma venue, avec une quinzaine d’organisations, vient de m’annoncer que 300 personnes avaient rempli l’amphithéâtre Paul Ricoeur (j’attends des photos)…
La polémique autour de l’étude Gilles Eric-Séralini continue de faire rage. Mais à lire les rapports publiés par l’Autorité européenne de la sécurité des aliments (EFSA), l’ANSES (l’agence française) ou le Haut conseil pour les biotechnologies (HCB), force est de reconnaître que les arguments avancés pour invalider les résultats obtenus par le chercheur de Caen sont peu convaincants…
Le HCB, par exemple, ne met pas en doute que les rattes exposées à des OGM et/ou du roundup aient développé plus de tumeurs que celles du groupe contrôle, mais l’explication avancée c’est que « le groupe de contrôle montre une santé étonnante, supérieure à 95% des rattes de cette souche de laboratoire, selon le fournisseur » !!(Libération du 23 octobre)
Pas de chance pour Séralini, qui a justement mis dans le groupe contrôle des rattes exceptionnelles (à savoir qui n’ont pas la propension à développer les tumeurs comme leurs congénères), mais en revanche, (pauvre de lui !) il a mis dans le groupe expérimental des rattes particulièrement sensibles aux tumeurs !!
Soyons sérieux, et revenons aux fondamentaux : les rats Sprague Dawley représentent l’espèce de rats systématiquement utilisée dans les (courtes) études toxicologiques (maximum 90 jours) menés par les industriels pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché des OGM. Ils ont effectivement une plus grande propension à développer des tumeurs, en fin de vie ( c’est-à-dire après 90 jours…), mais où est le problème ? Ce qui compte c’est de savoir si le groupe expérimental compte PLUS de tumeurs que le groupe témoin. Ce qui est manifestement le cas dans l’étude de Séralini et que personne ne conteste… Mais, c’est là qu’intervient le deuxième « argument », visant à annuler les observations réalisées par l’équipe de Caen : il y a certes plus de tumeurs, mais ce n’est pas statistiquement significatif, car il n’y a avait que dix rats par groupe…
Quelle mauvaise foi ! La grande majorité des études toxicologiques conduites par les industriels sur les OGM comptent, – au mieux ! -, dix rats par groupe, et parfois beaucoup moins ! Toutes concluent que les OGM ne sont pas dangereux pour la santé, mais aucune agence (l’EFSA, l’ANSES ou le HCB) n’a dit : « vos conclusions ne sont pas valides, car la puissance statistique de vos études (dix malheureux rats par groupe) est faible, il faut donc revoir votre copie, car nous n’avons pas la preuve que les OGM ne sont pas toxiques »!
Il y a donc deux poids et deux mesures, comme on dit.
On aurait aimé que l’EFSA ou l’ANSES soient aussi sourcilleuse, concernant l’étude toxicologique fournie par Rochelle Tyl (payée par l’industrie) concernant le Bisphenol A, cette hormone de synthèse utilisée dans les récipients en plastique dur (comme les biberons) dont j’ai largement parlé dans mon film et livre Notre poison quotidien.
J’invite les internautes à lire cet extrait de mon livre qui montre comment les agences de réglementation, chargées de la protection de notre santé, sont beaucoup moinsregardantes quand il s’agit de maintenir sur le marché un produit, dont des centaines d’études (indépendantes) ont prouvé la toxicité. Les lecteurs découvriront que les fameux rats Sprague Dawley n’ont pas que la caractéristique d’être plus sensibles aux tumeurs, mais aussi d’être totalement insensibles à l’œstrogène… Cet extrait repose sur les travauxde Frederick vom Saal, biologiste à l’université Columbia (Missouri), qui, avec plusieurs collègues, a alerté les agences de réglementation des dysfonctionnements notoires de l’étude de Rochelle Tyl, qui fonde la Dose journalière admissible du Bisphénol A, mais en vain…
« Des techniques et savoirs qui datent du xvie siècle
(…)
Frederick vom Saal et Claude Hugues, un endocrinologue, ont publié une métanalyse dans laquelle ils examinèrent cent quinze études qui avaient fait l’objet d’une publication sur les effets à faibles doses du bisphénol A à la fin de 2004[i]. « Les résultats furent proprement renversants, m’a expliqué Fred vom Saal lors de notre entretien à la Nouvelle-Orléans. Nous avons en effet constaté que plus de 90 % des études financées par des fonds publics montraient des effets significatifs du BPA à de faibles doses – soit quatre-vingt-quatorze études sur cent quinze –, mais pas une de celles sponsorisées par l’industrie !
– C’est ce qu’on appelle le funding effect…
– Oui… De plus, trente et une études conduites sur des animaux vertébrés ou invertébrés avaient trouvé des effets significatifs à une dose inférieure à la DJA du bisphénol A.
– Comment expliquez-vous les résultats négatifs obtenus par les scientifiques travaillant pour l’industrie ? Est-ce qu’ils ont triché ?
– La triche est difficile à prouver, m’a répondu prudemment Fred vom Saal, mais en revanche, il y a plusieurs “astuces” qui permettent de masquer les effets potentiels. D’abord, ainsi que nous l’avons écrit avec Claude Hugues dans notre article, la plupart des laboratoires payés par l’industrie ont utilisé une lignée de rats qui est connue pour être totalement insensible aux effets des molécules œstrogéniques.
– Il y a des rats qui présentent cette caractéristique ?, ai-je demandé, tant cette information me paraissait invraisemblable.
– Oui ! Cette lignée, appelée Sprague-Dawley ou CD-SD, a été inventée, si on peut dire, par l’entreprise Charles River qui l’a sélectionnée, il y a une cinquantaine d’années, en raison de sa haute fertilité et de la croissance postnatale rapide des souriceaux qu’elle engendre. Cela donne des rates obèses, capables de produire d’énormes quantités de bébés, mais qui du coup sont insensibles à l’œstrogène, comme par exemple à l’éthinylestradiol, un œstrogène puissant que l’on trouve dans les pilules anticontraceptives : elles ne réagissent qu’à une dose cent fois supérieure à la quantité prise quotidiennement par les femmes qui utilisent un anticontraceptif oral ! Cette lignée est donc tout à fait inappropriée pour étudier les effets des faibles doses d’œstrogènes de synthèse !
– Et cette caractéristique des rats Sprague-Dawley n’était pas connue des laboratoires travaillant pour l’industrie ?
– Apparemment non ! Mais curieusement, tous les laboratoires publics étaient au courant, m’a répondu Fred vom Saal avec un sourire entendu. L’autre problème que nous avons rencontré avec les études privées, c’est qu’elles utilisent une technologie qui date d’au moins cinquante ans ! Elles sont incapables de détecter des doses infimes de BPA, tout simplement parce que les laboratoires n’ont pas les équipements qui le permettent ou parce que le guide des “bonnes pratiques de laboratoire”, les fameuses GLP [voir supra, chapitre 12], ne l’exige pas, ce qui est bien pratique ! C’est un peu comme un astrologue qui voudrait examiner la lune avec des jumelles, alors qu’il existe des télescopes comme Hubble ! Dans mon laboratoire, nous pouvons détecter des résidus de bisphénol A libre, c’est-à-dire non métabolisé, à un niveau de 0,2 partie par milliard, mais dans la plupart des études de l’industrie que nous avons examinées, le niveau de détection était de cinquante à cent fois supérieur ! Il est alors facile de conclure que “l’exposition au bisphénol A ne pose pas de danger pour la santé, parce qu’il est complètement éliminé”… Enfin, le dernier problème que nous avons constaté est que les scientifiques des laboratoires privés, mais aussi la plupart des experts des agences de réglementation, ne comprennent rien en général à l’endocrinologie. Ils ont tous été formés à la vieille école de la toxicologie qui veut que “la dose fait le poison”. Or, ce principe, qui constitue le fondement de la dose journalière acceptable, est basé sur des hypothèses erronées qui datent du xvie siècle : à l’époque de Paracelse, on ne savait pas que les produits chimiques peuvent agir comme des hormones et que les hormones ne suivent pas les règles de la toxicologie[ii].
– Est-ce que cela signifie que le principe de la relation “dose-effet”, qui est le corollaire de la DJA, est aussi erroné ?
– Tout à fait, pour les perturbateurs endocriniens, il ne sert à rien ! Il peut marcher pour certains produits toxiques traditionnels, mais pas pour les hormones, pour aucune hormone ! Pour certains produits chimiques et pour les hormones naturelles, nous savons que les doses faibles peuvent stimuler les effets, alors que les fortes doses les inhibent. Pour les hormones, la dose ne fait jamais le poison, les effets n’empirent pas systématiquement, car en endocrinologie les courbes linéaires dose/effet n’existent pas. Je vais vous donner un exemple concret : quand une femme a un cancer du sein, on lui prescrit un médicament qui est le Tamoxifen. Au début du traitement, les effets sont très désagréables, car la molécule commence par stimuler la progression de la tumeur, puis quand elle atteint une certaine dose, elle bloque la prolifération des cellules cancéreuses. On observe le même phénomène avec le Lupron, un médicament prescrit aux hommes qui souffrent d’un cancer de la prostate. Dans les deux cas, l’action de la substance n’est pas proportionnelle à la dose et ne suit pas une courbe linéaire, mais une courbe en forme de U inversé. En endocrinologie, on parle d’un effet biphasique : d’abord, une phase ascensionnelle, puis descendante.
– Mais les agences de réglementation ne connaissent-elles pas ces caractéristiques ?
– Je pense sincèrement que leurs experts devraient retourner sur les bancs de l’université de médecine pour suivre un cours d’initiation à l’endocrinologie ! Plus sérieusement, je vous invite à consulter la déclaration de consensus qu’a publié récemment la Société américaine d’endocrinologie, qui compte plus de mille professionnels. Elle demande officiellement au gouvernement de prendre des mesures pour que soit revue de fond en comble la manière dont sont réglementés les produits chimiques qui ont une activité hormonale – on estime qu’il y en a plusieurs centaines. Et les auteurs de cette déclaration ne sont pas des activistes radicaux qui manifestent avec des pancartes ! Ce sont des endocrinologues professionnels, qui disent clairement que tant que leur spécialité ne sera pas admise au sein des agences de réglementation, les consommateurs et le public ne seront pas protégés, car le système ne peut être qu’inefficace. »
De fait, j’ai lu le texte publié par la Société d’endocrinologie en juin 2009 (et dont Ana Soto était l’un des auteurs)[iii]. En près de cinquante pages, celui-ci tire très clairement la sonnette d’alarme : « Nous apportons la preuve que les perturbateurs endocriniens ont des effets sur le système de reproduction masculin et féminin, écrivent ses auteurs, mais aussi sur le développement du cancer du sein et de la prostate, la neuroendocrinologie, la thyroïde, l’obésité et l’endocrinologie cardiovasculaire. Les résultats obtenus à partir de modèles animaux, d’observations cliniques humaines et d’études épidémiologiques convergent pour impliquer les perturbateurs endocriniens comme un problème majeur de santé publique. » Après avoir rappelé que « les perturbateurs endocriniens représentent une classe étendue de molécules comprenant des pesticides, des plastiques et plastifiants, des combustibles et de nombreux autres produits chimiques présents dans l’environnement et très largement utilisés », ils précisent qu’un « niveau infinitésimal d’exposition, le plus petit soit-il, peut causer des anomalies endocriniennes et reproductives, particulièrement si l’exposition a lieu pendant une fenêtre critique du développement. Aussi surprenant que cela puisse paraître, des doses faibles peuvent même avoir un effet plus puissant que des doses plus élevées. Deuxièmement, les perturbateurs endocriniens peuvent exercer leur action en suivant une courbe dose-effet qui n’est pas traditionnelle, telle qu’une courbe en forme de U inversé ». En conclusion, ils appellent « les décideurs scientifiques et individuels à promouvoir la prise de conscience et le principe de précaution, et à mettre en place un changement dans la politique publique ».
« L’étude qui a fondé la DJA du BPA est ridicule »
« Savez-vous sur quelle étude l’EFSA et la FDA se sont fondées pour fixer la DJA du bisphénol A à 50 μg par kilo de poids corporel ? » ai-je demandé à Frederick vom Saal, sans savoir que je touchais là à l’un des points les plus incroyables de cette (lamentable) affaire. « Les agences se sont fondées sur une étude dont je n’hésite pas à dire qu’elle est ridicule et qu’elle devrait immédiatement rejoindre les poubelles de l’histoire scientifique, m’a-t-il répondu, avec une fermeté dont la gravité tranchait avec le ton enjoué du début de notre entretien. Cette étude a été dirigée par Rochelle Tyl et financée par la Société de l’industrie des plastiques, Dow Chemical, Bayer, Aristech, Chemical Corp et GE Plastic, qui sont les principaux fabricants de bisphénol A. Elle a été publiée en 2002 et comme son titre l’indique, elle a utilisé des rats Sprague-Dawley : autant dire qu’elle est parfaitement inutile, mais c’est pourtant cette étude que l’EFSA et la FDA ont choisie, parmi des centaines, pour fixer la DJA ! »
De fait, quand on consulte l’avis de l’EFSA publié en 2006[iv], on peut lire à la page 32 que l’étude qui a servi à déterminer la NOAEL pour la toxicité reproductive est une « vaste étude sur trois générations » de Rochelle Tyl conduite sur des rats Sprague-Dawley[v]. « Quand, en 2005, j’ai révélé que les rats Sprague-Dawley étaient insensibles aux molécules œstrogéniques, l’équipe de Tyl s’est empressée de conduire une seconde étude avec des souris que l’on appelle “suisses” ou “CD-1”, m’a raconté Frederick vom Saal, les mêmes que j’utilise dans mon laboratoire, mais là aussi il y a de gros problèmes… » Effectivement, d’une manière pour le moins elliptique, pour ne pas dire énigmatique, l’avis de l’EFSA de 2006 évoque la « controverse sur les effets possibles des faibles doses de BPA sur des lignées de rongeurs sensibles », avant de préciser qu’une « étude récente de toxicologie reproductive sur deux générations, conduite sur des souris selon les bonnes pratiques de laboratoire, n’a pas confirmé l’existence d’effets à faible dose[vi] ». On en conclut, même si ce n’est pas clairement dit, que la DJA de 50 μg, fixée lors de l’examen de l’« étude ridicule » de 2002 a été maintenue.
« Et quels sont les problèmes de cette seconde étude ?, ai-je demandé à Fred vom Saal.
– Ils sont multiples !, s’est-il exclamé. L’affaire est tellement grave, car l’enjeu c’est la DJA du BPA, que trente scientifiques américains, dont je fais partie, ont publié en 2009 un long article dans le journal Environmental Health Perspectives[vii]pour dénoncer les incroyables déficiences de cette étude, qui devrait, comme la première, finir à la poubelle ! Alors qu’elle est considérée par l’EFSA et la FDA comme le must des bonnes pratiques de laboratoire ! »
Pour bien comprendre la suite de ce récit, proprement sidérant, il faut savoir que l’équipe de Rochelle Tyl a utilisé deux cent quatre-vingts souris mâles et deux cent quatre-vingts femelles, qui furent réparties en trois groupes : un « groupe contrôle » (qui ne fut exposé à aucune substance), un « groupe contrôle positif » (qui fut exposé à de l’œstradiol, car les effets de cette hormone sont parfaitement connus) et un « groupe expérimental » (exposé à du bisphénol A, avec six niveaux de dose). Une attention particulière fut portée aux femelles exposées pendant la gestation et à leurs descendants mâles et femelles, car le but de l’étude était principalement de mesurer les effets transgénérationnels de faibles doses de bisphénol A sur le système reproductif. « La première chose que nous avons rapportée dans notre article, m’a expliqué Frederick vom Saal, c’est que les souris du groupe contrôle positif étaient extraordinairement insensibles à l’œstradiol. Les premiers effets ne sont apparus qu’à une dose 50 000 fois supérieure à celle constatée dans de nombreux laboratoires, dont le mien. Tout indique que les installations de Rochelle Tyl étaient contaminées par de l’œstrogène. L’une des explications possibles pourrait être un incendie qui a ravagé le laboratoire en août 2001, au cours duquel une vingtaine de cages en polycarbonate ont brûlé en libérant du bisphénol A. Cette hypothèse a été abordée récemment lors d’un colloque en Allemagne auquel participaient Rochelle Tyl et un représentant de la FDA et où les aberrations de l’étude furent largement évoquées[viii]. Ce qui est incroyable, c’est que l’EFSA et la FDA n’aient pas remarqué les anomalies caractérisant le groupe contrôle positif, alors qu’elles devraient purement et simplement invalider tous les résultats de l’étude, car cette contamination à l’œstrogène rend impossible la mesure d’effets à faibles doses du BPA. Le second problème, c’est le poids absolument anormal de la prostate des mâles du groupe contrôle, qui est 75 % supérieur à celui constaté dans toutes les études similaires. »
En effet, dans le tableau 3 de son étude, Rochelle Tyl note que le poids moyen de la prostate des souris du groupe contrôle était supérieur à 70 mg, à l’âge de trois mois et demi. Or, soulignent les trente scientifiques de l’article cosigné par Frederick vom Saal, « ce poids moyen dans le groupe contrôle contraste radicalement avec celui rapporté par d’autres laboratoires. En général, le poids de la prostate chez des souris CD-1 de deux à trois mois est de 40 mg. Plusieurs études ont rapporté que l’exposition prénatale à de faibles doses de BPA ou à de l’œstrogène causait une augmentation du poids de la prostate, […] mais la prostate hypertrophiée des animaux exposés au BPA dans ces laboratoires pesait moins que celle des souris du groupe contrôle de Tyl[ix] ». « Ce poids exceptionnel de la prostate ne peut s’expliquer que de deux manières, m’a expliqué Frederick vom Saal. Soit les techniques de dissection étaient inappropriées, soit les animaux souffraient d’une infection de la prostate. Et je dois dire que les multiples versions données par Rochelle Tyl pour justifier cette taille incongrue ne font que confirmer que cette étude n’a aucune valeur. »
De fait, il faut bien admettre que la scientifique de l’industrie s’est pris plusieurs fois les pieds dans le tapis. Lors d’une audition organisée par la FDA, le 16 septembre 2008, elle a livré une première version, lorsque Frederick vom Saal l’interrogea publiquement sur cette anomalie manifeste. « Les souris n’avaient pas trois mois, mais six, a-t-elle affirmé, c’est pourquoi leur prostate était plus grande. » Imperturbable, le chercheur de l’université Columbia a alors exhibé la fameuse étude, en s’étonnant qu’« elle contienne deux fois la même faute d’impression[x] »… Interrogée de nouveau sur les fichues prostates lors du colloque sur le BPA qui s’est tenu en Allemagne en avril 2009, Rochelle Tyl a fourni une troisième version : « Les souris avaient cinq mois », a-t-elle déclaré, tandis que certains des cinquante-huit scientifiques présents se demandaient ouvertement comment une telle étude avait pu être choisie comme référence par les agences de réglementation[xi].
FIN DE L’EXTRAIT
Les leçons qu »on peut tirer de cette polémique autour de l’étude de Séralini, c’est que les agences de réglementation ont été in fine contraintes de reconnaître que leurs procédures d’évaluation des OGM ou de tout autre produit potentiellement toxique sont pour le moins approximatives et arbitraires… D’ailleurs, dans un bel ensemble, après avoir tiré à boulets rouges sur les travaux de Gille-Eric Séralini, elles reconnaissent toutes qu’il faudrait conduire une nouvelle étude toxicologique indépendante, de deux ans, pour trancher définitivement!
Par delà la polémique, c’est bien là le grand mérite du pavé dans la mare lancé par l’équipe de Caen: avoir provoqué cet aveu des agences de réglementation, obligées d’admettre que les autorisations de mise sur le marché et les avis qu’elles ont émis reposent sur des données hautement contestables, car scientifiquement très fragiles…
Du côté des bonnes nouvelles, il y a le succès énorme que rencontre mon film Les moissons du futur, qui remplit les salles:
– 450 personnes à Forcalquier (plusieurs centaines refusées), où j’ai répondu aux nombreuses questions du public, avec Pierre Rhabi.
(Photos : Lionel Goumy)
Merci à Philippe Courbon qui a magnifiquement réussi les « rencontres de l’alimentation bio » , auxquelles ont participé Gilles-Eric Séralini, Claude et Lydia Bourguignon, Claude Aubert, Jean-Pierre Berlan, François Veillerette, André Cicollela, Corinne Lepage, etc.
Sur la dernière image, on voit Manfred Wenz, l’un des pionniers de l’agriculture biologique en Allemagne. Je viens d’apprendre qu’après ma visite dans le lycée agricole du Luxembourg, tous les élèves et futur agriculteurs allaient effectuer une visite dans la ferme des Wenz!
– Près de 150 personnes à Draguignan, où la soirée s’est terminée tard, par un slam improvisé par Dany:
– je pars dans deux heures à Genève, où le film sera présenté dans une salle de 500 personnes:
[i] Frederick vom Saal et Claude Hughes, « An extensive new literature concerning low-dose effects of bisphenol A shows the need for a new risk assessment », Environmental Health Perspectives, vol. 113, août 2005, p. 926-933.
[ii] Voir John Peterson Myers et Frederick vom Saal, « Should public health standards for endocrine-disrupting compounds be based upon 16th century dogma or modern endocrinology ? », San Francisco Medicine, vol. 81, n° 1, 2008, p. 30-31.
[iii] Evanthia Diamanti-Kandarakis et alii, « Endocrine-disrupting chemicals : an Endocrine Society scientific statement », Endocrine Reviews, vol. 30, n° 4, juin 2009, p. 293-342.
[iv] « Opinion of the scientific panel on food additives, flavourings, processing aids and materials in contact with food on a request from the Commission related to 2,2-bis (4-hydroxyphenyl) propane (bisphenol A) », Question n° EFSA-Q-2005-100, 29 novembre 2006.
[v] Rochelle Tyl et alii, « Three-generation reproductive toxicity study of dietary bisphenol A in CD Sprague-Dawley rats », Toxicological Sciences, vol. 68, 2002, p. 121-146.
[vi] Au moment de son évaluation, l’EFSA ne disposait que d’un rapport préliminaire de l’étude de Rochelle Tyl (« Draft final report ») qui a été publiée en 2008 : Rochelle Tyl et alii, « Two-generation reproductive toxicity evaluation of bisphenol A in CD-1 (Swiss mice) », Toxicological Sciences, vol. 104, n° 2, 2008, p. 362-384.
[vii] John Peterson Myers et alii, « Why public health agencies cannot depend on good laboratory practices as a criterion for selecting data : the case of bisphenol A », Environmental Health Perspectives, vol. 117, n° 3, mars 2009, p. 309-315. Parmi les auteurs, figurent Ana Soto, Carlos Sonnenschein, Louis Guillette, Theo Colborn et John McLachlan.
[viii] Meg Missinger et Susanne Rust, « Consortium rejects FDA claim of BPA’s safety. Scientists say 2 studies used by U.S. agency overlooked dangers », Journal Sentinel, 11 avril 2009.
[ix] John Peterson Myers et alii, « Why public health agencies cannot depend on good laboratory practices… », loc. cit.
[x] L’anecdote a été rapportée par John Peterson Myers, coauteur de Our Stolen Future, qui participait à l’audition (John Peterson Myers, « The missed electric moment », Environmental Health News, 18 septembre 2008).
[xi] Meg Missinger et Susanne Rust, « Consortium rejects FDA claim of BPA’s safety… », loc. cit.